Conférence
Accueillir ou refouler les réfugiés ? La politique australienne d’immigration.
Il existe un paradoxe. Parmi les Etats qui bordent le Pacifique, l’Australie fait incontestablement partie de la demi-douzaine de ceux qui sont les plus respectueux des droits de l’homme. Et pourtant l’Australie est stigmatisée par les organisations défendant les droits de l’homme et par le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR) pour la manière selon laquelle elle traite les immigrants qui débarquent irrégulièrement sur ses côtes.
Il existe un deuxième paradoxe. Alors que l’Australie est peuplée d’immigrants, alors qu’elle mène toujours une politique active d’immigration, pourquoi refoule-t-elle les réfugiés illégaux, même lorsqu’elle leur reconnaît le statut de réfugiés politiques ?
Accueillir ou refouler les réfugiés et les immigrants, comment la politique australienne d’immigration se définit-elle ? Cette politique comporte deux volets contrastés. L’Australie mène une politique active d’immigration et d’accueil des réfugiés. Mais elle est intraitable sur les immigrants et réfugiés illégaux.
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1. L’Australie mène une politique active d’immigration et d’accueil des réfugiés.
A. L’immigration classique est une donnée permanente.
Ce pays est peuplé d’immigrants et continue à en faire venir. 27 % des 24 millions d’Australiens sont nés en dehors de l’Australie. Avec plus du quart de la population né à l’étranger, l’Australie est, dans le monde occidental, avec la Suisse, le pays qui compte la plus grande proportion d’immigrants. Cette proportion est appelée à s’accroître, tant la politique d’immigration est active. Les projections montrent qu’en 2050 le tiers de la population australienne sera né à l’étranger.
L’Australie accueille chaque année environ 190 000 migrants.
Le Royaume-Uni ne fournit plus, comme par le passé, le plus fort contingent d’immigrés. Jusque dans les années 1950, l’immense majorité des immigrants acceptés en Australie étaient des Européens (white Australia policy). Les choses ont bien changé. La majorité des immigrants vient désormais des voisins géographiques de l’Australie, c’est à dire de l’Asie.
Pour l’année budgétaire 2013-14, les pays d’origine de ces immigrés sont les suivants :
Inde 39 000
Chine 26 000
Royaume Uni 23 000
Philippines 10 000
Pakistan 6 000
Autres pays 84 000
C’est une immigration choisie. Comme on le sait, les immigrants sont choisis en fonction d’un système de points prenant notamment en compte l’âge (plus on est jeune, plus on a de points), la maîtrise de l’anglais et les qualifications professionnelles.
Les Australiens souhaitent encourager une immigration dans laquelle ils voient un facteur de dynamisme et de prospérité pour le pays. Il est à noter en effet que l’indice de fécondité des femmes, c’est à dire le nombre d’enfants par femme en âge de procréer, qui était élevé jusqu’en 1962 est maintenant de 1,8 et ne permettrait pas de maintenir la population australienne sans l’immigration. L’importante croissance démographique de l’Australie est dû à l’immigration. Il est à noter que l’Australie a franchi la barre des 10 millions d’habitants en 1959 et des 20 millions en 2004.
Bien entendu tout est fait pour que les néo-Australiens (new Australians) comme on les appelle, soient au plus vite assimilés dans leur nouveau pays. Si l’Australie ne voit aucun inconvénient que les migrants puissent sur fonds exclusivement privés, financer des associations maintenant des liens linguistiques et culturels avec les pays d’origine, le gouvernement australien, de même que les collectivités locales, refusent tout financement public à ces activités. Le résultat est que la deuxième génération aura vite oublié le patrimoine linguistique et culturel de ses parents et s’intégrera plus facilement. En cela l’Australie suit une politique identique à celle des Etats-Unis.
B. Les réfugiés qui suivent les circuits classiques sont accueillis.
Membre fondateur de l’ONU, signataire de toutes les conventions relatives aux droits des réfugiés et apatrides, l’Australie ne peut se désintéresser de leur sort. C’est pourquoi elle accueille les réfugiés qui suivent les circuits classiques. Chaque année elle accepte entre 12 000 et 13 000 personnes qui lui sont envoyées par des programmes humanitaires tels ceux du Haut Commissariat aux Réfugiés.
Pour l’année budgétaire 2015-2016 – l’année budgétaire australienne allant du 1er juillet au 30 juin – elle a accepté 13 750 réfugiés auxquels elle a ajouté 12 000 réfugiés venus d’Irak et de Syrie. Ce sont des réfugiés qui ont été sélectionnés dans le cadre de programme de l’ONU. Ils arrivent en avion et non sur des embarcations de fortune. Ce sont donc 25750 réfugiés qui ont été accueillis en Australie en 2015-16.
Ce nombre varie selon les années : en 2006, selon les statistiques de la Banque Mondiale, il y avait eu 68 948 réfugiés, alors qu’en 2008 il y en avait 20 919. On peut comparer ces chiffres à ceux du Canada, autre pays d’immigration riverain du Pacifique. Sa population est de 36 millions d’habitants soit 50 % de plus que l’Australie. Le Canada a accueilli 149 000 réfugiés en 2015, ce qui est six fois plus que l’Australie.
L’effort de l’Australie en faveur des réfugiés qui suivent les circuits classiques, est donc réel mais n’est pas exceptionnel. Il n’en est pas de même pour les migrants illégaux.
2. L’Australie est intraitable sur les migrants et réfugiés illégaux.
L’Australie a mis en œuvre une politique de dissuasion, qui donne des résultats mais ne peut pas être maintenue indéfiniment.
A. Une politique de dissuasion.
Manus est une île dont la superficie est le quart de la Corse. Elle appartient à l’archipel de l’Amirauté dans la Mer de Bismarck, se trouve à 300 kilomètres des côtes de la Papouasie Nouvelle-Guinée et relève de ce pays. Avec l’accord du gouvernement de PNG, l’Australie a établi en 2001 un centre de tri des réfugiés demandeurs d’asile qui était géré par l’Office International des Migrations (OIM) organisation qui dépend de l’ONU. Cette politique mise en œuvre sous le gouvernement Howard (libéral), visait à limiter l’afflux des réfugiés en faisant examiner leur situation en dehors du territoire du continent australien et en les détenant dans des centres en attendant que leur statut de demandeur d’asile soit ou non reconnu. L’Australie a passé des accords avec divers gouvernements : Nauru et la Papouasie Nouvelle-Guinée, leur demandant d’accueillir les réfugiés. L’Australie verse à ces gouvernements une subvention pour les défrayer du coût qu’entraine la gestion de ces camps.
En 2008 le centre de Manus a fermé ses portes de même que celui de Nauru, pour tenir la promesse que le nouveau premier ministre australien Kevin Rudd (travailliste) avait faite pendant la campagne électorale en 2007.
L’afflux de réfugiés illégaux dans les années qui suivirent et le nombre de boat people morts par noyade obligèrent le gouvernement australien à revoir sa position. Elaboré à la demande de Julia Gillard alors premier ministre travailliste, un rapport en 2012 préconisait qu’un tri des réfugiés soit fait par des commissions australiennes dans des hubs comme la Malaisie et l’Indonésie. Les autres réfugiés, c’est à dire ceux qui arrivent illégalement sur le territoire australien, seraient placés en centres de rétention (detention centres en anglais), en attendant que les services d’immigration australiens statuent sur leur sort.
Il y avait donc deux volets dans la politique proposée. Force est de constater que c’est seulement le deuxième volet de cette politique qui a été appliqué, celui de la dissuasion. Les systèmes de tri préalable en Malaisie ou en Indonésie n’ont pas pu être mis en œuvre, les négociations avec ces pays ayant échoué. Les centres de Manus en PNG, de Christmas Island et de Nauru, qui avaient fermé leurs portes en 2008, les ont rouvertes en 2013.
Julia Gillard a quitté le pouvoir en juin 2012 et a été remplacée pendant trois mois par Kevin Rudd puis à partir de septembre 2012 par Tony Abbot (libéral). C’est le gouvernement Abbott qui a révisé sa politique d’accueil des demandeurs d’asile dans le cadre du plan Sovereign Borders (Frontières souveraines) pour décourager les réfugiés d’arriver par mer.
Les services d’immigration de l’Australie examinent chaque cas et de deux choses l’une. Ou bien le réfugié est considéré comme un migrant économique, et dans ce cas il est renvoyé vers son pays d’origine. Ou bien il est considéré comme un demandeur d’asile et il ne sera pas renvoyé vers son pays mais ne pourra pas pour autant mettre les pieds sur le territoire australien et devra rester pour une durée indéfinie dans le camp de réfugiés off shore, sans pouvoir espérer jamais accéder à la terre promise.
Le camp de Manus accueille plus de 800 réfugiés. La moitié d’entre eux se sont vus reconnaître le statut de demandeurs d’asile. Ils n’ont pourtant aucune perspective : ni celle d’arriver sur le continent australien et de s’y établir, ni celle de retourner dans leur pays d’origine puisqu’ils y sont en danger, ni celle d’aller vers un pays tiers puisqu’aucun pays n’en veut. C’est, comme la Cour Suprême de PNG l’a noté, un régime de détention dont la durée est indéfinie auquel sont soumis ces migrants, sans qu’aucune perspective ne leur soit offerte. Dans l’île de Nauru plusieurs suicides ont eu lieu.
Christmas Island, à 1600 kilomètres des côtes de l’Australie de l’ouest (et 2600 kilomètres de Perth, la ville la plus peuplée de cette partie de l’Australie) est un troisième centre. Environ 180 réfugiés sont actuellement à Christmas Island qui a une capacité de plus de 1000 et 468 réfugiés se trouvent à Nauru dont les possibilités peuvent être accrues. A la différence de Nauru et de Manus, Christmas Island est un territoire australien. Mais l’idée reste la même : empêcher les demandeurs d’asile d’entrer sur le continent australien.
B. Cette politique de dissuasion a donné des résultats.
La politique australienne à l’égard des réfugiés, n’est certainement pas un succès dans le domaine des droits de l’homme. Mais elle est une réussite dans le domaine du contrôle des flux d’immigration illégale et de la diminution drastique du nombre de réfugiés qui trouvent la mort dans des traversées hasardeuses sur des bateaux mal équipés et surchargés.
Elle a eu comme résultat de stopper le flot des réfugiés. Selon les chiffres australiens, en 2013, plus de 300 bateaux transportant 20 000 personnes avaient accosté illégalement en Australie. En 2014, il n’y a eu qu’un seul bateau. En 2015 il n’y en a eu aucun. Les trafiquants et passeurs mais également les réfugiés économiques ou politiques savent maintenant que l’Australie n’est pas une destination.
