La Nouvelle-Calédonie à l’heure du choix
Compte-rendu de la conférence sur
la Nouvelle-Calédonie à l’heure du choix
prononcée par
M. Dominique Bur, préfet de région (h)
et ancien haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie
et
M. Vincent Bouvier, préfet, secrétaire général de la mer
et ancien haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie
le 18 avril 2018
Intervention de Vincent Bouvier
I – Éléments de contexte général : « planter le décor »
Géographie
Distante de 16 000 km de la France métropolitaine, située à 1500 km de la côte NordEst
de l’Australie, la Nouvelle-Calédonie est un archipel composé d’une île principale, la
Grande Terre, longue de 400 km et large de 40 à 50 km, et d’un ensemble d’îles plus petites :
les îles Loyauté à l’Est (Ouvéa, Lifou, Maré, Tiga) ; les Bélep au Nord ; l’Ile des Pins au Sud.
La Nouvelle-Calédonie est un archipel du Pacifique Sud. Il est important d’y insister,
car l’avenir de la Nouvelle-Calédonie doit nécessairement se penser aussi dans cette
dimension d’intégration dans le bassin du Pacifique.
Histoire : les grandes étapes de l’évolution de la Nouvelle-Calédonie
On peut, très schématiquement, distinguer quatre grandes périodes.
1) Le peuplement Kanak
On estime que les premiers kanak, peuple mélanésien, se sont installés il y
a environ 3500 ans. Ils sont organisés en tribus et parlent 26 langues
vernaculaires différentes. En ce sens, le français est la seule langue parlée
dans l’ensemble de l’archipel.
La vie sociale et personnelle est structurée par la coutume, qui n’est pas
seulement un ensemble de traditions et un système de valeurs, mais aussi un
mode d’organisation sociale, un corpus de règles régissant les échanges entre
les individus et les relations avec la terre et l’environnement.
Aux explorateurs de la fin du 18ème siècle et du début du 19ème siècle ont
succédé les missionnaires protestants et catholiques. L’évangélisation a
précédé la colonisation. Ce fait contribue à expliquer la place du religieux
dans la société calédonienne et spécialement en milieu kanak, et une pratique
de la laïcité qui se distingue du schéma métropolitain.
La prise de possession de la France date du 24 septembre 1853.
A la colonisation pénitentiaire va succéder la colonisation libre.
Cette période se caractérise notamment par l’appropriation des terres par
les colons, les kanak étant par ailleurs régis par le code de l’Indigénat, sujets
de la France mais non citoyens français, et privés de la majorité des droits
politiques.
Ces éléments sont des causes déterminantes de la grande révolte kanak de
1878. L’autre grande révolte, celle de 1917, s’explique aussi par la
mobilisation forcée au cours de la Première guerre mondiale.
3) De 1946 jusqu’à l’accord de Matignon
Quatre points principaux caractérisent cette période.
– L’évolution progressive des droits reconnus aux kanak (citoyens de
l’Union française en 1946 ; droit de suffrage en 1956).
– Une succession de statuts, aucun ne permettant d’apporter une solution
durable à la question calédonienne.
– L’émergence progressive, et le développement, d’une revendication
indépendantiste à partir des années 1980 (à la suite de la revendication
autonomiste apparue dans les années 50).
– Une période de violence et de troubles graves : « les évènements », de
1984 à 1986, dont le paroxysme fut la prise d’otages à Ouvéa en avrilmai
1988.
Il y a eu 80 morts entre 1981 et 1988 sur un territoire de 250 000
habitants.
4) Depuis l’accord de Matignon.
A l’issue de la « Mission du dialogue », constituée à l’initiative de Michel
Rocard, l’accord de Matignon est signé le 26 juin 1988. L’image célèbre de la
poignée de main entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou symbolise cet
accord.
Il sera suivi, dix ans plus tard, de l’accord de Nouméa signé le 5 mai 1988.
Il prévoit un référendum sur l’indépendance, dont la date est aujourd’hui
fixée au 4 novembre 2018.
