Construire un Etat : L’ONU au Timor oriental.

Par Jean-Christian CADY
Préfet honoraire
Ancien représentant spécial adjoint du secrétaire général des Nations Uniesau Timor oriental chargé de la gouvernance et de l’administration publique

Quand en novembre 1999, j’ai dit à mes amis que je partais au Timor oriental dans une mission de maintien de la paix, la plupart d’entre eux m’ont dit : « Je ne voudrais pas paraître ignorant mais, dites-moi, où se trouve le Timor ? » Il est vrai que pour les Français, le Timor est toujours resté en dehors du champ de leurs préoccupations, de leur zone d’influence et de leur histoire.

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Dans le long chapelet des îles de la Sonde qui s’étend sur 3500 km d’est en ouest, et dont la plupart forment l’Indonésie, le Timor est l’une des îles qui se situent le plus à l’est. Le Timor est à 2000 km à l’est de Djakarta et à 600 km au nord-ouest de Darwin en Australie. Le Timor est proche de l’équateur, à 5 degrés de latitude sud. A la différence des autres îles de la Sonde, ce n’est pas une île volcanique. Mais c’est une île montagneuse. Le plus haut sommet atteint près de 3000 m. La capitale Dili a 150 000 habitants et n’a aucun titre de gloire internationale, si ce n’est que les amateurs de littérature se souviendront peut-être que l’écrivain navigateur Alain Gerbault est mort à Dili en 1941. Le Timor est une île au climat chaud et humide où sévit la malaria. Elle est à l’écart des grandes routes maritimes. Bien qu’un certain nombre d’endroits de la planète puisse prétendre à ce titre, le Timor est un peu le bout du monde.

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Dans son livre « une île au loin », l’écrivain timorais Luis Cardoso décrivait le Timor oriental comme « une île jetée au bout du monde et laissée à l’abandon » Vous allez me dire : mais pourquoi s’intéresser au Timor oriental, cette moitié d’île perdue au fin fond de l’Insulinde ? Pourquoi s’intéresser au Timor oriental qui ne fait que la moitié de la superficie de la Belgique et qui ne rassemble qu’un million deux cent mille habitants et qui est parmi les pays les plus pauvres du monde ? Pourquoi ? Parce que c’est un cas d’école. C’est le seul pays qui ait accédé à l’indépendance sous l’égide de l’ONU et où l’ONU a été obligé de tout créer ex nihilo. Dans l’histoire assez chaotique des missions de maintien de la paix où les succès sont peu nombreux, c’est l’une des très rares réussites. Et enfin parce qu’il est intéressant de voir 12 ans après l’indépendance, et après tous les efforts et l’argent qui y ont été consacrés, ce que le Timor est devenu.

C’est ce que je me propose de vous décrire en commençant par un peu d’histoire.

Le Timor avait été découvert par des navigateurs portugais en 1511. L’île a 30 000 km2 et est partagée en deux moitiés : la partie occidentale dont le dernier colonisateur était les Pays-Bas, fait partie maintenant de l’Indonésie. La partie orientale, qui a été colonisée de manière ininterrompue par le Portugal pendant plus de quatre siècles, est maintenant indépendante. La composition ethnique du Timor oriental est complexe car elle résulte de vagues de migrations successives depuis 3000 ans. Elle peut être schématisée de la manière suivante.

 

A l’apport initial mélanésien venu de l’est, c’est à dire de populations analogues à celles que l’on trouve en Papouasie, Nouvelle Guinée, se sont ajoutées des populations malaises venues de l’ouest. L’est du Timor oriental est resté à l’écart de ces vagues migratoires et est donc, malgré de nombreux métissages, assez proche des ethnies de Nouvelle Guinée.

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Le corollaire de cette diversité ethnique est la diversité linguistique. Une douzaine de langues sont parlées au Timor. Elles appartiennent à deux grands groupes. Le groupe malayo-polynésien, très vaste groupe linguistique qui va de Madagascar jusqu’aux îles du Pacifique et le groupe des langues papoues qui compte au Timor oriental six langues différentes parlées par 250 000 personnes.

 

L’histoire de ces quatre siècles et demi de colonisation portugaise est complexe. Si l’on veut retenir l’essentiel, on peut se limiter à trois points :

 

  • le premier est qu’à partir du 17 e siècle les Hollandais et les Portugais se sont disputés le Timor. Depuis le XVIIIe siècle jusqu’à 1949, la partie occidentale de l’île a été colonisée par les Hollandais Un accord en 1859 et une décision de la Cour de La Haye en 1914 ont entériné la partition entre une moitié ouest hollandaise et une moitié est portuga Comme les partitions sont rarement parfaites, au milieu du Timor occidental qui était néerlandais se trouve l’enclave d’Oecussi qui était portugaise. La moitié néerlandaise est devenue indépendante en 1949 en même temps que le reste de l’Indonésie. Le reste du Timor, y compris l’enclave d’Oecussi est resté une colonie portugaise jusqu’en 1975.J’ajoute que l’ensemble de l’île du Timor est en majorité catholique.
  • Le deuxième point est qu’au Timor oriental la présence portugaise ne mobilisait que peu d’effectifs. C’est en jouant les tribus les unes contre les autres, en ayant des alliances temporaires et variables avec l’une ou l’autre, que les Portugais, avec une garnison qui n’a jamais dépassé 800 hommes, ont réussi à se maintenir plus de quatre siècles. Lorsque les populations se rebellaient, la répression était dure. En administrant peu, le Portugal n’a pas fait grand chose au Timor. Peu de routes. Il n’y avait aucune route goudronnée en dehors de la capitale en 1975. Le Portugal avait construit quelques bâtiments publics et s’était contenté de tirer quelques maigres profits de la culture du café et de l’exploitation du bois de santal.
  • Le troisième point est que dans ce pays compartimenté et montagneux où les ethnies sont très différentes, parlent une douzaine de langues différentes et ne se comprennent pas entre elles, l’église catholique a été un puissant facteur de cohésion. Le Timor oriental est catholique à 85 %, le reste de la population étant animiste. L’affluence dans les églises est grande. Comme toujours et comme partout, l’Eglise a investi dans l’éducation. Les élites timoraises sont très largement composées d’anciens élèves des écoles catholiques. L’enseignement y est dispensé en portugais même si les offices, les sermons et la catéchèse sont faits dans une langue parlée à Dili, la capitale : le tetum.

Du fait de son éloignement, du fait aussi que les ressources limitées du Portugal étaient mobilisées par des parties de son immense empire colonial moins éloignées de Lisbonne, le Timor était une terre d’exil où, du temps de Salazar, on envoyait les fonctionnaires dont les opinions étaient jugées séditieuses. Nombre de ces fonctionnaires portugais se sont unis à des Timoraises et ont fait souche. La plupart des leaders actuels de Timor sont de sang mêlé. A la veille de la Deuxième Guerre Mondiale, le Timor oriental demeurait ce qu’il avait toujours été pendant quatre siècles : oublié du monde, assoupi dans son sous-développement et sa chaleur équatoriale.

La Deuxième Guerre Mondiale a sorti le Timor de sa torpeur. La moitié occidentale, colonie néerlandaise était de ce fait engagée dans la guerre. En revanche, le Timor oriental, colonie portugaise n’aurait pas du faire partie du conflit puisque, comme on le sait, le Portugal était resté neutre. Toutefois au moment de leur avancée maximale, les troupes japonaises envahirent l’ensemble du Timor le 20 février 1942, voulant s’en servir comme tête de pont pour attaquer l’Australie. Le Portugal, hors d’état de s’y opposer, accepta qu’un détachement australien vienne combattre les Japonais dans la jungle timoraise. Les Timorais apportèrent une aide non négligeable aux Australiens. Mais les Australiens, dépassés par les troupes japonaises, furent obligés de se retirer, en février 1943. Les Timorais et les Portugais stationnés au Timor payèrent au prix fort leur aide aux Australiens : entre 40 000 et 70 000 personnes moururent. Les Japonais restèrent au Timor jusque début septembre 1945, quelques jours après la capitulation du Japon.

Les Portugais reprirent alors leur place au Timor oriental, alors que les Néerlandais eurent plus de difficultés. Le mouvement de décolonisation dont les graines avaient été semées par les Japonais dans tous les pays qu’ils avaient occupés – y compris en Indochine – touchait les Indonésiens qui, après une guerre coloniale assez courte, obligèrent les Hollandais à leur donner l’indépendance. Rien de tel ne se produit au Timor oriental dont les habitants, à l’époque, ne désiraient pas l’indépendance. A la différence de ce qui s’est passé en Angola ou au Mozambique où il y a eu des guerres coloniales du temps de Salazar, il n’y a pas eu de lutte pour l’indépendance au Timor. L’indépendance n’était pas alors la préoccupation des Timorais. Ce n’est qu’en 1974, au moment de la Révolution des œillets, que le Portugal décida d’accorder l’indépendance à toutes ses colonies, y compris le Timor.

Cette indépendance fut très mal gérée par le Portugal et conduisit à une guerre civile. Trois partis se formèrent en 1974: l’UDT (l’union démocratique du Timor) qui était en faveur du maintien du lien entre le Timor et le Portugal avec pour objectif l’indépendance dans quelques années, le FRETILIN (Front de libération nationale) qui était marxiste et voulait l’indépendance immédiate et l’APODETI (l’association populaire démocratique du Timor) très minoritaire qui voulait le rattachement à l’Indonésie. La guerre civile se déclencha en août 1975. Mieux armé, mieux organisé, ayant réussi à mettre la main sur les armes de la garnison, le FRETILIN marxiste eut le dessus.

Le gouverneur portugais quitta Dili et se réfugia dans l’île d’Atauro à 15 kilomètres de Dili. Le pouvoir était vacant. Sans attendre qu’un processus de transition soit mis en place, le FRETILIN proclama l’indépendance du Timor oriental le 28 novembre 1975.