Les noyades au large des côtes australiennes ont cessé.
Les statistiques publiées par le Border Crossing Observatory sont en effet parlantes ;
2009 171 morts par noyade.
2010 71
2011 330
2012 242
2013 217
2014 4 morts ( dont un meurtre et deux suicides dans des centres de détention)
2015 3 morts par suicide dans des centres de détention.
Le premier ministre australien Malcolm Turnbull entend maintenir la politique actuelle vis à vis des boat people car il fait valoir qu’ouvrir les vannes de l’immigration illégale aurait pour conséquence la reprise des activités des passeurs et les drames qu’elles entrainent. Le nombre de morts par noyade le long des côtes australiennes atteindrait de nouveau des chiffres effrayants.. La plupart des réfugiés transitent par l’Indonésie qui est le pays le plus proche de l’Australie. Ils n’en sont pas originaires et viennent de l’Afghanistan, de l’Irak ou de Syrie.
Le parti libéral australien a fait du refus des réfugiés un élément essentiel de sa plateforme électorale, attirant d’autant plus de voix que quelques attentats islamiques en Australie ont jeté la suspicion sur les réfugiés qui viennent du Moyen-Orient. L’opinion publique australienne semble majoritairement soutenir cette position. Dans une campagne publicitaire à destination des boat people, le gouvernement australien fait passer un message sans ambiguïté : « No Way. You will not make Australia home »
La Nouvelle-Zélande a tenté de venir en aide à ceux qui ont obtenu l’asile en Australie sans pour autant avoir le droit de fouler le sol australien. Sensible aux conséquences sur le plan des droits de l’homme de l’existence des centres de détention off shore de l’Australie, le gouvernement néo zélandais avait conclu un accord avec le gouvernement australien en 2012 selon lequel il s’était engagé à accueillir chaque année 150 personnes auxquelles l’Australie aurait reconnu le statut de demandeur d’asile mais qu’elle n’autoriserait pas à fouler le sol australien. Ces demandeurs d’asile seraient venus s’ajouter aux 750 réfugiés que la Nouvelle-Zélande accueille chaque année. Cet accord n’est pas appliqué par le gouvernement australien de Malcolm Turnbull qui voit dans cette porte étroite, un nouvel appel d’air encourageant l’immigration irrégulière.
C. Une politique qui ne pourra pas être maintenue indéfiniment.
En dépit des subventions qu’ils reçoivent du gouvernement australien, les pays où se trouvent les camps de rétention protestent. C’est le cas de la Papouasie Nouvelle Guinée.
La Cour Suprême de Papouasie Nouvelle-Guinée (PNG), dont la jurisprudence est sans doute insuffisamment connue, a rendu une décision le 26 avril 2016 indiquant que le régime de détention des demandeurs d’asile dans l’île de Manus contrevient à tous les droits fondamentaux – et notamment à la liberté de mouvement – et exigeant des gouvernements d’Australie et de PNG d’y mettre fin. Cette décision rejoint les conclusions de la visite faite en 2013 par le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR) et le souhait de Peter O’Neill, le premier ministre de PNG qui, a plusieurs reprises, a déclaré que ce camp de Manus nuit à la réputation de son pays et qu’il souhaite que l’Australie le ferme.
Un accord avait été passé entre l’Australie et le Cambodge en septembre 2014. Contre la somme de 40 millions de dollars australiens (28 millions d’euros) sur quatre ans, le Cambodge devait accueillir des réfugiés arrivés illégalement en Australie, qui avaient obtenu le statut de réfugié politique de la part de l’Australie mais qu’elle ne souhaitait pas garder sur son sol. L’Organisation Internationale des Migrations (qui est un organisme dépendant de l’ONU) devait superviser l’installation des réfugiés à Phnom-Penh. Cet accord avait été dénoncé par l’ONU et les organisations des droits de l’homme car le Cambodge n’est pas un modèle dans le domaine du respect des droits de la personne humaine. Cet accord n’a pas été concluant. Seuls deux migrants sur quatre sont restés au Cambodge, les deux autres (des Iraniens) ayant demandé à repartir chez eux.
Il convient de noter aussi qu’en 2011 la Haute Cour australienne avait invalidé un accord passé avec la Malaisie car ce pays n’est pas signataire de la convention des Nations Unies sur les réfugiés.
Il va sans dire que les organisations des droits de l’homme de nombreux pays et notamment Human Rights Watch et Amnesty International s’émeuvent de cette situation, cela d’autant plus que la gestion des centres de de rétention n’est pas irréprochable. Des meurtres et des viols ont eu lieu. L’hygiène est déplorable. En ce qui concerne Manus, l’Australie dénie toute responsabilité, mettant en avant le fait que la gestion du camp est du ressort de la PNG. Cependant, toujours légaliste et pressée par le gouvernement de PNG, l’Australie déclare qu’elle va se conformer à la décision de la Cour Suprême papoue et qu’elle va trouver un autre emplacement pour ces migrants. L’Australie serait en discussion avec plusieurs pays du sud-est asiatique mais aussi la Nouvelle-Zélande pour trouver des dispositifs d’accueil pour les 1459 réfugiés qu’elle refuse d’admettre.
Toujours est-il qu’il est certain que la politique de l’Australie vis à vis des réfugiés est perçue par beaucoup comme non conforme aux droits de l’homme et aux conventions dont ce pays est signataire. Cela lui crée des difficultés au sein des organisations internationales, l’ASEAN ou l’ONU.
C’est pour répondre à ces critiques que le gouvernement australien a négocié en novembre 2016 un arrangement avec les Etats-Unis. Selon cet accord, l’Australie pourrait envoyer aux Etats-Unis une partie des 1500 demandeurs d’asile qu’elle détient à Manus et Nauru. En retour elle accepterait sur son territoire (et non pas dans des sites off shore) des réfugiés du Honduras et du Salvador qui vivent actuellement sous protection américaine au Costa Rica. Le nombre des personnes concernées n’est pas précisé.
Soucieux de ne pas créer d’appel d’air pour de nouvelles immigrations illégales, le gouvernement australien déclare que si cet accord est conclu, il ne sera pas renouvelé. Les futurs immigrants illégaux continueront à trouver porte close en Australie.
Mais cet accord conclu sous l’administration Obama pourra-t-il être mis en oeuvre sous l’administration Trump ? Rien n’est moins sûr. Un bon nombre de ces réfugiés sont des musulmans venus d’Iran, d’Irak, de Syrie et du Myanmar. La volonté d’arrêter toute immigration de musulmans aux Etats-Unis avait été l’un des points importants de la campagne de Trump.
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Au moment où l’Europe – et plus particulièrement l’Allemagne, la France, l’Italie et la Grèce – est confrontée à la plus grande crise migratoire de son histoire, il est douteux que les pays européens puissent tirer beaucoup de leçons de la politique australienne dans le domaine de l’immigration tant les conditions sont différentes dans ce pays des antipodes.
Trois éléments essentiels nous séparent.
Le premier – le plus évident – est l’emplacement de l’Australie sur le globe. Ce pays-continent est – et de loin – le plus isolé. Il n’a pas de frontière terrestre. Des distances importantes le séparent de ses voisins.
Le second est que les migrants illégaux arrivent en Australie après avoir transité par l’Indonésie, le plus proche voisin. Si l’Australie renvoie le bateau et ses passagers en Indonésie, les garde-côtes indonésiens ne refouleront pas le bateau. Les migrants seront bien sûr priés d’aller vers une autre destination. Le problème des demandeurs d’asile est beaucoup plus complexe en Europe qui ne peut pas renvoyer en Syrie ou en Libye les réfugiés qui en viennent.
Le troisième est que les nombres de migrants illégaux à destination de l’Australie, même au temps où elle n’avait pas mis en place sa politique de dissuasion, a toujours été infiniment moindre que ce que doit accueillir l’Europe. Quelques milliers de réfugiés, alors qu’en Europe ils se comptent en centaines de milliers et même maintenant en millions.
Accueillir ou refouler les réfugiés ? Tous les pays sont placés devant le même dilemme et chacun le traite à sa façon, en fonction de son histoire, de ses habitudes, des attentes de sa population et parfois de ses préjugés. Il n’existe sans doute pas de solution qui fasse l’unanimité particulièrement en cette période où le risque sécuritaire a singulièrement compliqué l’accueil et accru les préventions.
Par
Jean-Christian CADY
Préfet (h)
Secrétaire général de l’Institut du Pacifique
Tensions maritimes en Extrême – Orient (2)
par Philippe Jullian et Michèle Biétrix
Chine & Taïwan – Japon
Senkaku shoto (Diaoyu qundao, Tiaoyutai, Pinnacle)
Archipel de 5 petites îles et 3 rochers situé entre Taïwan (à 100 miles), la Chine (à 180 miles), et les Ryu-Kyu (à 220 miles).
Ces îles et îlots sont inhabités, mais ils ont été utilisés par des collecteurs de guano japonais.
C’est la présence possible d’hydrocarbures dans les eaux environnant cet archipel qui suscite l’intérêt récent des Chinois et des Japonais pour celui-ci. (*)
De nombreux incidents opposent pêcheurs et vedettes des deux pays.
En 2012 le gouvernement japonais achète les îles qui étaient considérées comme propriété privée d’un Japonais.
En réaction des Taïwanais débarquent sur une des îles dont ils sont rapidement chassés par un commando des forces japonaises.
De son côté la Chine crée en novembre 2013 une « Zone d’identification aérienne » qui couvre l’archipel.
Les Chinois considèrent que cet archipel a été cédé au Japon par le traité de Shimonoseki (avril 1895) et que conformément au traité de San Francisco (1951) les Japonais doivent le rendre à la Chine.
Les Japonais considèrent qu’ayant mis pied sur l’archipel en janvier 1895 (donc avant le traité de Shimonoseki) celui-ci n’entre pas dans le cadre du traité de San Francisco.
(*) En juin 2008 la Chine et le Japon signent un accord pour l’exploitation conjointe des gisements de gaz dans la Mer de Chine de l’Est. Il ne semble pas que cet accord ait été suivi d’effet.
Chine – Taïwan
Formose
Pendant plusieurs siècles l’île de Formose est « visitée » ou occupée par les Chinois, les Portugais, les Espagnols, les Hollandais, les pirates chinois, les forces gouvernementales chinoises, les Français (1884).
En 1895 la Chine, après sa défaite, cède, par le traité de Shimonoseki, Formose au Japon qui restitue cette île 50 ans plus tard en 1945.