Ces accords ont permis trente ans de paix civile et la fin des violences
politiques, même si l’incertitude demeure sur l’avenir institutionnel du
territoire
Économie
Le territoire est un important producteur de nickel avec des potentialités qui se situent à
l’échelle internationale : 25% des ressources mondiales connues de nickel se situent sur son
sol.
En ce sens, la Nouvelle-Calédonie est aussi une terre industrielle, ce qui contribue à la
distinguer des autres territoires d’outre-mer français.
Démographie
Selon les recensements de 2014, la Nouvelle-Calédonie compte 270 000 habitants. 39%
de la population se déclare Kanak. Les habitants d’origine européenne représentent 27% de la
population, les Wallisiens et Futuniens 8%. A cela s’ajoutent des habitants originaires de
différents États d’Asie et du Pacifique (Indonésie ; Japon ; Vietnam ; Vanuatu ; Polynésie…).
Ainsi, « le peuple premier » est-il devenu minoritaire, ce qui n’est pas indifférent dans
le cadre du débat politique sur le statut du territoire.
Par ailleurs, la population se concentre en Province Sud, à Nouméa et dans
l’agglomération nouméenne (200 000 habitants en Province Sud ; 50 000 en province Nord ;
20 000 dans les îles Loyauté). Les kanak sont majoritaires dans les îles Loyauté (95% de la
population) et en province Nord (74 %), minoritaires en province Sud (27%).
Du point de vue électoral, la province Nord et la province des Iles sont majoritairement
indépendantistes, la province Sud non indépendantiste.
Sur le plan institutionnel, la Nouvelle-Calédonie bénéficie aujourd’hui d’une très large
autonomie, les compétences de l’État devenant résiduelles.
Sur le plan politique enfin, même si le paysage continue de se caractériser par une
division en deux grands blocs, indépendantiste et non indépendantiste, on assiste
aujourd’hui à une parcellisation avec un grand nombre de partis politiques dans un
territoire de seulement 270 000 habitants, des divisions internes aux deux blocs, et sur
certains sujets des rapprochements de circonstance entre formations politiques, qui
transcendent le clivage indépendantiste –non indépendantiste (à cet égard l’exemple de la
stratégie à suivre sur la question du nickel est particulièrement significatif)
II – La Nouvelle-Calédonie aujourd’hui, après les accords de Matignon et de Nouméa
Les acquis
1) Les accords de Matignon et de Nouméa : une construction politique et
institutionnelle audacieuse et originale.
– La reconnaissance de l’identité kanak et la place reconnue à la coutume dans
l’organisation institutionnelle et le système juridique.
– La reconnaissance d’une « citoyenneté calédonienne ».
Elle est définie selon une combinaison de critères : origine ; durée de résidence ;
intérêts matériels et moraux …
Elle a une double portée : la qualité de « citoyen calédonien » permet de voter
aux élections provinciales et à la consultation de sortie ; elle permet aussi un
accès privilégié à l’emploi.
Les sujets du corps électoral pour les provinciales et du corps électoral pour la
cumulation de sortie, (leurs compositions ne sont pas identiques), sont
particulièrement sensibles en Nouvelle-Calédonie, compte-tenu des
conséquences quant à l’importance du vote indépendantiste.
– Sur le plan institutionnel,
l’organisation issue des accords de Matignon, puis de
Nouméa, présente trois caractéristiques principales.
Trois niveaux de collectivités. Les communes ; les provinces (Sud, Nord et
les Loyauté), qui ont la compétence de droit commun ; le pays avec le
Congrès et le gouvernement qui en est issu.
Un gouvernement collégial.
Une très forte autonomie.
Le Congrès est une assemblée législative, dans les domaines de compétence
confiés à la Nouvelle-Calédonie ; il vote des « lois du pays » soumises au
contrôle du Conseil constitutionnel.
Les compétences confiées à la Nouvelle-Calédonie sont très étendues, les
compétences de l’État sont devenues limitées : défense ; justice ; ordre
public ; souveraineté internationale (même si la Nouvelle-Calédonie dispose
aujourd’hui de compétences importantes en matière de coopération
régionale) ; à quoi s’ajoutent des compétences résiduelles non encore
transférées (enseignement supérieur et recherche ; communication audiovisuelle ; contrôle de légalité des collectivités).