L’indépendance dura 9 jours. Pour mieux lutter contre le FRETILIN, les deux autres partis firent appel à l’Indonésie, mettant en avant le risque d’établissement d’un régime marxiste au Timor. Avec la neutralité bienveillante des Etats-Unis et de l’Australie, l’armée indonésienne entra au Timor. Elle ne devait en repartir que 24 ans plus tard. L’Indonésie annexa le Timor en juillet 1976 qui devint la 27e  province de son territoire. Cette annexion ne fut pas reconnue par l’ONU, pas plus que par aucun Etat de la communauté internationale. Seule l’Australie reconnut cette annexion, sans doute mue par un désir de se rapprocher de l’Indonésie qui est son voisin immédiat. Mais cette initiative lui fut longtemps reprochée. Diverses résolutions du conseil de sécurité demandèrent à l’Indonésie de mettre fin à cette occupation et restèrent sans effet.

Une chape de plomb s’abattit sur le Timor. Tous ceux qui avaient été en faveur de l’indépendance s’exilèrent soit vers l’Australie toute proche, soit vers le Portugal, soit pour ceux dont les sympathies étaient le plus à gauche, vers l’Angola ou le Mozambique. Rares furent ceux qui choisirent de poursuivre sur place, dans la jungle, la lutte armée contre l’envahisseur indonésien. Lutte d’ailleurs condamnée à l’échec, tant était flagrante la disproportion des forces et la violence de la répression indonésienne qui passait au napalm tous les villages qui avaient apporté une aide à l’armée de libération.

Le rapport de Human Rights Data chiffre à 102 000 le nombre de morts dus à la répression indonésienne durant les 24 années d’occupation. Imaginons cela. Sur une population qui comptait alors seulement 600 000 habitants, un sixième est mort. Le Timor a été bouclé comme une prison. Aucun journaliste, aucun étranger n’y était admis. On ne savait pas ce qui s’y passait.

Il est intéressant de noter que pendant l’occupation indonésienne, l’église catholique a été la seule institution à survivre. Elle a fortement contribué à donner au Timor son identité, développant une langue nationale, le tetum qui remplaça le portugais dans les offices. Elle a aussi participé à maintenir le Timor dans le champ de visibilité de la communauté internationale, la visite du Pape Jean-Paul II au Timor en 1989 y ayant contribué. Le résultat est qu’alors que l’église catholique regroupait le tiers seulement des Timorais sous la colonisation portugaise, 95 % des Timorais se déclaraient catholiques en 2000.

En 1992, après avoir passé 15 ans dans la jungle du Timor à la tête de la guérilla, Xanana Gusmao le leader du FALINTIL, l’armée de libération timoraise, fut capturé par les forces indonésiennes et condamné à l’emprisonnement à vie. Cette sentence fut, quelques mois plus tard, commuée en 20 ans de prison devant l’opprobre de la communauté internationale. L’action pour l’indépendance allait se déplacer surtout sur le terrain politique et diplomatique, avec à l’extérieur José Ramos Horta, journaliste

qui essayait de mobiliser les chancelleries en faveur du Timor et à l’intérieur Mgr Belo, évêque de Dili, dont la voix portait d’autant plus que, face aux occupants indonésiens musulmans, les Timorais avaient un regain de ferveur catholique, ce qui était une façon d’affirmer leur identité. Ramos Horta et Belo reçurent le prix Nobel de la paix en 1996 ce qui a contribué à ramener au premier plan de l’actualité, la situation du Timor auquel, mis à part le Portugal, peu de pays s’intéressaient.

En 1999, ce qui était attendu depuis longtemps mais paraissait toujours improbable, se produisit. Depuis 1998, l’Indonésie avait un nouveau président Youssouf Habibi qui avait succédé au dictateur Suharto. Las de soutenir à bout de bras le Timor où l’Indonésie avait beaucoup investi et en pure perte, le nouveau président indonésien décida d’accepter l’idée d’une consultation du peuple timorais sur un projet d’autonomie

élargie et d’admettre la possibilité de l’indépendance en cas de rejet de cette option. Le référendum était programmé pour le 30 août 1999. Auparavant, le conseil de sécurité envoya une mission destinée à faire le recensement de la population, dresser les listes électorales et, le jour du vote, vérifier la régularité des opérations.

Malgré des tentatives d’intimidation des milices pro-indonésiennes pour empêcher les électeurs de voter, le référendum s’est déroulé dans le calme et avec 78 % des suffrages exprimés, a donné un résultat  massif en faveur de l’indépendance.

Les choses se sont immédiatement gâtées. Lorsque les Indonésiens ont évacué le Timor oriental, dans les semaines qui ont suivi le référendum, les milices timoraises pro-indonésiennes ont avec l’appui, la logistique et la planification de l’armée indonésienne, détruit systématiquement le pays. Des massacres ont eu lieu. Environ 1600 Timorais pro-indépendance ont été tués dans des opérations qui ont quelque

analogie avec ce que la France a subi en 1944 à Oradour-sur-Glane. La volonté des Indonésiens a été de détruire tous les équipements qu’ils avaient construits durant les 25 années où ils avaient occupé le Timor : les postes, les centres de télécommunication, l’aéroport de Dili, les bâtiments publics, les hôtels. Presque tout a été incendié. Les maisons étaient détruites. Le Timor était en cendres.

Le 15 septembre 1999, émue par les massacres qui se multipliaient, l’ONU décida de créer une force multinationale à dominante australienne INTERFET pour intervenir au Timor et refouler milices et troupes indonésiennes vers le Timor occidental. La retraite des troupes indonésiennes se termina le 30 octobre. Elles laissaient derrière elles un pays totalement dévasté. Le conseil de sécurité de l’ONU créa le 25 octobre 1999, par la résolution 1272, l’administration temporaire des Nations unies au Timor oriental (UNTAET dans le sigle anglais et ATNUTO en français).

J’ai été un peu long dans cette description historique mais il était indispensable de vous rappeler le contexte dans lequel la mission des Nations unies a été créée.

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Cette mission avait plusieurs caractéristiques. J’en relève cinq principales.

  • un mandat d’une ampleur sans précédent
  • une tâche immense.
  • une multiplicité d’acteurs internationaux.
  • une Tour de Babe
  • une implication croissante mais difficile des Timora

    Un mandat d’une ampleur sans précédent.

La Résolution 1272 du Conseil de Sécurité du 25 octobre 1999 crée une Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental (ATNUTO), à laquelle est confiée la responsabilité générale de l’administration du Timor oriental et qui est habilitée à exercer l’ensemble des pouvoirs législatif et exécutif, y compris l’administration de la justice. Vous avez bien entendu : l’ensemble des pouvoirs exécutifs, législatifs et celui de l’organisation de la justice. Il n’est pas exagéré de dire

que le représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies au Timor oriental avait donc, au moins dans la phase initiale, des pouvoirs de nature despotique. Un despote éclairé en quelque sorte.

Et comme si cela n’était pas suffisant, le paragraphe suivant de la Résolution 1272 détaille les principales tâches de la mission :

  1. Assurer la sécurité et le maintien de l’ordre sur l’ensemble du territoire du Timor oriental ;
  2. Mettre en place une administration efficace
  3. Aider à créer des services civils et sociaux ;
  4. Assurer la coordination et l’acheminement de l’aide humanitaire, ainsi que de l’aide au relèvement et au développement ;
  5. Appuyer le renforcement des capacités en vue de l’autonomie ;
  6. Contribuer à créer les conditions d’un développement durable ;

Cette  énumération  n’était  pas  exhaustive.  La  Résolution  1272  ne  mentionnait  pas  des  tâches

pourtant essentielles comme la rédaction d’une constitution, la création d’institutions administratives et financières, d’une fonction publique, d’une banque centrale, d’une police, d’un système éducatif avec le recrutement d’un corps enseignant et la construction d’écoles, d’un service postal et de télécommunications etc. J’en oublie certainement.

Une tâche immense.

En effet et c’est là le deuxième point sur lequel il faut insister : la tâche était immense.

Quand je suis arrivé à Dili, la capitale du Timor début décembre 1999, la ville était déserte. Les Timorais avaient trouvé refuge dans les montagnes pour fuir les exactions des milices. D’autres, plus de 100 000, étaient partis avec les Indonésiens, certains parce qu’ils avaient

collaboré de près avec l’administration indonésienne. Mais la majorité de ceux qui étaient partis au Timor occidental, avaient été emmenés contraints et forcés dans les fourgons de l’armée indonésienne. Ils étaient parqués dans des camps de réfugiés au Timor occidental où ils vivaient dans le plus grand dénuement et étaient rackettés par les milices qui faisaient régner un ordre mafieux reposant en grande partie sur la terreur. La plus grande partie des réfugiés ayant été emmenés de force, souhaitaient rentrer chez eux au Timor oriental. Ils voyaient qu’au Timor occidental ils n’étaient ni attendus, ni accueillis et que leur avenir n’était pas dans la société indonésienne.

Au Timor oriental, tout était à faire. Trois choses étaient particulièrement urgentes : éviter la famine, redonner un abri aux populations et assurer la sécurité. Et sur le plan local, les ressources étaient inexistantes.

Le plus urgent était l’aspect humanitaire et en particulier d’éviter la famine. Durant la période allant de septembre à décembre 1999, le Programme Alimentaire Mondial, et les ONG comme CARE, Caritas et World Vision ont apporté de l’aide à 610 000 personnes déplacées. C’est à dire la quasi totalité de la population. Ces distributions étaient réparties en fonction des besoins, beaucoup plus pressants dans les districts qui avaient subi le plus de destructions et également dans l’enclave d’Oecussi, séparée du Timor oriental.

Prévenir la propagation des épidémies était une autre urgence. Avec la Croix Rouge Internationale et l’action d’ONG, on put parer au plus pressé et éviter des catastrophes sanitaires.

Tout aussi urgente était la nécessité de redonner un toit à ceux qui avaient tout perdu. Des milliers de toiles de bâche bleues aux couleurs de l’ONU furent distribuées pour protéger les familles des pluies torrentielles de la mousson. Et avec des parpaings et de la tôle ondulée, la reconstruction des maisons commença.