En 1949 Jiang Jieshi (Tchang Kaïchek, Chiang Kaishek) et ses partisans quittent le continent et s’installent à Taïwan.
Depuis lors les relations entre les deux gouvernements sont mouvementées et varient selon le parti au pouvoir à Taïwan.
Elles sont plus apaisées lorsque le parti Guomintang, lui aussi partisan d’ « une seule Chine » est au pouvoir.
Elles sont plus délicates lorsque c’est le Parti démocratique progressiste (DPP), parti qualifié de parti « indépendantiste » qui est en place, ce qui est le cas depuis les élections de janvier 2016
Le gouvernement de Pékin menace d’utiliser la force si Taïwan se déclarait « pays indépendant ».
Le gouvernement de Taïwan se demande quelle serait aujourd’hui la réaction des Américains en cas d’agression de la Chine.
Le « Taïwan Relation Act » institué en 1979 par les Etats-Unis pour remplacer le « Mutual defense treaty » (entre les Etats-Unis et la République de Chine) après la reconnaissance de la République Populaire de Chine par les Etats-Unis et l’ONU a un double objectif : dissuader la Chine de s’emparer par la force de Taïwan mais aussi dissuader Taïwan de déclarer unilatéralement son indépendance.
Il prévoit que les Américains mettront à la disposition des Taïwanais ce qui leur est nécessaire pour se défendre.
Mais ce texte présente une certaine ambiguïté, ce qui est source d’inquiétude pour les Taïwanais.
Chine – Taïwan
Dongsha (Pratas)
Ce groupe de trois petits atolls inhabités, situé à 530 nautiques au Sud-ouest de Taïwan et à 210 nautiques au Sud-est de la province chinoise du Guangdong est administré par Taipei.
Il est revendiqué par Pékin.
En 2007 Taïwan lui a donné le statut de parc maritime national.
Chine – Taïwan
Quemoy (Jinmen) & Matsu (Mazu lie dao) – Pescadores (Penghu)
Taïwan a su conserver ces îles situées à proximité de la côte chinoise : Quemoy à 1 mile et l’archipel de Matsu à environ 6 miles ainsi que les Pescadores, au milieu du détroit.
Pendant les années 50 elles sont l’objet d’attaques par les forces militaires chinoises mais, grâce à l’appui des Américains, elles restent sous le contrôle de Taipei.
Le gouvernement chinois considère qu’elles font partie de la province du Fujian et il n’a pas renoncé à les reprendre.
Chine – Vietnam
Paracels (Xisha, Quang dao hoang sa)
En 1974 les forces armées chinoises occupent les Paracels, jusque là inhabitées..
Le Vietnam Sud n’est pas en mesure de résister ; toutes ses forces sont mobilisées contre le Vietminh et le Viêt-Cong.
Le Vietnam Nord ne peut s’opposer à son principal allié.
En 2014 l’installation par une entreprise chinoise d’une plateforme pétrolière près des côtes du Vietnam est l’occasion d’un grave incident naval entre des bâtiments chinois et vietnamiens et provoque dans plusieurs ville vietnamiennes de telles manifestations antichinoises que la plateforme est déplacée.
Depuis 2012 les Paracels sont érigées par le gouvernement chinois en « préfecture », chef lieu Sansha dans l’île de Yongxing ; cette préfecture est rattachée à la province de Hainan.
Pour le Vietnam les Paracels font partie de la province de Danang.
Pour Taïwan elles sont rattachées au port de Kaohsiung.
Chine et Vietnam se disputent encore une partie du plateau continental.
Chine – Philippines
Scarborough (Panacot, Bajomasinloc)
C’est avant tout la ZEE (zone économique exclusive) qui entoure cet îlot qui est l’enjeu du conflit.
Le conflit a été porté devant la Cour internationale d’arbitrage de La Haye.
En août 2016 la Cour a donné raison aux Philippines et déclaré que les droits invoqués par la Chine n’avaient pas de fondement juridique.
Taiwan – Philippines
Taiping – Itu Aba
Taiping, située au nord de la Mer de Chine méridionale, fait partie des Spratly.
Elle est administrée par Taïwan et elle est revendiquée par les Philippines, le Vietnam et la Chine.
Taïwan n’a pas apprécié de ne pas être consulté par la Cour internationale de La Haye à l’occasion de la demande d’arbitrage formulée par les Philippines ; mais Taïwan ne pouvait l’être puisque ce n’est pas un « état » reconnu par les organismes internationaux.
Taïwan conteste le jugement de La Haye car dans ce jugement Taiping est qualifié de « rocher » et non d’île et ne peut donc pas disposer d’une zone économique exclusive.
Chine – Vietnam, Malaisie, Brunei, Philippines
Spratly (Nansha)
C’est probablement là qu’existent les problèmes les plus complexes et les antagonismes les plus forts.
Il y a en effet :
- des récifs et des bancs de sables immergés en permanence,
- d’autres qui émergent à marée basse,
- des îlots et des îles qui étaient inhabités,
- des îlots et des îles artificiels maintenant habités et parfois utilisés comme bases militaires.
Se pose tout d’abord la question de la souveraineté.
Se pose ensuite la question de savoir si les Spratly constituent ou non un archipel.
Se pose également la question des éventuelles eaux territoriales, zones économiques exclusives, zones d’identification aérienne, etc.
La Chine réclame la souveraineté sur l’ensemble de la région, Vietnam, Malaisie, Brunei et Philippines en réclament chacun une partie.
La Chine veut protéger les abords de Hainan où est basée une partie de ses sous-marins et contrôler une partie de la route maritime qu’empruntent les pétroliers qui apportent le pétrole venus du Proche-Orient et les porte-conteneurs qui emportent vers l’Europe et l’Afrique ses produits manufacturés.
Les pays voisins veulent pouvoir disposer d’une partie des ressources sous-marines et des ressources halieutiques de la région.
L’accord de 2002, entre la Chine et les pays riverains, tous membres de l’ASEAN, pour l’exploitation commune des ressources de la Mer de Chine méridionale est resté lettre morte, la Chine préférant traiter avec chaque pays plutôt qu’avec une coalition.
En juillet 2012 la réunion de l’ASEAN, présidée par le Cambodge, s’est achevée sans communiqué final, le Cambodge ayant obtempéré à l’injonction de la Chine qui ne voulait pas que l’on mentionne les litiges de la Mer de Chine méridionale.
Chine – Indonésie
Natuna
Ce n’est pas un conflit de souveraineté.
Le conflit porte sur la délimitation des ZEE (zones économiques exclusives) car la ZEE de Natuna (Philippines) et la ZEE des Spratly (revendiquée par la Chine) se chevauchent.
Chine – Etats-Unis
Mer de Chine méridionale
Les Etats-Unis veulent faire respecter la libre navigation des bateaux de commerce et des bâtiments militaires dans la Mer de Chine méridionale et le libre survol de cette zone par les avions civils et militaires.
Pêche
Délimitation de l’espace maritime dans lequel la Chine impose unilatéralement un contrôle de la pêche aux autres usagers
Mer de Chine méridionale
De nombreux incidents opposent bateaux de pêche et bâtiments « garde-côtes » des divers pays qui se disputent les ressources halieutiques de la région.
Ces incidents sont parfois très violents : abordages, échanges de coups de feu, bateaux coulés, équipages capturés, etc.
Indonésie – Malaisie
Konfrontasi
La création de la Fédération de Malaisie qui fin 1962 a regroupé Singapour, la Malaisie britannique, Sabah et Sarawak au Nord de Bornéo suscitait l’hostilité de l’Indonésie.
De 1963 à 1966 des opérations militaires ont opposé l’Indonésie et ses voisins.
Indonésie – Singapour
Batam
Il n’y a pas conflit territorial entre l’Indonésie et Singapour mais il y a eu rivalité économique.
L’Indonésie voulait faire de cette île un centre commercial et industriel pour concurrencer Singapour.
Elle y a renoncé dans les années 1980.
Piraterie
La lutte contre la piraterie intéresse tous les pays dont l’activité économique est liée au commerce maritime. L’efficacité de la lutte contre la piraterie dépend d’une étroite collaboration
– en Mer de Chine méridionale entre les Philippines, l’Indonésie et la Malaisie + le Vietnam et la Chine.
– dans le détroit de Malacca entre l’Indonésie, la Malaisie et Singapour
Cambodge – Vietnam
Phu Quoc (Koh Tral)
L’île de Koh Tral, comme la Cochinchine, faisait partie du Cambodge avant d’être occupée par le Vietnam.
En 1856 le roi du Cambodge avait proposé à la France de lui céder cette île.
En mai 1975 les forces Khmers Rouges l’ont occupée mais ils en furent rapidement délogés.
Aujourd’hui le Cambodge est dans l’incapacité de récupérer cette ancienne possession.
Phu Quoc est à une dizaine de km du Cambodge et à une cinquantaine de km du Vietnam.
Cambodge – Thaïlande
Frontière maritime
Une zone d’environ 26.000 km2 (dans laquelle se trouve peut-être du pétrole) est réclamée par le Cambodge qui considère que la frontière maritime est une perpendiculaire à la côte et par la Thaïlande qui considère que la frontière maritime est le prolongement de la frontière terrestre si celle-ci est oblique par rapport à la côte.
En 2001 un accord était intervenu entre les deux pays pour une éventuelle exploitation commune des ressources de la zone contestée mais il n’a pas été appliqué.
Thaïlande et ses voisins
Plateau continental
Entre 1975 et 1997 plusieurs accords ont permis de régler différents litiges concernant le partage du plateau continental, notamment :
- Dans le golfe du Siam entre la Thaïlande et le Vietnam (1993)
- Dans la Mer d’Andaman entre la Thaïlande, l’Indonésie et la Malaisie (1975), entre la Thaïlande, l’Indonésie et l’Inde (1978), entre la Thaïlande, la Birmanie et l’Inde (1993)
Thaïlande – Myanmar
Trois îles en mer d’Andaman et l’estuaire de la rivière Kraburi
Ces îles sont situées près de l’extrémité sud de la frontière entre la Thaïlande et le Myanmar.
Elles ne figurent pas sur la carte jointe à la convention signée en 1868 entre le Siam et la Grande-Bretagne (alors puissance tutélaire de la Birmanie) d’où le litige non encore réglé.
La Thaïlande et le Myanmar se partagent l’estuaire de la rivière Kraburi ; ils se disputent un îlot et une jetée situés dans cet estuaire.