Les « signes identitaires » aujourd’hui adoptés par la Nouvelle-Calédonie
(hymne, devise du pays, graphisme des billets de banque) marquent cette
émancipation progressive.
– Le système politique et institutionnel de la Nouvelle-Calédonie d’aujourd’hui est
donc particulièrement innovant : « fédéralisme interne », selon certains
commentateurs, s’agissant des relations entre les provinces et le pays ;« fédéralisme externe » compte-tenu d’une très forte autonomie par rapport à
l’État ; aménagement du principe d’égalité du suffrage, des nationaux français
vivant en Nouvelle-Calédonie n’étant pas citoyens calédoniens et ne pouvant
voter aux élections provinciales et à la consultation de sortie. Cet aménagement
a d’ailleurs nécessité une révision constitutionnelle et l’adoption d’un article de
la Constitution portant sur la Nouvelle-Calédonie.
Aujourd’hui les acteurs politiques calédoniens, au-delà des tensions et des
divisions, se sont appropriés ces institutions originales.
– Qu’en est-il plus précisément du rôle de l’État dans la Nouvelle-Calédonie
d’aujourd’hui ?
Il apporte un soutien financier important à la vie et au développement du
territoire : 1,4 milliards d’euros par an, à quoi il convient d’ajouter le coût de la
défiscalisation et les soutiens à l’investissement accordés par la Caisse des
Dépôts et l’Agence Française de Développement.
En outre, si sur le plan strictement juridique les compétences du représentant de
l’État sont limitées, il joue un rôle important pour faciliter le dialogue politique,
gérer les tensions économiques et sociales, maintenir la sérénité et la paix
publique, préparer et organiser dans les meilleures conditions la prochaine
consultation référendaire. L’État est signataire de l’Accord de Nouméa, cela lui
confère une responsabilité particulière ; il n’est ni simple observateur, ni simple
arbitre, il est un partenaire.
2) Le rééquilibrage du territoire
C’était un objectif important des accords de Matignon puis de Nouméa : réduire
l’écart entre les provinces Sud d’un côté, les provinces Nord et les Iles de l’autre, en
matière d’infrastructures et d’équipements publics, de développement économique et
social.
De fait, le chemin parcouru est important. S’agissant du nickel, il existe aujourd’hui
trois usines métallurgiques en Nouvelle-Calédonie : la Société Le Nickel (SLN) à
Nouméa, opérateur historique dont Eramet est actionnaire majoritaire ; une usine au Sud
dont le groupe brésilien Vale est le principal actionnaire ; l’usine de Koniambo au Nord
dont la province Nord indépendantiste est actionnaire majoritaire, via la SMSP.
L’objectif est qu’à terme ces trois usines puissent produire annuellement 180 000
tonnes, soit 15% de la production mondiale.
En s’appuyant sur son usine métallurgique, sur cette industrialisation de son
territoire et les créations d’emploi qu’elle a permises, la province Nord a mené une
politique spectaculaire d’amélioration des infrastructures et de développement des
équipements publics.
3) La formation des hommes
Afin de faciliter l’accès à la formation et à des emplois qualifiés des jeunes
calédoniens, et notamment des jeunes kanak, deux programmes que l’on peut qualifier
de discrimination positive ont été développés successivement : le programme dit « 400
cadres » avec l’accord de Matignon, le programme « Cadres avenir » avec l’accord de
Nouméa. Aujourd’hui 1500 jeunes calédoniens ont été formés dans le cadre de ces deux
programmes. Beaucoup occupent des postes de responsabilité importants dans les
domaines administratif et économique. Le nombre de bacheliers calédoniens a été
multiplié par 5 depuis 1980.