Assurer la sécurité dans un territoire menacé par l’anarchie et où la loi de la jungle risquait de prévaloir était une urgence absolue. On ne peut rien construire de solide quand la sécurité n’est pas établie. Dans l’immédiat les militaires maintenaient l’ordre. Les nombreuses patrouilles d’INTERFET avec des engins blindés dans la capitale Dili, les nombreux barrages instaurés sur les grands axes, qui donnaient à cette ville l’apparence de l’état de siège,  impressionnaient les populations et les rassuraient à la

fois. C’était non seulement un élément de dissuasion contre un éventuel retour des milices pro- indonésiennes mais aussi un élément de confiance pour les populations qui voyaient dans cette force armée l’instrument de leur libération. Mais il fallait très vite créer une police civile et une justice, les militaires ne pouvant ni faire des enquêtes policières, ni détenir des suspects dans la durée et encore moins prononcer des jugements.

Troisième caractéristique de la mission : L’action internationale reposait sur une multiplicité d’acteurs et tout d’abord sur UNTA

UNTAET était dirigée par le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU. Il était brésilien et s’appelait Sergio Vieira de Mello. Il avait fait toute sa carrière aux Nations Unies, avait été dans plusieurs missions de maintien de la paix, notamment celle du Cambodge. Fils d’un diplomate brésilien qui avait été en poste en Italie et en Espagne, il était un ancien élève du Lycée français de Rio de Janeiro. Il parlait à la perfection cinq  langues :  la sienne le portugais, celle des pays ou il avait vécu,

l’italien, l’espagnol, le français – il avait d’ailleurs une maîtrise en philosophie de la Sorbonne – et enfin l’anglais. Avec une aisance confondante, il passait de l’une à l’autre en fonction de ses interlocuteurs. Son énergie et ses qualités de diplomate étaient telles que beaucoup voyaient en lui

un futur secrétaire général de l’ONU. Le destin ne le lui a pas permis puisqu’il a été tué dans un attentat suicide qui a détruit le QG de la mission de l’ONU à Bagdad en août 2003.

UNTAET comprenait trois piliers. D’abord un pilier militaire.

Le conseil de sécurité avait, dans sa Résolution 1264 du 15 septembre 1999 créé une force militaire de maintien de la paix dénommée INTERFET (International Force for East Timor) qui a regroupé 11 500 militaires venant de 22 pays, dont 5 500 fournis par l’Australie. Le commandant d’INTERFET était le général de division Peter Cosgrove, qui est devenu, il y a quelques mois, gouverneur général de l’Australie. INTERFET a joué, dans les premier mois de la mission, un rôle décisif, puisqu’elle était la seule entité pouvant non seulement assurer la sécurité extérieure et intérieure du Timor, mais aussi disposer de moyens logistiques utiles sur le plan de la distribution de l’aide humanitaire.

En février 2000, INTERFET a été intégrée dans UNTAET devenant ainsi le pilier militaire de cette mission.

Le pilier de la gouvernance et administration publique était responsable de la création des structures du futur Etat.

C’est celui que je dirigeais. C’est le pilier qui était responsable de l’administration de la justice et du système pénitentiaire, de la création et de la gestion de la fonction publique, de la création et de la gestion des institutions économiques et financières dans le domaine de la monnaie, du crédit, des impôts, du budget, du paiement des dépenses publiques, de l’éducation nationale, de la santé, de l’agriculture, des transports, de l’administration territoriale, de la planification, de la rédaction du code pénal et de procédure pénale, de la préparation des lois, de la rédaction de la constitution. C’était de loin le plus complexe. Il comprenait 1640 policiers internationaux, 1600 personnels civils internationaux sous le statut des Nations Unies et plus tard, quand nous avons pu les recruter et les former, 1900 personnels civils timorais. Le pilier gouvernance et administration publique avait pour tâche essentielle de préparer le Timor a être indépendant et à s’administrer lui-même. Les chiffres

que je mentionne peuvent paraître élevés puisque en tout 6000 personnes relevaient du pilier que je dirigeais. Mais ce qu’il faut bien voir, c’est que les civils n’arrivent pas comme les militaires. Les militaires arrivent en unités constituées avec armes et bagages. Les civils arrivent individuellement, recrutés un par un par l’ONU à New York. Le service du personnel de l’ONU n’était pas préparé à un recrutement aussi massif, d’autant plus que l’ONU avait d’autres opérations en cours, en particulier celle du Kosovo. Cette arrivée au compte-gouttes nous a handicapés.

Enfin le pilier humanitaire.

La coordination de l’aide  humanitaire  était  la  première  urgence  de  la mission. Redonner un toit à ceux qui n’en avaient plus, apporter une aide alimentaire pour empêcher la famine qui allait s’installer, apporter une assistance sanitaire pour éviter les épidémies, étaient des missions essentielles.

Ce sont des tâches que l’ONU a l’habitude de faire dans la plupart des missions de maintien de la paix et pour lesquelles elle a une expertise indéniable. Après une année

d’activité qui a été considérée comme un succès, le pilier humanitaire a disparu, le Timor n’étant plus considéré comme se trouvant dans une situation d’urgence. Les ONG sur lesquelles l’ONU s’appuyait pour faire fonctionner des dispensaires et des hôpitaux et une présence médicale et sanitaire sur le territoire, sont encore restées quelque temps mais nombre d’entre elles sont reparties assez rapidement, étant appelées sur d’autres points du globe par d’autres urgences. Les attributions permanentes du pilier humanitaire, c’est à dire la santé, le logement et l’alimentation furent ensuite absorbées par le pilier gouvernance et administration publique.

Autour d’UNTAET gravitaient une multiplicité d’organisations internationales avec des agendas différents. Elles appartenaient à quatre cercles.

  1. Le premier cercle était celui des organisations des Nations Unies, c’est à dire le PNUD (programme des Nations unies pour le Développement), le PAM (Programme Alimentaire Mondial) l’UNICEF, l’OIM (organisation Internationale des migrations). Ces organisations, chacune dans leur domaine, apportaient une aide précieuse et n’avaient pas et n’essayaient pas de définir une politique autonome, différente de celle d’UNTAE

Il n’en était pas de même pour les trois autres cercles.

  1. Le deuxième cercle était formé par les organisations créée en 1944 par les accords de Bretton Woods : le Fonds Monétaire International et la Banque Mondia S’y ajoutait la Banque Asiatique de Développement créée en 1966. Elles avaient chacune leur hiérarchie, leurs circuits de décision, leurs priorités, leurs circuits de financement et ne se considéraient pas comme subordonnées à UNTAET. Il en résultait souvent une concurrence dommageable et, vis à vis des Timorais, une incohérence apparente qu’elles essayaient de mettre à profit en jouant l’un contre l’autre.

Deux exemples concrets : la Banque Mondiale essaya d’importer au Timor un programme qu’elle avait mis en œuvre en Indonésie qui s’appelait community empowerment program, qui consiste à essayer de fédérer des énergies dans des villages autour de réalisations menées par les villageois eux-mêmes, réalisations financées par la Banque Mondiale. Les décisions étaient prises par l’assemblée du village. Ce fut un échec. La Banque Mondiale n’avait pas réalisé que, dans ces villages traditionnels, les décisions sont prises par le chef du village et que la consultation des villageois ne se fait pas comme dans un conseil municipal occidental.

Deuxième exemple : celui de la monnaie. Au début de la mission, quatre monnaies circulaient au Timor : la roupie indonésienne, le dollar australien qui était la monnaie acceptée dans les magasins qui s’ouvraient et dont les propriétaires étaient australiens, l’escudo portugais car quelques anciens fonctionnaires timorais du temps de la colonisation portugaise recevaient encore une pension en escudos et enfin le dollar américain qui était la monnaie dans laquelle les personnels d’UNTAET étaient rémunérés. Le FMI a insisté pour que la monnaie du Timor soit le dollar américain alors que la valeur faciale de cette monnaie était beaucoup trop élevée pour la majorité des transactions au Timor.

 

  1. Troisième cercle international : les organisations gouvernementales des pays voulant aider le Timor, par exemple AUSAID l’agence australienne de développement, USAID l’agence américaine de développement, DFID (Department for International Development qui est l’agence britannique), JICA (l’agence japonaise de coopération). Elles étaient utiles et même indispensables mais bien entendu chaque agence avait sa propre politique, ses propres priorités. Je me contentais de les réunir de temps en temps pour leur donner un compte-rendu d’activité et leur exposer quels étaient nos be

 

  1.  Enfin le quatrième cercle était formé par les ONG. Elles étaient soucieuses de leur indépendance. Disons le tout de suite : sans ces ONG, ou du moins sans certaines d’entre elles, des secteurs entiers n’auraient pas été couve Leur action était absolument indispensable dans les domaines de la santé, de l’aide alimentaire, de la production agricole, de l’éducation. Mais essayer de les coordonner pour éviter les doublons ou pour tenter d’établir une carte d’implantation des dispensaires sur l’ensemble du territoire du Timor était un défi. Ayant leur propre financement, soucieuses de leur indépendance et jalouses de leurs prérogatives, elles étaient foncièrement individualistes et répugnaient à toute forme de coordination qu’elles voyaient comme une ingérence.
  1. Quatrième caractéristique de la mission : Une Tour de Babel

La mission qui avait une quatrième caractéristique propre à toutes les missions de maintien de la paix : C’était Une Tour de Babel.

Une mission de maintien de la paix comme celle du Timor oriental regroupait des acteurs appartenant à 56 nations. La diversité des nationalités fait que la mission est une Tour de Babel où la lingua franca est l’anglais. Sur le plan du travail, tout se passait en anglais parlé avec les accents les plus divers. Le nombre de langues parlées par les Timorais était un obstacle supplémentaire. Cette diversité de langues a été un handicap dans la communication avec les Timorais. Nous devions nous reposer sur des interprètes dont la bonne volonté n’arrivait pas toujours à pallier les défaillances linguistiques.

