La rivalité entre la Chine et les Etats-Unis a marqué le sommet de l’APEC à Port Moresby.
Port Moresby, la capitale de la Papouasie Nouvelle Guinée faisait la une de l’actualité internationale les 17 et 18 novembre 2018 quand le sommet de l’APEC s’y est tenu.
Comme on le sait, l’APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) est un forum économique intergouvernemental créé en 1989, visant à renforcer la croissance économique, la coopération, les échanges et l’investissement de la région Asie Pacifique. 21 pays en sont membres. Aux 12 membres d’origine : l’Australie, le Brunei, le Canada, la Corée du sud, les Etats-Unis, l’Indonésie, le Japon, la Nouvelle Zélande, les Philippines, Singapour et la Thaïlande se sont ajoutés en 1991 la Chine, Hong Kong et Taiwan puis dans les années qui ont suivi, le Mexique, la Papouasie Nouvelle Guinée, le Chili, le Pérou, la Russie et le Vietnam. Les pays de l’APEC représentent 60 % de l’économie mondiale.
Pour la première fois dans un sommet de l’APEC, aucun consensus n’a pu être obtenu sur une déclaration écrite commune, en raison du fossé qui sépare les deux premières économies au monde, la Chine et les Etats-Unis sur les règles du commerce international.
Trois conclusions peuvent être tirées de ce sommet.
La première est que Pékin ne ménage pas ses efforts pour accroître son influence dans le Pacifique, multipliant les contrats pour ses entreprises, achetant des droits miniers, investissant dans les matières premières et enrichissant un important réseau d’influence.
Cette offensive a suscité l’inquiétude des « poids lourds » traditionnels que sont dans la zone, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais comblé les attentes de pays en voie de développement comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui cherchent à tout prix à attirer les investisseurs étrangers. En 2017, la Chine et les îles du Pacifique ont totalisé 7,25 milliards de dollars d’échanges commerciaux, sans compter trois milliards supplémentaires dépensés par Pékin dans des investissements, selon des chiffres officiels chinois.
La Papouasie Nouvelle Guinée a bénéficié des largesses chinoises avec notamment une route à quatre voies à Port Moresby appelée Boulevard de l’Indépendance qui mène au parlement. Elle a été inaugurée par le président chinois Xi Jin Ping et le premier ministre de PNG, M. Peter O’Neill, la veille du sommet de l’APEC. Tout le monde en Papouasie Nouvelle Guinée ne partage cependant pas l’enthousiasme du premier ministre de PNG. Certaines voix se sont élevées pour affirmer que l’argent dépensé pour le boulevard menant au Parlement et qu’ils surnomment « la route vers nulle part » aurait pu être mieux utilisé ailleurs, notamment dans les provinces reculées et oubliées du centre du pays.
Bien entendu les Etats-Unis dénoncent des financements chinois qui sont souvent attachés de conditions aliénantes pour les pays bénéficiaires et insistent sur la nécessité de « protéger la souveraineté et l’indépendance de ces pays ». Au cours de son intervention le vice-président américain Mike Pence, représentant Donald Trump, a considéré que la nouvelle Route de la Soie était « une route à sens unique », appelant les pays de la zone à ne pas céder aux sirènes d’une diplomatie du chéquier qui est « au mieux opaque ». Il a ajouté qu’à la différence de la Chine, les Etats-Unis ne noient pas leurs partenaires dans une mer de dettes et ne compromettent pas l’indépendance des Etats.
La deuxième conclusion est que ce sommet n’a fait que mettre en évidence le conflit entre les Etats-Unis et la Chine, conflit qui n’est pas seulement une guerre commerciale mais aussi une lutte d’influences. Ce conflit porte aussi sur la remise en cause par les Etats-Unis du rôle des institutions multilatérales. Washington, et Pékin dans la foulée, ont imposé ces derniers mois des droits de douane punitifs à leurs importations mutuelles, mais l’excédent commercial chinois bat record sur record.
