Conférence
Le Conflit USA -Chine Attaques américaines et répliques chinoises ; un désastre annoncé ; les causes profondes
Une série de Conférences, consacrées à la question centrale des relations États-Unis-Chine a été inaugurée le 15 Octobre par une Conférence d’introduction par le Vice-président de l’Institut, Daniel Haber, Professeur d’économie internationale dans le MBA de plusieurs Universités, en France et à l’étranger.
Il propose, dans cette série d’articles, publiés sur le Site, de compléter et détailler cette Conférence. Trois Articles sont présentés :
Le premier retrace l’historique du conflit.
Le suivant propose d’évaluer les conséquences de la confrontation.
Le troisième recherche, au-delà des commentaires partagés par la plupart des analystes, les causes profondes d’un conflit qui s’installe durablement dans la géopolitique mondiale et en constitue, sinon le seul, du moins l’un des aspects les plus lourds d’effets.
Article 1.
Attaques américaines et ripostes chinoises
A la fin de l’année 2018, les États-Unis décident, de façon réfléchie et déterminée, de confronter la Chine. Ce fut une surprise pour beaucoup, car depuis 50 ans, les deux pays entretenaient une relation classique, faite de relations diplomatiques, de visites d’Etat, de rencontres politiques très nombreuses, bilatérales, mais aussi dans le cadre de l’APEC, à l’ONU et dans le cadre du G 20.
La rencontre Nixon – Mao de 1972, orchestrée par Henry Kissinger et justifiée par la nécessité d’affronter un ennemi commun, l’Union Soviétique, ouvrait la voie à l’établissement de relations diplomatiques en 1979.
Dès l’ouverture de la Chine par Deng Xiaoping, en 1979, les Américains furent des investisseurs constants, plus nombreux et affirmés après 1992, après que la répression des étudiants sur la Place Tien An Men, en Juin 1989, fut intégrée par l’Occident comme inévitable et n’empêchant pas la Chine de devenir un citoyen du monde.
D’ailleurs les Etats-Unis accompagnèrent la croissance chinoise et son intégration à la communauté internationale, en lui ouvrant largement son marché et en facilitant son entrée à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Les investisseurs américains sont parmi les plus grands groupes (automobile, Apple, General Electric…). Aujourd’hui encore, en plein conflit, Tesla ouvre son usine la plus moderne près de Shanghai pour y produire 300,000 véhicules électriques de luxe par an.
La première salve américaine, le détonateur, fut l’imposition de taxes (de 15 à 25%) sur la majeure partie des importations de produits chinois aux USA. Cette attaque devint une guerre commerciale car les Chinois rendirent coup pour coup. La raison invoquée par les Etats-Unis était la « déloyauté » de la Chine (« puisqu’elle nous vend plus qu’elle nous achète »). L’inanité de cette raison pour la totalité des économistes (le déséquilibre des échanges entre deux pays est essentiellement lié à la différence de développement, de la taille des populations, du taux d’épargne national et de la structure industrielle de chacun) n’empêche pas l’adhésion des deux Partis américains et de l’opinion publique à cette mesure contraire aux engagements internationaux signés par les Etats-Unis à l’OMC.
L’absurdité de cette guerre « « perdante-perdante » finit rapidement par sauter aux yeux de tous et conduisit à la signature d’une trêve, un an après, et peu avant l’arrivée de la pandémie. Cette trêve ne mettait pas fin aux taxes existantes (qui n’avaient d’ailleurs pas ralenti significativement les exportations de la Chine…) mais arrêtait la poursuite de l’escalade, moyennant la promesse des Chinois d’acheter pour plusieurs milliards de dollars de produits agricoles américains (ce qui est contraire aux règles de l’OMC !).
Mais, avant même que la guerre commerciale ait montré le moindre effet, les États-Unis avaient déjà engagé une autre bataille, bien plus cruciale, celle de la technologie. L’accusation, cette fois, c’est le « pillage technologique » par la Chine. La cible est une firme chinoise emblématique, Huawei. Cette firme est la plus connue, respectée et aimée des Chinois.
C’est une « success story » qui fait rêver les jeunes entrepreneurs chinois : un ancien officier de l’Armée Populaire commence par fabriquer des commutateurs de téléphone classiques pour devenir, en quelques décennies, le leader mondial de la conception, de la fabrication et de l’installation des équipements sophistiqués qui permettent d’utiliser la nouvelle norme mondiale, la 5G. Ses seuls concurrents, loin derrière, sont deux firmes scandinaves, Nokia et Ericsson.
Les USA décident d’empêcher Huawei de prospérer : ils lui ferment le marché américain et font pression sur tous leurs amis et alliés pour en faire autant, avec un succès partiel et encore difficile à évaluer.
Ils avaient, il faut le rappeler, tester cette méthode envers une autre grande firme chinoise de l’électronique, ZTE, en la punissant d’«avoir violé les règles de l’embargo américain sur l’Iran », en la coupant, en mai 2018, de ses approvisionnements en composants électroniques.
ZTE avait subi un choc énorme et révélé aux observateurs américains la vulnérabilité, et la dépendance, de certaines entreprises chinoises. Ils vont faire plus envers Huawei : arguant également de la vente d’équipements à l’Iran par une transaction en dollars, ils font valoir que Huawei a « violé l’embargo américain sur l’Iran » et demandent au Canada d’arrêter la Directrice Internationale de Huawei qui a ses bureaux (et son domicile personnel) au Canada.
Les autorités canadiennes s’exécutent, mettent cette Chinoise en garde à vue, découvrent qu’elle est la fille du Président-Fondateur et la relâchent en la mettant en résidence surveillée dans sa maison de Vancouver. Les Chinois analysent cette action comme une « prise d’otage » …et prennent immédiatement deux otages canadiens, deux personnalités canadiennes vivant en Chine et qui sont condamnées à de lourdes peines. Le dossier d’extradition adressé par les Américains est examiné par une Cour canadienne qui conclut qu’il est conforme aux exigences du Traité d’extradition USA-Canada. Justin Trudeau a désormais sur son bureau ce dossier insoluble et décide… d’attendre.
Une deuxième attaque est portée à Huawei. La firme est entrée, avec succès, sur le marché des Smartphones et rejoint le trio des leaders mondiaux, avec Apple et Samsung. Huawei est No1 en Chine et rivalise pour le leadership avec ses deux concurrents partout ailleurs.
Les USA demandent à Google de ne plus fournir les nouvelles Applications qui vont avec le système d’exploitation Android qu’utilise Huawei, comme tous les concurrents d’Apple. Et ils demandent aux fournisseurs de pièces et composants (notamment les semi-conducteurs les plus élaborés) de ne plus livrer Huawei. Ils s’en prennent ensuite à deux applications-vedette chinoises, utilisées dans le monde entier, Tik Tok et Wechat, interdites aux Etats-Unis. Ces nouvelles cibles choisies sont des firmes chinoises, indépendantes, qui ont développé des systèmes propriétaires qui ne sont contestés par personne.
La justification a changé : cette fois, c’est la possibilité de piratage ou de captation des données qui sont mises en avant. Pour les États-Unis, la Chine, pays totalitaire, est derrière toutes les firmes chinoises, même privées.
Cette deuxième offensive touche le nerf de la guerre économique, les hautes technologies, celles du numérique. En arrière-plan, il y a la bataille pour les « Données » (Big Data), véritable matière première essentielle du XXI è siècle et surtout celle de l’Intelligence Artificielle.
Ce n’est plus l’«usine du monde » qui fait peur, mais ses capacités à tenir la dragée haute à l’innovation américaine, seule dominante jusqu’alors. Les enjeux sont cruciaux. La Chine sera-t-elle touchée au cœur…ou incitée à accélérer ses propres développements ?
Les Universités et les Centres de recherche chinois sont de premier niveau, les installations de premier ordre.
Il manque certainement l’étincelle, le génie, jusqu’ici une spécificité de l’Occident, directement issue d’une civilisation de liberté qui met en avant le risque d’entreprise, le culte de l’individu motivé par la gloire, l’argent ou simplement par le gout de satisfaire sa curiosité.
La Chine, par sa culture et son mode de gouvernement, est-elle handicapée ? Elle cherche des compléments à ses propres efforts, aux Etats-Unis d’abord, en Israël ensuite, et, désormais, partout où elle trouve des opportunités. Son passé innovant est glorieux…mais très lointain. L’exemple de pays dont la culture est proche, le Japon, la Corée du Sud, Singapour montre les limites à la créativité des systèmes d’organisation confucéens. La question de sa capacité à être en tête de l’innovation est donc posée. Nous retrouverons ce questionnement plus loin dans nos analyses.
Mais la pandémie qui touche le monde dès la fin de 2019 et qui est présente de façon visible au début 2020, vient apporter de l’aliment à la vindicte américaine.
Un troisième assaut est lancé, dès 2019 avec la crise de Hong Kong. Cette fois, les États-Unis s’en prennent à l’Etat chinois, dans sa substance, dans son essence, dans sa gouvernance, dans son comportement. A Hong Kong, les USA reprochent à la Chine de mettre à mal la démocratie locale et, donc, de « violer les accords internationaux ». Ils critiquent la gestion de la crise par les autorités de HK, « inféodées » à Beijing. Et puis ils dénoncent la répression, les « violences policières ».
En parallèle, ils accusent la Chine de réprimer la minorité musulmane de la Province de l’Ouest, le Xinjiang : camps de concentration des Musulmans de cette région « Autonome », les Ouighours et les Kazakhs, violations des droits humains, stérilisations, « génocide ».Des accusations lourdes, portées par des reportages dans des journaux occidentaux reprenant des informations identiques, des interviews de Ouigours sortis des camps, un rapport d’un jeune chercheur allemand qui, à partir de données statistiques et financières trouvées sur Internet, reconstitue la réalité des camps et des stérilisations des femmes Ouïghoures.
La question de Taiwan ressort, comme chaque fois qu’une crise touche la Chine.