Le journal officiel du Timor, où se trouvaient consignées les décisions prises par le gouvernement, était publié en quatre langues : l’anglais, puisque c’était la langue de la mission et celle dans laquelle le texte avait été élaboré, le portugais puisque c’était la langue de la plupart des membres du conseil national de la résistance, l’indonésien puisque une partie des membres du conseil consultatif ne parlaient que cette langue qui avait été enseignée depuis 24 ans dans les écoles du Timor, et enfin la quatrième langue était le Tetum qui était, parmi les douze langues locales, celle qui était la plus répandue et celle qui avait été adoptée par l’église catholique en 1981.

Cette multiplicité de langues entrainait une multiplicité de références culturelles, administratives et juridiques. De même que les Timorais n’étaient pas d’accord entre eux sur ce que devait devenir le Timor, de même il n’y avait pas au sein d’UNTAET une vision commune des solutions à proposer. Pour les Américains, en vertu du principe que ce qui fonctionne aux Etats-Unis doit pouvoir fonctionner dans le reste du monde, il fallait établir un Etat fédéral. J’étais opposé à cette solution car je pensais que l’une des plaies du Timor était la division. Division entre villages qui passaient leur temps à se chamailler, voire à se faire la guerre, division dont avaient su tirer parti les Portugais pendant la colonisation. Division entre ethnies et entre langues ; Ce qu’il fallait au Timor était un Etat centralisé avec une représentation locale de l’Etat dans les districts.

De même pour la constitution. Les Américains prônaient un régime strictement présidentiel. Ce qui, dans un Etat en gestation où les traditions démocratiques sont faibles, est la porte ouverte aux coups d’Etat. Finalement les Timorais se sont prononcés sur une constitution analogue à celle du Portugal avec un président élu au suffrage universel pour cinq ans mais ayant peu de pouvoirs. Il choisit un premier ministre responsable devant le Parlement, premier ministre qui exerce l’essentiel des pouvoirs. Comme au Portugal, le Timor a une assemblée unique.

Le fait que nous venions de pays aux systèmes juridiques différents, empêchait la mission d’avoir une vision commune sur le système de droit à établir.

Devant le vide juridique créé par le départ des Indonésiens et en l’absence de tout code immédiatement disponible, l’une des premières décisions de l’ATNUTO a été de déclarer que la loi indonésienne restait valable tant que cette loi était conforme aux normes internationales. Ce fut un tollé chez les Timorais. « Vous nous libérez de notre occupant et vous nous maintenez la loi de l’occupant ! Quel scandale ! » Nous n’avions pas le choix : la mission n’arrivait pas avec dans ses bagages un kit juridique, prêt à être utilisé et admis par tous. Le nouveau code pénal et de procédure pénale mit un certain temps à être rédigé. Et en attendant, nous avons mis plusieurs mois à obtenir une traduction en anglais du code indonésien.

Cela a eu pour conséquence la difficulté d’établir un système judiciaire.

Il fallait bien sûr établir un système judiciaire mais une question lancinante se posait : Par qui rendre la justice ? Avec un bel enthousiasme et quelques jours avant que je n’arrive, dans les premiers jours de son existence, UNTAET décida que la justice au Timor devait être rendue par des magistrats timorais. L’idée était belle et semblait tomber sous le sens. Mais le problème était qu’il n’y avait pas de magistrats timorais. Qu’à cela ne tienne.

On sélectionna les quelques rares Timorais qui avaient étudié le droit dans des universités indonésiennes, mais dont aucun n’avait de diplôme ou n’avait vu de près ou de loin un tribunal. On leur donna une formation éclair à Darwin en Australie. On les fit venir au Timor. On leur donna une toge noire. On leur fit prêter serment de se montrer impartiaux dans leurs décisions qui devaient être prises en toute indépendance. Et rien ne se passa. Ayant des difficultés matérielles de locaux, mais ayant surtout une connaissance insuffisante du droit applicable, les magistrats timorais n’avaient rendu aucune décision au bout de six mois. Nous ne pouvions pas, pour des délits, voire des crimes, garder les gens en prison indéfiniment sans jugement. Il fallut faire venir d’urgence des magistrats

internationaux pour aider les magistrats timorais et même les suppléer. Ce cas de figure où la justice nationale est rendue conjointement par des magistrats locaux et internationaux existe d’ailleurs dans d’autres pays : le Sierra Leone, le Cambodge et le Kosovo. Mais dans aucun de ces pays, ce système fonctionne parfaitement.

Un autre problème politico juridique se posait à la mission. Un grand nombre de crimes de guerre avaient été commis par les milices pro indonésiennes dans la période située entre le référendum qui avait eu lieu le 30 août et l’évacuation complète du Timor par les troupes indonésiennes qui s’était terminée le 30 octobre. Il n’entrait pas dans le mandat d’UNTAET de traduire les criminels en justice, cela d’autant moins qu’ils se trouvaient tous en Indonésie. Deux options étaient possibles : soit créer une cour spéciale de justice internationale comme on l’avait fait pour le Ruanda ou pour l’ex Yougoslavie, soit laisser l’Indonésie juger ces crimes. Les personnels de l’ONU et les ONG des droits de l’homme, comme Amnesty International ou Human Rights Watch étaient en faveur de la première option. L’Indonésie, pour des raisons évidentes, préférait la deuxième option, celle où les tribunaux indonésiens jugeraient les criminels de guerre. Les Timorais avaient des vues divergentes. L’évêque de Dili, Mgr Belo pensait qu’avant la réconciliation, il fallait que la justice passe et que cette justice devait être internationale. Pour Xanana Gusmao, il fallait au contraire préserver l’avenir. Que pesait le Timor avec son million d’habitants face à l’Indonésie qui en avait plus de 200 millions ? Par la force des choses, le Timor devait s’entendre avec son puissant voisin. Finalement l’ONU confia à l’Indonésie le soin de juger les criminels de guerre. Des procès eurent effectivement lieu. Mais le résultat a été celui auquel on pouvait s’attendre. Ce fut davantage une opération de blanchiment que l’expression de la justice. Les leaders des milices tout comme les généraux de l’armée indonésienne furent innocentés au grand dam de tous les défenseurs des droits de l’homme.

  1. Cinquième caractéristique de la mission : une participation croissante mais difficile des Timor

Il n’était pas question que l’ONU devienne le troisième colonisateur du Timor après le Portugal et

l’Indonésie. Il était donc indispensable d’associer les Timorais à la définition de ce qu’ils voulaient que leur pays devienne. Ils devaient se reconnaître dans cette construction qui autrement n’aurait pas été viable.

Les Timorais qui avaient émigré, avaient vécu soit en Australie, soit au Mozambique, soit en Angola. Ils étaient séparés par de profondes divergences politiques, ceux qui s’étaient exilés au Mozambique ou en Angola étant beaucoup plus à gauche, voire marxistes, que ceux qui avaient vécu en Australie. Ils n’avaient en commun que leur passeport portugais, puisque le Portugal avait donné à tous les émigrés, un passeport pour qu’ils ne soient pas apatrides. Ils avaient aussi une foi commune dans l’indépendance du Timor et la volonté de rejeter tout ce qu’en un quart de siècle, l’Indonésie avait pu apporter à ce territoire. Aucun leader timorais revenu d’exil ne parlait la langue indonésienne, sauf Xanana Gusmao qui l’avait apprise dans les prisons de Djakarta où il avait passé 7 ans. Tous, sauf Gusmao, étaient déphasés par rapport à ce qu’était devenu le peuple timorais pendant leurs 25 années d’absence. Certains, qui parlaient parfaitement le portugais, ne parlaient pas le Tetum, la langue véhiculaire de leur pays. Ils avaient besoin d’un interprète dès qu’ils s’adressaient à leurs concitoyens.

La volonté non seulement d’associer les Timorais à la prise de décisions mais aussi de leur transférer rapidement cette prise de décisions, a été constante. Elle s’est manifestée par la création très rapide d’une instance consultative (mais en fait décisionnelle) regroupant les différentes composantes des forces politiques timoraises : le conseil consultatif national devenu en juillet 2000, le conseil national, embryon et préfiguration de l’assemblée nationale élue. Le conseil consultatif national se réunissait une fois par semaine ou plus si nécessaire. Toutes les décisions d’UNTAET lui étaient soumises et en particulier tous les projets de « régulations » c’est-à-dire de décrets.

La manière selon laquelle Sergio Vieira de Mello menait les débats était particulièrement consensuelle puisque il s’efforçait d’obtenir l’accord de tous les représentants timorais au sein de ce conseil. Grâce à des trésors de diplomatie, il parvenait à obtenir cet accord unanime qui était loin d’être acquis car fréquemment les Timorais divergeaient entre eux. Des heures et des heures de discussion étaient souvent nécessaires. Même si Sergio Vieira de Mello avait reçu du conseil de sécurité les pouvoirs d’un despote éclairé, la pratique quotidienne, fondée sur le consensus des représentants timorais, était loin d’être celle de Catherine II ou de Joseph II. Et lorsque Sergio Vieira de Mello était à l’étranger, participant à des réunions à New York ou à Genève, je présidais le conseil consultatif, devenu plus tard le conseil des ministres et je procédais de la même manière.

Cette volonté d’associer les Timorais à tous les stades non seulement de la décision mais aussi de la mise en œuvre de cette décision, s’est prolongée lorsque le premier gouvernement a été formé. C’est en effet une étape très importante dans la « timorisation » qui a été franchie en juillet 2000 quand le pilier gouvernance et administration publique a été dissous et transformé en administration provisoire du Timor Oriental (East Timor Transitional Administration : ETTA). Un gouvernement a été formé qui était présidé par le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU mais où les Timorais étaient majoritaires. Sur les 12 portefeuilles, UNTAET détenait 4 portefeuilles : la police et la sécurité civile, la justice, les finances et enfin les affaires politiques constitutionnelles et électorales J’avais le portefeuille de la police et de la sécurité civile en plus de mes fonctions de représentant spécial adjoint. Les autres portefeuilles étaient détenus par les Timorais: affaires intérieures, infrastructure et transports, affaires économiques et affaires sociales (ce dernier portefeuille comprenant aussi l’éducation). Toutefois cette volonté d’associer les Timorais aux décisions et de leur transférer progressivement les commandes, s’est heurtée à trois obstacles.

