L’Indonésie et la lutte contre le trafic de drogue par Jean-Christian CADY

Il est rare que les projecteurs de l’actualité internationale se braquent sur l’Indonésie. La dernière fois, c’était en décembre 2004, lors du tremblement de terre au large d’Aceh, suivi d’un tsunami dévastateur dans tout le sud est asiatique. Ces dernières semaines, l’Indonésie a fait la une de la presse internationale en raison de l’exécution le 27 avril de 8 personnes, dont 7 étrangers, qui ont été condamnées à mort pour trafic de drogue. Les 7 étrangers passés par les armes étaient deux Australiens, quatre Nigérians, et un Brésilien. Sont encore en sursis – car faisant l’objet d’un ultime appel – une Philippine, son gouvernement faisant valoir des faits nouveaux et un Français, Serge Atlaoui. Cet évènement, qui aurait pu rester à la rubrique des faits divers, a eu une résonance internationale très importante pour plusieurs raisons.

La première est que les démarches diplomatiques et les protestations de chefs de gouvernement ou de chefs d’Etat, qui ont été nombreuses et insistantes, ont été inefficaces. La France, par son ambassadeur, son ministre des affaires étrangères et son président de la République a demandé au président indonésien M. Joko Widodo, d’accorder la grâce à M. Atlaoui, citoyen français condamné à mort. Comme pour les autres condamnés, le président indonésien s’y est refusé. Un ultime recours juridique sur l’absence de motivation du rejet de la grâce présidentielle, va faire l’objet d’un examen dans les prochains jours mais a très peu de chances de réussir.

Les arguments que le gouvernement français a fait valoir ont été de trois ordres. Tout d’abord il existe une erreur matérielle. M. Atlaoui présenté dans le procès comme un chimiste d’un laboratoire de drogue, était en réalité un plombier qui ignorait que l’objet de l’atelier où il travaillait était de produire des drogues de synthèse. Le deuxième élément que le gouvernement français a fait valoir est que les procès des commanditaires de cette usine, sont toujours en cours, alors que celui des exécutants a été achevé. Enfin le troisième argument est que la peine de mort est inhumaine et a été abolie en France comme 143 pays dans le monde. Il n’en demeure pas moins vrai que la peine de mort existe dans les quatre pays les plus peuplés du monde à savoir la Chine, l’Inde, les Etats-Unis et l’Indonésie.

Quelle que soit la valeur de ces arguments, le fait qu’ils aient été rendus publics, qu’une campagne de presse ait eu lieu et que le gouvernement français ait mis en cause directement la compétence et l’impartialité de la justice indonésienne, a fortement indisposé les autorités de Djakarta. Dans le sud-est asiatique, la culture dominante est que ces démarches ont tout à gagner à rester confidentielles pour éviter que l’interlocuteur ne soit acculé et risque de perdre la face.

Ni les autres chefs de d’Etat ou de gouvernement comme Dilma Rousseff, présidente du Brésil ou Tony Abbott, premier ministre australien, ni le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki Moon n’ont eu plus de succès dans leurs démarches. Tous ces pays ont rappelé leurs ambassadeurs en signe de mécontentement et ont indiqué que les relations bilatérales avec l’Indonésie allaient en pâtir. Cette menace à l’égard d’un pays de 250 millions d’habitants, est surtout un sabre de bois venant de certains pays dont les relations commerciales avec l’Indonésie sont faibles et le programme d’aide inexistant. Ainsi, en 2014 l’Indonésie est le 46ème fournisseur de la France, avec 0,3% de nos importations et elle est le 43ème client de la France avec 0,4% de nos exportations. Il n’en demeure pas moins que cet opprobre international aura quelques conséquences au moins momentanées pour l’Indonésie. Tony Abbott a clairement indiqué que l’Australie va réduire, voire supprimer son programme d’aide au développement à l’égard de l’Indonésie. Il est noter qu’après le Japon, les Etats-Unis, la Banque Mondiale et la Banque de Développement Asiatique, elle est le principal bailleur de fonds pour ce pays avec 600 millions de dollars australiens, soit environ 420 millions d’euros pour le budget 2014-1015. Il est à noter aussi qu’une partie de cette aide sert à mettre à niveau le système judiciaire indonésien et à le rendre plus efficace, plus impartial et moins corrompu.

Il convient de rappeler l’exécution en janvier dernier d’un Néerlandais condamné à mort pour trafic de drogue, qui avait eu lieu en dépit d’un appel du chef du gouvernement néerlandais et du roi des Pays-Bas Guillaume-Alexandre. On pourrait multiplier les exemples au cours de ces dernières années.

