Mines et déminage dans la zone Pacifique

L’annonce récente par les Etats-Unis de l’envoi de trois types de mines anti-personnel (ADAMS, Volcan et MOPMS) en Ukraine, a, à nouveau, s’il en était besoin, attiré l’attention sur l’utilisation des mines et les conséquences qui s’ensuivent pour les populations civiles notamment.
Gérard Chesnel, Président de la Commission nationale pour l’élimination des Mines antipersonnel, a bien voulu évoquer cette question pour l’Institut du Pacifique, après avoir participé aux réunions internationales de Genève en octobre dernier, et de Siem Reap (Cambodge) du 24 au 29 novembre sur l’examen de la Convention d’Ottawa. Ces réunions d’examen de la convention ont pour but d’évaluer les progrès réalisés pour parvenir à l’élimination des mines.
Aspect historique : Après la Deuxième Guerre mondiale, il y avait quinze millions de mines en France qui ont été enlevées en un an et demi. Le service du déminage est créé en février 1945, avec, à sa tête, le résistant Raymond Aubrac qui coordonne l’action de volontaires français et aussi de prisonniers de guerre allemands. Les plans ont été fournis par les Allemands, facilitant ainsi le déminage. D’où une certaine spécificité française qui a ensuite proposé des actions de formation, créé des écoles régionales …
Quelques définitions :
- Mines et déminage : il faut distinguer les aspects militaires et les aspects humanitaires. Le dépôt des mines a pour objet de protéger un espace d’une attaque d’éléments hostiles. Mais ensuite le but du déminage est différent selon l’objectif recherché : le déminage militaire a pour but de permettre le passage d’éléments armés, le déminage humanitaire vise à dépolluer une zone où pourront reprendre les activités humaines.
La pose successive de mines par des mouvements concurrents rend un territoire très difficile à « déminer » afin de le rendre « habitable ». C’est notamment ce que l’on a pu constater en Afrique où les mines, armes souvent peu coûteuses, ont été utilisées par les mouvements de libération, parfois concurrents, au détriment des populations civiles pour des périodes souvent longues.
- Les différentes mines : les mines antipersonnel, armes défensives, sont des mines qui sont utilisées contre des humains par opposition aux mines antichar qui ciblent des véhicules. Les mines à sous-munitions (BASM) sont des projectiles explosifs contenus dans un conteneur (obus par exemple) et destinés à être largués par voie aérienne ou tirés par voie terrestre. Ce sont des armes d’attaque.
- Les conventions internationales :
- La Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel[1] signée en 1997, est entrée en vigueur en 1999 : elle est signée aujourd’hui par 164 Etats[2]. A noter que les Etats les plus puissants sur la planète ne l’ont pas signée : la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, la Russie, mais aussi l’Arménie, l’Azerbaïdjan, les deux Corée, Cuba, l’Egypte, Israël, le Laos, le Pakistan, le Vietnam. Cette convention concerne uniquement les mines terrestres (et pas les armes à sous-munitions). Voir liste des états signataires ci-dessous.
NB : Il faut souligner que ce sont les Etats qui sont signataires de la Convention d’Ottawa. Les mouvements rebelles, les mouvements de libération ne sont donc pas impliqués.
- L’ONG ICBL (Campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel) fondée en 1992 par 6 organisations (avec notamment Handicap International[3], Human Rights Watch). Elle a reçu le prix Nobel de la Paix en 1997.
- La convention d’Oslo sur l’interdiction des armes à sous-munitions, signée en 2008. Entrée en vigueur en 2010, avec aujourd’hui 108 Etats signataires.
La France a signé la convention d’Ottawa le 2 décembre 1997, et a créé la Commission nationale pour l’élimination des mines anti-personnel qui a un rôle de coordination, et Gérard Chesnel a été nommé à sa tête en 2017. En outre, un ambassadeur « thématique » est chargé du déminage. La contribution française au déminage est de 10 Millions d’euros par an alors que la Norvège ou l’Allemagne donnent environ 10 fois plus. En Europe, le dernier Etat à signer la convention, a été la Finlande.
Les victimes des mines antipersonnel sont la plupart du temps des civils, et 35 % d’entre eux des enfants[4] ; l’aide humanitaire apportée par les ONG est essentielle, pour les prothèses, pour la formation et le suivi.
Le contexte international actuel de la guerre en Ukraine. La Russie n’est pas signataire de la convention, et donc ne peut être condamnée si elle utilise de telles mines. Mais l’Ukraine qui l’a signée, n’est pas autorisée à utiliser ces armes…
Les Etats-Unis, bien que non signataires de la Convention, en respectaient l’esprit. Mais à la fin de son premier mandat, le Président Trump avait annoncé que les Etats-Unis utiliseraient désormais des « mines intelligentes », supposées se désamorcer au bout d’un certain temps[5]. Le 20 novembre 2024, le Président Biden a annoncé l’envoi en Ukraine de trois types de mines antipersonnel (ADAMs, Volcano et MOPMS) afin de freiner l’avancée russe. Est-ce la mort de la Convention d’Ottawa ? Certains Etats alliés des Etats-Unis ont essayé – en vain – de faire supprimer du communiqué final la formule traditionnelle condamnant l’usage des mines « par tout acteur, en toutes circonstances ».
23 % du territoire ukrainien est actuellement pollué par des mines terrestres et des munitions non explosées, selon le rapport d’octobre 2024 du PNUD et le pays ne dispose pas de démineurs en nombre suffisant. A la menace pour la population civile, s’ajoute donc une entrave majeure pour le développement économique à venir.
Aujourd’hui, les difficultés que rencontre l’application de la Convention en Ukraine risquent de s’aggraver si la guerre se prolonge et de mettre en danger la Convention elle-même. Celle-ci devra peut-être se concentrer sur l’assistance aux victimes plutôt que sur le déminage qui, en zone et en période de guerre, est plutôt illusoire.
Conférence de Gérard Chesnel à l’Institut du Pacifique le 23 janvier 2025
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En complément, sur un sujet voisin, on pourra lire une note publiée par la Fondation pour la Recherche Stratégique en juin 2024 : « Guerre des mines dans le détroit de Taïwan : doctrine et développements technologiques de l’Armée populaire de libération » (Simon Bertault).
Liste des Etats signataires de la Convention d’Ottawa
sur le pourtour de l’Océan Pacifique
Etats du Pacifique : Australie, Nouvelle-Zélande, Fidji, îles Cook, Kiribati, Nauru, Niue, Palau, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Samoa, Salomon, Tuvalu et Vanuatu.
Etats d’Asie du Sud-Est : Indonésie, Philippines, Timor, Brunéi, Malaisie, Thaïlande et, bien entendu, Cambodge, là où est née l’ONG française Handicap International (actuellement appelée Humanité et Inclusion) qui a été à l’origine de l’utilisation de matériaux très simples et locaux, comme le bambou, pour fabriquer les prothèses.
Etats de la côte américaine du Pacifique : tous les pays d’Amérique du Nord (sauf les Etats-Unis), d’Amérique centrale et des Caraïbes (sauf Cuba), et d’Amérique du Sud ont signé et ratifié la Convention.
[1] Ce traité interdit l’acquisition, la production, le stockage et l’utilisation des mines antipersonnel.
[2] Dernier Etat signataire : Tonga en 2024.
[3] Renommée aujourd’hui « Humanité et inclusion ».
[4] Cf Rapport de l’Observatoire des mines, publié le 20 novembre 2024.
[5] Cf Gérard Chesnel in Billet du lundi 30 décembre 2024. Géopragma.