Le premier obstacle a été l’absence de compétences professionnelles des Timorais. L’Indonésie avait traité le Timor comme une colonie. Les fonctionnaires étaient venus de Java avec l’armée indonésienne. Corneille aurait dit : « Le flux les apporta, le reflux les remporte. » Les fonctionnaires indonésiens étaient repartis en septembre 1999, sans que, en ses 25 ans d’occupation, l’Indonésie ait formé des compétences locales. Dans tous les domaines, avant de recruter des fonctionnaires timorais, il a fallu organiser des formations.

Le niveau de départ étant très bas, les formations étant ralenties ou handicapées par des problèmes de traduction, la mise à niveau des fonctionnaires prenait du temps. Il était irréaliste de s’imaginer que, dans un laps de temps très court, il était possible de donner aux Timorais des compétences professionnelles qui ne peuvent être acquises qu’après plusieurs années d’apprentissage dans le reste du monde. Le Timor oriental était voué à utiliser pendant de longues années les services d’experts étrangers.

Le second obstacle était l’impatience.

Nombre de leaders timorais, impatients de gérer par eux-mêmes leur pays et sous estimant les difficultés, demandaient à UNTAET de faire des miracles. Dans leur impatience, les leaders timorais reflétaient ce que pensait la population. Elle voulait voir son niveau de vie s’améliorer immédiatement. Elle voulait que l’administration timoraise naissante embauche des effectifs nombreux.

Elle trouvait que les salaires étaient insuffisants. Dans cette période où tout se mettait en place mais où peu d’effets tangibles et visibles étaient perceptibles, dans cette période où une urgence chassait l’autre, la gestion du Timor n’était pas un long fleuve tranquille.

Des manifestations avaient lieu devant le bâtiment du gouvernement et il fallait parfois parler aux manifestants pour contenir leur impatience qui se serait autrement transformée en émeute avec l’incendie du bâtiment gouvernemental.

Le troisième obstacle  était dans le recrutement de la mission internationale elle-même.

Il faut dissiper deux illusions. La première est que la composition d’une mission de maintien de la paix s’apparente à celle d’une équipe olympique. Dans une équipe olympique, après une sélection sévère, on envoie les meilleurs. Rien de tel pour une mission de maintien de la paix. On a une coupe transversale de l’administration et des compétences techniques des Etats-membres. Il y a de très bons éléments, compétents et actifs. Il y en a de moins bons. Et il y en a aussi de très mauvais. Ce serait d’ailleurs une erreur de croire que les bons sont le monopole des pays développés. Bons et moins bons se trouvent dans tous les Etats-membres.

Ce serait également une erreur de croire que dans des domaines aussi divers et complexes que les compétences civiles d’une mission, l’ONU dispose d’une task force prête à intervenir. Les contraintes, qui s’imposent aux Nations Unies, sont très fortes dans le domaine du recrutement du personnel, notamment en matière d’équilibre entre les Etats-membres et d’équilibre entre hommes et femmes. Tout est centralisé à New York et l’évaluation des capacités professionnelles des candidats y est faite de manière très insuffisante.

Dans UNTAET, qui était une mission de création de structures politiques et administratives, j’étais le seul dont le métier était d’être administrateur. C’est d’ailleurs pour cela que Vieira de Mello avait demandé à l’ONU de solliciter le gouvernement français pour que le numéro deux de la mission, celui qui aurait la tâche d’installer et de faire tourner la machinerie de l’Etat et de l’administration, soit un préfet français, en raison de la variété des compétences exercées par un préfet dans le système administratif français. Mes collaborateurs n’avaient jamais travaillé dans une administration. Ils découvraient sur le terrain et dans des conditions difficiles, la réalité administrative.

Mes collaborateurs sont arrivés moins rapidement que moi. L’ONU ne dispose pas d’un fichier de compétences auquel il est possible de faire appel rapidement pour un déploiement sur le terrain en l’espace de quelques semaines. Dans tous les domaines, les effectifs sont arrivés petit à petit et ont mis 6 mois pour être au complet. Le temps de rodage de la mission a été long. Il a été d’autant plus long qu’au quotidien, la mission vivait dans des conditions difficiles.

Les conditions matérielles de la mission étaient difficiles.

C’est dans des bâtiments pillés et saccagés quand ils n’avaient pas été incendiés que s’est installé UNTAET. Les Nations unies firent venir rapidement des bâtiments préfabriqués, que l’on appelait Kobé houses car elles avaient servi après le tremblement de terre de Kobé. Des générateurs furent installés permettant d’avoir de l’électricité.

Après un mois et demi de campement provisoire où 30 % de la mission attrapa la malaria, un bateau hôtel arriva dans le port de Dili et permit de loger une bonne partie des personnels internationaux, le reste trouvant à se loger en ville dans des maisons qui commençaient à être réparées.

Les conditions dans les districts étaient tout aussi dures. Ni eau potable, ni même eau courante, pas d’électricité, des télécommunications inexistantes, des ravitaillements deux fois par semaine par hélicoptère, les routes étant impraticables. De l’avis de vétérans des missions des Nations Unies qui avaient vécu l’Angola, la Namibie, le Cambodge, le Guatemala, les conditions de vie et de travail au sein d’UNTAET étaient, au début de la mission, les plus difficiles qu’ils aient connues.

Outre ces problèmes matériels UNTAET a rencontré de nombreuses difficultés dans la construction du nouvel Etat.

Il fallait donner au Timor oriental les moyens d’assurer par lui-même sa sécurité puisque l’intervention de la police internationale ne pouvait pas s’éterniser. Un moyen essentiel consista à créer une police locale, formée par la police internationale et à laquelle progressivement toutes les compétences d’ordre et de sécurité publiques seraient transférées. L’un des obstacles était sans doute

la perception que les fonctionnaires de l’ONU avaient de ce que nous devions créer. Traditionnellement une mission de maintien de la paix intervient avec un objectif humanitaire et la volonté de faire respecter les droits de l’homme dans un pays qui est en train de sombrer dans l’anarchie et la tyrannie. C’était bien entendu aussi les objectifs majeurs d’UNTAET. Mais, à la différence des missions de maintien de la paix qui ont précédé et de celles qui ont suivi (mis à part le Kosovo), il s’agissait aussi de créer un Etat. Or une définition de l’Etat donnée par le Professeur Vedel dans son cours à Sciences Po est que l’Etat a le monopole de la contrainte organisée. La police, la justice, l’administration pénitentiaire faisaient partie des institutions que nous devions mettre sur pied. Ensuite l’armée s’y est ajoutée dans des conditions que je vais décrire. Or police, administration pénitentiaire et armée ne faisaient pas du tout partie du patrimoine génétique des fonctionnaires internationaux de l’ONU. Pour nombre d’entre eux ces institutions étaient synonymes d’oppression. Ils avaient du mal à accepter que la défense des libertés et des droits de l’homme passait aussi par la création d’une police compétente, responsable et soucieuse de respecter des pratiques démocratiques et que, dans cette optique, la police ne devait pas être considérée systématiquement comme l’ennemie des libertés publiques mais au contraire comme une institution participant à la défense des droits de l’homme.

Le recrutement et la formation des policiers timorais furent faits de façon intensive car UNTAET souhaitait transférer cette compétence rapidement aux Timorais pour ne pas apparaitre comme la nième incarnation d’un pouvoir colonial. Nous pensions que seule une police locale, parlant la ou les langues locales et ayant la confiance de la population  peut  être  efficace. A partir  de  rien,  nous  avons  recruté  des  policiers

timorais, construit une école de police où ils ont été admis en internat et ont reçu une formation de six semaines, formation qui s’est allongée par la suite. Mais il est évident que ce n’est pas en six semaines que l’on forme un policier. Les policiers timorais travaillaient en binôme avec les policiers internationaux, dans l’esprit d’une police de proximité. Ensuite les policiers internationaux se sont progressivement effacés. Cependant quelques années plus tard, en 2006, lorsque la police timoraise a dû faire face à des problèmes importants d’ordre public, elle n’a pas été à la hauteur des défis. C’est donc la police internationale qu’il fallut rappeler.

La sécurité intérieure devait être assurée mais aussi la sécurité extérieure. A l’origine de la mission, il n’était pas envisagé de doter le Timor oriental d’une armée. On imaginait que le Timor oriental pourrait être à l’image du Costa Rica qui, comme chacun sait, est un Etat sans armée. La multiplication d’escarmouches avec la frontière du Timor occidental, les incursions dans le Timor oriental de milices pro-indonésiennes venues de l’autre côté de la frontière, semer la terreur obligeaient la communauté internationale à maintenir une présence militaire étoffée, c’est à dire coûteuse. De plus on n’avait pas réussi à trouver une nouvelle mission à l’armée de libération timoraise qui était parquée oisive et démoralisée, dans des cantonnements sordides dans les montagnes au sud de Dili.