Enfin, la question des îlots des Mers de Chine du Sud, disputés par tous les voisins de la Chine, sans accord entre eux, ce qui permet à la Chine d’en prendre possession. Situés dans un passage essentiel de la logistique mondiale, infestée de pirates, possédant peut-être des réserves de pétrole dans la zone d’exclusivité, ces îlots marquent la volonté de la Chine de repousser la présence de la Marine de guerre américaine qui fait régner l’ordre, au bénéfice de tous.
Pour finir, les Etats-Unis reprochent au Gouvernement chinois d’imposer un « contrôle social » très serré à sa propre population, au moyen de nombreuses caméras et de capacité de reconnaissance faciale. Même si ces techniques sont utilisées par beaucoup de pays, y compris des pays démocratiques, leur densité est telle que nul n’échappe au regard de « Big Brother ». Orwell est convoqué pour blâmer la Chine.
Une phrase de Mike Pompéo, le Secrétaire d’Etat américain (et ancien DG de la CIA) résume bien le contenu de la stratégie américaine : « il n’est pas question qu’un pays communiste devienne la première puissance mondiale ». Ce qu‘il veut surtout dire c’est que les États-Unis « feront tout » pour l’empêcher…et « tant qu’il en est encore temps ».
C’est donc d’une croisade idéologique qu’il est désormais question, croisade à laquelle tous les tenants des valeurs démocratiques et des droits de l’Homme doivent naturellement participer. C’est par l’introduction de ce concept de « bataille idéologique » que la comparaison avec la guerre froide entre l’Occident et l’Union soviétique permet d’analyser l’offensive, très concertée, planifiée, et somme toute habile, menée par les États-Unis pour ralentir la croissance chinoise et isoler le pays.
On parle de « découplage », de« faire payer la Chine » (pour sa responsabilité dans la pandémie).Bref, on entre sans le dire, mais en le décrivant, dans une nouvelle guerre froide. La première a duré 40 ans.
Il est donc indispensable de regarder ce qu’impliquerait cette nouvelle guerre froide si elle était confirmée par le prochain Président américain, et soutenue par les « Pays Tiers, du moins ceux qui sont les « amis et alliés »des Etats-Unis.
Article 2 : les désastres annoncés.
La fusion des crises et la fin de la globalisation
Il faut commencer par prendre conscience des effets catastrophiques de ce conflit qui, s’il se transforme (comme tout l’indique) en nouvelle Guerre Froide va bouleverser durablement les relations économiques internationales, la prospérité mondiale et la paix.
Sur le plan géopolitique, il met fin aux espoirs d’un ordre mondial fondé sur deux pôles dominants qui, malgré des gouvernances très différentes, acceptent de se livrer à une concurrence fertile, qui n’exclut pas les désaccords mais les contient dans des limites suffisantes pour unifier les efforts à la résolution des problèmes globaux qui menacent la survie de la planète.
Le conflit, récent, surprend par la rapidité de sa transformation : de simple guerre commerciale à une guerre économique totale.
Surtout, et ce sera notre première analyse, il survient à un très mauvais moment de notre histoire. En effet, il se superpose, s’entremêle et ajoute ses effets ravageurs à deux autres crises, de nature différente.
La synchronisation des trois crises permet de qualifier de « dévastateur » leur addition.
C’est au moment où les deux protagonistes signent une trêve, très partielle, de leur guerre commerciale que survient la pandémie du Coronavirus. Les effets immédiats sont semblables et s’additionnent : fermeture des frontières, incertitudes, reproches réciproques, volonté d’indépendance de la fourniture de produits essentiels, ruptures de l’offre et de la demande.
Si l’on regarde le recul de croissance de tous les pays, le chômage, les dangers sur la survie de nombreux secteurs de l’économie qui sont attendus des conséquences de la crise sanitaire, on constate, effrayés, que l’espoir d’une reprise économique rapide sera, avant tout retardé par le nouveau conflit international, entre la Chine et les Etats-Unis, le «découplage » annoncé de ces deux économies majeures et les ruptures prévisibles des chaines de production industrielles articulées autour de la Chine .
Les incertitudes générées par cette double crise est un coup porté aux investisseurs et aux consommateurs, les deux piliers de la croissance, au moment où l’offre est freinée par les confinements ou semi-confinements et par l’impossibilité de voyager pour reprendre les postes de commande, mettre en œuvre les projets déjà approuvés et pour lancer de nouveaux projets, passer de nouvelles commandes.
Mais une autre crise, la troisième, jette son ombre sur ce contexte déjà délétère : la crise de 2008.Considérée alors comme la pire crise depuis 1929, elle a été analysée comme une crise du système capitaliste. Les excès d’un capitalisme devenu essentiellement financier a empêché les régulations de se produire et l’illusion a masqué les bulles immobilières, et mobilières, jusqu’à ce qu’elles éclatent aux États-Unis où elles provoquent des faillites (dont une des plus grandes banques mondiales, Lehman Brothers) innombrables.
La crise se transporte en Europe où elle frappe un continent mal préparé à subir un choc financier au moment où il tente de consolider son système économique commun autour de la nécessité de consolider l’Euro encore naissant. La crise grecque n’est que le symptôme visible d’une crise générale de l’Euro et de la difficulté pour des pays souverains de gérer ensemble une monnaie commune. La crise de l’Euro manque d’emporter l’ensemble du projet européen.
Privée de ses deux grands marchés d’exportation, la Chine voit sa croissance fléchir.
La crise est mondiale et n’est jugulée que par les « grands argentiers mondiaux » dont la compétence, le sang-froid et l’indépendance permettent d’apporter une solution, exclue en 1929 :la création monétaire (le « Quantitative easing » des banques centrales des États-Unis, de l’Union Européenne, du Japon et de la Chine).Et les gouvernants ajoutent l’extrême sagesse nées des leçons de la crise de 1929 (qui amena la Deuxième Guerre Mondiale) en refusant tout protectionnisme. La croissance est sauvegardée…mais en partie seulement.
En effet les pays européens engagent (contre la logique économique, mais par respect pour des règles de stabilisation difficilement installées en Europe), une politique de rigueur budgétaire qui crée le blocage des salaires et affaiblit les « biens communs », l’hôpital et l’école. Quand la pandémie arrive, elle trouve une Europe mobilisée dans des revendications violentes, mal comprises ou mal exprimées (les Gilets Jaunes, en France) et dans une pénurie de masques, chaque hôpital ayant procédé à des « économies », demandées par les Ministres des Finances, l’œil rivé à la règle sacro-sainte des 3% du déficit budgétaire par rapport au PIB.
Et, de son côté, le conflit États-Unis – Chine trouve, lui aussi, un aliment dans les effets de la crise de 2008.En effet elle a mis en évidence la vulnérabilité du système capitaliste, sa cupidité, son désordre « moral ».Et comme les règles du fonctionnement économique des pays les plus avancés font partie du système démocratique, c’est la démocratie elle-même qui s’en est trouvée décrédibilisée.
Cette double faillite de la démocratie et du capitalisme, celle des États-Unis avant tout, n’a pas échappé au regard critique de la Chine. Or celle-ci, au même moment, célébrait l’apogée de ses succès économiques sur toutes les télévisions du monde : les Jeux Olympiques de Beijing.
Ce double mouvement de déclin et de réussite fut saisissant. Deux ans après, en 2010, l’Exposition Universelle de Shanghai révélait au monde que la Chine n’était plus seulement l’« Usine du Monde », mais déjà une puissance scientifique et technologique.
Deux ans plus tard, en 2012, l’homme qui était en charge des JO et en particulier de la cérémonie d’ouverture (une ode à Confucius) devient Président du pays et affirme la volonté chinoise de compter, d’être respecté, de redevenir « Zhong Guo », le « Pays du Milieu » qu’il fut une grande partie de son histoire, bref à prendre sa juste place dans le nouvel ordre mondial, économique et géopolitique. Cette Chine qui s’affirme avait perçu l’opportunité d’une époque où l’Occident doutait.
Trump s’impose et impose son « America First », qui est davantage une annonce de repli que de leadership.
Quant à l’Europe, elle se préoccupe de sa difficile construction.
Et le Japon se tait.
Dans ce contexte radicalement nouveau, un sursaut de lion blessé déclenche une réaction forte des États-Unis. ILS décident que la concurrence n’est plus la bonne option pour contenir une Chine qu’ils décrivent comme arrogante. La confrontation est la dernière carte à jouer.
Elle n’était peut-être pas indispensable Elle sera « perdante-perdante » et nul ne sait comment y mettre fin alors qu’elle à peine commencé.
Un mot décrit la période qui s’ouvre en ce moment : « déglobalisation ».
Si la déglobalisation s’annonce, selon nous, comme un désastre, c’est que la globalisation fut un immense succès.
Après les horreurs et les destructions de la Deuxième Guerre (vraiment) mondiale (car elle fut aussi celle du Pacifique), les vainqueurs américains voulurent installer un ordre durable. L’ONU fut complétée par trois institutions à vocation économique, chargées d’installer la globalisation dans le monde, c’est-à-dire une interpénétration des économies, une interdépendance des nations, voulue pour accélérer la croissance de chacun et « assurer la paix par le commerce » : Banque Mondiale, Fonds Monétaire International et Organisation du Commerce.
L’objectif, malgré de nombreux obstacles, fut atteint : jamais notre planète n’avait abrité autant d’hommes vivant de façon acceptable. Guerres, épidémies et famines reculèrent toutes ensemble, laissant la place, grâce aussi aux antibiotiques, à une explosion démographique inouïe. Et malgré cela, des milliards d’êtres humains sortirent de la misère et du cloisonnement.
Pourtant, les espoirs furent, en partie, déçus, très peu de temps après la fin de la guerre. L’Union Soviétique se retira très vite du jeu de la globalisation, donnant la préférence à la puissance militaire et à l’expansion de son modèle, au besoin par la force. Ce fut le début d’une « Guerre Froide » qui dura 40 ans. La Chine de Mao, vainqueur à Beijing en 1949, décide aussi de se fermer, préférant la construction d’une société nouvelle et le respect recouvré, notamment de ses voisins.
