« Impressions de voyage sur la situation actuelle en Colombie »
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Compte-rendu de la conférence du 29 mai 2019
La Colombie a déjà été évoquée il y a quelques mois au sein de l‘Institut du Pacifique lors d’une conférence prononcée par M. l’ambassadeur Pierre-Jean Vandoorne sur l’Alliance du Pacifique. (L’Alliance du Pacifique lancée en 2011 par la Déclaration de Lima est entrée en vigueur en 2015. Elle regroupe quatre pays d’Amérique latine : le Chili, la Colombie, le Mexique et le Pérou. Panama et Costa Rica y sont observateurs.)
Aujourd’hui nous ne traiterons pas de la Colombie dans son environnement régional : nos orateurs, Geneviève Tinturier et Jean-François Le Duc nous font une présentation de la situation intérieure actuelle de la Colombie au travers d’impressions de voyage à l’issue d’un périple d’une quinzaine de jours, organisé par l’Association ARRI (Association Réalités et Relations internationales) en mars 2019.
Outre plusieurs diplomates dont un ancien ambassadeur de France en Colombie, des auditeurs de l’AA-IHEDN ayant effectué un voyage d’études tandis que « ce pays était en voie de sécurisation », c’est-à-dire au début du chemin de la réorganisation et de la pacification, assistent à cette séance remarquablement documentée et illustrée par des diapositives.
Au cours de leurs différentes étapes (Bogota, le Triangle du Café et Pereira, Medellin et Carthagène), dont certaines par la route, de nombreuses rencontres avec des responsables politiques, des diplomates, des universitaires, des journalistes, des représentants du monde économique se sont succédé. Cette présentation a donné lieu à des échanges multiples avec un public qui connaissait peu ou prou la Colombie et qui s’intéresse à son évolution.
Le constat
Deux ans après la signature des accords de paix, si la situation s’est globalement nettement améliorée, notamment au plan de l’essor économique, restent encore de nombreuses difficultés à résoudre :
– La Colombie demeure le premier producteur de coca et le narco trafic n’a pas été éradiqué (même après la disparition des cartels colombiens dont le plus connu, celui de Pablo Escobar à Medellin, reste dans les mémoires). Il s’exerce aujourd’hui essentiellement via des cartels mexicains. Si une majeure partie des dissidents politiques (FARC en particulier) ont abandonné les armes, certains ont été remplacés par des criminels de droit commun et des mafieux. Par ailleurs, le lien de dépendance avec les Etats-Unis, principal débouché sur ce marché de la drogue, est réel. Mais du fait que les aides promises en échange de l’abandon des cultures illicites ne sont pas arrivées, les surfaces cultivées pour la coca ont été multipliées par 4 ou 5 dans les cinq dernières années.
– La disparité entre les villes et les campagnes est très forte. Fracture territoriale et fracture sociale vont de pair. 85% de la population colombienne est urbanisée en raison des problèmes liés à l’agriculture et de l’insécurité régnant dans les zones éloignées, considérées de ce fait comme des zones délaissées où l’Etat est peu présent.
– La question de la propriété de la terre est au centre des sujets à traiter. Les monocultures d’exportation (café, canne à sucre) sont prédominantes sur des latifundia hérités de la période coloniale. Les petits agriculteurs disposent souvent de surfaces insuffisantes et de terrains montagneux difficiles à exploiter.
– Ces trois questions étroitement imbriquées conditionnent le rétablissement d’une paix durable dans le pays. Or les difficultés sont encore aggravées du fait de la crise vénézuélienne voisine.
Alors que pendant des années, les Colombiens se sont exilés au Venezuela pour fuir les conflits armés chez eux et profiter du développement économique de ce pays voisin, après 2017 et surtout 2018, la crise migratoire s’est inversée en trois vagues successives : les personnes les plus fortunées et les professionnels hautement qualifiés, puis la classe moyenne haute à la recherche d’emplois, et enfin les plus basses classes sociales. Plus d’un million de personnes déplacées sont accueillies avec beaucoup de générosité en Colombie (il n’y a pas de camp de réfugiés). Mais cela représente un coût estimé à 0,56% du PIB et constitue un risque d’intolérance pour demain.
Les facteurs d’espoir
– Le développement économique du pays croît de manière forte et continue, même s’il reste très inégalitaire. Le PIB est en hausse depuis des dizaines d’années : en dépit d’un certain ralentissement, sa croissance était de + 2,6% en 2018, et est estimée à 3,3% pour 2019.
– Quatrième économie d’Amérique latine, membre de l’OCDE depuis 2018, la dette colombienne est inférieure à 50% de son PIB.
– Le développement de Medellin après l’élimination du cartel de Pablo Escobar en 1993 peut servir d’exemple. A partir de 2000, la ville a connu une sorte de « miracle » lié à la mise en œuvre d’une politique volontariste en matière sociale et sécuritaire, basée au départ sur la création de transports urbains visant à resserrer les liens entre les populations de toutes les parties de la ville, y compris les plus éloignées et les plus élevées par un système de tramway/métro/bus/téléphérique tout à fait innovant (avec des partenariats français : POMA et Alstom) qui a permis le développement industriel et culturel de la ville.
– Si l’Etat est quasiment absent dans certaines parties du territoire, force est de constater que la sécurité a été progressivement rétablie dans les villes, dans certaines régions de plus en plus étendues, sur certaines routes ….
La réinsertion des ex-guérilleros dans la société civile et politique est difficile à faire admettre à ceux qui en ont été victimes. Les concessions jugées excessives à leur égard sont mal acceptées. D’où l’opposition aux accords de paix mis en place par le Président Juan Manuel Santos (2010-2018) manifestée lors du référendum d’octobre 2016, et la victoire d’Ivan Duque aux élections présidentielles en juin 2018.
Cependant le Président Duque s’est engagé à réviser ces accords qui ont clos plus d’un demi-siècle d’affrontements avec les FARC, tandis que le processus de paix a connu quelques avancées : 10 000 guérilleros ont été démobilisés, des formations ont été dispensées par la coopération internationale. L’enjeu est d’éviter la renaissance de la guérilla, le recrutement par des bandes.
Hélène Mazeran