La création d’une petite armée timoraise allait permettre de faire d’une pierre deux coups, c’est à dire d’une part d’éviter de mobiliser en permanence des forces internationales pour garder la frontière et d’autre part de donner une mission aux anciens guérilleros inactifs et sans perspectives d’avenir. Une étude faite par le King’s College de Londres à la demande d’UNTAET a établi des propositions d’une infanterie légère de 1600 hommes. A l’automne 2000, j’ai été chargé de la mise en œuvre de ce programme. Il fallut donc créer de toutes pièces une armée, sélectionner ceux qui en seraient membres, construire des casernes, donner à cette armée un cadre législatif et règlementaire, lui acheter des armes ce qui ne fut pas simple. Acheter des armes ! Imaginez cela : une mission de maintien de la paix qui achète des armes ! C’était une grande première dans l’histoire de l’ONU. C’était, je l’avoue, une tâche tout aussi nouvelle pour moi. J’ai réuni les représentations diplomatiques au Timor mais, pour des raisons multiples, aucun Etat ne voulait donner ou même vendre des armes au Timor. Finalement ce sont les Australiens qui ont accepté de mettre à notre disposition 600 fusils automatiques américains. Mais pour cela, il fallut l’aval du Congrès de Etats- Unis, car lorsque les Australiens avaient acheté ces armes, une clause du contrat – que l’on appelle en termes techniques un caveat – indiquait qu’elles ne pouvaient être cédées à personne, sauf approbation du Congrès.

Au moment de mon départ du Timor, fin juin 2001, l’armée existait. Une moitié des anciens guérilleros avait pu être intégrée, l’autre moitié bénéficiait de programmes de réinsertion dans la vie civile, programmes menés par l’OIM.

La volonté de l’ONU était d’aller le plus rapidement possible à l’indépendance. Tout l’y poussait : l’impatience des Timorais d’être enfin maîtres chez eux, le sentiment de nombreux pays que l’on appelle en anglais « donor fatigue », autrement dit la lassitude des pays bailleurs, qui se disaient qu’on avait déjà donné beaucoup pour un pays de 800 000 habitants (c’était le chiffre de la population de l’époque) et que d’autres urgences mobilisaient la communauté internationale.

Une assemblée constituante a été élue le 30 août 2001. Ses 88 membres avaient comme mission de définir la future constitution, sur des projets qui lui étaient soumis par UNTAET. En février 2002, le document était approuvé. La constitution prévoit un régime parlementaire avec une seule assemblée élue pour 5 ans, un président de la République élu lui aussi pour 5 ans, qui nomme le premier ministre et peut dissoudre

le parlement, promulgue les lois mais a, pour le reste, surtout des fonctions honorifiques et de représentation. Le premier ministre est responsable devant l’assemblée. Cette constitution instaure le portugais et le tetum comme langues officielles. Le président de la République est élu le 14 avril 2002. 82 % des suffrages sont allés à Xanana Gusmao. Après l’élection présidentielle, il n’y avait pas lieu d’élire l’Assemblée, l’assemblée constituante se transformant en assemblée législative et devenant  de  plein  droit  le  parlement  du  Timor  oriental.  Le  20  mai  2002  le  Timor  devenait

indépendant et le 191e Etat membre de l’ONU sous le nom de République démocratique du Timor Leste, avec son drapeau qui reprenait les couleurs du FRETILIN et était une référence au combat pour l’unité nationale. Le triangle noir représente le sombre passé qu’il faut surmonter, le jaune rappelle les traces du colonialisme et le rouge symbolise la lutte pour la libération nationale. L’étoile est « la lumière qui nous guide », et sa couleur blanche est symbole de paix.

Au moment de l’indépendance, l’ONU pouvait se retourner avec une certaine satisfaction sur le travail accompli. En l’espace de 28 mois, le Timor oriental dévasté, était largement reconstruit. Il avait sa sécurité intérieure et extérieure assurée. Il avait connu la mise sur pied d’une administration centrale et territoriale, d’un système judiciaire,   d’une   police,   d’une   organisation   pénitentiaire,   d’une   armée,   d’une

constitution, de codes de lois et de régulations, d’un système bancaire coordonné par une banque centrale, d’une éducation nationale, d’une organisation fiscale, d’une organisation du développement agricole. Des accords pétroliers avec l’Australie avaient été négociés, assurant au Timor des ressources amples et pérennes. Tout cela était désormais géré par les Timorais qui étaient devenus maîtres chez eux, pour la première fois dans leur histoire.

Vraiment l’ONU avait des raisons d’être satisfaite de cette réussite qui était saluée par l’ensemble de la communauté internationale. Mais elle pouvait aussi se demander si son retrait n’était pas prématuré et si ce qui avait été amorcé et ce qui avait été réalisé, allait durer. Avions-nous construit un village Potemkine qui allait se démanteler après les cérémonies de l’indépendance ?

Trois questions majeures se posaient alors : Le nouveau gouvernement aurait-il la capacité de prendre le relais ? Le Timor oriental bénéficierait-il d’une stabilité politique ? Ferait-il un bon usage des ressources publiques ?

Sur la capacité de prendre le relais.

La question n’était pas tellement celle des qualités des membres du gouvernement que

celles des ressources humaines de l’administration chargée de mettre en œuvre les décisions du gouvernement. Ce n’est pas en 27 mois que l’on crée ex nihilo une administration à partir d’un pays dont la majorité des habitants sont analphabètes. Le problème des langues était un handicap majeur. Dans ce pays où, après 25 ans d’occupation,   une   partie   importante   de   la   population   comprenait   la   langue

indonésienne, le Timor avait décidé pour des raisons purement politiques, que la langue officielle serait le portugais. Mais, mis à part les acteurs du combat pour la libération nationale et les exilés, il n’y avait pas plus de 5 % de la population qui comprenait encore le portugais. La décision de faire du portugais la langue d’enseignement dans les écoles était inapplicable dans l’immédiat car il n’y avait pas d’enseignants connaissant cette langue. Heureux de pouvoir ancrer la lusophonie dans le sud est asiatique, le Portugal fit un effort immense et envoya plusieurs dizaines d’enseignants portugais aider le Timor à relever ce défi. Cela n’était pas suffisant. Et donc l’enseignement a continué d’être très largement donné en langue indonésienne. Comme on ne pouvait pas, pour des raisons politiques, faire venir des manuels scolaires d’Indonésie, on les fit venir de Malaisie dont la langue est quasiment la même que l’indonésien. Le pari n’est toujours pas gagné puisque, douze ans après l’indépendance, l’alphabétisation n’a pas progressé et le portugais n’est compris que d’une minorité.

On constate également que, pour des raisons diverses, beaucoup d’enfants quittent l’école après un début de scolarisation. La scolarisation n’est pas facile : 41 % de la population a moins de 14 ans. Et 70 % de la population vit en zone rurale ce qui complique la tâche, du fait de la dispersion des populations et de la très mauvaise qualité des routes ou souvent même de leur absence.

Le Timor oriental reste un Etat fragile politiquement.

Xanana Gusmao, héros de la résistance timoraise, adulé par la population, était à l’époque pour le Timor ce que Nelson Mandela était à l’Afrique du sud. Avec l’indépendance, l’ONU avait mis fin à UNTAET et l’avait remplacé par UNMISET (United Nations Mission of Support of East Timor) qui regroupait essentiellement un contingent de militaires (5000 militaires qui restèrent jusqu’en 2004) et 1200 policiers internationaux et 300 conseillers administratifs. L’évolution étant jugée favorable, les effectifs d’UNMISET furent progressivement réduits, avec pour objectif de passer le relais aux Timorais en mai 2005. En mai 2005 la transition se fit d’UNMISET à UNOTIL (United Nations Office for Timor Leste), un simple bureau de liaison politique qui n’avait sous ses ordres aucune force militaire ou policière.

 

Quelques mois plus tard, en janvier 2006, un groupe de 150 militaires de la nouvelle armée du Timor adressait au président Xanana Gusmao une lettre se plaignant des discriminations dont, à leurs yeux, les membres de la force de défense originaires de l’ouest du pays souffraient de la part des officiers originaires de l’est. La réponse du premier ministre Mari Alkatiri, fut de licencier les militaires qui s’étaient mis en grève. Un tiers de l’armée fut licencié, ce qui n’améliora pas les choses. La querelle fut attisée par une opposition entre le premier ministre Mari Alkatiri aux tendances autoritaires et chef du parti FRETILIN et le président Xanana Gusmao plus ouvert et ayant une approche moins sectaire.

 

Des troubles éclatèrent au sein de l’armée à Dili, la capitale. Une guerre civile commença. Une quarantaine de personnes furent tuées et des centaines d’habitations furent brûlées. Prenant peur, 100 000 personnes se réfugièrent dans les montagnes.

Et pendant des mois, plus de 100 000 personnes subirent la mousson dans des camps de réfugiés sous la protection précaire de toiles de bâche du Haut commissariat aux réfugiés. On était presque revenu à la case départ.

 

Le Timor était ressaisi par ses vieux démons de désunion et de guerres ethniques et fratricides. Et là il n’y avait pas de colonisateur ou d’occupant sur qui rejeter le blâme. L’ONU envoya 5000 soldats australiens, néo zélandais et malaisiens pour restaurer un ordre et une sécurité que les Timorais étaient incapables d’assurer. Visiblement l’ONU avait quitté le Timor trop tôt. Les hommes politiques timorais durent en convenir et, à la demande du Timor, une nouvelle mission de l’ONU fut installée par la Résolution du Conseil de Sécurité 1704 du 25 août 2006. L’UNMIT (United Nations Integrated Mission in Timor Leste-MINUT en français) avait une composante de police internationale forte de 1600 policiers et une trentaine d’observateurs militaires.

 

Le 11 Février 2008, nouvelle alerte. Un groupe de soldats félons tenta d’assassiner le président, José Ramos-Horta, et le premier ministre, Xanana Gusmão. Durant ces attaques Ramos Horta a été très grièvement blessé et le meneur de cette attaque a été tué. La vie du Président Ramos Horta a été sauvée grâce à une intervention médicale et un transport rapide en Australie.

 

La situation politique s’est depuis stabilisée. La nouvelle élection présidentielle du Timor s’est déroulée en 2012 sans incident .A été élu président Taur Matan Ruak- qui veut dire en langue tetum deux yeux perçants, ce qui est le nom de guerre de José Maria de Vasconcelos. Il a passé de longues années dans la jungle avec Xanana Gusmao, dont il était l’adjoint, et lui a succédé comme chef de l’armée de libération. Il est aussi l’ancien ministre de la défense du Timor indépendant. A la dernière élection

présidentielle, il a battu le président sortant, le Prix Nobel José Ramos Horta. Xanana Gusmao est resté premier ministre.