Mais la capacité économique de ces deux puissances était limitée et l’ouverture des frontières aux biens, services, technologies, capitaux et hommes s‘étendit au plus grand nombre.
La première période de la globalisation post-WW2 dura trente ans. Elle permit à l’Asie de l’Est (du Japon à Singapour…en attendant la Chine) d’émerger et de commencer à faire basculer le centre de gravité du monde vers le Bassin Pacifique. Le succès fut tellement probant que la Chine de Deng Xiaoping, en 1979, choisit de s’y rallier et en tira un profit rapide et spectaculaire.
La Russie mit dix ans de plus pour s’ouvrir, mais échoua à rejoindre le camp des libertés économiques, se reposant sur une redoutable puissance militaire et des ressources en matières premières dont l’immensité lui garantit l’indépendance…mais pas la prospérité pour tous.
Le Monde ne goutera pas très longtemps cette deuxième période de la globalisation, la plus « heureuse »,la prospérité de tous conduisant à une interpénétration industrielle (délocalisations massives et « supply chain »),à l’abaissement incroyable des prix des produits les plus modernes et les plus désirés, dont profita une grande partie de l’humanité. Ceci entraina la mort de l’inflation, un bien incalculable car générant un sentiment de sécurité dont on ne prendra conscience… que lorsqu’on le perdra de nouveau.
La paix était générale, les conflits, souvent terribles, restant circonscris géographiquement.
Fin 2018, les Américains sifflèrent la fin de la globalisation. Celle-ci avait été mise à mal par la crise de 2008 qui fit apparaitre les perdants. Ceux-ci, certes moins nombreux que les gagnants, étaient plus audibles et constituaient des réserves d’électeurs pour les partis d’opposition. Les équilibres économiques allaient être bientôt menacés par la pandémie.
Chacun des deux grands aurait pu admettre qu’il avait été à l’origine d’un des deux désastres : les États-Unis de celui de 2008, la Chine de la pandémie. Une autre option lui a été préférée :la confrontation.
Tous les bienfaits de la globalisation vont être défaits dans un découplage généralisé. La prospérité sera remplacée par une montée du sentiment national, de la protection offerte par « sa » nation. Les prix vont augmenter et une fiscalité nouvelle visera à réduire les inégalités qui sont désormais perçues comme insupportables. La paix sera moins assurée. On regarde déjà d’où viendront les foyers des conflits militaires et on commence à calculer les probabilités d’escalade de ces conflits qui pourraient ne pas rester localisés.
Devant ce qui s’annonce, un désastre, il est naturel de se demander quelles en sont les causes profondes. Un bon diagnostic permettrait d’envisager que la nouvelle guerre froide, mettant aux prises les deux plus grandes puissances de la planète, ne dure pas 40 ans !
Article 3. Causes apparentes et causes profondes.
Même si ce sont les Américains qui ont « appuyé les premiers sur la gâchette », il y a un consensus pour trouver, dans l’affirmation, nouvelle, de la puissance chinoise l’origine du conflit. Alors que les progrès chinois étaient visibles de tous les observateurs, l’Occident se rassurait en ne voyant en la Chine qu’un gigantesque « sous-traitant », nous livrant, à bon prix (et grâce aux sacrifices de ses travailleurs) les produits que nous avions conçus, dont nous contrôlions la qualité et assurions la distribution.
L’ouverture de la Chine était, à nos yeux, un « gagnant-gagnant » et l’enthousiasme avec lequel les investisseurs du monde entier se bousculaient pour obtenir le précieux agrément des autorités chinoises pour opérer sur son sol, n’était tempéré d’aucun doute, ni d’aucune méfiance. Et ces investisseurs étaient les plus grandes firmes mondiales, dirigées par les meilleurs managers du monde, des calculateurs précis et experts et non des rêveurs ni des naïfs. Il faut rappeler cela alors que les Chinois sont, aujourd’hui, accusés de tous les maux : voleurs, pilleurs, menteurs, copieurs.
Etions-nous si aveugles, vraiment ? En fait, ce sont les Chinois qui, les premiers, ont trouvé que l’arrangement des débuts avait fait son temps. Être « sous-traitant » n’intéressait plus les Chinois. Ils n’y trouvaient pas leur compte et risquaient de demeurer éternellement dépendants de nos capacités de conception, de la puissance de nos marques, de la force de nos marchés.
Dès l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, cette volonté de retrouver la créativité chinoise, la nécessité de conserver un avantage par rapport aux nouvelles puissances émergentes (Inde, Brésil, Indonésie…) poussaient les dirigeants chinois à remodeler leur structure industrielle, à « monter en gamme », à innover, à créer leurs propres marques et, surtout, à entrer dans le domaine essentiel de la puissance des nations modernes, la science et la technologie.
Ceci était à la portée de la nation la plus peuplée, d’une des plus anciennes civilisations, du pays qui venait d’accomplir un « miracle économique » comme l’avaient réalisé avant lui le Japon et la Corée du Sud, ses voisins.
Ces ambitions devaient mobiliser le peuple chinois, lui faire monter une nouvelle marche et le rendre en mesure d’apporter à une population jeune et connectée la satisfaction de leurs besoins nouveaux …et de légitimer le maintien du pouvoir monopolistique du Parti communiste. Pour ces raisons, les ambitions chinoises devaient être affichées : le Rapport « Made in China 2025 » détaille avec candeur les objectifs de rattrapage de la Chine dans les domaines les plus avancés de la technologie.
L’Occident dénonce l’hubris d’un autocrate arrogant qui « commet l’erreur de dire ce qu’il va faire », alors que son mentor, Deng Xiaoping conseillait la modestie et la dissimulation. C’est oublier que la Chine de Xi n’est plus celle de Deng et de ses deux successeurs. Ils ont légué à Xi un pays puissant, dont l’ambition est simplement à la hauteur de ses capacités nouvelles et de sa place effective dans le monde. Et Xi va encore plus loin dans la franchise : dans son Rapport « Le Rêve chinois-The China Dream »), il annonce que cent ans après la victoire de Mao, en 2049 donc, la Chine sera la puissance dominante.
Qui en douterait ? Avec une population quadruple de celle des États-Unis, la Chine ne peut éviter d’être le premier PIB du monde et, dans peu d’années, d’avoir un PIB du double ou du triple du suivant.
Que fera-t-elle de cette puissance ? Là est la question et la raison de la réaction américaine. Il faut arrêter la Chine quand il en est encore temps. Pour cela, il faut lui rogner les ailes : lui interdire nos marchés, nos fournitures, nos composants, nos universités.
Nous avons été naïfs, disent les Américains. Et nous avons été déçus, voire trompés : l’amélioration du niveau de vie aurait dû entrainer (« ipso facto ») une démocratisation du régime chinois. Evidemment, les dirigeants chinois n’ont jamais promis ni même évoqué cela. Au contraire, la répression de la révolte étudiante de Juin 1989, sur la Place Tien An Men, démontrait les limites de l’ouverture chinoise.
Pourtant, après une brève période de repli après l’« inacceptable répression des étudiants », les investisseurs étrangers, Occidentaux en tête, reviennent avec un nouvel enthousiasme, validant par là-même leur acceptation de ce « Socialisme aux caractéristiques chinoises » qui dit bien que la Chine n’a pas renoncé à son système politique et que l’ouverture ne concerne que l’économie. La suite est connue : la puissance chinoise s’épanouit et atteint son apogée visible lors des JO de Beijing.
Le Président Trump intervient brutalement et décide de mettre un terme à ce scenario qui donne la Chine gagnante. Il avait été alerté par des ouvrages « grand public », écrits par des « experts » américains qui avaient été plutôt admiratifs des progrès chinois et avaient même noué des relations étroites avec certains milieux, notamment militaires. Ce sont ces mêmes experts qui dénoncent brusquement la duplicité chinoise dans des « best-sellers » qui sont davantage des pamphlets que des argumentations.
Les premières analyses reprennent les thèses de ces publications : il s’agit d’une lutte de puissance (« Great Power » Game).On rappelle que l’historien grec Thucydide, cinq siècles avant notre ère, avait montré l’inéluctabilité de l’affrontement militaire entre la puissance déclinante (Sparte) et la puissance montante (Athènes). On retrouverait ce schéma dans la première guerre mondiale entre une Grande-Bretagne en difficulté et une Allemagne en plein développement de sa puissance industrielle et militaire.
Les premières attaques (commerciales et technologiques des États-Unis) donnent crédit à cette vision, simple, voire simpliste, de la situation. Mais les reproches et attaques américaines changent de nature : le « virus chinois », la répression à Hong Kong, au Xinjiang, les menaces sur Taiwan et dans les Mers de Chine du Sud, décrivent une autre analyse : ce qui fait peur, ce n’est pas seulement la puissance chinoise, c’est le fait qu’elle est aux mains d’un pays « communiste ».Mike Pompéo mène cette offensive, Trump étant occupé à assurer sa réélection. Ancien Directeur de la CIA, le Ministre des Affaires Etrangères est à l’offensive, partout chez les alliés et amis de l’Amérique, avec un thème clair : pouvons-nous laisser un pays communiste devenir la puissante dominante du globe ? En mettant l’accent sur l’idéologie, Mike Pompéo nous ramène à l’époque de la Guerre Froide avec l’Union Soviétique et annonce une nouvelle guerre froide avec la Chine et la constitution de deux « camps » opposés et séparés. Au-delà de la guerre économique, les États-Unis proposent de « découpler » les camps ennemis et de mettre fin à une globalisation qui, dit Trump, profite surtout à la Chine et menace les intérêts nationaux des États-Unis.
Mais la guerre idéologique est-elle une analyse satisfaisante ?
La Chine est-elle vraiment « communiste » ? Veut-elle dominer le monde, étendre son système à tous ? Cherche-t-elle à nous faire changer de mode de vie ? Le principe fondamental de la politique internationale de la Chine est la « non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays ».Ceci a, d’ailleurs, été le fondement de l’ordre politique mondial. Le mélange, nouveau, de la morale et de la politique est, pour elle, irrecevable. Son objectif est de devenir un « bon citoyen du monde »…à une condition : réécrire les règles du jeu mondial en tenant compte, non de son idéologie mais de sa civilisation .En effet, il est difficile de décrire la Chine comme un pays communiste. Le communisme est étranger à sa civilisation.