14/10 – Institut du Pacifique
Tensions maritimes en Extrême – Orient (1)
par Philippe Jullian – Illustrations par Michèle Biétrix
INTRODUCTION
Pour ce « point d’actualité » je me limiterai à la partie septentrionale de l’Extrême-Orient car les journaux parlent abondamment des litiges dans la Mer de Chine orientale et dans la Mer de Chine du Sud.
Dans certains cas, je ferai un rappel historique car cela permet de mieux comprendre la situation actuelle.
L’origine des tensions est très variée : souveraineté sur des îles ou des îlots, chevauchement de ZEE (zone économique exclusive), liberté de navigation, pêche, proximité de bases militaires, opérations militaires ou autres, etc.
JAPON – RUSSIE
KOURILES (Tsisima) & SAKHALINE (Karafuto – Tarakay)
Le chapelet des îles Kouriles est traditionnellement partagé entre les 12 « petites Kouriles » au Nord et les 4 « grandes Kouriles » au Sud, plus quelques petits îlots inhabités.
Jusqu’en 1875 les « petites » étaient contrôlées par les Russes et les « grandes » par les Japonais.
En 1875, par le traité de Saint-Pétersbourg la Russie cédait au Japon les 12 « petites Kouriles » et recevaient en échange la moitié sud de Sakhaline jusque là sous influence japonaise.
En 1905, à la suite de sa victoire sur la Russie le Japon reprend la moitié sud de Sakhaline.
En 1945, l’URSS récupère cette moitié sud de Sakhaline et occupe la totalité des Kouriles.
Aujourd’hui le Japon réclame les 4 « grandes » qu’il possédait autrefois, ce à quoi s’oppose la Russie pour des raisons stratégiques : c’est par là que les sous-marins russes basés à Sakhaline ou à Vladivostok peuvent accéder à l’Océan Pacifique.
Aucun traité de paix entre le Japon et l’URSS ou la Russie n’ayant été signé la revendication du Japon reste à l’ordre du jour.
CHINE – RUSSIE
SAKHALINE
C’est au milieu du XIX siècle à la suite de la convention d’Aigoun (1858) et du traité de Pékin (1860) que la Chine cède à la Russie la moitié nord de Sakhaline, jusque là sous influence chinoise, ainsi que des territoires en Sibérie orientale.
Les différents régimes qui se sont succédé depuis lors en Chine n’ont cessé de parler de « traités inégaux ».
De plus en plus nombreux sont les Chinois ouvriers, agriculteurs, commerçants, qui s’installent dans les territoires de Sibérie anciennement chinois et de plus en plus réticents sont les Russe à aller y vivre.
Il se pourrait fort bien qu’un jour, au nom de l’histoire ancienne et de la situation démographique nouvelle, la Chine réclame « ses » anciens territoires et aussi l’île de Sakhaline.
Il est bien évident que la Russie s’y opposera pour des raisons stratégiques.
JAPON – COREE du SUD
DOKDO (Takeshima – Liancourt)
En 1905 la Corée devient une colonie du Japon ; celui-ci prend possession des îles coréennes. En 1951 le Japon renonce à ses droits sur la Corée et sur un certain nombre d’îles qu’il occupait. Dokdo n’est pas mentionnée parmi celles-ci.
En 1953 la Corée du Sud y installe un contingent de gardes-côtes.
Le Japon revendique la souveraineté de cette île qui est située à 50 miles de la Corée et à 80 miles du Japon.
La Chine revendique ce rocher, autrefois submergé à marée haute, sur lequel la Corée du Sud a installé une station océanographique et une plateforme pour hélicoptère.
Il est situé à 80 miles d’une île coréenne et à 160 miles d’une île chinoise.
COREE du SUD – COREE du NORD
Actes de guerre
De très nombreux incidents mettent fréquemment aux prises bâtiments de guerre et bateaux de pêche nord-coréens et sud-coréens.
En plus de tous ces incidents on note deux « actes de guerre » :
- en mars 2010 la marine nord-coréenne coule la corvette sud-coréenne Cheonan et
- en novembre 2010 l’artillerie nord-coréenne bombarde l’île sud-coréenne Yeonpyeong.
JAPON – Etats-Unis
OKINAWA
La présence d’une base militaire américaine, et peut-être plus la présence de soldats américains que la présence de la base, suscite périodiquement des manifestations populaires hostiles.
Le gouvernement japonais, lié par un traité, n’a pas l’intention de demander aux Américains de quitter Okinawa alors que la Chine renforce sa présence militaire dans la région.
CHINE – ETATS-UNIS
YAP (Los Garbanzos – Gran Carolina)
Il y a environ deux ans on apprenait qu’une compagnie de tourisme de Hong-Kong
« Exhibition and travel group » projetait d’installer un centre de loisir sur l’île de Yap. (YAP désigne à la fois un Etat, un archipel d’environ 150 îles ou atolls et l’île principale de celui-ci) L’Etat de Yap, situé dans les Carolines, est un des Etats fédérés de Micronésie.
En 1899 l’Allemagne achète à l’Espagne plusieurs de ses colonies dont l’archipel de Yap.
L’île de Yap devient « un centre névralgique du renseignement naval allemand et un centre international important pour la télégraphie par câble » (wikipedia).
En août 1914 Yap est bombardé par les forces alliées et en septembre elle est occupée par les Japonais.
A la fin de la guerre les Etats-Unis manifestent leur désir de contrôler cet Etat mais c’est finalement au Japon que la SDN (Société des Nations) attribue en 1922 un mandat pour administrer l’archipel.
Au cours de la deuxième guerre mondiale Yap fut conquise par les Américains.
En 1947 ils reçoivent un mandat pour administrer cet archipel qui devient indépendant officieusement en1986 et officiellement en décembre 1990.
Est-ce vraiment pour des raisons touristiques que le gouvernement chinois, sous couvert d’une société « privée » s’intéresse à cette île ?
On peut en douter quand on remarque que c’est un « nœud » de câbles sous-marins, qu’elle n’est située qu’à 400 miles de la base américaine de Guam (alors qu’elle est à 1.400 miles de la côte chinoise) et enfin qu’elle est fort bien située pour être un centre de communication avec les sous-marins chinois qui navigueraient dans l’Océan Pacifique.
Les relations économiques et financières entre la Chine et l’Amérique latine ; situation et perspectives.
par Jean-Michel DASQUE
Quand j’étais en Amérique latine, les relations avec l’Asie étaient peu développées. Les échanges de biens et les services étaient peu importants ; ils étaient constitués essentiellement par quelques produits de base. Les flux touristiques étaient inexistants. Quand on était sur la rive du Pacifique, on pouvait se croire à la limite du monde et planter une pancarte finis mundi comme les Romains l’avaient fait aux colonnes d’Hercule c’est-à-dire au détroit de Gibraltar. La situation a radicalement changé. Le commerce des biens et des services a décuplé. Vous trouvez en abondance dans le sous-continent des voitures japonaises, des machines coréennes, des vêtements made in China.Les touristes chinois, japonais, coréens, taïwanais affluent sur les sites précolombiens et dans les cités coloniales comme Cuzco ou Cartagena. La RPC s’est taillée la part du lion sur un marché où elle n’a pénétré qu’à une date récente.Le dernier rapport de l’OCDE sur les relations entre la Chine et l’Amérique latine contient des informations intéressantes et fait des projections d’avenir.
I- L’évolution passée
A Description du phénomène
1- Essor sans précédent des échanges commerciaux.
Les échanges entre la Chine et l’Amérique latine ont connu une croissance exponentielle au cours des quinze dernières années. Le commerce a été multiplié par 22 dans la décennie 2000-2010. Entre 2000 et 2014 la part de la RPC dans les importations des pays latino-américains est passée de 2% à 16% ; sa part dans les exportations a progressé de 2% à 9%. Les échanges avec la Chine représentent 12.5% du commerce total du sous-continent. La RPC est sa deuxième source d’importions (après les USA) et la troisième destination de ses exportations après les USA et l’Union Européenne. L’Amérique latine est également devenue un partenaire important pour la Chine. En 2000, la région absorbait 3% des exportations chinoises et était à l’origine de 2% de ses importations ; en 2014 les pourcentages équivalents étaient respectivement 6 % et 7%. La croissance du commerce entre la Chine et l’Amérique latine a connu cependant une décélération en 2014 et 2015, due au ralentissement de la croissance en RPC et à la baisse des prix des matières premières.
Les échanges sont très déséquilibrés. En 2014, le Brésil, le Mexique, l’Argentine, la Colombie, le Pérou, le Chili et l’Equateur qui pèsent 88% du Pib de l’Amérique latine ont exporté 83.3 milliards de $ contre 152 mds d’importations. L’Amérique latine exporte essentiellement des produits de base. Les produits miniers et les denrées agricoles représentent 73% de ses exportations, les articles manufacturés représentant 6%. Cinq produits, le cuivre, le minerai de fer, les hydrocarbures, le soja et le sucre représentent l’essentiel des exportations de l’Amérique latine à la Chine. La structure des exportations de la Chine est radicalement différente ; en 2013, les produits manufacturés représentaient 91% de ses ventes.
2- Les investissements et les aides financières.
Les flux financiers provenant de Chine et destinés à l’Amérique latine ont fortement augmenté depuis 2000 et constituent l’une des sources principales de financement externe du sous-continent. Les prêts octroyés par Pékin depuis dix ans s’élèvent à 99 milliards de $. Ils sont destinés à financer des investissements dans les mines, l’énergie, les infrastructures de transport, les télécommunications tandis que les prêts des institutions internationales et régionales se situent dans des secteurs tels que l’éducation, la santé, l’environnement, les administrations publiques, les services sociaux. Les principaux pays bénéficiaires de l’aide chinoise ont été l’Argentine (16%), le Brésil (19%), l’Equateur (9%) et le Venezuela (47%). Le président Xi Jin-Ping a déclaré que le montant total des aides financières de la RPC à l’Amérique latine devrait atteindre 250 milliards de $ en 2025.
L’investissement direct chinois est relativement faible et ne représente que 6% du total des IDE de la région. Il faut dire que cet investissement est assez mal recensé par les autorités de Pékin et que des flux importants de capitaux transitent par Hong Kong, Taïwan ou des paradis fiscaux comme les îles Caïman. Les flux de capitaux s’investissent dans les secteurs traditionnels (mines, énergie) mais aussi dans d’autres branches d’activités, industrie manufacturière, agriculture, services, banques.