Le maintien des incertitudes et des tensions
1) La question de la jeunesse
En dépit des succès obtenus dans le cadre des programmes « 400 cadres » et
« Cadres avenir » (il faut se souvenir que c’est en 1962 que, pour la première fois, un
jeune Kanak a obtenu le baccalauréat …), on constate malheureusement qu’une large
part de la jeunesse kanak est restée « sur le bord du chemin ». Sous-qualifiée et de ce
fait frappée par le chômage, ne se reconnaissant ni dans les valeurs coutumières
traditionnelles ni dans les valeurs de la République, développant des conduites
addictives (alcoolisme, drogues) beaucoup de jeunes quittent la tribu pour choisir, sansperspective immédiate, de vivre dans l’agglomération nouméenne.
Au-delà d’un risque d’instrumentalisation par certaines formations politiques, il y a
là, et plus profondément, un enjeu majeur qui nécessite des politiques d’intégration et
d’insertion audacieuses et volontaires. On peut considérer que les milieux politiques et
institutionnels ont pris conscience avec retard de cet enjeu décisif pour l’avenir.
2) La délinquance
Si l’on examine de façon globale les chiffres relatifs à la délinquance et à
l’insécurité et leur évolution, la comparaison entre la Nouvelle-Calédonie et la France
hexagonale n’est pas nécessairement défavorable à la première. En revanche le territoire
connaît des formes de délinquance violentes, avec notamment le plus grand nombre de
tirs par armes à feu contre les forces de l’ordre.
C’est aussi un enjeu important dans la perspective de la préparation du référendum,
et de la nécessité de maintenir la paix publique et la sérénité dans cette période de débat
politique intense.
3) Les incertitudes du développement économique
La filière nickel demeure fragile, au moins pour deux raisons. Comme il en va de
nombreuses matières premières, le cours du nickel est structurellement variable. La
rentabilité des trois usines métallurgiques et des exportations dépend largement de
l’évolution de ces cours. Ils sont aujourd’hui bien orientés (environ 14 000 dollars la
tonne).
D’autre part, la maîtrise de la ressource et les stratégies à mener pour le
développement de la filière sont au cœur du débat politique. Il y a un lien étroit entre la
question institutionnelle et celle du nickel. C’est ainsi que l’accord de Nouméa n’a puêtre négocié qu’après règlement du « préalable minier » donnant la possibilité à la
province Nord indépendantiste de construire et d’exploiter une usine métallurgique.
Aujourd’hui le débat se focalise sur la stratégie d’exploitation du minerai : faut-il
privilégier, et même choisir exclusivement, l’exportation de minerai transformé, ou
faut-il conserver une part d’exportation de minerai brut, non raffiné (une option
intermédiaire consiste à prendre des parts dans une usine de transformation située en
dehors du territoire, la Nouvelle-Calédonie fournissant le minerai brut ; la province
Nord, via la SMSP, a signé un accord avec une société coréenne ; elle mène également
des discussions avec des industriels chinois) ? Ces divergences stratégiques ont donné
lieu en 2015 à un conflit social très dur. Elles dépassent le clivage indépendantiste – non
indépendantiste : au sein des partisans de l’une ou l’autre option on trouve des
formations appartenant à l’un et à l’autre de ces deux blocs.
En outre, la diversification de l’économie calédonienne, pour éviter le piège de la
mono-industrie et du « tout-nickel », constitue un défi important pour demain. D’autres
secteurs ou filières de développement sont possibles : tourisme ; secteur maritime
(pêche, portuaire, croisière) ; agro-alimentaire ; bois)
.
4) La persistance des inégalités
Elles sont sociales. Les inégalités de revenus, mais aussi de patrimoine, sont
particulièrement fortes en Nouvelle-Calédonie. Il est d’autant plus choquant qu’il
n’existe quasiment pas de fiscalité du capital en Nouvelle-Calédonie.
Elles sont spatiales. En dépit des efforts du rééquilibrage, la population et l’activité
se concentrent dans l’agglomération nouméenne.
Elles sont « sociocommunautaires », pour reprendre l’expression du géographe
Jean-Christophe Gay. La communauté kanak, malgré les initiatives de discrimination
positive qui connaissent des résultats encourageants, est celle qui a les revenus les plus
bas, qui occupe les emplois les moins qualifiés, et qui comporte la part la plus faible des
diplômés.
