Chine – Etats-Unis : le choc des Titans pour un nouvel ordre mondial

https://les-yeux-du-monde.fr/ressources/37074-guerre-commerciale-chine-usa-la-chine-renforcera-sa-politique-de-propriete-intellectuelleen-temps-voulu

La Chine de Xi Jinping constituait une menace « à bas bruit » pour l’Occident, mais aujourd’hui après l’arrivée de Trump au pouvoir, cela risque de devenir un « cauchemar » pour l’Occident et pour l’Union européenne. On constatera donc dans le dernier ouvrage de Claude Meyer[1] une rupture par rapport au livre publié en 2018  « l’Occident face à la renaissance de la Chine » qui était un plaidoyer pour un dialogue avec la Chine, et une capitalisation des relations anciennes tissées entre la Chine et l’Occident depuis les XVIIème et XVIIIème siècles. Cet ouvrage avait été écrit sous le premier mandat de Xi ; aujourd’hui nous sommes dans le cadre du second mandat et nous devons faire face à la déception et à l’inquiétude.

Le monde est en train de basculer : l’hégémonisme de la Chine s’opposait à la puissance américaine, mais celle-ci était fondée sur le droit des relations internationales, le multilatéralisme, les valeurs démocratiques reconnues depuis la Deuxième Guerre mondiale. L’Amérique d’aujourd’hui se base sur l’expansionnisme (Panama, Groenland), l’unilatéralisme et la rivalité sino-américaine place l’Europe « au milieu ». L’Europe doit faire face à l’hégémonisme de la Chine et des Etats-Unis. C’est « un basculement tellurique de l’univers stratégique ».

Cinq chapitres :

  • Le « rêve chinois » : renaître et supplanter les Etats-Unis
  • Instaurer un nouvel ordre mondial
  • Tentation hégémonique et menace pour la paix en Asie-Pacifique
  • Grandes ambitions, mais défis économiques
  • L’Europe, puissance d’équilibre

Profil des deux Titans – Rivalité sino-américaine

L’économie chinoise représente 70 % de celle des USA. Son revenu par habitant est 15 % de celui des USA. Son budget militaire représente 40 % de celui des USA.

  • Les rivalités

Rivalités économique, technologique et financière : quand la Chine sera-t-elle la première économie mondiale ? Pas avant 2035, et pour les observateurs japonais, elle n’y arrivera jamais. L’économie américaine est en bonne forme. Au contraire, l’économie chinoise stagne, la consommation est faible, même si elle déploie des moyens considérables au service d’une vision à long terme. Cependant, pour Xi Jinping, il n’y a pas de limite temporelle à son pouvoir : objectif 2027 (centième anniversaire de l’armée chinoise) pour le sort de Taïwan? 2035 pour la parité technologique ? 2049 pour être leader mondial ?

Rivalité technologique : en 2000, 1 % de son PIB est consacré aux dépenses de Recherche et Développement, en 2020 : 2,5 %. La Chine est au premier rang pour les brevets, notamment dans les industries ferroviaire, électrique, nucléaire, l’intelligence artificielle. Cependant, des faiblesses structurelles doivent être soulignées : dépendance à l’égard de l’étranger pour la moitié de son arsenal technologique et insuffisance de la recherche fondamentale. Lutte à mort pour les semi-conducteurs, car la Chine a du retard.

Rivalité financière : la capacité d’épargne des foyers est extraordinaire (26 % du revenu disponible); elle permet des investissements technologiques et des prêts à l’étranger. La Chine a la matière première – l’argent – mais des faiblesses technologiques pour la transformer en produits financiers compétitifs. Le yuan n’est pas une devise internationale, d’où le besoin de la Chine de coopérer avec les pays émergents, les BRICS, pour élargir son usage.

  • La Chine tisse sa toile sur tous les continents par son expansion commerciale, par ses investissements…

Cf le projet « Routes de la soie »[2], visant à lier la Chine à l’Eurasie, puis à l’Afrique, à l’Amérique latine… mais ce sont aussi les routes du charbon. Aujourd’hui réduction des prêts.

La Chine est prédatrice, notamment en Afrique. Si elle a créé des infrastructures (rôle positif), elle a aussi, sur le plan industriel et commercial, induit une économie de rente qui étouffe les industries locales.

  • Dans le domaine militaire, son budget est plus limité que celui des USA (1/3 environ).

Il faut reconnaître la modernisation de l’aviation (avion furtif) et de la marine. La montée en gamme de l’armée chinoise est surtout notable dans la marine de haute mer avec une base à l’étranger (Djibouti). Mais deux faiblesses majeures par rapport aux USA : la faible capacité de projection (surtout marine côtière et peu d’avions de ravitaillement) et le manque d’expérience au combat. D’où la nécessite de préparer l’armée chinoise à des conflits de haute intensité.

Instaurer un nouvel ordre mondial sino-centré (le rêve chinois est le cauchemar de l’Occident)

Rêve chinois : Imposer un nouvel ordre mondial qui soit sino-centré et qui permette la reconquête de ce qu’elle était jusqu’au milieu du XIXème siècle. But idéologique et pas seulement quantitatif. La rivalité avec le Japon se renforce.