B- Les conséquences pour l’économie de l’Amérique latine
Effets positifs
En offrant de larges débouchés aux pays latino-américains et en leur accordant des crédits relativement généreux, la Chine a contribué de manière significative à leur croissance économique. Grâce à ce partenariat, à d’autres de facteurs externes favorables et à une bonne gestion macro-économique sur le plan interne, les Etats d’Amérique latine ont pu améliorer leurs performances économiques. Le Pib a progressé de 5% par en moyenne entre 2000 et 2013 et a atteint des taux supérieurs dans certains pays (Colombie, Pérou). Cette prospérité a permis de réduire la pauvreté dans la plupart des pays concernés et a favorisé l’apparition d’une classe moyenne.On observe cependant depuis deux ans un tassement de la croissance dû à la baisse des cours mondiaux des matières premières et au ralentissement de l’activité économique en Chine. Selon les estimations du FMI, le Pib de la région a progressé seulement de 2.9% en 2014 et il a été 1% en 2015
Les effets négatifs
Les avantages à court terme des relations avec la Chine ont masqué certains aspects négatifs. Les pays situés au sud du Rio Grande ont eu tendance à se concentrer sur la production des matières premières et des denrées agricoles et à négliger les autres secteurs de l’économie, notamment l’industrie manufacturière. Seuls le Costa-Rica et la Colombie ont diversifié la gamme de leurs exportations. Certains pays ont rétrogradé. Le Brésil est passé de la 34ème à la 39ème place dans la liste des pays classés en fonction de la diversité de leurs exportations, le Chili de la 52ème à la 69ème place, le Venezuela de la 58ème à la 101ème place. On a parlé d’une « reprimairisation »des économies. Cette évolution n’a pas favorisé une montée en gamme de l’économie des pays concernés ni la création d’industries à haute valeur ajoutée. Elle n’a eu qu’un impact limité sur l’emploi dans la mesure où les mines et l’énergie ne nécessitent pas une main d’œuvre particulièrement importante. Enfin elle a accru la dépendance vis-à-vis des marchés mondiaux qui sont comme on l’a vue ces deux dernières années très volatiles.
Par ailleurs, la concurrence des produits chinois a porté tort aux industries locales. Confrontés à des concurrents très compétitifs, les producteurs latino-américains ont perdu des parts sur les marchés nationaux etextérieurs, notamment aux Etats-Unis. Cet effet a été très marqué dans le domaine du textile. Il a été moins sensible dans d’autres secteurs comme l’électronique et les machines.
Les entreprises chinoises ont eu assez souvent une attitude contestable. Elles ont exploité la main d’œuvre locale ce qui a provoqué des conflits du travail et ne se sont guère souciées de la protection de l’environnement. Elles ont été accusées d’autre part d’appliquer des méthodes de « dumping » et de livrer des produits de qualité médiocre. Des cas de corruption (notamment en Bolivie et au Mexique) ont été signalés dans lesquels des firmes de RPC étaient impliquées. Les crédits chinois se sont révélés moins avantageux qu’il n’y paraissait à première vue et ont servi une stratégie visant à dominer certains secteurs de l’économie. Ainsi Pékin a été accusé parfois de pratiquer une politique néocolonialiste.
II- Les perspectives d’avenir et les actions à mener
A- Le tournant chinois et ses conséquences
1- Le rééquilibrage de la politique chinoise
Les relations entre le RPC et l’Amérique latine resteront marquées par un courant d’échanges important. Mais il faut tenir compte, dans les prévisions, du changement de politique économique en Chine. Cette dernière devrait connaîtra un taux de croissance moins élevé qu’au cours des dernières décennies ; le Pib progressé de 6.7% en 2015 contre 8 et 9% au cours des exercices précédents et le FMI prévoit une croissance de 6.5% en 2016 et au cours des années suivantes. La croissance qui était fondée essentiellement sur le commerce extérieur et l’investissement reposera dans une plus large mesure sur la consommation intérieure. Une attention accrue sera portée aux problèmes sociaux, à la réduction des inégalités, à l’environnement. Simultanément des mesures seront prises pour développer les industries à forte valeur ajoutée et faisant appel aux technologies avancées. Enfin le gouvernement poursuivra les actions entreprises pour assainir le secteur bancaire, améliorer la productivité du secteur d’Etat, fermer ou reconvertir les entreprises non rentables. Ces réformes auront inévitablement un impact sur les relations avec l’Amérique latine.
2- Incidences sur les relations avec l’Amérique latine
Les exportations des pays d’Amérique latine enregistreront une réduction variable selon les pays et les produits. Les pays exportateurs de minerais comme le Pérou et le Chili tout comme les fournisseurs d’énergies fossiles (Venezuela, Equateur, Colombie, Bolivie) verront le taux annuel d’accroissement de leurs ventes passer de 16% (moyenne de la période 2000-2010) à 4% entre 2012 et 2030. Le taux d’accroissement des exportations de denrées agricoles subira aussi un ralentissement sensible ; il baissera de 12% par an à 3%. Les fournisseurs de produits manufacturés (Mexique, Amérique centrale) seront moins fortement affectés (passage d’un taux de croissance annuel de 5% à 3%).
Le rééquilibrage en Chine n’aura pas, selon les prévisions de l’OCDE, que des conséquences négatives pour l’Amérique latine. Le processus d’urbanisation, l’augmentation de la population, malgré la politique de l’enfant unique, qui d’ailleurs a été modulée, enfin l’apparition d’une classe moyenne disposant de moyens financiers non négligeables mais plus exigeante en matière de qualité offriront de nouvelles opportunités aux exportateurs latino-américains. Les experts estiment que la demande de produits agricoles transformés, d’aliments riches en protéines, de produits de la mer, de fruits et de légumes pourrait augmenter de 10 à 20% par an. En revanche la consommation de produits de base tels que le froment, le maïs et le riz devrait diminuer. L’Amérique latine devrait aussi attirer un nombre accru de touristes chinois ; en 2013, 334.000 ressortissants de l’ancien Empire du Milieu ont franchi le Pacifique pour visiter le sous-continent ; cela ne représente que 1% des touristes chinois dans le monde. Le rapport ne signale pas l’insuffisance des infrastructures, le coût des transports et le climat d’insécurité régnant dans plusieurs Etats, qui sont autant d’obstacles au développement du tourisme étranger en Amérique latine.
Une stratégie du développement habilement conçue pourrait inciter les entreprises chinoises à investir dans des secteurs jusqu’ici largement inexplorés, notamment dans l’industrie manufacturière, en association parfois avec des firmes locales. Des possibilités de coopération inter-entreprises existent dans l’électronique, l’automobile ainsi que dans les entreprises travaillant pour le secteur minier. La participation chinoise à des projets communs faciliterait l’intégration des entreprises latino-américaines dans des chaines de valeur régionales et internationales. Des possibilités de réaliser des opérations lucratives existent dans bien d’autres domaines ; on peut citer la santé, les services pour le troisième âge, les transports, les télécommunications, la planification urbaine, la distribution. La hausse des salaires et par conséquent des prix en RPC devrait favoriser les exportations de biens manufacturés et de services latino-américains.
Compte tenu de l’intérêt accordé par les dirigeants de Pékin à la recherche et au développement, ce secteur pourrait être un terrain fertile pour la collaboration entre le Chine et l’Amérique latin. Des programmes communs d’investigation et d’échanges pourraient être envisagés dans de nombreux secteurs : énergies renouvelables, agronomie, robotique, infrastructures, gestion environnementale, santé, biotechnologie, nanotechnologie, conservation des aliments, recherches sur les matériaux. D’ores et déjà des accords de coopération ont été élaborés avec l’Argentine, le Brésil, le Chili mais ils pourraient être renforcés et étendus à d’autres pays du sous-continent.
B- Les mesures à prendre pour saisir les opportunités offertes par la politique de normalisation en Chine
Le rapport de l’OCDE énonce un certain nombre de mesures à mettre en œuvre pour saisir les opportunités offertes par le rééquilibrage de la politique chinoise. Les principales portent sur les points suivants :
– Le rapport estime souhaitable de diversifier l’économie des pays latino-américains, en développant notamment les secteurs à haute valeur ajoutée et les industries faisant appel à des technologies avancées. Il cite les entreprises liées au secteur minier, l’automobile, l’électronique, l’informatique, la pharmacie, la robotique… Le secteur des services devrait être lui aussi diversifié ; il ne devrait pas se limiter aux activités traditionnelles comme le tourisme et devrait être élargi notamment aux services informatiques. Le rapport note que le secteur des services offre des perspectives intéressantes à l’Amérique latine, parce que l’éloignement ne pose pas les mêmes problèmes que dans d’autres secteurs tels l’industrie
– La productivité est inférieure aux niveaux atteints non seulement aux Etats-Unis et en Europe, mais aussi en Asie. Les déficiences du capital humain ont des conséquences négatives dans des secteurs tels que les machines, l’automobile, l’électronique. Des progrès dans ce domaine peuvent être obtenus par une meilleure formation de la main d’œuvre, une rationalisation des méthodes de gestion, une modernisation des rapports entre employeurs et salariés, l’introduction de technologies nouvelles telles que l’informatique et la robotisation. Les personnels doivent être transférés, chaque fois que cela est possible, des secteurs traditionnels, caractérisés par une productivité assez faible, vers les secteurs plus modernes où les rendements sont élevés. Mais cette opération suppose une action de reconversion et de formation de la main d’œuvre.
– Les PME peuvent apporter une contribution au développement du commerce avec la Chine. Mais elles doivent être renforcées et devenir plus concurrentielles. Elles doivent avoir plus largement accès au crédit afin de pouvoir financer leurs investissements et se moderniser. Elles doivent aussi mettre au point des formules permettant d’être présentes sur le marché chinois (chambres de commerce, sociétés de trading).
– Le rapport insiste sur la nécessité d’améliorer la qualité et l’efficacité du système éducatif. Il accorde une attention particulière à la formation des maitres et professeurs du secondaire, à l’éducation préscolaire, à la formation continue pendant la vie professionnelle. Il estime indispensable de mieux adapter l’enseignement aux besoins de l’économie et de renforcer les liens entre les institutions d’enseignement supérieur et le secteur productif. Enfin il recommande de développer les enseignements scientifiques et technologiques.
– Des mesures devraient être prises pour promouvoir la recherche scientifique et l’innovation. Le stock du capital innovant est plus faible en Amérique latine que dans les pays membres de l’OCDE (13% du Pib contre 33%) de même que les sommes dépensées dans la recherche. Les crédits publics consacrés à cette dernière devraient être augmentés, des dispositions devraient être prises pour diffuser les résultats de la recherche et encourager l’application industrielle des découvertes scientifiques, enfin les firmes étrangères, y compris chinoises, devraient être incitées à investir dans la R&D. Une attention particulière devrait être accordée à l’informatique, à la robotique, aux nano-biologies, à la biotechnologie, à l’agronomie, aux énergies renouvelables.