Au total, certains considèrent que les différentes communautés de la NouvelleCalédonie
sont encore loin du « destin commun » évoqué par l’accord de Nouméa, et que les vies sociales demeurent séparées.
III – La sortie de l’accord de Nouméa et le référendum.
L’accord de Nouméa prévoit une consultation portant précisément sur le transfert des
compétences régaliennes, le passage de la citoyenneté calédonienne à la nationalité, l’accès
à un statut international de pleine responsabilité.
Les estimations actuelles donnent environ 40 % de votes favorables à l’indépendance, 60
% en faveur du maintien dans la France.
On peut ainsi craindre qu’un vote binaire, sous forme de oui ou non à l’indépendance, ne
conduise à cristalliser les tensions et n’entraîne un retour à une logique d’affrontement face
à deux points de vue irréconciliables.
Dans ce contexte, l’État a pris ces dernières années plusieurs initiatives afin d’encourager
la discussion avant la consultation, avec l’espoir de parvenir à une solution négociée plutôt
qu’à un « référendum-couperet ».
Une mission a été confiée à un conseiller d’État (Jean Courtial) et à un professeur de droit
public (Ferdinand Melin-Soucramanien) qui a permis d’identifier et de préciser le contenu
de quatre scenarii possibles d’évolution : la pérennisation de l’autonomie actuelle ; une
autonomie étendue ; la souveraineté en maintenant un partenariat avec la France ; l’accès
pur et simple à la pleine souveraineté.
Dans le prolongement de ce premier travail, une mission d’écoute, d’analyse et de conseil
sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie a été constituée. Elle avait pour objectif de donner
une appréciation très concrète des choix qui pourraient être faits sur le plan institutionnel
(par exemple, comment organiser l’armée, la justice, la gestion de l’ordre public, dans une
Nouvelle-Calédonie indépendante ?). Elle a également identifié précisément, en
concertation avec les acteurs politiques, les convergences et les divergences relatives à
l’organisation institutionnelle et administrative. Elle a présenté enfin un projet de « charte
des valeurs », forme de Déclaration des droits, ou de préambule à un futur statut, pouvant
rassembler l’ensemble des calédoniens.
Ces travaux n’ont pas abouti en ce sens qu’aucun accord politique n’a été possible sur une
solution, ou une construction, qui aurait pu éviter un vote binaire. Certains considèrent
d’ailleurs que pour aboutir à ce type de solution, il serait nécessaire de réviser la
Constitution : l’accord de Nouméa et ses dispositions, cités dans la Constitution, sont
maintenant intégrés au bloc de constitutionnalité.
Le référendum aura donc lieu
La date en est fixée au 4 novembre 2018.
Dans le cadre des deux derniers Comités des signataires de l’accord de Nouméa, présidés
par le Premier ministre Édouard Philippe, deux points qui ont fait l’objet de larges
négociations ont été réglés.
Un accord a été trouvé sur le libellé de la question posée : « voulez-vous que la NouvelleCalédonie
accède à la souveraineté et devienne indépendante ? ».
Un accord est également intervenu sur un sujet particulièrement sensible pour les
indépendantistes : l’inscription d’office sur les listes pour la consultation. Seront ainsi inscrits d’office les personnes de statut civil coutumier (kanak) et, dans un souci d’équité et
d’équilibre pour l’ensemble des communautés vivant en Nouvelle-Calédonie, les natifs de
statut civil de droit commun, sous réserve qu’ils aient une résidence de trois ans sur le
territoires.
Dans ces conditions, la priorité devient de maintenir le dialogue politique afin d’apaiser
l’inquiétude sur le « jour d’après » qui suivra immédiatement le référendum, de faire
comprendre que cette consultation ne sera pas un mur mais une étape et que la discussion,
le débat, doivent se poursuivre après le scrutin.
C’est en ce sens qu’un « groupe de discussion sur l’avenir », rassemblant les principaux
leaders politiques, se réunit régulièrement. C’est également en ce sens qu’une proposition
de charte des valeurs calédoniennes a été préparée par ce groupe.
