LA POLITIQUE ETRANGERE DE LA NOUVELLE-ZELANDE DU PACIFIQUE JUSQU’A L’EUROPE  

Par le Dr James Kember Ambassadeur de Nouvelle-Zélande en France.

La semaine dernière, j’ai assisté à un discours, au cours d’un dîner, par quelqu’un travaillant très étroitement pour un candidat présidentiel de premier plan. Ce qui m’a frappé en termes de géographie (plutôt que de messages politiques), c’est que toutes ses références à la politique étrangère, à l’exception de la seule relative à la Chine, se limitaient à ce qui se passe en Europe.

Cela, bien sûr, dans le contexte actuel est tout à fait compréhensible: Le Brexit, la Crimée, l’Ukraine, les prochaines élections en France, l’Allemagne, les Pays Bas et l’Italie. Mais cela masquait la longue histoire de l’implication française dans le Pacifique, sur laquelle je reviendrai tout à l’heure.

Ce soir, je voudrais réfléchir à une vision à plus long terme du Pacifique; mettre en contexte ce que nous considérons comme notre rôle; puis considérer ce qui pourrait être attendu de nous à notre tour; examiner certains défis actuels ; et revenir ensuite sur la façon dont nous considérons l’importante interaction française.

I: Les années 1980-1990

Ma propre implication dans nos relations avec le Pacifique remonte à la fin des années 70 quand, en tant que jeune agent des affaires étrangères, je travaillais sur les relations de développement avec Fidji. Hormis le fait d’apprendre quelque chose sur la façon dont nos relations de développement interagissaient avec nos politiques, cela a été une véritable leçon sur la manière de prendre en compte les premiers parce que, si mal géré, ils pouvaient avoir un impact négatif sur les seconds.

À l’époque, le Premier ministre Fidjien était Ratu Sir Kamisese Mara, un représentant de son pays fier et farouchement indépendant, et non pas quelqu’un à qui l’on donnait des leçons sur la façon dont notre aide au développement devrait être rendu.

Je suis revenu dans le Pacifique dans les années 80, en tant que Consul à Nouméa. Ce n’était pas un moment facile en termes de politique intérieure ou de nos relations avec la France, quelques mois seulement après l’affaire du Rainbow Warrior. Les tensions internes étaient palpables. Bien sûr, pour la Nouvelle-Zélande, il n’y avait aucun intérêt à avoir une telle discorde, une telle tension et une telle instabilité dans notre plus proche voisinage.

Et ce qui s’appliquait alors en Nouvelle-Calédonie est la même chose pour nos autres partenaires du Pacifique: l’instabilité et la tension sont mauvaises pour nous tous.

Je ne vais certainement pas m’attarder sur les relations bilatérales à cette époque là, sinon pour dire que même aujourd’hui, tant d’années plus tard, je maintiens le contact avec bon nombre d’amis que nous nous sommes faits pendant cette période. Certains sont encore là bas, d’autres vivent ici à Paris.

Les années 90 nous ont vu revenir dans le Pacifique, quand j’ai représenté la Nouvelle-Zélande aux îles Cook.

Différentes leçons à retenir: bien que la plus intéressante ait été la façon dont une entité devrait faire le meilleur usage de sa décision de conserver la libre association avec la Nouvelle-Zélande, y compris la devise et les passeports néo-zélandais, et toujours rechercher une stature internationale. Pas simple, mais pas impossible – dans certaines limites.

II : Le Pacifique néo-zélandais

En pensant à ce que le Pacifique signifiait alors pour la Nouvelle-Zélande, je me rappelle que bien que nous ayons modifié le modèle opérationnel de temps à autre, il y avait en fait quelque chose de constant concernant les principes sous-jacents.

Au fond, nous nous considérons comme «du Pacifique» plutôt que «dans le Pacifique». C’est plus qu’une simple géographie qui nous relie à nos voisins du Pacifique.