– Il est indispensable d’améliorer et de moderniser les infrastructures principalement dans les transports (routes, chemins de fer, équipements portuaires, aéroports). Le coût élevé des transports est un obstacle au développement du commerce intrarégional et du tourisme et il augmente le coût des biens exportés. Il est à noter que 57% des exportations sont constituées par des produits pondéreux ou des marchandises périssables.
– Le commerce intrarégional est insuffisamment développé ; il représente 20% des exportations globales contre 30% en direction de l’UE et de l’Asie. Un approfondissement du processus d’intégration régionale et l’élimination des obstacles aux échanges de biens et de services permettraient de réaliser des économies d’échelle, de favoriser une spécialisation basée sur les avantages comparatifs, d’attirer les investissements étrangers. Les Etats pourraient commencer par former de blocs subrégionaux et examiner les complémentarités latentes, par exemple entre la CAN (Communauté andine des nations) et le Mercosur. Ultérieurement on lancerait des programmes d’intégration plus ambitieux, concernant l’ensemble de l’Amérique du sud ou même l’Amérique latine toute entière. Sur un autre plan, la création de plateformes régionales et subrégionales du type du Caricom, du MCCE, du Mercosur et de l’Alliance du Pacifique offre la possibilité de mettre en place des mécanismes de coordination et d’élaborer des stratégies coordonnées dans les négociations commerciales avec des pays tiers, la Chine notamment, et des organisations régionales du type de l’UE.
– Compte tenu de l’apparition en Chine d’une clientèle plus exigeante, les pays latino-américains devront améliorer la qualité de leurs produits et les standardiser, notamment les produits agricoles et respecter les normes phytosanitaires internationales Ils devront essayer d’établir des marques et des systèmes d’appellations contrôlées. Ils devront enfin s’efforcer de mettre en place des réseaux de distribution et mener des actions de promotion pour mieux faire connaître leur offre.
– Les autorités gouvernementales devront mettre en place un cadre législatif et règlementaire clair et précis, notamment en matière de protection environnementale. Elles devront assurer la transparence des règles et des procédures et renforcer les mécanismes de contrôle et d’évaluation tout en améliorant l’aptitude des administrations à faire respecter les normes, en particulier dans le secteur minier. L’objectif est de protéger l’environnement tout en évitant par des règles trop sévères de décourager les initiatives. Dans tous les cas il faudra privilégier la prévention et ne prendre des mesures punitives qu’en cas de transgression ouverte des lois.
En conclusion le rapport pense que les changements en RPC représentent des défis mais offrent aussi des opportunités aux pays d’Amérique latine qui doivent être prises en compte dans les stratégies de développement. Il suggère que la Chine dépasse les formes traditionnelles de coopération bilatérale et engage « un dialogue structuré » avec la région formant un tout. Il estime enfin que la collaboration entre la RPC et le sous-continent doit aller au-delà de l’agenda actuel pour intégrer des préoccupations nouvelles, liées aux concepts de durabilité etde protection de l’environnement.
Le rapport de l’OCDE est très documenté et livre à une analyse approfondie de la situation et des perspectives en Amérique latine. Il contient une foule de données, notamment de données chiffrées, intéressantes. Il formule des recommandations marquées du sceau du bon sens. Ceci dit son diagnostic n’est pas très orignal et les réformes de structure qu’il préconise figuraient déjà dans les rapports des institutions spécialisées (CEPAL, FMI, Banque Mondiale, Banque Interaméricaine). Quoiqu’il en soit, elles devront être impérativement appliquées, indépendamment de toute autre considération. Au cours des quinze dernières années, le sous-continent a bénéficié des circonstances exceptionnellement favorables qui ne se retrouveront pas de sitôt. D’ores et déjà la conjoncture économique s’est dégradée. Si des mesures énergiques ne sont pas appliquées, l’Amérique latine risque d’être prise dans ce que les experts de l’OCDE appellent le piège du revenu moyen ou même pour certains pays de stagner dans le sous-développement.
L’Indonésie et la lutte contre le trafic de drogue par Jean-Christian CADY
Il est rare que les projecteurs de l’actualité internationale se braquent sur l’Indonésie. La dernière fois, c’était en décembre 2004, lors du tremblement de terre au large d’Aceh, suivi d’un tsunami dévastateur dans tout le sud est asiatique. Ces dernières semaines, l’Indonésie a fait la une de la presse internationale en raison de l’exécution le 27 avril de 8 personnes, dont 7 étrangers, qui ont été condamnées à mort pour trafic de drogue. Les 7 étrangers passés par les armes étaient deux Australiens, quatre Nigérians, et un Brésilien. Sont encore en sursis – car faisant l’objet d’un ultime appel – une Philippine, son gouvernement faisant valoir des faits nouveaux et un Français, Serge Atlaoui. Cet évènement, qui aurait pu rester à la rubrique des faits divers, a eu une résonance internationale très importante pour plusieurs raisons.
La première est que les démarches diplomatiques et les protestations de chefs de gouvernement ou de chefs d’Etat, qui ont été nombreuses et insistantes, ont été inefficaces. La France, par son ambassadeur, son ministre des affaires étrangères et son président de la République a demandé au président indonésien M. Joko Widodo, d’accorder la grâce à M. Atlaoui, citoyen français condamné à mort. Comme pour les autres condamnés, le président indonésien s’y est refusé. Un ultime recours juridique sur l’absence de motivation du rejet de la grâce présidentielle, va faire l’objet d’un examen dans les prochains jours mais a très peu de chances de réussir.
Les arguments que le gouvernement français a fait valoir ont été de trois ordres. Tout d’abord il existe une erreur matérielle. M. Atlaoui présenté dans le procès comme un chimiste d’un laboratoire de drogue, était en réalité un plombier qui ignorait que l’objet de l’atelier où il travaillait était de produire des drogues de synthèse. Le deuxième élément que le gouvernement français a fait valoir est que les procès des commanditaires de cette usine, sont toujours en cours, alors que celui des exécutants a été achevé. Enfin le troisième argument est que la peine de mort est inhumaine et a été abolie en France comme 143 pays dans le monde. Il n’en demeure pas moins vrai que la peine de mort existe dans les quatre pays les plus peuplés du monde à savoir la Chine, l’Inde, les Etats-Unis et l’Indonésie.
Quelle que soit la valeur de ces arguments, le fait qu’ils aient été rendus publics, qu’une campagne de presse ait eu lieu et que le gouvernement français ait mis en cause directement la compétence et l’impartialité de la justice indonésienne, a fortement indisposé les autorités de Djakarta. Dans le sud-est asiatique, la culture dominante est que ces démarches ont tout à gagner à rester confidentielles pour éviter que l’interlocuteur ne soit acculé et risque de perdre la face.
Ni les autres chefs de d’Etat ou de gouvernement comme Dilma Rousseff, présidente du Brésil ou Tony Abbott, premier ministre australien, ni le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki Moon n’ont eu plus de succès dans leurs démarches. Tous ces pays ont rappelé leurs ambassadeurs en signe de mécontentement et ont indiqué que les relations bilatérales avec l’Indonésie allaient en pâtir. Cette menace à l’égard d’un pays de 250 millions d’habitants, est surtout un sabre de bois venant de certains pays dont les relations commerciales avec l’Indonésie sont faibles et le programme d’aide inexistant. Ainsi, en 2014 l’Indonésie est le 46ème fournisseur de la France, avec 0,3% de nos importations et elle est le 43ème client de la France avec 0,4% de nos exportations. Il n’en demeure pas moins que cet opprobre international aura quelques conséquences au moins momentanées pour l’Indonésie. Tony Abbott a clairement indiqué que l’Australie va réduire, voire supprimer son programme d’aide au développement à l’égard de l’Indonésie. Il est noter qu’après le Japon, les Etats-Unis, la Banque Mondiale et la Banque de Développement Asiatique, elle est le principal bailleur de fonds pour ce pays avec 600 millions de dollars australiens, soit environ 420 millions d’euros pour le budget 2014-1015. Il est à noter aussi qu’une partie de cette aide sert à mettre à niveau le système judiciaire indonésien et à le rendre plus efficace, plus impartial et moins corrompu.
Il convient de rappeler l’exécution en janvier dernier d’un Néerlandais condamné à mort pour trafic de drogue, qui avait eu lieu en dépit d’un appel du chef du gouvernement néerlandais et du roi des Pays-Bas Guillaume-Alexandre. On pourrait multiplier les exemples au cours de ces dernières années.
Cette accumulation de refus de grâces dans des affaires de drogue nous amène à nous demander pourquoi l’Indonésie refuse-t-elle les demandes de grâce dans ces affaires ? On peut supposer d’abord que la fierté indonésienne a été blessée par ces démarches qui ont été vues comme une tentative de pays étrangers d’interférer dans un processus judiciaire du seul ressort de la souveraineté de l’Indonésie. Ces démarches ont été d’autant plus mal vues que, dans la plupart des cas, mis à part les cas du Français et celui de la Philippine, la réalité des faits qui ont donné lieu à ces condamnations n’était pas contestée par les pays étrangers qui, de leur côté, combattent le trafic de drogue. Mais ces interventions dans les médias que certains ont appelé la « diplomatie du mégaphone », faisant en particulier allusion à l’Australie, ont été très mal ressenties en Indonésie. Mais en dehors d’une susceptibilité nationale blessée, quelle est la raison de cette intransigeance du gouvernement indonésien ? Pourquoi refuse-t-il systématiquement les demandes en grâce de ses nationaux et des étrangers dans les affaires de drogue, alors qu’il y a une dizaine d’années, il avait une approche plus souple et des exécutions étaient moins nombreuses ?
Rappelons tout d’abord que les personnes condamnées à mort, l’ont été bien avant l’arrivée au pouvoir de Joko Widodo. C’est en 2005 que M. Atlaoui a été arrêté et c’est en 2007 qu’il a été condamné.
En effet à la fin des années 1990, du temps du mandat du président Abdurrahman Wahid qui a été en fonction de 1999 à 2001, l’accent avait été mis sur la réhabilitation des drogués. La drogue était davantage traitée comme un problème de santé et l’approche était moins répressive. C’était le cas notamment dans la loi de 1995 sur le système pénitentiaire. En revanche la loi indonésienne de 2012 qui concerne le terrorisme, la drogue et la corruption, a accentué la démarche répressive.
Deux faits me paraissent significatifs.
Le premier est que la consommation de drogue est un problème national pour l’Indonésie.