Mao s’est, en réalité, servi du communisme pour prendre le pouvoir et l’a d’ailleurs transformé en un « communisme à la chinoise », s’appuyant sur les masses paysannes. Le système léniniste du parti unique a, c’est vrai, été repris intégralement et en ce sens, le pays est communiste et le Président Xi renforce cette position en faisant du Parti le centre unique de la gouvernance chinoise.
En revanche, le système économique mis en place par Deng Xiaoping est un système mixte où l’Etat reste propriétaire des moyens de production d’une partie majoritaire des entreprises, tout en laissant une partie non négligeable aux mains des entreprises privées et en acceptant les régulations du marché, à l’intérieur comme, bien sûr, à l’extérieur, ouvrant le pays aux investisseurs étrangers et en accompagnant l’innovation individuelle.
Ce système n’est pas fondamentalement différent des systèmes mis en place, après la guerre, par de nombreux pays, européens surtout.
Et voilà que les contraintes nouvelles pesant sur nos sociétés, issues de la pandémie, du changement climatique, des menaces sur la biodiversité, mettent en avant le besoin d’Etat, le souhait que les Etats prennent davantage de responsabilité et créent de meilleurs« Biens Communs »,plus efficaces et de plus en plus étendus.
Pour la Chine, ces évolutions sont la confirmation que le capitalisme libéral, financier et autorégulé doit faire place à un modèle nouveau qui conserve les avantages de l’économie de marché mais permette de garantir aux populations, nombreuses et exigeantes, une réponse adaptée. Les Chinois prétendent que c’est le cas de leur modèle spécifique, baptisé « Socialisme aux caractéristiques chinoises »
Dans ce contexte, la Chine réclame une négociation entre civilisations différentes, qui placent l’individu et la société dans des configurations opposées. Ce que demande la Chine, au fond, c’et de réécrire les règles du jeu international afin de rendre possible des relations apaisées, qui écartent le jugement moral sur la gouvernance des uns et des autres. Cette demande se heurte à une opinion occidentale qui n’est pas prête à ce type d’accord.
La question, cependant, doit être élargie à ce qu’en pensent les autres populations, en Asie, en Amérique Latine et en Afrique. Nous serions donc plutôt dans un choc de civilisation, plus que d’idéologie, la frontière n’étant, il faut l’admettre, pas toujours claire.
Et ceci ouvre d’autres perspectives que nous continuerons, au sein du groupe de Travail Stratégique d’étudier, et de publier, au sein de l’Institut du Pacifique.
Daniel Haber, 15 Octobre 2020
« Réussir en Corée : Affaires ou ne pas faire en Corée : Une expérience atypique d’expatriation »
Conférence de Laurent Lazard du 6 février 2020
Conduit « par hasard » à travailler en Corée, Laurent Lazard a « découvert » l’Asie à l’occasion de son expatriation en 1996 dans un pays inconnu en France. De plus, il est confronté à une situation difficile de grèves dans une société à reprendre, suivie par les conséquences de la crise des années 98.
Il a ainsi été amené à prendre la mesure des préjugés, des difficultés de communication et de compréhension liés à la méconnaissance respective des civilisations. D’où son engagement en faveur du dialogue culturel Asie-Europe. Il travaille à faire connaître la culture asiatique en France et en Europe, afin de promouvoir les relations économiques et les investissements et de développer les partenariats. Les clés du culturel sont indispensables pour un Occidental qui veut travailler utilement en Corée, et d’une manière générale en Asie. Il ne faut pas oublier qu’en Coréel’étranger a presque toujours été un envahisseur …La Corée a été sous la dynastie Yi, royaume Choseon, de 1597, fin de la guerre Nippo-Coréenne, et jusqu’en 1866 un « royaume ermite » coupé de tout contact extérieur : le premier contact avec les étrangers a été avec les Français sous le commandement du Contre-amiral Roze qui a organisé un expédition punitive après le massacre des missionnaires français. Un proverbe illustre bien cet état d’esprit : « Quand les baleines chahutent, les crevettes trinquent ». En effet, la Corée est un petit pays coincé entre les grandes puissances qui sont la Chine, le Japon et la Russie.
Le poids de la culture
La religion joue un rôle non négligeable : les chrétiens représentent 33% de la population, les bouddhistes 25%, les confucianistes 11%, les agnostiques 1,5% et les groupes ethniques 14% avec quelques 50 000 chamanes.
Il convient de souligner l’homogénéité de la population d’origine ouralo-altaïque, l’omniprésence des valeurs confucianistes, telles que la famille, la recherche de l’harmonie, l’importance des réseaux et un fort sentiment de patriotisme. Le « chef » joue un rôle essentiel et il est fondamental dans les négociations, pour un étranger, de le « situer ».
En accord avec les valeurs et préceptes taoïstes, bouddhistes et confucianistes, l’individu n’est qu’une composante d’un tout, contrairement à l’individualisme occidental. De même, un refus ne s’exprime pas de la même façon qu’en Occident et la « face » doit être préservée quoi qu’il en coûte.
La patience se révèle donc une vertu à conjuguer pour réussir, car comme le cite Confucius « une légère impatience ruine de grands projets ».
Cependant la société évolue et les jeunes influencés par la mondialisation se reconnaissent de moins en moins dans les traditions.

Source Internet Vaisseau Tortue
La Corée aujourd’hui : résultat d’une histoire singulière
Laurent Lazard nous a transmis un peu de sa passion au travers d’un exposé très vivant et bien illustré. Il nous a rappelé les principaux moments de l’histoire coréenne, parfois douloureuse, et a surtout insisté sur la symbolique, notamment avec le Vaisseau Tortue qui illustre l’esprit de combat, la ruse et l’intelligence : déjà en 1592, 13 vaisseaux coréens ont repoussé 130 nefs japonaises. Les origines du peuplement (Mongolie) expliquent l’attachement aux rites chamaniques, tout en mettant en évidence les spécificités, notamment une écriture propre, le hangul, dès la fin du XIVème siècle, et une remarquable détermination face à l’adversité. CF l’exposition sur la résistance coréenne que nous avons visitée en octobre dernier. C’est aussi le fil conducteur de l’ouvrage que Laurent Lazard vient de publier, « Le Vaisseau Tortue » qui représente la résilience du peuple coréen.
Il convient de rappeler que la péninsule coréenne est entourée de puissants voisins : la Chine, la Russie et bien sûr le Japon.
La colonisation japonaise depuis 1910 jusqu’à la fin de la Deuxième guerre mondiale, puis la Guerre de Corée entre 1950 et 1953 entre le nord et le sud, sont deux moments-clés du XXe siècle pour comprendre ce pays. En dépit de ces difficultés, l’essor économique du pays est rapide, puisque la Corée a rejoint l’OCDE et le G20 en 1996. Elle a aujourd’hui un pouvoir d’achat proche de celui des Etats de l’UE, avec seulement 51 millions d’habitants. Concernant le contexte économique sud-coréen, les « chaebols » sont ultra-dominants et freinent l’émergence des PME. En effet, l’activité économique se répartit ainsi : 60% pour les services, 38% pour l’industrie et seulement 2% pour l’agriculture. Elle dépend à 42% des exportations (2016).
Ceci explique l’importance des grands groupes dont la puissance repose notamment sur leur faculté à appréhender et développer de nouveaux secteurs. Cela leur permet de conserver leur avance technologique sur leurs puissants voisins (Samsung, LG, Hyundai pour les plus connus mondialement).
Pour mémoire, l’Accord de Potsdam en 1945 a entériné la division du territoire à la hauteur du 38e parallèle. Et la guerre de Corée (jamais achevée puisqu’il n’y a pas encore d’accord de paix, même si les deux Corée sont membres de l’ONU depuis 1991) a consacré la séparation du territoire en 2 Etats distincts sous l’égide au nord de l’URSS et au Sud des USA qui sont aujourd’hui encore présents avec 28 500 hommes stationnés et le déploiement du système anti-missiles THAAD visant normalement à intercepter des missiles nord-coréens. Ceci a contribué largement à accroître les mauvaises relations avec la Chine et la Corée du Nord.
Le contexte de tensions héritées du passé, à l’égard de son environnement (Chine, Japon, URSS et Corée du nord) serait-il en train de s’apaiser ? Des tentatives de rapprochement ont eu lieu depuis 1998 et les liens entre jeunes qui voyagent davantage tendent à se développer.
Nous reparlerons du volet « politique internationale » lors de la conférence d’Antoine Bondaz le 31 mars prochain.
Michèle Biétrix et Hélène Mazeran
Avec l’aimable relecture de Laurent Lazard
« Au fil du Transsibérien – de Moscou à Vladivostok »

Photo Michèle BIETRIX – Ancienne locomotive à Vladivostok
Compte rendu de la conférence donnée le 3 décembre 2019 par Michèle BIETRIX
Au fil du Transsibérien pour le site IP 10 dec« Impressions de voyage sur la situation actuelle en Colombie »
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Compte-rendu de la conférence du 29 mai 2019
La Colombie a déjà été évoquée il y a quelques mois au sein de l‘Institut du Pacifique lors d’une conférence prononcée par M. l’ambassadeur Pierre-Jean Vandoorne sur l’Alliance du Pacifique. (L’Alliance du Pacifique lancée en 2011 par la Déclaration de Lima est entrée en vigueur en 2015. Elle regroupe quatre pays d’Amérique latine : le Chili, la Colombie, le Mexique et le Pérou. Panama et Costa Rica y sont observateurs.)
Aujourd’hui nous ne traiterons pas de la Colombie dans son environnement régional : nos orateurs, Geneviève Tinturier et Jean-François Le Duc nous font une présentation de la situation intérieure actuelle de la Colombie au travers d’impressions de voyage à l’issue d’un périple d’une quinzaine de jours, organisé par l’Association ARRI (Association Réalités et Relations internationales) en mars 2019.