Plus généralement, il apparaît nécessaire de mener un effort soutenu d’explication,
d’information, de pédagogie, en direction de l’ensemble de la population calédonienne, audelà
des discussions d’experts, ou des réunions qui rassemblent les seuls acteurs politiques
et institutionnels. Organiser cette information et cette pédagogie, c’est le devoir de l’État,
c’est aussi celui de l’ensemble des responsables politiques.
Faut-il être optimiste ou pessimiste ?
Certes, la Summa divisio indépendantistes – non indépendantistes demeure. Certes, la
perspective des élections provinciales de 2019 contribue à accroître les tensions et les
divisions.
Mais il faut prendre comme des signes encourageants l’accord trouvé récemment sur la
date de la consultation, le libellé de la question et les listes électorales.
On pourra relever ainsi qu’au-delà des expressions publiques, peu d’indépendantistes
souhaitent aujourd’hui une indépendance qui romprait tout lien avec la France.
Ainsi l’écart paraît-il ténu entre une Nouvelle-Calédonie française fortement autonome,
voire ayant un lien de type fédéral avec la France, et une Nouvelle-Calédonie indépendante
mais ayant maintenu un lien de partenariat avec la France. L’écart qui reste, dit-on parfois,
c’est le « régalien dur », le passeport et le siège à l’ONU.
Mais la formalisation politique et juridique d’une solution qui permettrait de réduire encore
cet écart est difficile. Le terme même d’indépendance, chargé de symbole, est écarté par
les non indépendantistes. Plus concrètement, au sein d’une Nouvelle-Calédonie devenue
indépendante et souveraine, comment garantir qu’un lien de partenariat ou d’association
conclu un jour avec la France puisse être maintenu et garanti demain ?
Deux dernières remarques pour conclure
Les développements précédents ont largement abordé les questions institutionnelles et
politiques. Mais il faut prendre garde de ne pas pour autant sous-estimer le débat
institutionnel, et négliger les défis économiques et sociaux qui ont été également évoqués.
C’est d’ailleurs un reproche souvent fait à la classe politique, expliquant ce qui apparaît
parfois comme une coupure par rapport à la société civile, que de s’être trop étroitement
focalisée sur les questions institutionnelles et de s’être enfermée dans des querelles et
divisions partisanes, bref d’apparaître comme « une technostructure politique très pointue
sur les concepts mais déconnectée », pour reprendre les termes sévères d’un député
membre d’une mission parlementaire sur la Nouvelle-Calédonie.
Certains dirigeants politiques confient ainsi en privé leur désarroi ou leur impuissance face
au défi majeur que constitue l’exclusion d’une part importante de la jeunesse kanak, enjeu
qu’ils ont trop longtemps négligé.
Ce reproche peut contribuer à expliquer les réticences des jeunes élites calédoniennes à
s’engager dans le débat politique tel qu’il se déroule aujourd’hui, tout en voulant
profondément prendre part au développement de leur pays.
Le faible renouvellement de la classe politique et de ses grands leaders depuis 1988,
constatation préoccupante, est à la fois cause et conséquence de cette coupure que l’on
relevait.
Depuis l’accord de Matignon, les données géopolitiques ont largement évolué dans l’océan
Pacifique. Le développement de la Chine et de sa présence ont modifié l’appréciation de
l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, mais aussi du Japon, des États-Unis engagés depuis la
présidence Obama dans la « stratégie du pivot », quant à la place de la France dans la
région. Le maintien de la présence française, sous une forme ou une autre, est souhaité par
ces grands voisins.
Par-là se vérifie que l’avenir de la Nouvelle-Calédonie doit aussi se concevoir dans une
dimension d’intégration dans l’ensemble Pacifique, et même au-delà dans la perspective
d’un axe indo- Pacifique.
Faut-il ainsi considérer, comme l’avait suggéré Michel Rocard bien des années après
l’accord de Matignon, que dans un Monde multipolaire et interdépendant la notion même
d’indépendance doit être repensée ?