Selon le bureau indonésien de la drogue, 1,6 million de personnes consomment de la drogue occasionnellement et 1,4 en consomment régulièrement. Toujours selon ce bureau, plus de 30 personnes par jour meurent des effets de la drogue. Même si ces chiffres sont contestés, il est certain que la drogue est un problème réel pour ce pays. De plus l’Indonésie est un hub pour le trafic de drogue dans le sud est asiatique. Il s’agit non seulement de l’héroïne, qui comme chacun sait est un dérivé de l’opium, ou de la cocaïne, mais de drogues de synthèse et notamment la méthamphétamine dont les effets sont plus dévastateurs que l’héroïne sur la santé mentale et conduisent à la violence. Cette méthamphétamine est produite sur place. L’UNODC distingue deux types de drogue de synthèse: l’ATS (amphetamine type synthetic drug) et les nouvelles drogues psychotropes: NPS (new psycho active substances): il y en a une quarantaine aux noms aussi barbares que les effets et je me garderai bien de les lister.
De plus 45% de la drogue consommée en Asie du sud-est, transite par l’Indonésie qui est le plus grand marché de la drogue dans cette région.
Le deuxième fait est que la lutte contre le trafic de drogue est populaire en Indonésie. Dans son refus de clémence, le président Widodo est soutenu par une majorité de la population. Un sondage d’opinion fait en avril par le quotidien indonésien Compass, montre que 86% de la population est en faveur de l’exécution des étrangers condamnés dans des affaires de drogue. Widodo n’a donc aucun intérêt à dévier d’un élément important de la politique qu’il avait annoncée dans sa plateforme électorale. N’oublions pas que Joko Widodo, qui a pris ses fonctions le 20 septembre 2014, est le premier président indonésien à ne pas être issu de l’establishment. Il a la réputation d’être intègre. Il été élu sur une base populiste de lutter contre la corruption, le crime, la drogue et de remettre de l’ordre dans la justice. C’est en cela d’ailleurs que cette élection répondait aux aspirations d’une majorité de la population qui n’a aucune confiance dans ses dirigeants qui sont trop souvent impliqués et parfois condamnés dans des affaires de corruption.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la fermeté du président Widodo auquel la population demande d’être ferme à la fois dans les affaires de drogue et contre les pressions étrangères.
Cela étant, deux questions se posent :
- Comment cette politique s’intègre-t-elle dans ce qui est fait dans le sud-est asiatique ?
- Cette politique est-elle une réussite ?
En ce qui concerne les politiques de lutte contre le trafic de drogue dans le sud-est asiatique, il faut distinguer les pays qui utilisent la peine de mort contre les trafiquants et ceux qui n’ont pas la peine de mort dans leur code pénal ou ne l’utilisent pas. Les Philippines, le Cambodge et le Timor oriental ne connaissent pas la peine de mort. Brunei n’a pas connu d’exécution depuis 1957. Les seuls pays où la peine de mort existe et où elle est pratiquée pour les trafics de drogue, sont le Vietnam, la Malaisie, l’Indonésie et Singapour.
La législation contre le trafic de drogue est très stricte à Singapour. Toute personne qui, dans ses bagages, est prise avec plus d’une demi-once d’héroïne c’est à dire 14 g, une once de cocaïne ou de morphine, soit 28 g, ou 17 onces de marijuana, soit 500 g, est considérée comme un trafiquant de drogue et est passible de la peine de mort par pendaison. 400 personnes ont été pendues pour ce motif à Singapour entre 1991 et 2004. Ceux qui sont en possession de quantités moindres, restent soumis à des procédures judiciaires et peuvent être condamnés à des peines directement issues de l’arsenal pénal britannique du 19ème siècle, à savoir le « caning » et le fouet.
Au Vietnam la possession de plus de 100g d’héroïne est passible de la peine de mort. Ainsi en janvier dernier, 30 personnes ont été condamnées à mort dans le procès d’un réseau de trafiquants.
Donc comme on le voit, la répression du trafic de drogue donne lieu à des politiques variées dans le sud-est asiatique, Singapour, l’Indonésie, la Malaisie et le Vietnam faisant partie du groupe dur.
La lutte contre la drogue ne se résume pas à la répression mais comprend aussi la prise en charge des drogués. C’est un aspect très difficile car, au delà de mesures à caractère médical, le sevrage, il est nécessaire de prévoir tout un accompagnement pour une réinsertion des malades dans la société.
Là encore beaucoup de pays sont partisans de la manière forte et ont créé des centres de détention pour les usagers de la drogue. Ces centres de détention qui ressemblent à des prisons militaires et où les détenus portent un uniforme et sont soumis à une discipline stricte, existent en Thaïlande, au Cambodge, au Vietnam, en Malaisie et à Singapour. Les associations de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch et Amnesty International protestent avec véhémence contre ces méthodes. Ces centres sont une façon de masquer le problème mais ne sont pas une solution comme en témoigne l’augmentation des cas de SIDA au sein de ces centres.
Il est vrai que, même dans les pays développés, le sevrage des drogués et leur réinsertion sont des problèmes qui sont très imparfaitement résolus.
La réussite des mesures contre la drogue dans le sud- est asiatique peut être mesurée selon trois critères : la production de la drogue, le commerce de la drogue et le nombre de personnes dépendantes.
Au Laos, qui fait partie du triangle d’or, la production de pavot est en constante augmentation et a triplé depuis 2006. Une révision récente du code pénal du Laos a accru les peines. En revanche au Myanmar et au Laos il n’y a pas eu d’exécution connue pour trafic de drogue depuis 1989 de même qu’en Thaïlande depuis 1988. Il n’en demeure pas moins que le trafic de drogue et la production de drogues de synthèse se développent dans ces pays.
La conférence de la commission des stupéfiants de l’ONUDC qui s’est tenue à Vienne du 9 au 17 mars 2015 l’a constaté. Elle a constaté également que le trafic de drogue est une forme de criminalité qui est très liée aux autres aspects de la criminalité et je ne peux mieux faire que de citer l’un des paragraphes de la déclaration ministérielle concluant cette conférence qui disait:
« …il faut d’urgence réagir aux sérieux problèmes que posent les liens de plus en plus forts entre le trafic de drogues, la corruption et d’autres formes de criminalité organisée, dont la traite des personnes, le trafic d’armes à feu, la cybercriminalité et, dans certains cas, le terrorisme et le blanchiment d’argent, y compris le blanchiment d’argent lié au financement du terrorisme, et aux problèmes de taille qu’affrontent les services de détection et de répression et les autorités judiciaires s’agissant de riposter à l’évolution constante des moyens employés par les organisations criminelles transnationales pour échapper à la détection et aux poursuites. »
La lutte contre le trafic, mais aussi la production et la consommation de drogue en Indonésie et dans le sud-est asiatique n’est donc qu’un chapitre d’un problème beaucoup plus vaste, transfrontières et même mondial où la coopération internationale joue un rôle essentiel. Les actions ne réussissent pas toutes. Mais, pour paraphraser un mot célèbre, cela ne doit empêcher ni de les entreprendre, ni de persévérer.
La Papouasie-Nouvelle-Guinée, Jean-Michel DASQUE, Interview à France-Culture
I-Introduction
La PNG est peu connue en France ; on a des difficultés à la situer sur une carte géographique. Elle n’est pas pourtant sans importance si l’on considère son poids démographique (8 millions d’habitants), son potentiel économiques (ressources naturelles, minière, agricoles), sa situation stratégique, sa biodiversité.
II-Présentation
La PNG correspond à la partie orientale de la grande île de Nouvelle-Guinée. Elle est située à l’est de l’Indonésie et au nord-est de l’Australie dont elle est séparée par le détroit de Flores. Elle s’étend du 140ème au 160ème degré de longitude ; elle est entre le premier et le 12ème degré de latitude sud. Sa superficie est de 462 000 kms 2. Elle comprend l’île principale (« Mainland ») et une galaxie d’îles de moindre importance (Nouvelle-Bretagne, Nouvelle-Irlande, îles Bismarck……Elle se caractérise par un relief accidenté. La partie centrale est occupée par des montagnes parfois élevées (Highlands) et des plateaux. Les plaines côtières et les deltas de fleuves (Sepik, Ramu, Fly River) sont couverts par des zones marécageuses ou des savanes. Située à proximité de l’équateur, la PNG a un climat tropical, chaud et humide. Toutefois les massifs montagneux de l’intérieur ont une température plus fraiche. La zone sud et sud-est se caractérise par un climat assez sec. La PNG abrite le plus grand bloc forestier dans le monde, après l’Amazonie et le Congo. Elle contient 5% de la diversité biologique mondiale. Située sur la ceinture de feu du Pacifique, elle se distingue par une forte activité tellurique et possède plusieurs volcans. Elle est très exposée aux catastrophes naturelles (cyclones, tsunamis, niño).
La PNG a une population de 8 millions d’habitants. La densité est encore basse (16 habitants au Km2). De nombreuses zones sont inhabitées. La croissance démographique est forte : 19‰ par an. La natalité est de 25‰ et la mortalité de 6.5. L’âge moyen est de 22 ans. Le taux de mortalité infantile est élevé. L’espérance de vie est de 62 ans. La quasi-totalité des Papous sont christianisés ; un tiers sont des catholiques et les deux tiers appartiennent aux différentes confessions réformées. Les langues dominantes sont l’anglais, le « pidjin english » et le hiri motu mais il existe plus de 700 dialectes.
La Nouvelle-Guinée été découverte au XVIIème siècle par des marins hollandais et anglais. La partie sud de l’actuelle PNG a été colonisée à partir de 1885 par les Britanniques tandis que les Allemands s’installaient dans le nord-est à Rabaul. En 1902, Londres a transféré l’administration de sa colonie à l’Australie, devenue un dominion. En 1914, les troupes du Commonwealth ont chassé les Allemands et occupé la partie de la Nouvelle-Guinée que le Reich possédait. La PNG accédé à l’indépendance en 1975. La partie occidentale de la Nouvelle Guinée a connu un sort différent. Elle a été une colonie néerlandaise avant d’être annexée par l’Indonésie en 1963.
III Régime constitutionnel et vie politique
La PNG possède un régime parlementaire inspiré du modèle britannique. Le parlement monocaméral exerce le pouvoir législatif. Il nomme le Premier ministre et peut renverser le gouvernement par une motion de censure. Il est composé de 111 députés élus au suffrage universel pour un mandat de cinq ans. Le chef de l’Etat est la reine d’Angleterre, représentée parle gouverneur dont le rôle est purement honorifique. La PNG adopté un système administratif quasi-fédéral avec 19 provinces dotées d’un gouvernement et d’un parlement. La PNG est membre du Commonwealth.