Outre plusieurs diplomates dont un ancien ambassadeur de France en Colombie, des auditeurs de l’AA-IHEDN ayant effectué un voyage d’études tandis que « ce pays était en voie de sécurisation », c’est-à-dire au début du chemin de la réorganisation et de la pacification, assistent à cette séance remarquablement documentée et illustrée par des diapositives.
Au cours de leurs différentes étapes (Bogota, le Triangle du Café et Pereira, Medellin et Carthagène), dont certaines par la route, de nombreuses rencontres avec des responsables politiques, des diplomates, des universitaires, des journalistes, des représentants du monde économique se sont succédé. Cette présentation a donné lieu à des échanges multiples avec un public qui connaissait peu ou prou la Colombie et qui s’intéresse à son évolution.
Le constat
Deux ans après la signature des accords de paix, si la situation s’est globalement nettement améliorée, notamment au plan de l’essor économique, restent encore de nombreuses difficultés à résoudre :
– La Colombie demeure le premier producteur de coca et le narco trafic n’a pas été éradiqué (même après la disparition des cartels colombiens dont le plus connu, celui de Pablo Escobar à Medellin, reste dans les mémoires). Il s’exerce aujourd’hui essentiellement via des cartels mexicains. Si une majeure partie des dissidents politiques (FARC en particulier) ont abandonné les armes, certains ont été remplacés par des criminels de droit commun et des mafieux. Par ailleurs, le lien de dépendance avec les Etats-Unis, principal débouché sur ce marché de la drogue, est réel. Mais du fait que les aides promises en échange de l’abandon des cultures illicites ne sont pas arrivées, les surfaces cultivées pour la coca ont été multipliées par 4 ou 5 dans les cinq dernières années.
– La disparité entre les villes et les campagnes est très forte. Fracture territoriale et fracture sociale vont de pair. 85% de la population colombienne est urbanisée en raison des problèmes liés à l’agriculture et de l’insécurité régnant dans les zones éloignées, considérées de ce fait comme des zones délaissées où l’Etat est peu présent.
– La question de la propriété de la terre est au centre des sujets à traiter. Les monocultures d’exportation (café, canne à sucre) sont prédominantes sur des latifundia hérités de la période coloniale. Les petits agriculteurs disposent souvent de surfaces insuffisantes et de terrains montagneux difficiles à exploiter.
– Ces trois questions étroitement imbriquées conditionnent le rétablissement d’une paix durable dans le pays. Or les difficultés sont encore aggravées du fait de la crise vénézuélienne voisine.
Alors que pendant des années, les Colombiens se sont exilés au Venezuela pour fuir les conflits armés chez eux et profiter du développement économique de ce pays voisin, après 2017 et surtout 2018, la crise migratoire s’est inversée en trois vagues successives : les personnes les plus fortunées et les professionnels hautement qualifiés, puis la classe moyenne haute à la recherche d’emplois, et enfin les plus basses classes sociales. Plus d’un million de personnes déplacées sont accueillies avec beaucoup de générosité en Colombie (il n’y a pas de camp de réfugiés). Mais cela représente un coût estimé à 0,56% du PIB et constitue un risque d’intolérance pour demain.
Les facteurs d’espoir
– Le développement économique du pays croît de manière forte et continue, même s’il reste très inégalitaire. Le PIB est en hausse depuis des dizaines d’années : en dépit d’un certain ralentissement, sa croissance était de + 2,6% en 2018, et est estimée à 3,3% pour 2019.
– Quatrième économie d’Amérique latine, membre de l’OCDE depuis 2018, la dette colombienne est inférieure à 50% de son PIB.
– Le développement de Medellin après l’élimination du cartel de Pablo Escobar en 1993 peut servir d’exemple. A partir de 2000, la ville a connu une sorte de « miracle » lié à la mise en œuvre d’une politique volontariste en matière sociale et sécuritaire, basée au départ sur la création de transports urbains visant à resserrer les liens entre les populations de toutes les parties de la ville, y compris les plus éloignées et les plus élevées par un système de tramway/métro/bus/téléphérique tout à fait innovant (avec des partenariats français : POMA et Alstom) qui a permis le développement industriel et culturel de la ville.
– Si l’Etat est quasiment absent dans certaines parties du territoire, force est de constater que la sécurité a été progressivement rétablie dans les villes, dans certaines régions de plus en plus étendues, sur certaines routes ….
La réinsertion des ex-guérilleros dans la société civile et politique est difficile à faire admettre à ceux qui en ont été victimes. Les concessions jugées excessives à leur égard sont mal acceptées. D’où l’opposition aux accords de paix mis en place par le Président Juan Manuel Santos (2010-2018) manifestée lors du référendum d’octobre 2016, et la victoire d’Ivan Duque aux élections présidentielles en juin 2018.
Cependant le Président Duque s’est engagé à réviser ces accords qui ont clos plus d’un demi-siècle d’affrontements avec les FARC, tandis que le processus de paix a connu quelques avancées : 10 000 guérilleros ont été démobilisés, des formations ont été dispensées par la coopération internationale. L’enjeu est d’éviter la renaissance de la guérilla, le recrutement par des bandes.
Hélène Mazeran
« Le Bassin Pacifique centre du nouvel ordre mondial »
Compte rendu de la conférence donnée par Jean-Louis GUIBERT et Daniel HABER le 20 février 2019 à l’Institut du Pacifique.
Conférence Bassin du Pacifique centre du nouvel ordre mondialLA POLITIQUE ETRANGERE DE LA NOUVELLE-ZELANDE DU PACIFIQUE JUSQU’A L’EUROPE
Par le Dr James Kember Ambassadeur de Nouvelle-Zélande en France.
La semaine dernière, j’ai assisté à un discours, au cours d’un dîner, par quelqu’un travaillant très étroitement pour un candidat présidentiel de premier plan. Ce qui m’a frappé en termes de géographie (plutôt que de messages politiques), c’est que toutes ses références à la politique étrangère, à l’exception de la seule relative à la Chine, se limitaient à ce qui se passe en Europe.
Cela, bien sûr, dans le contexte actuel est tout à fait compréhensible: Le Brexit, la Crimée, l’Ukraine, les prochaines élections en France, l’Allemagne, les Pays Bas et l’Italie. Mais cela masquait la longue histoire de l’implication française dans le Pacifique, sur laquelle je reviendrai tout à l’heure.
Ce soir, je voudrais réfléchir à une vision à plus long terme du Pacifique; mettre en contexte ce que nous considérons comme notre rôle; puis considérer ce qui pourrait être attendu de nous à notre tour; examiner certains défis actuels ; et revenir ensuite sur la façon dont nous considérons l’importante interaction française.
I: Les années 1980-1990
Ma propre implication dans nos relations avec le Pacifique remonte à la fin des années 70 quand, en tant que jeune agent des affaires étrangères, je travaillais sur les relations de développement avec Fidji. Hormis le fait d’apprendre quelque chose sur la façon dont nos relations de développement interagissaient avec nos politiques, cela a été une véritable leçon sur la manière de prendre en compte les premiers parce que, si mal géré, ils pouvaient avoir un impact négatif sur les seconds.
À l’époque, le Premier ministre Fidjien était Ratu Sir Kamisese Mara, un représentant de son pays fier et farouchement indépendant, et non pas quelqu’un à qui l’on donnait des leçons sur la façon dont notre aide au développement devrait être rendu.
Je suis revenu dans le Pacifique dans les années 80, en tant que Consul à Nouméa. Ce n’était pas un moment facile en termes de politique intérieure ou de nos relations avec la France, quelques mois seulement après l’affaire du Rainbow Warrior. Les tensions internes étaient palpables. Bien sûr, pour la Nouvelle-Zélande, il n’y avait aucun intérêt à avoir une telle discorde, une telle tension et une telle instabilité dans notre plus proche voisinage.
Et ce qui s’appliquait alors en Nouvelle-Calédonie est la même chose pour nos autres partenaires du Pacifique: l’instabilité et la tension sont mauvaises pour nous tous.
Je ne vais certainement pas m’attarder sur les relations bilatérales à cette époque là, sinon pour dire que même aujourd’hui, tant d’années plus tard, je maintiens le contact avec bon nombre d’amis que nous nous sommes faits pendant cette période. Certains sont encore là bas, d’autres vivent ici à Paris.
Les années 90 nous ont vu revenir dans le Pacifique, quand j’ai représenté la Nouvelle-Zélande aux îles Cook.
Différentes leçons à retenir: bien que la plus intéressante ait été la façon dont une entité devrait faire le meilleur usage de sa décision de conserver la libre association avec la Nouvelle-Zélande, y compris la devise et les passeports néo-zélandais, et toujours rechercher une stature internationale. Pas simple, mais pas impossible – dans certaines limites.
II : Le Pacifique néo-zélandais
En pensant à ce que le Pacifique signifiait alors pour la Nouvelle-Zélande, je me rappelle que bien que nous ayons modifié le modèle opérationnel de temps à autre, il y avait en fait quelque chose de constant concernant les principes sous-jacents.
Au fond, nous nous considérons comme «du Pacifique» plutôt que «dans le Pacifique». C’est plus qu’une simple géographie qui nous relie à nos voisins du Pacifique.
En plus de partager une histoire et une culture polynésiennes communes, nous partageons littéralement notre peuple. La Nouvelle-Zélande abrite une grande diaspora du Pacifique, qui représente environ 8% de la population de la Nouvelle-Zélande. En fait Auckland a la plus grande concentration de peuples du Pacifique du monde.
De la même manière, bien sûr, nous accordons une grande importance à nos liens avec l’Asie et l’Europe. Parfois, nos efforts pour s’identifier à l’Asie, d’où plus d’un dixième de notre population a ses origines, ont entrainé des reproches; mais la réalité est que, sans jamais oublier le reste du monde, la région Asie-Pacifique fait partie de notre environnement, et les pays du Pacifique sont nos proches voisins.
Le cadre Pacifique
L’importance de notre région exige aussi une approche qui soit à la fois pangouvernementale, mais qui traite aussi collectivement des divers facteurs politiques, stratégiques, économiques et de développement.