Cette accumulation de refus de grâces dans des affaires de drogue nous amène à nous demander pourquoi l’Indonésie refuse-t-elle les demandes de grâce dans ces affaires ? On peut supposer d’abord que la fierté indonésienne a été blessée par ces démarches qui ont été vues comme une tentative de pays étrangers d’interférer dans un processus judiciaire du seul ressort de la souveraineté de l’Indonésie. Ces démarches ont été d’autant plus mal vues que, dans la plupart des cas, mis à part les cas du Français et celui de la Philippine, la réalité des faits qui ont donné lieu à ces condamnations n’était pas contestée par les pays étrangers qui, de leur côté, combattent le trafic de drogue. Mais ces interventions dans les médias que certains ont appelé la « diplomatie du mégaphone », faisant en particulier allusion à l’Australie, ont été très mal ressenties en Indonésie. Mais en dehors d’une susceptibilité nationale blessée, quelle est la raison de cette intransigeance du gouvernement indonésien ? Pourquoi refuse-t-il systématiquement les demandes en grâce de ses nationaux et des étrangers dans les affaires de drogue, alors qu’il y a une dizaine d’années, il avait une approche plus souple et des exécutions étaient moins nombreuses ?

Rappelons tout d’abord que les personnes condamnées à mort, l’ont été bien avant l’arrivée au pouvoir de Joko Widodo. C’est en 2005 que M. Atlaoui a été arrêté et c’est en 2007 qu’il a été condamné.

En effet à la fin des années 1990, du temps du mandat du président Abdurrahman Wahid qui a été en fonction de 1999 à 2001, l’accent avait été mis sur la réhabilitation des drogués. La drogue était davantage traitée comme un problème de santé et l’approche était moins répressive. C’était le cas notamment dans la loi de 1995 sur le système pénitentiaire. En revanche la loi indonésienne de 2012 qui concerne le terrorisme, la drogue et la corruption, a accentué la démarche répressive.

Deux faits me paraissent significatifs.

Le premier est que la consommation de drogue est un problème national pour l’Indonésie.

Selon le bureau indonésien de la drogue, 1,6 million de personnes consomment de la drogue occasionnellement et 1,4 en consomment régulièrement. Toujours selon ce bureau, plus de 30 personnes par jour meurent des effets de la drogue. Même si ces chiffres sont contestés, il est certain que la drogue est un problème réel pour ce pays. De plus l’Indonésie est un hub pour le trafic de drogue dans le sud est asiatique. Il s’agit non seulement de l’héroïne, qui comme chacun sait est un dérivé de l’opium, ou de la cocaïne, mais de drogues de synthèse et notamment la méthamphétamine dont les effets sont plus dévastateurs que l’héroïne sur la santé mentale et conduisent à la violence. Cette méthamphétamine est produite sur place. L’UNODC distingue deux types de drogue de synthèse: l’ATS (amphetamine type synthetic drug) et les nouvelles drogues psychotropes: NPS (new psycho active substances): il y en a une quarantaine aux noms aussi barbares que les effets et je me garderai bien de les lister.

De plus 45% de la drogue consommée en Asie du sud-est, transite par l’Indonésie qui est le plus grand marché de la drogue dans cette région.

Le deuxième fait est que la lutte contre le trafic de drogue est populaire en Indonésie. Dans son refus de clémence, le président Widodo est soutenu par une majorité de la population. Un sondage d’opinion fait en avril par le quotidien indonésien Compass, montre que 86% de la population est en faveur de l’exécution des étrangers condamnés dans des affaires de drogue. Widodo n’a donc aucun intérêt à dévier d’un élément important de la politique qu’il avait annoncée dans sa plateforme électorale. N’oublions pas que Joko Widodo, qui a pris ses fonctions le 20 septembre 2014, est le premier président indonésien à ne pas être issu de l’establishment. Il a la réputation d’être intègre. Il été élu sur une base populiste de lutter contre la corruption, le crime, la drogue et de remettre de l’ordre dans la justice. C’est en cela d’ailleurs que cette élection répondait aux aspirations d’une majorité de la population qui n’a aucune confiance dans ses dirigeants qui sont trop souvent impliqués et parfois condamnés dans des affaires de corruption.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la fermeté du président Widodo auquel la population demande d’être ferme à la fois dans les affaires de drogue et contre les pressions étrangères.

Cela étant, deux questions se posent :

  • Comment cette politique s’intègre-t-elle dans ce qui est fait dans le sud-est asiatique ?
  • Cette politique est-elle une réussite ?