En plus de partager une histoire et une culture polynésiennes communes, nous partageons littéralement notre peuple. La Nouvelle-Zélande abrite une grande diaspora du Pacifique, qui représente environ 8% de la population de la Nouvelle-Zélande. En fait Auckland a la plus grande concentration de peuples du Pacifique du monde.

De la même manière, bien sûr, nous accordons une grande importance à nos liens avec l’Asie et l’Europe. Parfois, nos efforts pour s’identifier à l’Asie, d’où plus d’un dixième de notre population a ses origines, ont entrainé des reproches; mais la réalité est que, sans jamais oublier le reste du monde, la région Asie-Pacifique fait partie de notre environnement, et les pays du Pacifique sont nos proches voisins.

Le cadre Pacifique

L’importance de notre région exige aussi une approche qui soit à la fois pangouvernementale, mais qui traite aussi collectivement des divers facteurs politiques, stratégiques, économiques et de développement.

Ce «cadre du Pacifique» est une stratégie d’ensemble visant à assurer que notre engagement dans le Pacifique au cours des 20 prochaines années soit coordonné, ciblé et donne des résultats.

Au sein du ministère des Affaires étrangères, cela se reflète dans le fait que les membres de notre personnel en charge du développement du Pacifique travaille au sein de la même équipe que ceux qui gèrent nos relations politiques et économiques, au niveau régionales et bilatérales.

En ce qui concerne les moteurs de l’engagement, je devrais commencer par la question de l’identité: c’est-à-dire comment nous nous voyons globalement; c’est parce que près d’un dixième de notre population est du Pacifique et parce que nos voisins s’attendent à ce que nous soyons conscients de leurs besoins.

Cela se reflète dans le fait, par exemple, que l’une des sept priorités stratégiques du ministère des Affaires étrangères consiste à améliorer la prospérité et à réduire les risques dans la région du Pacifique.

Deuxièmement, les interconnexions concernent la prospérité partagée. Par exemple, la facilité de faire des affaires dans le Pacifique affecte les entreprises néo-zélandaises.

L’amélioration du bien-être social et économique du Pacifique réduit les risques et offre des possibilités à la Nouvelle-Zélande et aux Néo-Zélandais, ce qui est derrière bon nombre de nos interventions dans la région.

Il y a aussi la question de l’histoire : outre la migration vers notre pays que j’ai déjà mentionnée, ainsi que notre rôle de puissance administrante pour certains États insulaires maintenant indépendants, il existe des obligations constitutionnelles fondamentales envers les îles Cook, Niue et Tokelau. Ces iles font partie du Royaume de Nouvelle-Zélande.

Un quatrième moteur est la sécurité. Notre sécurité nationale est directement affectée par la capacité du Pacifique à gérer les conflits, combattre les crimes qui transgressent les frontières, et développer les économies durables.

Cela m’amène au cinquième moteur: la dynamique régionale.  Nous nous engageons dans le Pacifique à conserver une influence dans le contexte d’une prolifération d’acteurs nouveaux et existants dans la région (par exemple la Chine, la Russie) cherchant à influencer une nouvelle génération de leaders. Si une partie de cette influence existe depuis des décennies, c’est un rappel constant de la nécessité pour nous de nous repositionner, et de concentrer nos efforts.

Le Pacifique Sud est un ensemble d’entités géographiques et sociales diverses, chacune ayant ses propres défis économiques et politiques. Comme je l’ai dit tout à l’heure, il est de notre intérêt de veiller à ce que notre région demeure stable.

III: Le regard du Pacifique sur la Nouvelle-Zélande

En ce qui concerne la façon dont la Nouvelle-Zélande elle-même est perçue, je dirais quelques mots non pas tant sur ce que les autres gouvernements demandent en particulier de nous, mais plutôt sur la façon dont, par nos actions, nous soutenons des intérêts régionaux.