Ce «cadre du Pacifique» est une stratégie d’ensemble visant à assurer que notre engagement dans le Pacifique au cours des 20 prochaines années soit coordonné, ciblé et donne des résultats.
Au sein du ministère des Affaires étrangères, cela se reflète dans le fait que les membres de notre personnel en charge du développement du Pacifique travaille au sein de la même équipe que ceux qui gèrent nos relations politiques et économiques, au niveau régionales et bilatérales.
En ce qui concerne les moteurs de l’engagement, je devrais commencer par la question de l’identité: c’est-à-dire comment nous nous voyons globalement; c’est parce que près d’un dixième de notre population est du Pacifique et parce que nos voisins s’attendent à ce que nous soyons conscients de leurs besoins.
Cela se reflète dans le fait, par exemple, que l’une des sept priorités stratégiques du ministère des Affaires étrangères consiste à améliorer la prospérité et à réduire les risques dans la région du Pacifique.
Deuxièmement, les interconnexions concernent la prospérité partagée. Par exemple, la facilité de faire des affaires dans le Pacifique affecte les entreprises néo-zélandaises.
L’amélioration du bien-être social et économique du Pacifique réduit les risques et offre des possibilités à la Nouvelle-Zélande et aux Néo-Zélandais, ce qui est derrière bon nombre de nos interventions dans la région.
Il y a aussi la question de l’histoire : outre la migration vers notre pays que j’ai déjà mentionnée, ainsi que notre rôle de puissance administrante pour certains États insulaires maintenant indépendants, il existe des obligations constitutionnelles fondamentales envers les îles Cook, Niue et Tokelau. Ces iles font partie du Royaume de Nouvelle-Zélande.
Un quatrième moteur est la sécurité. Notre sécurité nationale est directement affectée par la capacité du Pacifique à gérer les conflits, combattre les crimes qui transgressent les frontières, et développer les économies durables.
Cela m’amène au cinquième moteur: la dynamique régionale. Nous nous engageons dans le Pacifique à conserver une influence dans le contexte d’une prolifération d’acteurs nouveaux et existants dans la région (par exemple la Chine, la Russie) cherchant à influencer une nouvelle génération de leaders. Si une partie de cette influence existe depuis des décennies, c’est un rappel constant de la nécessité pour nous de nous repositionner, et de concentrer nos efforts.
Le Pacifique Sud est un ensemble d’entités géographiques et sociales diverses, chacune ayant ses propres défis économiques et politiques. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il est de notre intérêt de veiller à ce que notre région demeure stable.
III: Le regard du Pacifique sur la Nouvelle-Zélande
En ce qui concerne la façon dont la Nouvelle-Zélande elle-même est perçue, je dirais quelques mots non pas tant sur ce que les autres gouvernements demandent en particulier de nous, mais plutôt sur la façon dont, par nos actions, nous soutenons des intérêts régionaux.
Quelques exemples à cet égard, tous deux relatifs à la manière dont nous agissons à plus grande échelle pour appuyer l’action directe des États insulaires du Pacifique:
a. CSNU
Lors de la première de nos deux présidences de notre mandat au Conseil de sécurité des Nations Unies en 2015-2016, nous avons pris la décision consciente – après discusion au sein de la région – de faire le point sur les préoccupations des petits États insulaires en développement (PEID) au cours d’un débat public. (C’est-à-dire un debat auquel tous les Membres de l’ONU peuvent participer.) Nous avons fait cela dans le cadre de nos promesses de campagne visant à mettre en lumière les problèmes des PEID au cours de notre mandat.
Le débat, présidé par notre ministre des affaires étrangères, a été le tout premier, à présenter au Conseil les menaces potentielles pour la sécurité face à la vulnérabilité des petits États insulaires.
Un Premier ministre des Îles du Pacifique et 16 ministres, y compris le notre, y ont pris part. Le compte-rendu de ce débat, que nous avons distribué à l’ensemble des membres des Nations Unies, est devenu une référence sur les questions de paix et de sécurité des PEID.
b. Aide à l’investissement
L’aide annuelle au développement de la Nouvelle-Zélande pour la région s’élève à près de 350 millions d’euros. Par accord, il vise le développement économique.
Pour cette raison, la Nouvelle-Zélande a choisi de faire des investissements majeurs dans un accord historique sur le commerce et le développement (PACER Plus) et dans des domaines tels que les énergies renouvelables, ICT et la pêche.
En ce qui concerne les énergies renouvelables, la Nouvelle-Zélande a accueilli deux grandes réunions internationales. En 2013, avec l’Union européenne, nous avons collaboré à l’organisation du premier Sommet de l’Energie du Pacifique, qui a permis de consacrer plus de 430 millions d’euros à l’énergie renouvelable dans la région.
Cela s’est traduit par plus de 600 millions d’euros d’investissements dans 70 projets. Un deuxième Sommet de l’énergie du Pacifique en 2016, encore à Auckland, a vu les donateurs engager plus de 675 millions d’euros pour des projets d’énergie durable dans le Pacifique.
En fait, l’Accord du Pacifique sur des relations économiques plus étroites (PACER Plus) a présenté aux pays insulaires du Forum une occasion unique de participer au système commercial international.
Avec l’aide de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie, les pays du Pacifiique peuvent utiliser le commerce pour accroître les niveaux de vie et contribuer à atteindre les objectifs de développement durable des Nations Unies.
IV: Enjeux pressants
Peut-être un mot ou deux sur les principaux enjeux dans la région.
Bien sûr, nous voyons le Forum des îles du Pacifique comme le principal mécanisme de dialogue politique dans la région. Nous travaillons activement à renforcer son efficacité pour obtenir des résultats solides pour la région.
Mais le Forum fait face à des pressions. Cela est compliqué par l’émergence d’organismes sous-régionaux, qui vont inévitablement changer la nature du régionalisme et présenter des défis à notre diplomatie régionale à l’avenir.
Il y a aussi d’autres défis.
Atténuer les effets du changement climatique et accroître la résilience est un thème clé pour tous les pays insulaires du Pacifique. Il est probable que les conditions météorologiques extrêmes s’intensifient.
Alors, nous devrions nous attendre à voir la montée du niveau de la mer, des pénuries d’eau, des dégâts causés par les tempêtes, la nourriture et la sécurité, et l’acidification des océans.
La Nouvelle-Zélande et de nombreux autres donateurs dans le Pacifique travaillent avec des partenaires pour les aider à préparer et à contrer ces défis. Toutefois, cela nécessitera un appui extérieur considérable et soutenu. Cela a donné un argument supplémentaire à notre réunion publique du Conseil de sécurité en 2015.
La Pêche
De même, nous avons pris des engagements importants pour soutenir la gestion des pêches dans la région en mettant l’accent sur les investissements en capitaux, en renforçant les cadres institutionnels pour la gestion des pêches et en éliminant la pêche non déclarée et non réglementée.
La pêche au thon dans le Pacifique est le plus grand atout naturel de la région. Pour vous donner une idée du problème, la pêche illégale coûterait à la région plus de 100 millions d’euros par an.
Bien sûr, le Pacifique a le choix de partenaires. J’ai mentionné l’UE. Je ne néglige pas non plus le rôle majeur de l’Australie. La Chine a aussi longtemps été impliquée dans la région, travaillant parfois avec nous et l’Australie sur des projets.
L’engagement des États-Unis dans la région a longtemps été axé sur les Compact States en Micronésie du Nord et, dans une certaine mesure, sur la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
À ce stade, il est trop tôt pour juger de la priorité que la nouvelle administration accordera au Pacifique.
V: La France : un important partenaire dans la région
Ce qui m’amène à un partenariat d’importance majeure – et la raison pour un discours sur « la Pacifique jusqu’à l’Europe »: la France. Il y a à peine deux jours, j’ai discuté avec un ancien haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française des nombreuses interactions entre nous et notre voisin le plus proche, la Nouvelle-Calédonie.
Bien que ce ne soit certainement pas à un diplomate néo-zélandais de commenter sur le détail des politiques françaises dans le Pacifique, ce que je peux dire, c’est que pour nous, l’engagement français dans la région est extrêmement crucial et bienvenu.
Cela est particulièrement évident en ce qui concerne la participation militaire française aux opérations de secours en cas de catastrophe dans toute la région. Plus récemment, lors des cyclones Pam et Winston, les forces de défense françaises, australiennes et néo-zélandaises ont travaillé côte à côte avec les autorités locales de défense civile. Nos pays collaborent également à la surveillance maritime pour lutter contre la pêche illégale.
Je dois également reconnaître le rôle positif que joue la France en matière de changement climatique, qui, comme nous le savons, est une priorité majeure, sinon la priorité absolue pour les pays insulaires du Pacifique.
Pour terminer, comme j’ai commencé, sur une observation personnelle. J’ai été privilégié l’année dernière d’accompagner le Premier ministre Manuel Valls en Nouvelle-Zélande, première visite depuis celle du Premier ministre Michel Rocard au début des années 90. Il est arrivé à Auckland directement à bord d’un avion en provenance de Lifou dans les îles Loyauté de Nouvelle-Calédonie.
M Valls et ensuite la ministre George Pau Langevin m’ont remarqué non pas les différences de taille ou de gouvernance, mais plutôt les liens culturels entre ces deux proches voisins.
Je connais un peu Lifou, et je sais bien que cela ne ressemble pas exactement à Auckland, mais j’ai voulu prendre cet exemple sur ce qui nous rapproche, et pourquoi nous voulons renforcer ces liens.
Il a donc été particulièrement gratifiant que le Premier ministre Manuel Valls, lors d’un dîner à Auckland, ait invité notre premier ministre John Key à se rendre à Paris avec un contingent de la Force de défense de la Nouvelle-Zélande pour participer au défilé du 14 juillet, aux côtés de nos partenaires australiens.
Tout comme avec le sommet France-Océanie, nous voyons de très nombreux signes positifs de l’engagement français dans la région, ce que la Nouvelle-Zélande envisage de poursuivre et de développer.