En ce qui concerne les politiques de lutte contre le trafic de drogue dans le sud-est asiatique, il faut distinguer les pays qui utilisent la peine de mort contre les trafiquants et ceux qui n’ont pas la peine de mort dans leur code pénal ou ne l’utilisent pas. Les Philippines, le Cambodge et le Timor oriental ne connaissent pas la peine de mort. Brunei n’a pas connu d’exécution depuis 1957. Les seuls pays où la peine de mort existe et où elle est pratiquée pour les trafics de drogue, sont le Vietnam, la Malaisie, l’Indonésie et Singapour.

La législation contre le trafic de drogue est très stricte à Singapour. Toute personne qui, dans ses bagages, est prise avec plus d’une demi-once d’héroïne c’est à dire 14 g, une once de cocaïne ou de morphine, soit 28 g, ou 17 onces de marijuana, soit 500 g, est considérée comme un trafiquant de drogue et est passible de la peine de mort par pendaison. 400 personnes ont été pendues pour ce motif à Singapour entre 1991 et 2004. Ceux qui sont en possession de quantités moindres, restent soumis à des procédures judiciaires et peuvent être condamnés à des peines directement issues de l’arsenal pénal britannique du 19ème siècle, à savoir le « caning » et le fouet.

Au Vietnam la possession de plus de 100g d’héroïne est passible de la peine de mort. Ainsi en janvier dernier, 30 personnes ont été condamnées à mort dans le procès d’un réseau de trafiquants.

Donc comme on le voit, la répression du trafic de drogue donne lieu à des politiques variées dans le sud-est asiatique, Singapour, l’Indonésie, la Malaisie et le Vietnam faisant partie du groupe dur.

La lutte contre la drogue ne se résume pas à la répression mais comprend aussi la prise en charge des drogués. C’est un aspect très difficile car, au delà de mesures à caractère médical, le sevrage, il est nécessaire de prévoir tout un accompagnement pour une réinsertion des malades dans la société.

Là encore beaucoup de pays sont partisans de la manière forte et ont créé des centres de détention pour les usagers de la drogue. Ces centres de détention qui ressemblent à des prisons militaires et où les détenus portent un uniforme et sont soumis à une discipline stricte, existent en Thaïlande, au Cambodge, au Vietnam, en Malaisie et à Singapour. Les associations de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch et Amnesty International protestent avec véhémence contre ces méthodes. Ces centres sont une façon de masquer le problème mais ne sont pas une solution comme en témoigne l’augmentation des cas de SIDA au sein de ces centres.

Il est vrai que, même dans les pays développés, le sevrage des drogués et leur réinsertion sont des problèmes qui sont très imparfaitement résolus.

La réussite des mesures contre la drogue dans le sud- est asiatique peut être mesurée selon trois critères : la production de la drogue, le commerce de la drogue et le nombre de personnes dépendantes.

Au Laos, qui fait partie du triangle d’or, la production de pavot est en constante augmentation et a triplé depuis 2006. Une révision récente du code pénal du Laos a accru les peines. En revanche au Myanmar et au Laos il n’y a pas eu d’exécution connue pour trafic de drogue depuis 1989 de même qu’en Thaïlande depuis 1988. Il n’en demeure pas moins que le trafic de drogue et la production de drogues de synthèse se développent dans ces pays.

La conférence de la commission des stupéfiants de l’ONUDC qui s’est tenue à Vienne du 9 au 17 mars 2015 l’a constaté. Elle a constaté également que le trafic de drogue est une forme de criminalité qui est très liée aux autres aspects de la criminalité et je ne peux mieux faire que de citer l’un des paragraphes de la déclaration ministérielle concluant cette conférence qui disait:

« …il faut d’urgence réagir aux sérieux problèmes que posent les liens de plus en plus forts entre le trafic de drogues, la corruption et d’autres formes de criminalité organisée, dont la traite des personnes, le trafic d’armes à feu, la cybercriminalité et, dans certains cas, le terrorisme et le blanchiment d’argent, y compris le blanchiment d’argent lié au financement du terrorisme, et aux problèmes de taille qu’affrontent les services de détection et de répression et les autorités judiciaires s’agissant de riposter à l’évolution constante des moyens employés par les organisations criminelles transnationales pour échapper à la détection et aux poursuites. »

La lutte contre le trafic, mais aussi la production et la consommation de drogue en Indonésie et dans le sud-est asiatique n’est donc qu’un chapitre d’un problème beaucoup plus vaste, transfrontières et même mondial où la coopération internationale joue un rôle essentiel. Les actions ne réussissent pas toutes. Mais, pour paraphraser un mot célèbre, cela ne doit empêcher ni de les entreprendre, ni de persévérer.