La visite d’État du président chinois à Manille marque sa volonté de renforcer les liens entre les Philippines et la Chine.
Le président chinois Xi Jinping a effectué le 20 novembre 2018 sa première visite d’Etat aux Philippines, pays traditionnellement allié des Etats-Unis, mais qui s’est tourné vers Pékin sur fond de lutte d’influence en Asie entre les deux premières économies mondiales. Les Philippines sont la dernière étape de la tournée du président chinois Xi Jinping dans les trois pays d’Asie-Pacifique. Auparavant, il s’était rendu en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où il avait assisté au 26e Sommet de l’APEC tenu à Port Moresby, et a effectué une visite d’État au Brunei.
Peu après son arrivée au pouvoir en 2016, le président philippin Rodrigo Duterte avait annoncé sa « séparation » d’avec les Etats-Unis, jugeant que l’archipel, indépendant depuis 1935 après être devenu colonie américaine en 1898, date à laquelle l’Espagne a vendu les Philippines aux Etats-Unis, avait peu bénéficié de cette alliance.
M. Duterte a cherché à développer les relations avec Pékin pour obtenir de l’aide pour son pays qui compte 105 millions d’habitants. La Chine a promis d’injecter 24 milliards de dollars d’investissements et de prêts dans de grands projets d’infrastructures mais ces sommes ne se sont pour l’heure pas parvenues jusqu’à Manille.
Dans le cadre du projet One Belt One Road, la Chine a prêté dans le monde des dizaines de milliards de dollars depuis 2013 pour accroître son influence et faire pièce à l’hégémonie américaine qui a caractérisé l’ordre mondial de l’après Seconde Guerre mondiale, en particulier en Asie.
Le rapprochement avec la Chine suscite de vives protestations aux Philippines qui, jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Rodrigo Duterte, s’étaient vivement opposées aux revendications chinoises dans la Mer de Chine du sud, à la création d’ilots artificiels et à leur militarisation. Les Philippines avaient introduit un recours devant la Cour permanente d’arbitrage de La Haye et avaient obtenu gain de cause, la Cour déclarant illégales les revendications de Pékin sur la mer de Chine méridionale. Cette décision a été rendue publique quelques semaines après la victoire de M. Duterte. La Chine a décidé d’ignorer cette décision et de poursuivre ses empiètements dans des zones maritimes qui sont revendiquées par les Philippines, le Vietnam et la Malaisie.
Rodrigo Duterte a pris le contrepied de son prédécesseur Benino Aquino et a voulu se rapprocher de la Chine en choisissant de ne plus demander la mise en application de cette décision, alors que les Philippines ont des titres sur cette mer réputée riche en hydrocarbures et par où transitent 4,5 milliards d’euros de fret annuel.
L’argumentation de Duterte est que la Chine l’a placé devant le fait accompli et qu’il n’a pas les moyens de forcer la Chine à se soumettre à l’arbitrage. En échange de cette mise en sourdine des revendications maritimes, Duterte espérait attirer l’aide et les capitaux chinois. « Marché de dupes » déclarent les opposants à Duterte – et ils sont nombreux. Un sondage d’opinion fait par un institut indépendant montrait que 84 % des Philippins sont opposés à l’inaction de leur administration devant les empiètements maritimes chinois.
Les investissements chinois dans l’archipel ont été multipliés par plus de cinq au cours du premier semestre 2018, après une augmentation de 67% en 2017, a déclaré en octobre 2018 à Manille le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi. Mais selon des observateurs, si les entreprises chinoises ont bien investi dans l’immobilier et dans les entreprises philippines existantes, en revanche aucun prêt n’est arrivé pour les projets d’infrastructures.
Sur les 38 projets philippins auxquels il est prévu depuis deux ans que les Chinois prennent part, quatre seulement figurent parmi les engagements annoncés le 20 novembre par les deux présidents. Le ministre philippin du Budget Benjamin Diokno a expliqué que les retards étaient partiellement dus à la méconnaissance chinoise des procédures d’appels d’offres, mais a souhaité que les choses s’accélèrent. L’un des vingt-neuf accords conclus au cours de cette visite concerne l’exploration conjointe du pétrole et du gaz dans les eaux litigieuses de la mer de Chine du Sud. Mais il n’en est encore qu’au stade de protocole d’accord.
Malgré ce rapprochement avec la Chine, les relations des Philippines avec les États-Unis se sont réchauffées depuis l’arrivée à la Maison-Blanche de Donald Trump. Moins regardant que son prédécesseur sur la question des droits de l’homme, M. Trump n’a pas repris les critiques de M. Obama contre la campagne de répression anti-drogue menée par le président philippin. Rodrigo Duterte avait qualifié l’ex-président américain Barack Obama de «fils de pute» pour avoir critiqué cette politique ayant fait des milliers de morts.
Un traité de défense mutuelle lie Washington à Manille depuis 1951. S’ils ont fermé leur base navale de Subic Bay et la base aérienne de Clark, au début des années 1990, les Etats-Unis ont signé en 2015 un accord de coopération renforcée en matière de défense qui prévoit la remise à niveau de bases philippines afin que les bâtiments de l’US Navy y effectuent des rotations.
Les derniers exercices militaires conjoints en date, « Kamandag » (« venin »), en octobre 2018 ont réuni les Philippines, le Japon et les Etats-Unis.
Jean-Christian Cady