Et si le nombre de visites est un bon indicateur, je remarque que l’année dernière le nombre de visiteurs néo-zélandais en France a dépassé les 18,000, sans compter les près de 14,000 qui sont allés en Nouvelle-Calédonie et les 7,000 en Polynésie française.
D’autre part, nous avons accueilli plus de 40,000 visiteurs de France, 19,000 de Nouvelle-Calédonie et 18,000 de Polynésie française.
Je mentionne cela, non pas comme un représentant de l’industrie du tourisme, mais plutôt parce que cela inclut, dans les deux directions, un grand nombre d’étudiants et de jeunes qui, bénéficiant de l’accord visa-vacances-travail, contribuent à renforcer la solidité de nos liens entre les peuples, ce qui est au cœur de tous les contacts que nous apprécions. L’année dernière, sous cet accord, on a acceulli plus que 9,000 jeunes francais en Nouvelle-Zélande.
Sur cette note positive, il est peut être temps que je fasse une pause et que je vous laisse le temps de faire des commentaires ou poser des questions.
Accueillir ou refouler les réfugiés ? La politique australienne d’immigration.
Il existe un paradoxe. Parmi les Etats qui bordent le Pacifique, l’Australie fait incontestablement partie de la demi-douzaine de ceux qui sont les plus respectueux des droits de l’homme. Et pourtant l’Australie est stigmatisée par les organisations défendant les droits de l’homme et par le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) pour la manière selon laquelle elle traite les immigrants qui débarquent irrégulièrement sur ses côtes.
Il existe un deuxième paradoxe. Alors que l’Australie est peuplée d’immigrants, alors qu’elle mène toujours une politique active d’immigration, pourquoi refoule-t-elle les réfugiés illégaux, même lorsqu’elle leur reconnaît le statut de réfugiés politiques ?
Accueillir ou refouler les réfugiés et les immigrants, comment la politique australienne d’immigration se définit-elle ? Cette politique comporte deux volets contrastés. L’Australie mène une politique active d’immigration et d’accueil des réfugiés. Mais elle est intraitable sur les immigrants et réfugiés illégaux.
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1. L’Australie mène une politique active d’immigration et d’accueil des réfugiés.
A. L’immigration classique est une donnée permanente.
Ce pays est peuplé d’immigrants et continue à en faire venir. 27 % des 24 millions d’Australiens sont nés en dehors de l’Australie. Avec plus du quart de la population né à l’étranger, l’Australie est, dans le monde occidental, avec la Suisse, le pays qui compte la plus grande proportion d’immigrants. Cette proportion est appelée à s’accroître, tant la politique d’immigration est active. Les projections montrent qu’en 2050 le tiers de la population australienne sera né à l’étranger.
L’Australie accueille chaque année environ 190 000 migrants.
Le Royaume-Uni ne fournit plus, comme par le passé, le plus fort contingent d’immigrés. Jusque dans les années 1950, l’immense majorité des immigrants acceptés en Australie étaient des Européens (white Australia policy). Les choses ont bien changé. La majorité des immigrants vient désormais des voisins géographiques de l’Australie, c’est à dire de l’Asie.
Pour l’année budgétaire 2013-14, les pays d’origine de ces immigrés sont les suivants :
Inde 39 000
Chine 26 000
Royaume Uni 23 000
Philippines 10 000
Pakistan 6 000
Autres pays 84 000
C’est une immigration choisie. Comme on le sait, les immigrants sont choisis en fonction d’un système de points prenant notamment en compte l’âge (plus on est jeune, plus on a de points), la maîtrise de l’anglais et les qualifications professionnelles.
Les Australiens souhaitent encourager une immigration dans laquelle ils voient un facteur de dynamisme et de prospérité pour le pays. Il est à noter en effet que l’indice de fécondité des femmes, c’est à dire le nombre d’enfants par femme en âge de procréer, qui était élevé jusqu’en 1962 est maintenant de 1,8 et ne permettrait pas de maintenir la population australienne sans l’immigration. L’importante croissance démographique de l’Australie est dû à l’immigration. Il est à noter que l’Australie a franchi la barre des 10 millions d’habitants en 1959 et des 20 millions en 2004.
Bien entendu tout est fait pour que les néo-Australiens (new Australians) comme on les appelle, soient au plus vite assimilés dans leur nouveau pays. Si l’Australie ne voit aucun inconvénient que les migrants puissent sur fonds exclusivement privés, financer des associations maintenant des liens linguistiques et culturels avec les pays d’origine, le gouvernement australien, de même que les collectivités locales, refusent tout financement public à ces activités. Le résultat est que la deuxième génération aura vite oublié le patrimoine linguistique et culturel de ses parents et s’intégrera plus facilement. En cela l’Australie suit une politique identique à celle des Etats-Unis.
B. Les réfugiés qui suivent les circuits classiques sont accueillis.
Membre fondateur de l’ONU, signataire de toutes les conventions relatives aux droits des réfugiés et apatrides, l’Australie ne peut se désintéresser de leur sort. C’est pourquoi elle accueille les réfugiés qui suivent les circuits classiques. Chaque année elle accepte entre 12 000 et 13 000 personnes qui lui sont envoyées par des programmes humanitaires tels ceux du Haut Commissariat aux Réfugiés.
Pour l’année budgétaire 2015-2016 – l’année budgétaire australienne allant du 1er juillet au 30 juin – elle a accepté 13 750 réfugiés auxquels elle a ajouté 12 000 réfugiés venus d’Irak et de Syrie. Ce sont des réfugiés qui ont été sélectionnés dans le cadre de programme de l’ONU. Ils arrivent en avion et non sur des embarcations de fortune. Ce sont donc 25750 réfugiés qui ont été accueillis en Australie en 2015-16.
Ce nombre varie selon les années : en 2006, selon les statistiques de la Banque Mondiale, il y avait eu 68 948 réfugiés, alors qu’en 2008 il y en avait 20 919. On peut comparer ces chiffres à ceux du Canada, autre pays d’immigration riverain du Pacifique. Sa population est de 36 millions d’habitants soit 50 % de plus que l’Australie. Le Canada a accueilli 149 000 réfugiés en 2015, ce qui est six fois plus que l’Australie.
L’effort de l’Australie en faveur des réfugiés qui suivent les circuits classiques, est donc réel mais n’est pas exceptionnel. Il n’en est pas de même pour les migrants illégaux.
2. L’Australie est intraitable sur les migrants et réfugiés illégaux.
L’Australie a mis en œuvre une politique de dissuasion, qui donne des résultats mais ne peut pas être maintenue indéfiniment.
A. Une politique de dissuasion.
Manus est une île dont la superficie est le quart de la Corse. Elle appartient à l’archipel de l’Amirauté dans la Mer de Bismarck, se trouve à 300 kilomètres des côtes de la Papouasie Nouvelle-Guinée et relève de ce pays. Avec l’accord du gouvernement de PNG, l’Australie a établi en 2001 un centre de tri des réfugiés demandeurs d’asile qui était géré par l’Office International des Migrations (OIM) organisation qui dépend de l’ONU. Cette politique mise en œuvre sous le gouvernement Howard (libéral), visait à limiter l’afflux des réfugiés en faisant examiner leur situation en dehors du territoire du continent australien et en les détenant dans des centres en attendant que leur statut de demandeur d’asile soit ou non reconnu. L’Australie a passé des accords avec divers gouvernements : Nauru et la Papouasie Nouvelle-Guinée, leur demandant d’accueillir les réfugiés. L’Australie verse à ces gouvernements une subvention pour les défrayer du coût qu’entraine la gestion de ces camps.
En 2008 le centre de Manus a fermé ses portes de même que celui de Nauru, pour tenir la promesse que le nouveau premier ministre australien Kevin Rudd (travailliste) avait faite pendant la campagne électorale en 2007.
L’afflux de réfugiés illégaux dans les années qui suivirent et le nombre de boat people morts par noyade obligèrent le gouvernement australien à revoir sa position. Elaboré à la demande de Julia Gillard alors premier ministre travailliste, un rapport en 2012 préconisait qu’un tri des réfugiés soit fait par des commissions australiennes dans des hubs comme la Malaisie et l’Indonésie. Les autres réfugiés, c’est à dire ceux qui arrivent illégalement sur le territoire australien, seraient placés en centres de rétention (detention centres en anglais), en attendant que les services d’immigration australiens statuent sur leur sort.
Il y avait donc deux volets dans la politique proposée. Force est de constater que c’est seulement le deuxième volet de cette politique qui a été appliqué, celui de la dissuasion. Les systèmes de tri préalable en Malaisie ou en Indonésie n’ont pas pu être mis en œuvre, les négociations avec ces pays ayant échoué. Les centres de Manus en PNG, de Christmas Island et de Nauru, qui avaient fermé leurs portes en 2008, les ont rouvertes en 2013.
Julia Gillard a quitté le pouvoir en juin 2012 et a été remplacée pendant trois mois par Kevin Rudd puis à partir de septembre 2012 par Tony Abbot (libéral). C’est le gouvernement Abbott qui a révisé sa politique d’accueil des demandeurs d’asile dans le cadre du plan Sovereign Borders (Frontières souveraines) pour décourager les réfugiés d’arriver par mer.
Les services d’immigration de l’Australie examinent chaque cas et de deux choses l’une. Ou bien le réfugié est considéré comme un migrant économique, et dans ce cas il est renvoyé vers son pays d’origine. Ou bien il est considéré comme un demandeur d’asile et il ne sera pas renvoyé vers son pays mais ne pourra pas pour autant mettre les pieds sur le territoire australien et devra rester pour une durée indéfinie dans le camp de réfugiés off shore, sans pouvoir espérer jamais accéder à la terre promise.
Le camp de Manus accueille plus de 800 réfugiés. La moitié d’entre eux se sont vus reconnaître le statut de demandeurs d’asile. Ils n’ont pourtant aucune perspective : ni celle d’arriver sur le continent australien et de s’y établir, ni celle de retourner dans leur pays d’origine puisqu’ils y sont en danger, ni celle d’aller vers un pays tiers puisqu’aucun pays n’en veut. C’est, comme la Cour Suprême de PNG l’a noté, un régime de détention dont la durée est indéfinie auquel sont soumis ces migrants, sans qu’aucune perspective ne leur soit offerte. Dans l’île de Nauru plusieurs suicides ont eu lieu.