La vie politique a été caractérisée pendant longtemps par le fractionnement des partis et l’instabilité gouvernementale. Les députés changeaient souvent d’appartenance politique et les partis étaient fondés sur une base ethnique ou autour d’un leader, un « big man». Les crises ministérielles étaient fréquentes. Au cours des dernières années la PNG a joui d’une relative stabilité intérieure. Depuis sa victoire aux élections de 2012,le Premier ministre, Peter O’Neill n’a cessé d’élargir sa
majorité. Il incarne une nouvelle génération de dirigeants plus moderne et plus technocratique. Il donne la priorité au développement économique, aux infrastructures, à l’éducation, à la santé, à la protection sociale. Il s’efforce de mettre en place des partenariats public-privé. Il est soucieux de moderniser l’administration et de mieux former les fonctionnaires. Cependant la PNG continue de souffrir d’une insécurité chronique (Port-Moresby passait pour une des villes les plus dangereuses au monde) et de la corruption qui a fait des progrès depuis que le pays connait un début de développement.
Outre ces deux questions, la PNG doit résoudre le problème de Bougainville. En 1988, un litige lié à la propriété des terres et aux royalties dues pour l’exploitation de la mine d’or et de cuivre de Panguna, a entrainé un soulèvement populaire dans cette île, qui appartenait initialement au groupe de Salomon. Il s’en est suivi un conflit qui a duré plus douze ans et qui a fait quelque 20.000 morts soit 10% de la population. A la suite d’une médiation de l’ONU et de l’intervention d’une force sous régionale commandement australien, une trêve a été conclue en 2002. L’île a été dotée d’un statut de région autonomie. Un référendum d’autodétermination doit être organisé d‘ici 2020.
IV La situation et les perspectives économiques
La PNG est la première économie des Etats insulaires du Pacifique sud. Son Pib s’élève à 20.04 Mds USD et représente 60% du PIB des îles. L’agriculture entre à concurrence de 30% dans la formation du Pib, l’industrie et les mines de 38% et le secteur tertiaire de 32%. La PNG possède des richesses minières considérables ainsi que dans le domaine des hydrocarbures. Trois grands projets sont en cours de réalisation dans le domaine gazier :
- Exxon Mobil, signe en 2012 ; le projet PNG-NLG prévoit la construction d’un gazoduc de 7OO kilomètres et d’une usine de liquéfaction pour un investissement de 22 Mds USD.
- Total dans la province du Golfe de Papouasie
- Un projet mené par Horizont Oil et Osaka Gaz.
Dans le domaine minier, la PNG produit de l’or (elle figure parmi les 15 premiers producteurs de ce métal précieux), du cuivre, du nickel, du cobalt (Ramu-Nico) et du molybdène. La compagnie canadienne Nautilus a entrepris l’exploitation d’une mine sous-marine de sulfures polymétalliques.
La PNG a aussi d’importantes ressources agricoles (café, cacao, huile de palme, bois) et halieutiques (thon). 85% de la population pratique encore une agriculture de subsistance.
La PNG a un taux de croissance très encourageant : 5.8% en 2014 et 2015. Il devrait être en 2016 un des plus élevés du monde, malgré la baisse des cours du brut. Il faut relever l’existence de freins à la croissance : l’insuffisance des infrastructures (routes, télécommunications) ; le régime foncier (les terres sont la propriété des tribus qui les considèrent comme un bien inaliénable) ; la pénurie de main d’œuvre formée et de cadres.
V Les relations extérieures
A) Relations bilatérales
- L’Australie est le principal partenaire politique, économique et commercial de la PNG. Elle est son premier fournisseur (38% des importations) et le premier client (31% des exportations). Les investissements australiens s’élèvent à 19 Mds de dollars australiens. Ils sont surtout importants dans l’exploitation des ressources naturelles, la distribution, l’hôtellerie, les servic La communauté australienne est estimée à 100.000 personnes.La PNG est le premier récipiendaire de l’aide australienne au développement. En 2015, le total des crédits consacrés à la coopération avec Port Moresby dans les domaines économique, culturel, technique a atteint 502 millions AUD. Cette assistance porte sur les domaines suivants : éducation, santé, formation des cadres, justice. Le gouvernement de Canberra finance l’amélioration des infrastructures (transports, communications). Il est associé à la lutte contre la criminalité et le trafic de stupéfiants. La PNG et l’Australie ont développé des liens étroits dans le domaine de la défense. Canberra participe à la formation des cadres et des techniciens de l’armée, fournit du matériel et de l’assistance technique. Les deux Etats ont des consultations régulières sur les questions de sécurité et organisent des manœuvres communes.
- La Chine est un des principaux partenaires commerciaux de la PNG. Elle est son troisième fournisseur (7% des importations) et son troisième client (6%) des exportat Elle fournit à la PNG une aide au développement considérable quoique mal connue (les chiffres ne sont pas publiés) et les entreprises de l’Empire du Milieu y ont réalisé des investissements importants. Une entreprise chinoise exploite la mine de nickel de Ramu- Nico (1.6 MDS $) et Sinopec est un de principaux clients de PNG-LNG. Le gouvernement O’Neil a obtenu un prêt concessionnaire de la banque Exim d’un montant 2.7 mds $ pour financer des projets dans le domaine des infrastructures.
- Le Japon est également un partenaire important, notamment sur le plan économ Il est le deuxième client de la PNG (7% de ses exportations) et son cinquième fournisseur. Il achète surtout des matières premières (gaz, bois, minerais) et des produits de la pêche. Il vend les biens manufacturés : voitures, téléviseurs, matériel minier, télécommunications. Les entreprises nipponnes ont des intérêts dans les secteurs miniers, des hydrocarbures, du bois et de la pêche. Le gouvernement de Tokyo apporte une aide au développement assez consistante. Il s’appuie sur les programmes d’assistance technique pour obtenir des contrats, notamment dans le domaine du génie civil (aéroport de Lae, deuxième ville du pays).
- Les Etats-Unis qui n’étaient pas très présents il y a quelques années ont opéré un retour en forc Sur le plan commercial, ils sont le deuxième fournisseur de la PNG. Le Département d’Etat (US AID) apporte une aide au développement à laquelle s’ajoutent les programmes des universités, des fondations, des églises et des associations privées. Lors de sa tournée en Océanie en novembre 2010, Hilary Clinton a fait une escale à Port Moresby et Washington a implanté dans cette ville le bureau régional de l’US Aid.
- Sans être un de ses principaux partenaires, la Corée est assez présente en PNG. Elle maintient une ambassade à Port Moresby et finance des petits programmes d’aide au développement. Les échanges commerciaux sont importants et en utilisant parfois des méthodes de dumping des entreprises coréennes ont remporté des contrats importants, notamment dans le domaine du génie civil (construction de barrages hydro-électriques). Sur le plan politique, le gouvernement de Séoul est soucieux de contrer toute tentative de la Corée du Nord de nouer des relations diplomatiques avec la PNG et souhaite obtenir le soutien de cet Etat dans les votes à l’ONU.
- Les relations avec l’Indonésie sont un sujet complexe et assez sensible à cause de la situation en Irian Jay Cette province était peuplée à l’origine de Mélanésiens mais ces derniers, à la suite de la politique d’immigration pratiquée par les autorités de Jakarta, sont devenus minoritaires. Une rébellion, menée par l’OPM (Organisaci Papua Merdeka), a éclaté il y a plusieurs décennies mais elle est faible et ne dispose pas d’appuis extérieurs. Toutefois des incidents se produisent quand les forces indonésiennes, exerçant un droit de poursuite pénètrent en territoire papou. Le gouvernement de PM traite ces questions avec pragmatisme et s’efforce de ne pas aggraver les tensions. La politique de bon voisinage a été illustrée par les visites du PM O’Neil à Jakarta en 2013 et du président Jokowi à PM en 2015.
B) La place de la PNG dans les institutions internationales et régionales
La PNG est un membre actif des organisations régionales. Elle appartient à la Communauté du Pacifique dont le siège est à Nouméa et au Forum des Îles du Pacifique qui réunit 16 Etats de la région, indépendants ou régis par un statut d’association (îles Cook). Elle a accueilli le sommet de cette organisation en 2015 et participe depuis 2003 à la mission Ramsi visant à rétablir l’ordre et l’Etat de droit aux Îles Salomon, troublées par des guerres tribales. Au sein du « groupe fer de lance mélanésien », dont elle est un membre fondateur, elle adopte des positions modérée, tant vis-à-vis de la France que de l’Indonésie. Elle n’a pas soutenu la résolution déposée à l’ONU visant à inscrire de la Polynésie française sur la liste des Etats devant être décolonisés et elle appuie la demande de Jakarta tendant à obtenir un statut d’observateur auprès du Fer de Lance. Elle est membre observateur de l’ASEAN et s’affirme comme chef de ligne de l’AOSIS (Association des petits Etats insulaires en développement). Elle a participé activement à la Cop 21 car elle est vivement préoccupée par les effets du réchauffement climatique. Elle accueillera le sommet de l’APEC en 2018.
VI Les relations avec la France
Elles se sont améliorées sensiblement. Le gouvernement de PNG suit avec intérêt la politique française d’insertion dans l’environnement régional de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie et de Wallis et Futuna et se montre désireux de développer la coopération avec ces collectivités. Il participe depuis 2006 régulièrement aux sommets France-Océanie. Le PM O’Neill a effectué une visite officielle le 19 juin à Paris. La coopération militaire se renforce grâce à la participation de l’armée de PNG aux exercices multilatéraux « Croix du Sud » et Port Moresby a reçu la visite du général commandant les forces armées françaises en Nouvelle Calédonie en Novembre 2012.
Les échanges économiques sont limités mais tendent à augmenter grâce principalement à nos investissements dans les domaines miniers et gaziers. Des sociétés françaises sont associées à la réalisation du projet Exxon Mobil. Spie Capag (groupe Vinci) construira le gazoduc (800 mils $) et une PME spécialisée « Matière » livrera et installera 18 ponts sur le parcours du gazoduc. Enfin il ne faut pas oublier l’important projet Total qui obtenu un permis de recherche off-shore dans le golfe de Papouasie.
VII L’Union Européenne et la PNG
L’UE est le deuxième contributeur d’aide au développement de la PNG, après l’Australie. Le XI FED (2014-2020) est doté de 187 millions d’euros ce qui représente une forte progression par rapport au X FED. PM bénéficie aussi des instruments communautaires de régulation Stabex et Sysmin.