Quelques exemples à cet égard, tous deux relatifs à la manière dont nous agissons à plus grande échelle pour appuyer l’action directe des États insulaires du Pacifique:

a. CSNU

Lors de la première de nos deux présidences de notre mandat au Conseil de sécurité des Nations Unies en 2015-2016, nous avons pris la décision consciente – après discusion au sein de la région – de faire le point sur les préoccupations des petits États insulaires en développement (PEID) au cours d’un débat public. (C’est-à-dire un debat auquel tous les Membres de l’ONU peuvent participer.) Nous avons fait cela dans le cadre de nos promesses de campagne visant à mettre en lumière les problèmes des PEID au cours de notre mandat.

Le débat, présidé par notre ministre des affaires étrangères, a été le tout premier, à présenter au Conseil les menaces potentielles pour la sécurité face à la vulnérabilité des petits États insulaires.

Un Premier ministre des Îles du Pacifique et 16 ministres, y compris le notre, y ont pris part. Le compte-rendu de ce débat, que nous avons distribué à l’ensemble des membres des Nations Unies, est devenu une référence sur les questions de paix et de sécurité des PEID.

b. Aide à l’investissement

L’aide annuelle au développement de la Nouvelle-Zélande pour la région s’élève à près de 350 millions d’euros. Par accord, il vise le développement économique.

Pour cette raison, la Nouvelle-Zélande a choisi de faire des investissements majeurs dans un accord historique sur le commerce et le développement (PACER Plus) et dans des domaines tels que les énergies renouvelables, ICT et la pêche.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, la Nouvelle-Zélande a accueilli deux grandes réunions internationales. En 2013, avec l’Union européenne, nous avons collaboré à l’organisation du premier Sommet de l’Energie du Pacifique, qui a permis de consacrer plus de 430 millions d’euros à l’énergie renouvelable dans la région.

Cela s’est traduit par plus de 600 millions d’euros d’investissements dans 70 projets. Un deuxième Sommet de l’énergie du Pacifique en 2016, encore à Auckland, a vu les donateurs engager plus de 675 millions d’euros pour des projets d’énergie durable dans le Pacifique.

En fait, l’Accord du Pacifique sur des relations économiques plus étroites (PACER Plus) a présenté aux pays insulaires du Forum une occasion unique de participer au système commercial international.

Avec l’aide de la Nouvelle-Zélande et de l’Australie, les pays du Pacifiique peuvent utiliser le commerce pour accroître les niveaux de vie et contribuer à atteindre les objectifs de développement durable des Nations Unies.

IV: Enjeux pressants

Peut-être un mot ou deux sur les principaux enjeux dans la région.

Bien sûr, nous voyons le Forum des îles du Pacifique comme le principal mécanisme de dialogue politique dans la région. Nous travaillons activement à renforcer son efficacité pour obtenir des résultats solides pour la région.

Mais le Forum fait face à des pressions. Cela est compliqué par l’émergence d’organismes sous-régionaux, qui vont inévitablement changer la nature du régionalisme et présenter des défis à notre diplomatie régionale à l’avenir.

Il y a aussi d’autres défis.

Atténuer les effets du changement climatique et accroître la résilience est un thème clé pour tous les pays insulaires du Pacifique. Il est probable que les conditions météorologiques extrêmes s’intensifient.

Alors, nous devrions nous attendre à voir la montée du niveau de la mer, des pénuries d’eau, des dégâts causés par les tempêtes, la nourriture et la sécurité, et l’acidification des océans.

La Nouvelle-Zélande et de nombreux autres donateurs dans le Pacifique travaillent avec des partenaires pour les aider à préparer et à contrer ces défis. Toutefois, cela nécessitera un appui extérieur considérable et soutenu. Cela a donné un argument supplémentaire à notre réunion publique du Conseil de sécurité en 2015.

La Pêche

De même, nous avons pris des engagements importants pour soutenir la gestion des pêches dans la région en mettant l’accent sur les investissements en capitaux, en renforçant les cadres institutionnels pour la gestion des pêches et en éliminant la pêche non déclarée et non réglementée.

La pêche au thon dans le Pacifique est le plus grand atout naturel de la région. Pour vous donner une idée du problème, la pêche illégale coûterait à la région plus de 100 millions d’euros par an.