Le leader chinois s’est fait le chantre du multilatéralisme en s’attaquant frontalement au « protectionnisme et à l’unilatéralisme » et en souhaitant que les différends commerciaux soient réglés au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Or Donald Trump, qui se défie de toutes les institutions multilatérales et qui au cours de sa campagne présidentielle qualifiait l’OMC de « désastre », menace d’en retirer les Etats-Unis. Or si l’une des missions de l’OMC est de libéraliser les échanges commerciaux entre ses 164 pays membres – notamment en négociant la plus grande baisse possible de droits de douane, une autre de ses missions est de proposer un cadre juridique qui veille au respect des accords et règle des différends. L’OMC constitue de fait un obstacle aux guerres commerciales qui ont marqué la politique extérieure des Etats-Unis depuis l’entrée de Donald Trump à la Maison-Blanche. Chine, Union Européenne, Mexique, Canada : bon nombre de pays ont en ont déjà fait les frais cette année.
Combatif, M. Pence a répliqué que Washington ne céderait rien sur sa stratégie douanière « tant que la Chine n’aura pas changé son attitude ».
En coulisses, certaines voix s’inquiètent des répercussions que pourrait avoir sur les économies de l’APEC la rivalité sino-américaine.
« C’est une situation contrainte, un pays qui essaie d’obliger tous les autres pays à changer des droits de douane décidés il y a des années », a déclaré à l’AFP le milliardaire irlandais Denis O’Brien, président du réseau de télécommunications Digicel.
La troisième conclusion que l’on peut tirer de ce sommet concerne la Papouasie Nouvelle Guinée elle-même. En décidant d’accueillir ce sommet, la Papouasie Nouvelle Guinée a sans aucun doute préjugé de ses forces.
Port Moresby, la capitale nichée entre des collines pelées sur les rives de la mer de Corail, a été rangée cette année par l’Economist Intelligence Unit au 136e rang de son classement des villes les plus agréables où vivre, sur 140. Seules Karachi, Lagos, Dacca et Damas seraient pires.
Est en cause l’insécurité, avec des gangs, connus sous le nom de « raskol » qui font régner leur loi. Du fait des risques de carjacking, les déplacements en véhicule particulier y sont fortement déconseillés.
Cette situation n’a cependant pas dissuadé l’APEC d’y tenir pour la première fois son sommet annuel.
Mais ce sommet de l’APEC à Port Moresby n’aurait pas pu se tenir sans l’aide de plusieurs pays participants dont la Chine, l’Australie et les Etats-Unis. Port Moresby n’avait ni les infrastructures hôtelières pour héberger les 15 000 participants, ni les équipements pour des conférences, ni les forces de sécurité permettant d’accueillir de telles conférences. Par mesure de sécurité, mais aussi pour des raisons logistiques, délégués et journalistes ont été hébergés à bord de trois paquebots venus spécialement de l’Australie voisine.
Une partie de la mission de sécurisation du sommet a été confiée à des armées étrangères. L’Australie a dépêché un contingent de 1.500 militaires, ainsi que des membres des forces spéciales, de même que des chasseurs F/A-18 Super Hornet et des avions de surveillance, ainsi qu’un porte-hélicoptères mouillant dans le port de la capitale.
Des navires australiens, néo-zélandais et américains ont croisé aussi dans la zone pour surveiller les côtes,
La préparation du sommet a été marquée par la polémique sur l’achat par la Papouasie Nouvelle Guinée de 40 Maserati d’un coût total équivalant à 5,8 millions d’euros et de trois Bentley pour les déplacements des dirigeants de l’APEC, alors que les hôpitaux de province composent avec une pénurie chronique de médicaments, alors que la moitié de la population de la capitale vit dans des bidonvilles et alors que la PNG n’arrive pas à payer tous les enseignants.
La PNG compte 8 millions d’habitants dont les 4/5 vivent en dehors des zones urbaines, loin des infrastructures de communication et de santé et dans un grand sous-développement. Les dirigeants de la PNG, comme le vice-Premier ministre Charles Abel, pensent cependant que faire bonne impression auprès de l’APEC, une organisation dont les membres pèsent ensemble 60% du PIB mondial, est crucial.
« Nous avons besoin d’investissements, de partenariats et de capitaux pour développer notre pays », a-t-il dit. « Le sommet de l’APEC va être une merveilleuse occasion pour la PNG parce que nos richesses, notre population et notre culture offrent beaucoup d’opportunités. » Il n’en demeure pas moins qu’avec une dette de 18 milliards de dollars la Papouasie Nouvelle Guinée dépasse les autres pays du Pacifique.
Jean-Christian Cady