Christmas Island, à 1600 kilomètres des côtes de l’Australie de l’ouest (et 2600 kilomètres de Perth, la ville la plus peuplée de cette partie de l’Australie) est un troisième centre. Environ 180 réfugiés sont actuellement à Christmas Island qui a une capacité de plus de 1000 et 468 réfugiés se trouvent à Nauru dont les possibilités peuvent être accrues. A la différence de Nauru et de Manus, Christmas Island est un territoire australien. Mais l’idée reste la même : empêcher les demandeurs d’asile d’entrer sur le continent australien.
B. Cette politique de dissuasion a donné des résultats.
La politique australienne à l’égard des réfugiés, n’est certainement pas un succès dans le domaine des droits de l’homme. Mais elle est une réussite dans le domaine du contrôle des flux d’immigration illégale et de la diminution drastique du nombre de réfugiés qui trouvent la mort dans des traversées hasardeuses sur des bateaux mal équipés et surchargés.
Elle a eu comme résultat de stopper le flot des réfugiés. Selon les chiffres australiens, en 2013, plus de 300 bateaux transportant 20 000 personnes avaient accosté illégalement en Australie. En 2014, il n’y a eu qu’un seul bateau. En 2015 il n’y en a eu aucun. Les trafiquants et passeurs mais également les réfugiés économiques ou politiques savent maintenant que l’Australie n’est pas une destination.
Les noyades au large des côtes australiennes ont cessé.
Les statistiques publiées par le Border Crossing Observatory sont en effet parlantes ;
2009 171 morts par noyade.
2010 71
2011 330
2012 242
2013 217
2014 4 morts ( dont un meurtre et deux suicides dans des centres de détention)
2015 3 morts par suicide dans des centres de détention.
Le premier ministre australien Malcolm Turnbull entend maintenir la politique actuelle vis à vis des boat people car il fait valoir qu’ouvrir les vannes de l’immigration illégale aurait pour conséquence la reprise des activités des passeurs et les drames qu’elles entrainent. Le nombre de morts par noyade le long des côtes australiennes atteindrait de nouveau des chiffres effrayants.. La plupart des réfugiés transitent par l’Indonésie qui est le pays le plus proche de l’Australie. Ils n’en sont pas originaires et viennent de l’Afghanistan, de l’Irak ou de Syrie.
Le parti libéral australien a fait du refus des réfugiés un élément essentiel de sa plateforme électorale, attirant d’autant plus de voix que quelques attentats islamiques en Australie ont jeté la suspicion sur les réfugiés qui viennent du Moyen-Orient. L’opinion publique australienne semble majoritairement soutenir cette position. Dans une campagne publicitaire à destination des boat people, le gouvernement australien fait passer un message sans ambiguïté : « No Way. You will not make Australia home »
La Nouvelle-Zélande a tenté de venir en aide à ceux qui ont obtenu l’asile en Australie sans pour autant avoir le droit de fouler le sol australien. Sensible aux conséquences sur le plan des droits de l’homme de l’existence des centres de détention off shore de l’Australie, le gouvernement néo zélandais avait conclu un accord avec le gouvernement australien en 2012 selon lequel il s’était engagé à accueillir chaque année 150 personnes auxquelles l’Australie aurait reconnu le statut de demandeur d’asile mais qu’elle n’autoriserait pas à fouler le sol australien. Ces demandeurs d’asile seraient venus s’ajouter aux 750 réfugiés que la Nouvelle-Zélande accueille chaque année. Cet accord n’est pas appliqué par le gouvernement australien de Malcolm Turnbull qui voit dans cette porte étroite, un nouvel appel d’air encourageant l’immigration irrégulière.
C. Une politique qui ne pourra pas être maintenue indéfiniment.
En dépit des subventions qu’ils reçoivent du gouvernement australien, les pays où se trouvent les camps de rétention protestent. C’est le cas de la Papouasie Nouvelle Guinée.
La Cour Suprême de Papouasie Nouvelle-Guinée (PNG), dont la jurisprudence est sans doute insuffisamment connue, a rendu une décision le 26 avril 2016 indiquant que le régime de détention des demandeurs d’asile dans l’île de Manus contrevient à tous les droits fondamentaux – et notamment à la liberté de mouvement – et exigeant des gouvernements d’Australie et de PNG d’y mettre fin. Cette décision rejoint les conclusions de la visite faite en 2013 par le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR) et le souhait de Peter O’Neill, le premier ministre de PNG qui, a plusieurs reprises, a déclaré que ce camp de Manus nuit à la réputation de son pays et qu’il souhaite que l’Australie le ferme.
Un accord avait été passé entre l’Australie et le Cambodge en septembre 2014. Contre la somme de 40 millions de dollars australiens (28 millions d’euros) sur quatre ans, le Cambodge devait accueillir des réfugiés arrivés illégalement en Australie, qui avaient obtenu le statut de réfugié politique de la part de l’Australie mais qu’elle ne souhaitait pas garder sur son sol. L’Organisation Internationale des Migrations (qui est un organisme dépendant de l’ONU) devait superviser l’installation des réfugiés à Phnom-Penh. Cet accord avait été dénoncé par l’ONU et les organisations des droits de l’homme car le Cambodge n’est pas un modèle dans le domaine du respect des droits de la personne humaine. Cet accord n’a pas été concluant. Seuls deux migrants sur quatre sont restés au Cambodge, les deux autres (des Iraniens) ayant demandé à repartir chez eux.
Il convient de noter aussi qu’en 2011 la Haute Cour australienne avait invalidé un accord passé avec la Malaisie car ce pays n’est pas signataire de la convention des Nations Unies sur les réfugiés.
Il va sans dire que les organisations des droits de l’homme de nombreux pays et notamment Human Rights Watch et Amnesty International s’émeuvent de cette situation, cela d’autant plus que la gestion des centres de de rétention n’est pas irréprochable. Des meurtres et des viols ont eu lieu. L’hygiène est déplorable. En ce qui concerne Manus, l’Australie dénie toute responsabilité, mettant en avant le fait que la gestion du camp est du ressort de la PNG. Cependant, toujours légaliste et pressée par le gouvernement de PNG, l’Australie déclare qu’elle va se conformer à la décision de la Cour Suprême papoue et qu’elle va trouver un autre emplacement pour ces migrants. L’Australie serait en discussion avec plusieurs pays du sud-est asiatique mais aussi la Nouvelle-Zélande pour trouver des dispositifs d’accueil pour les 1459 réfugiés qu’elle refuse d’admettre.
Toujours est-il qu’il est certain que la politique de l’Australie vis à vis des réfugiés est perçue par beaucoup comme non conforme aux droits de l’homme et aux conventions dont ce pays est signataire. Cela lui crée des difficultés au sein des organisations internationales, l’ASEAN ou l’ONU.
C’est pour répondre à ces critiques que le gouvernement australien a négocié en novembre 2016 un arrangement avec les Etats-Unis. Selon cet accord, l’Australie pourrait envoyer aux Etats-Unis une partie des 1500 demandeurs d’asile qu’elle détient à Manus et Nauru. En retour elle accepterait sur son territoire (et non pas dans des sites off shore) des réfugiés du Honduras et du Salvador qui vivent actuellement sous protection américaine au Costa Rica. Le nombre des personnes concernées n’est pas précisé.
Soucieux de ne pas créer d’appel d’air pour de nouvelles immigrations illégales, le gouvernement australien déclare que si cet accord est conclu, il ne sera pas renouvelé. Les futurs immigrants illégaux continueront à trouver porte close en Australie.
Mais cet accord conclu sous l’administration Obama pourra-t-il être mis en oeuvre sous l’administration Trump ? Rien n’est moins sûr. Un bon nombre de ces réfugiés sont des musulmans venus d’Iran, d’Irak, de Syrie et du Myanmar. La volonté d’arrêter toute immigration de musulmans aux Etats-Unis avait été l’un des points importants de la campagne de Trump.
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Au moment où l’Europe – et plus particulièrement l’Allemagne, la France, l’Italie et la Grèce – est confrontée à la plus grande crise migratoire de son histoire, il est douteux que les pays européens puissent tirer beaucoup de leçons de la politique australienne dans le domaine de l’immigration tant les conditions sont différentes dans ce pays des antipodes.
Trois éléments essentiels nous séparent.
Le premier – le plus évident – est l’emplacement de l’Australie sur le globe. Ce pays-continent est – et de loin – le plus isolé. Il n’a pas de frontière terrestre. Des distances importantes le séparent de ses voisins.
Le second est que les migrants illégaux arrivent en Australie après avoir transité par l’Indonésie, le plus proche voisin. Si l’Australie renvoie le bateau et ses passagers en Indonésie, les garde-côtes indonésiens ne refouleront pas le bateau. Les migrants seront bien sûr priés d’aller vers une autre destination. Le problème des demandeurs d’asile est beaucoup plus complexe en Europe qui ne peut pas renvoyer en Syrie ou en Libye les réfugiés qui en viennent.
Le troisième est que les nombres de migrants illégaux à destination de l’Australie, même au temps où elle n’avait pas mis en place sa politique de dissuasion, a toujours été infiniment moindre que ce que doit accueillir l’Europe. Quelques milliers de réfugiés, alors qu’en Europe ils se comptent en centaines de milliers et même maintenant en millions.
Accueillir ou refouler les réfugiés ? Tous les pays sont placés devant le même dilemme et chacun le traite à sa façon, en fonction de son histoire, de ses habitudes, des attentes de sa population et parfois de ses préjugés. Il n’existe sans doute pas de solution qui fasse l’unanimité particulièrement en cette période où le risque sécuritaire a singulièrement compliqué l’accueil et accru les préventions.
Par
Jean-Christian CADY
Préfet (h)
Secrétaire général de l’Institut du Pacifique