 

Le mandat de la MINUT a pris fin le 31 décembre 2012. La situation politique reste cependant fragile car on ne voit pas se profiler de renouvellement du personnel politique. Ce sont les mêmes hommes que j’ai connus en 1999, ceux qui, depuis 1975, ont mené le combat pour l’indépendance, qui détiennent toujours le pouvoir. Pour l’instant, ils n’ont pas transmis les leviers de commande à une autre génération. Le premier ministre Xanana Gusmao a 68 ans. A plusieurs reprises ces dernières années, il avait annoncé son intention de se retirer. Il a remis sa lettre de démission, le 6 février au président de la République. Quel que soit son successeur il n’aura pas la stature historique de Gusmao. Les dissensions risquent de reprendre. Donc il y a là une instabilité et une fragilité du Timor dans ce pays où les deux tiers de la population ont moins de trente ans.

 

Enfin la troisième question qui se posait au moment de l’indépendance et qui se pose toujours est le risque de faire un mauvais usage des ressources publiques. Le Timor oriental reste un pays fragile économiquement et très dépendant des ressources gazières et pétrolières. Ce pays très pauvre bénéficie, pour un temps limité, de la manne des gisements pétroliers, exploités sur le plateau continental à mi chemin entre l’Australie et le Timor, qu’on appelle Timor Gap.

90 pour cent des revenus du Timor sont issus du pétrole et du gaz et sont de l’ordre de 2 milliards de dollars par an. A quoi sert cet argent ?

 

L’idée de départ était de ne pas utiliser ces royalties dans l’immédiat et de constituer un fonds de réserve devant servir à l’investissement pour les générations futures. Ce fonds qui s’appelle the East Timor Petroleum Fund, compte 16 milliards de dollars en novembre 2014. Cependant la tendance du gouvernement est de piocher dans ce fonds pour financer des dépenses sociales pour améliorer la vie quotidienne des Timorais, ce qui se comprend vu l’extrême pauvreté des Timorais.

 

Selon la Banque asiatique de développement, le gouvernement finance trois programmes de transferts de fonds : l’un pour les vétérans, un autre pour les personnes handicapées et les aînés et le troisième pour les mères monoparentales qui envoient leurs enfants à l’école. Ces programmes bénéficient, dans l’ensemble, à plus de 100 000 personnes. Les écarts entre les sommes versées aux trois groupes sont cependant énormes : « Les transferts d’espèces avec conditions assorties sont limités à 240 dollars par année, les pensions pour les personnes âgées s’élèvent à 360 dollars par année et les vétérans touchent entre 2 760 et 9 000 dollars par année. »

 

« Les pensions versées aux vétérans en 2011 comptaient pour la moitié du budget total  des transferts alors qu’elles ne concernaient qu’un pour cent de la population du Timor-Leste », indique la Banque mondiale qui ajoute « Les bénéficiaires de ces allocations importantes ne sont pas suffisamment nombreux pour qu’il y ait un impact notable sur le taux de pauvreté dans le pays. » Mais c’est également un moyen pour le gouvernement d’acheter une paix sociale, les anciens guérilleros pouvant être remuants s’ils ont des motifs d’insatisfaction.

 

L’agriculture représente moins du quart du PIB non-pétrolier en 2012 mais fournit les trois quarts des emplois. Elle est aussi le seul moyen de subsistance pour un tiers des ménages. Elle a une productivité très inférieure au reste de l’Asie du sud-est. Les cultures sont principalement vivrières (riz, maïs, manioc). L’autosuffisance alimentaire ne soit pas atteinte. La population du Timor Oriental est l’une des plus

pauvres de l’Asie et cette pauvreté s’est accrue passant de 40 % de la population en 2001 à 50 % en 2007. Après le Burundi et l’Erythrée, le Timor est le pays où la population est la plus sous alimentée, la situation s’étant dégradée fortement entre 2005 et 2014 selon le Global Hunger Index publié par l’International Food Policy Institute.

 

L’explosion démographique aggrave les problèmes économiques. Le taux de fécondité est l’un des plus élevés de la planète avec une moyenne de 6,4 enfants par femme en 2009, un taux de natalité de 35 pour mille, c’est à dire le triple de la France. Même si ce taux est en baisse, de même que le taux de mortalité infantile, la

population du Timor qui était de 800 000 habitants en 1999 est passée à 1,2 million en 2014.

 

J’ajoute que l’investissement étranger privé ne se développe pas pour deux raisons essentielles : d’une part le Timor ne dispose toujours pas d’une loi fixant le régime de la propriété et le système de gestion des terres. L’absence de cadastre rend totalement opaque le droit de la propriété qui relève de trois régimes juridiques qui se superposent et se contredisent. Il existe au départ un droit coutumier lié à la tradition animiste qui organise une utilisation collective des terres. S’y superpose le droit portugais qui régit les domaines qui se sont constitués durant la colonisation. S’y ajoute le droit indonésien qui s’est appliqué quand les propriétés portugaises ont été confisquées par l’occupant indonésien et données par l’Etat à des militaires ou des fonctionnaires qui les ont ensuite revendues. Et enfin, pour compliquer le tout, il existe des dizaines de milliers d’occupants sans titre qui se sont installés là où ils le pouvaient, après avoir perdu leurs biens incendiés ou détruits en 1999 ou en 2006 et squattent des propriétés. De nombreuses propriétés sont toujours occupées illégalement.

UNTAET avait reculé, ne pouvant régler une question aussi complexe dans le laps de temps imparti à la mission. Quinze ans plus tard, le Timor indépendant n’a pas beaucoup progressé. Les conflits de propriété se sont multipliés et il n’existe pas de mécanisme arbitral ou juridictionnel efficace et clair pour les régler.

Le deuxième frein à la venue d’investisseurs est le manque de confiance dans la stabilité politique de cet Etat dans la durée.

Les exportations traditionnelles du Timor de café labellisé, de santal n’ont que peu d’impact économique. Les routes sont dans un état lamentable. Et dans la capitale, Dili, l’électricité n’est pas distribuée 24 heures par jour. De nombreux observateurs se demandent pourquoi le gouvernement n’investit pas davantage dans les infrastructures, utilisant une partie des royalties du pétrole.

Les mêmes observateurs constatent beaucoup de corruption, beaucoup de népotisme et beaucoup de favoritisme, ce qui est classique dans les pays en voie de développement – et pas seulement chez eux d’ailleurs. Transparency International classe le Timor oriental au 133e rang en matière de corruption sur 175 pays recensés.

Ils constatent aussi que l’expulsion des juges internationaux en novembre 2014 rend le système judiciaire timorais beaucoup plus vulnérable aux pressions politiques. Depuis cette expulsion, la question de l’indépendance de la justice au Timor se pose. Et si le pilier de l’indépendance des juges est vermoulu, c’est tout l’équilibre démocratique de l’Etat qui est bancal et de ce fait la confiance de la communauté internationale est atteinte. La possibilité pour le Timor de rejoindre l’ASEAN, l’association des nations d’Asie du sud-est se trouve réduite. De nombreux Etats membres de l’ASEAN et notamment Singapour, ne manifestent aucun enthousiasme à la perspective de la venue du Timor oriental.

 

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Il me faut conclure. Beaucoup de fées se sont penchées sur le berceau du jeune Etat du Timor oriental. Ces fées ont apporté beaucoup de cadeaux. Jamais autant d’argent a été dépensé par la communauté internationale pour une population si peu nombreuse. Tous les pays ont apporté leur appui avec un consensus rare dans l’enceinte des Nations unies, se disant que le Timor oriental était un pays martyr et que sa population avait souffert sous la Deuxième Guerre Mondiale et sous l’occupation indonésienne. Il est d’ailleurs révélateur que les pays les plus allants ont été ceux qui, dans le passé, avaient eu quelque chose à se reprocher vis à vis du Timor : le Japon pour l’avoir envahi et maltraité entre 1942 et 1945, l’Australie pour l’avoir utilisé pendant la Deuxième Guerre Mondiale et l’avoir laissé tomber au milieu du conflit, puis pour avoir trente ans plus tard, reconnu une annexion par l’Indonésie qui n’avait aucune valeur sur le plan du droit, enfin le Portugal pour avoir raté sa décolonisation.

L’Australie toute proche a un intérêt particulier pour le Timor, non seulement en raison de la proximité, non seulement en raison de son action pour les pays en voie de développement de la zone Pacifique sud où elle fait figure de super puissance, mais aussi parce que les gisements gaziers de la Mer du Timor, qui sont situés sur le

plateau continental australien, sont partagés entre le Timor et l’Australie. Les redevances de l’exploitation gazière apportent de très loin l’essentiel des ressources du Timor oriental. Mais le Timor voudrait beaucoup plus. Il fait valoir que l’essentiel de ces gisements sont à l’intérieur de la zone économique exclusive de 200 miles qui relève du Timor alors que l’Australie déclare qu’elle se base sur un traité de 1972 qui définissait ses frontières avec l’Indonésie. L’affaire est maintenant soumise à un arbitrage qui devait être rendu au printemps prochain.

 

Quant au Portugal, il est loin. Ses ressources sont limitées Il concentre son aide internationale sur les anciennes colonies portugaises, l’Angola, le Mozambique, la Guinée Bissau et le Cap Vert. Et son intérêt pour le Timor est surtout dans le domaine culturel : la promotion de la lusophonie, puisque le portugais est la langue officielle du Timor, même s’il reste beaucoup à faire pour que cette langue soit effectivement parlée par la population.

 

Ces pays qui historiquement avaient des liens avec le Timor, ne sont pas les seuls à s’y intéresser. La Chine avait participé à UNTAET en envoyant des policiers intégrés dans la police internationale. La Chine a signé en avril 2014 un accord avec le Timor pour promouvoir une politique de coopération dans le domaine de l’agriculture, des infrastructures et de l’inter-connectivité. Le Timor fait incontestablement partie de la zone géographique à laquelle la Chine porte un intérêt particulier.