Les projets Trump : d’abord régler le conflit en Ukraine, puis au Moyen-Orient ; puis révision des relations sino-américaines. D’où inquiétudes des alliés américains dans l’Indo-Pacifique.

Le cœur de la diplomatie chinoise est axé sur l’ONU et les agences spécialisées qui ont été noyautées. Nombre impressionnant de diplomates chinois ayant un rôle dans les instances onusiennes. Viennent ensuite les USA, puis le Sud global et les pays émergents, puis l’Union européenne (qui est une « non-puissance » pour la Chine).

Sa diplomatie active et bien formée, agressive est à forte composante économique (l’ancien ambassadeur à Paris, Lu Shaye, un des « loups guerriers », est désormais représentant spécial pour l’Europe depuis le 6 février). Succès enregistrés en 2023 : médiateur entre l’Arabie saoudite et l’Iran ; élargissement des BRICS à six nouveaux membres.

Diplomatie de combat basée (en plus des Instituts Confucius) sur 4 axes : séduire, infiltrer, manipuler, contraindre[3].

Soft power : image dégradée dans les pays développés (diplomatie punitive) mais bonne en Afrique et en Amérique latine (diplomatie économique).

Diplomatie au service d’un nouvel ordre mondial anti-occidental et sino-centré : une « solution chinoise » pour les affaires du monde, proposée par Xi à la tribune de l’ONU en 2022. Un modèle de développement plus efficace grâce à la stabilité politique.

Initiatives multilatérales ambitieuses : BAII (Banque asiatique d’investissement), Organisation de Coopération de Shangaï en Asie centrale (rivalité sino-russe). De nouveaux outils conceptuels : triptyque GDI-GSI-GCI : solution globale pour le développement, la sécurité et la culture.

« Amitié sans limite » avec la Russie avec le même objectif : renverser l’ordre établi.

Tentation hégémonique en Asie Pacifique, et notamment en Mer de Chine méridionale basée sur la « ligne des 9 traits ». Incidents quotidiens avec les Philippines (malgré le jugement de la Cour d’arbitrage de La Haye en faveur des Philippines), poldérisation de nouvelles îles, construction de bases militaires sur les îlots… D’où un renforcement des alliances par Biden (QUAD et AUKUS).

Taïwan : très grande complexité juridique. Principe d’une seule Chine pour Pékin, mais politique de la « Chine unique » avec des relations « non-diplomatiques » avec Taïwan dans les pays tiers. Les USA doivent fournir à Taïwan les moyens de se défendre. Mais ambiguïté stratégique sur l’aide militaire américaine (les USA doivent donner à Taïwan les moyens de se défendre sans qu’il y ait nécessairement de soldats américains sur le sol taïwanais). Question sur la position de Trump dont la légitimité serait affectée par sa position sur la question du Groenland. Une intervention de la Chine pour récupérer Taïwan n’est pas à exclure, même si c’est militairement difficile.

Prise de contrôle sans doute par étapes : intensification, harcèlement, blocus de l’île, puis prise de contrôle par débarquement limité. Application du principe de Sun Tsu : « gagner sans combattre ».

Grandes ambitions , mais …. économie en berne, chômage des jeunes, défis politiques et sociétaux (universités, médias, religions…), contestations dans l’armée, dans les entreprises.. D’où la question de la survie du régime : Xi est maoïste dans l’âme malgré les souffrances de sa famille qui était de tendance confucéenne conservatrice….

Place de l’Union européenne : rôle d’équilibre ? S’il y a un jour une libéralisation du régime, possibilité de reprise du dialogue engagé aux XVIIème et XVIIIème siècles. Nécessité d’éviter une diabolisation excessive, mais aussi trop de naïveté (Cf F. Fukuyama). D’où l’impératif de défendre avec acharnement l’Europe,  ses intérêts économiques et ses valeurs.

La Commission a désigné la Chine comme « rival systémique » pour filtrer les investissements chinois et demander des conditions plus équitables pour le commerce. Nécessite de lutter contre les ravages faits pour les emplois en France. S’inspirer du Rapport Draghi pour éviter de nouvelles déferlantes.

La créativité et la recherche sont handicapées par l’étouffement de la liberté de pensée et d’expression. Beaucoup de Chinois ont peur parmi les élites.

Compte-rendu rédigé à partir de notes prises durant la conférence de Claude Meyer à l’Institut du Pacifique le 20 février 2025


[1] « La Chine de Xi Jinping : menace pour la paix et l’ordre mondial ». Ed. de l’Aube. Janvier 2025

[2] Alors que « La Grand muraille » visait à se protéger du monde extérieur, les routes de la soie sont destinées à ouvrir la Chine vers le monde extérieur.

[3] On pourra compléter aussi avec deux conférences récentes : – à la FRS/BNF le 6 février 2025 : La puissance chinoise entre ambition globale et fragilités internes ; et notamment intervention de Paul Charon sur « Guerre hybride et stratégies d’influences ». – à l’IRSEM le 4 mars 2025 : « La Chine aux Nations-Unies (2015-2024) »,  Quentin Couvreur.

Cf également les effets des pressions exercées sur les musées Guimet et du Quai Branly pour reprendre le vocable chinois utilisé pour le Tibet (été 2024), par opposition à l’attitude résistante du musée d’Histoire de Nantes lors de l’exposition Gengis Kahn (2017 – 2023).