Bien sûr, le Pacifique a le choix de partenaires. J’ai mentionné l’UE.   Je ne néglige pas non plus le rôle majeur de l’Australie. La Chine a aussi longtemps été impliquée dans la région, travaillant parfois avec nous et l’Australie sur des projets.

L’engagement des États-Unis dans la région a longtemps été axé sur les Compact States en Micronésie du Nord et, dans une certaine mesure, sur la Papouasie-Nouvelle-Guinée.

À ce stade, il est trop tôt pour juger de la priorité que la nouvelle administration accordera au Pacifique.

V: La France : un important partenaire dans la région

Ce qui m’amène à un partenariat d’importance majeure – et la raison pour un discours sur  « la Pacifique jusqu’à l’Europe »: la France. Il y a à peine deux jours, j’ai discuté avec un ancien haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française des nombreuses interactions entre nous et notre voisin le plus proche, la Nouvelle-Calédonie.

Bien que ce ne soit certainement pas à un diplomate néo-zélandais de commenter sur le détail des politiques françaises dans le Pacifique, ce que je peux dire, c’est que pour nous, l’engagement français dans la région est extrêmement crucial et bienvenu.

Cela est particulièrement évident en ce qui concerne la participation militaire française aux opérations de secours en cas de catastrophe dans toute la région. Plus récemment, lors des cyclones Pam et Winston, les forces de défense françaises, australiennes et néo-zélandaises ont travaillé côte à côte avec les autorités locales de défense civile. Nos pays collaborent également à la surveillance maritime pour lutter contre la pêche illégale.

Je dois également reconnaître le rôle positif que joue la France en matière de changement climatique, qui, comme nous le savons, est une priorité majeure, sinon la priorité absolue pour les pays insulaires du Pacifique.

Pour terminer, comme j’ai commencé, sur une observation personnelle. J’ai été privilégié l’année dernière d’accompagner le Premier ministre Manuel Valls en Nouvelle-Zélande, première visite depuis celle du Premier ministre Michel Rocard au début des années 90. Il est arrivé à Auckland directement à bord d’un avion en provenance de Lifou dans les îles Loyauté de Nouvelle-Calédonie.

M Valls et ensuite la ministre George Pau Langevin m’ont remarqué non pas les différences de taille ou de gouvernance, mais plutôt les liens culturels entre ces deux proches voisins.

Je connais un peu Lifou, et je sais bien que cela ne ressemble pas exactement à Auckland, mais j’ai voulu prendre cet exemple sur ce qui nous rapproche, et pourquoi nous voulons renforcer ces liens.

Il a donc été particulièrement gratifiant que le Premier ministre Manuel Valls, lors d’un dîner à Auckland, ait invité notre premier ministre John Key à se rendre à Paris avec un contingent de la Force de défense de la Nouvelle-Zélande pour participer au défilé du 14 juillet, aux côtés de nos partenaires australiens.

Tout comme avec le sommet France-Océanie, nous voyons de très nombreux signes positifs de l’engagement français dans la région, ce que la Nouvelle-Zélande envisage de poursuivre et de développer.

Et si le nombre de visites est un bon indicateur, je remarque que l’année dernière le nombre de visiteurs néo-zélandais en France a dépassé les 18,000, sans compter les près de 14,000 qui sont allés en Nouvelle-Calédonie et les 7,000 en Polynésie française.

D’autre part, nous avons accueilli plus de 40,000 visiteurs de France, 19,000 de Nouvelle-Calédonie et 18,000 de Polynésie française.

Je mentionne cela, non pas comme un représentant de l’industrie du tourisme, mais plutôt parce que cela inclut, dans les deux directions, un grand nombre d’étudiants et de jeunes qui, bénéficiant de l’accord visa-vacances-travail, contribuent à renforcer la solidité de nos liens entre les peuples, ce qui est au cœur de tous les contacts que nous apprécions. L’année dernière, sous cet accord, on a acceulli plus que 9,000 jeunes francais en Nouvelle-Zélande.

Sur cette note positive, il est peut être temps que je fasse une pause et que je vous laisse le temps de faire des commentaires ou poser des questions.