 

Comme je l’ai dit, les fées se sont penchées sur le berceau du Timor. Elles avaient apporté beaucoup de cadeaux mais elles avaient oublié leur baguette magique. L’opération de maintien de la paix a été une réussite mais elle n’a pas changé les Timorais qui sont restés tels qu’en eux-mêmes, fidèles à leurs divisions, leurs ethnies, leurs querelles et leur violence. Les résultats dans le domaine de l’éducation et de la formation sont lents à obtenir et ne sont toujours pas au rendez-vous. La disette reste présente dans de nombreux districts.

 

Le Timor est né de ses cendres. Il n’est pas pour autant devenu un phénix. Les espoirs mis par la communauté internationale qui voulait que le Timor devienne très rapidement un modèle de développement et de démocratie étaient sans doute excessifs. Chacun sait que l’apprentissage de la démocratie prend du temps. Chacun sait aussi que les ressources pétrolières n’entrainent pas nécessairement des retombées positives sur l’ensemble de l’économie du pays et sur le niveau de vie de la population. Dans la feuille de route du Timor oriental, les pesanteurs socioculturelles ont sans doute été insuffisamment évaluées.

 

Le premier ministre Xanana Gusmao a présenté sa démission le 9 février dernier au président de la République Taur Matan Ruak qui l’a acceptée et a nommé le 10 février un nouveau premier ministre. Il s’agit de Rui ARAUJO, âgé de 50 ans, médecin formé en Nouvelle Zélande, qui, à l’Assemblée du Timor, était le leader de l’opposition, et membre du FRETILIN. Il avait été vice- premier ministre et ministre de la santé dans un précédent gouvernement. C’est donc un changement de génération puisque Xanana Gusmao a 68 ans.

 

Une nouvelle génération de Timorais va accéder au pouvoir. Elle succédera aux leaders historiques qui ont fait beaucoup pour le Timor, mais sont usés par les combats et dont la plupart ont du mal à passer le relais. Cette génération saura peut-être donner au Timor une nouvelle impulsion pour que les résultats soient enfin à la hauteur de nos espérances. Alors l’histoire de ce petit pays exotique que l’on a du mal à situer sur la carte, aura valeur d’exemple. C’est en tous cas le vœu que je forme.

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Annexes

 

L’ONU pourrait-elle lancer de nouveau une opération de maintien de la paix comme au Timor oriental ?

 

Les conditions dans lesquelles le Conseil de Sécurité a décidé de l’OMP au Timor ont été très particulières et ne sont pas facilement reproductibles.

 

Il y avait un consensus au sein du Conseil de Sécurité sur une intervention. Ce consensus était basé sans doute sur le fait que le Timor n’était pas un enjeu important pour aucune des grandes puissances. Le fait aussi que l’Indonésie ait décidé de son propre mouvement d’un référendum qui, en cas de réponse négative, débouchait nécessairement sur l’indépendance, faisait que l’Indonésie ne pouvait pas s’opposer à l’envoi d’une mission de maintien de la paix sur un territoire qu’elle occupait.

 

Le résultat de ce consensus est que la mission avait un mandat clair : amener le pays à l’indépendance. Le mandat était loin d’être aussi clair pour le Kosovo, qui est la seule mission de gouvernance comparable au Timor. La plupart des missions de l’ONU qui ont précédé ou qui ont suivi le Timor sont plutôt le résultat de compromis, ce qui sur le terrain, entraine toujours des difficultés. Or en l’absence d’un gouvernement établi sur le territoire du Timor puisque les Indonésiens étaient partis, la mission de l’ONU avait les coudées franches, ce qui n’est pas le cas dans une mission traditionnelle. J’ajoute que le mandat était robuste. On a voulu éviter les erreurs de la Bosnie ou du Ruanda où les missions ont été impuissantes devant des tragédies, faute d’avoir le mandat pour intervenir.

 

Dernier élément qui fait que, dans mon esprit, le renouvellement d’une mission de ce type est peu probable : c’est une mission coûteuse en effectifs. Le budget des opérations de maintien de la paix qui permettait l’envoi et le maintien de la mission, ne permettait pas de financer les réalisations indispensables pour lancer le nouvel Etat. Il fallut donc faire appel à des fonds dédiés, des trust funds comme on les appelle en anglais, financées par des donations de pays bailleurs.

 

J’ajoute qu’actuellement 16 opérations de maintien de la paix sont en cours.

 

Elles mobilisent 112 000 personnes dont 103 000 en uniforme c’est à dire 90 000 soldats et 13 000 policiers internationaux. Elles représentent un budget de 7 milliards de $. Enfin il faut noter que 2,3 milliards de dollars de contributions des Etats-membres n’ont pas été acquittées.

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Aide au développement au Timor oriental

 

Selon les chiffres publiés par le ministère des finances du Timor oriental, pendant la période de 2005 à 2014, le Timor oriental a reçu environ 1,5 milliard de dollars d’aide.

 

Les principaux donateurs sont :

  • l’Australie avec 500 M$
  • le Japon 400 M$

 

  • les USA 160 M$
  • l’Union européenne 145M$
  • l’Allemagne 60 M$
  • la Chine 66 M$
  • le Portugal 52 M$

 

Ce document indique que la France a donné 58 000 $ pendant cette période.

 

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Les ressources pétrolières du Timor oriental.

 

Dans les années 1970, d’importants champs de pétrole et de gaz ont été découverts dans la Mer de Timor, entre l’Australie et le Timor, sur le plateau continental australien, à mi chemin entre la côte australienne et la côte du Timor.

Il fallait donc répartir l’utilisation de ces ressources en fonction des eaux territoriales. Cette répartition devait être faite à l’origine entre trois pays : l’Indonésie, le Portugal et l’Australie. Après l’invasion du Timor oriental par l’Indonésie, seuls deux acteurs sont restés en lice.

Un traité de 1989 entre l’Indonésie et l’Australie qui avait reconnu l’annexion du Timor a déterminé cette répartition, traité connu sous le nom de Timor Gap. A peine signé, ce traité a été contesté par le Portugal qui était toujours reconnu par les Nations unies comme le seul administrateur légal du Timor, l’annexion indonésienne n’ayant pas été reconnue. La Cour de Justice internationale saisie par le Portugal, s’est déclarée incompétente.

 

L’indépendance du Timor a modifié la donne qui est actuellement la suivante.

 

Un nouveau traité connu sous le nom de traité de la mer du Timor a été signé le 20 mai 2002, par l’Australie et la République démocratique du Timor, le jour de son indépendance.

 

Le champ pétrolier de Bayu Undan dont les revenus étaient partagés entre l’Indonésie et l’Australie à raison de 90 % pour l’Australie et 10 % pour l’Indonésie a vu sa répartition modifiée quand le Timor a pris la succession de l’Indonésie. Dans un geste généreux avant l’indépendance, l’Australie a décidé que 90 % des revenus de ce champ iraient au Timor et que l’Australie garderait 10 %. En réalité, comme le gazoduc va à Darwin en Australie, et que l’Australie bénéficie de la valeur ajoutée des usines de liquéfaction de gaz et de production d’hélium, la répartition des revenus est de l’ordre de 50/50.

 

Pour les autres champs pétroliers et notamment le champ de Greater Sunrise qui contiennent l’essentiel des ressources, un traité a été signé en janvier 2006 entre le Timor et l’Australie, traité qui porte le nom compliqué de Traité sur certains arrangements maritimes dans la Mer de Timor. Dans ce traité de 2006 l’Australie et le Timor décident de geler leurs revendications sur le plateau continental pendant 50 ans et de se partager moitié les redevances sur le gisement de Greater Sunrise. Les royalties des autres champs pétroliers et gaziers vont toutes à 100 % vers l’Australie. L’Australie déclare que ce gisement se trouve à l’intérieur de ses frontières maritimes telles qu’elle les avait définies avec l’Indonésie en 1972. Le Timor conteste cette interprétation au nom du droit international qui fixe la zone économique exclusive d’un pays à 200 miles nautiques depuis la côte. Si cette règle était appliquée, le Timor oriental disposerait de la quasi totalité du gisement et non pas des 20 % qui lui sont actuellement alloués.

 

Le Timor a saisi la Cour de Justice Internationale en décembre 2013 pour l’annulation du traité de 2006 répartissant les royalties des champs gaziers entre le Timor et l’Australie. L’un des arguments du Timor oriental était que l’Australie avait mis sur écoutes le gouvernement timorais en 2004 et avait, de ce fait, un avantage indu dans la négociation.

 

Les choses se sont encore compliquées quand en juin 2014, l’Australie a décidé de réduire de 15 millions $ australiens son aide au Timor. Le Timor n’était pas le seul pays concerné par cette réduction qui concernait tout le programme d’aide au développement de l’Australie.

 

Finalement en septembre dernier, les relations se sont réchauffées entre Dili et Canberra et les deux parties ont convenu de soumettre la question des redevances à un arbitrage international, le Timor oriental suspendant sa plainte auprès de la Cour internationale de Justice. L’arbitre doit rendre sa décision au printemps 2015.

 

L’utilisation de ces ressources.

L’idée de départ était de n’utiliser que le revenu du capital qui s’accumulait dans un fonds de réserve

qui devait grossir au fil des années, le fonds de réserve devant servir à l’investissement pour les générations futures. Ce fonds qui s’appelle the East Timor Petroleum Fund compte 16 milliards de dollars en novembre 2014. Le budget du Timor oriental est de 1,5 milliard de dollars et est alimenté pour l’essentiel par les revenus pétroliers. Ces intentions vertueuses ne sont plus respectées. La tendance du gouvernement est de piocher non seulement dans les revenus de ce fonds mais aussi dans le capital pour financer des dépenses sociales pour améliorer la vie quotidienne des Timorais.

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