Chine: la grande illusion de la marche vers la démocratie.
Après la mort de Mao en septembre 1976, l’élimination de la Bande des Quatre et la prise de pouvoir de Deng Xiaoping, la Chine avait engagé des réformes économiques profondes donnant davantage de liberté aux acteurs économiques. Les paysans pouvaient désormais cultiver leur propre lopin de terre et en vendre les produits. Des entreprises se créaient, adoptant un mode de gestion capitaliste. C’est le début du «socialisme de marché». En même temps que des petites entreprises se créaient, les grandes organisations publiques furent en partie privatisées tandis que les sociétés étrangères sont invitées à investir.
Ces réformes de grande ampleur ont fait que la Chine se rapprochait du système économique mondial et pouvait s’intégrer dans l’Organisation Mondiale du Commerce. Malgré de violents soubresauts marqués notamment par la répression des manifestations de la Place Tian’ Anmen à Beijing en juin 1989, les progrès économiques ont été considérables. La pénurie alimentaire disparut de la Chine. Les secteurs industriels compétitifs se sont multipliés. La Chine compte désormais 12 des 100 plus grandes entreprises mondiales. Et la Chine a pris une place croissante dans le commerce international puisqu’elle en représente 13 %.
De bons esprits en Occident croyaient alors qu’avec cette prospérité nouvelle marquée par des succès indéniables, la Chine prendrait aussi non seulement le chemin de l’économie de marché mais aussi s’acheminerait progressivement vers davantage de libertés démocratiques et vers l’État de droit. Les développements récents de la Chine montrent que ces espoirs n’ont jamais été autre chose qu’une grande illusion.
Même si elle est membre de l’Organisation Mondiale du Commerce depuis plus de 15 ans, même si elle est reconnue comme économie de marché par certains pays comme l’Australie, Singapour ou le Brésil qui font avec elle une grande partie de leur commerce, la Chine n’est pas une économie de marché et n’en prend pas le chemin. Le pouvoir contrôle les entreprises et les utilise comme instrument de puissance. Le plan « Made in China 2025 » utilise des subventions et des protections tarifaires pour créer des leaders mondiaux dans dix industries y compris l’aviation et l’énergie. Les cas de dumping sont nombreux pour favoriser les exportations chinoises. Tout comme les cas d’espionnage économique.
Tout en promettant aux entreprises américaines ou européennes le libre accès au marché chinois, la Chine multiplie les obstacles réglementaires, exige que les entreprises créées soient des joint ventures et fait des transferts de technologies la condition sine qua non d’investissements en Chine. Et la vie des entreprises étrangères implantées en Chine est placée sous le signe du précaire et du révocable.
La Chine utilise le commerce international comme moyen de lutte contre ses ennemis. Elle le fait parfois contre des entreprises. Même si elle peut paraître se situer au niveau de l’anecdote, l’expérience faite par Mercedes-Benz est révélatrice. En février 2018, dans une publicité sur le réseau Instagram pour son coupé C, la firme allemande avait inclus une citation du dalaï-lama qui disait : « regardez une situation sous tous les angles, vous deviendrez plus ouvert.» La publicité ajoutait : « Commencez votre semaine avec de nouvelles perspectives, celle du dalaï-lama. » Après avoir reçu plus de 80 000 « likes » en quelques heures, Mercedes, sous la pression de communiqués indignés de la presse chinoise, supprimait la publicité et publiait un communiqué d’excuses. La Chine est le premier marché à l’export de Mercedes avec 600 000 véhicules en 2017, soit 26 % de leurs ventes. Il est à noter également qu’en février 2018 le groupe chinois Geely a acquis 9,7 % du capital de Daimler-Benz, la maison-mère de Mercedes, ce qui fait de ce groupe chinois le principal actionnaire de la firme allemande.
Si, il y a 40 ans, les entreprises d’État n’étaient que des directions de ministères, elles sont maintenant des entreprises à part entière et jouent désormais un rôle essentiel en Chine. 63 % de leurs actifs sont en bourse. Même si on pouvait rêver au début des années 2000 que l’État abandonnerait le contrôle étroit qu’il exerce sur elles, la crise des subprimes de 2008 les a engagées dans l’autre direction. Les entreprises d’État se sont développées par l’emprunt et le contrôle de l’État s’est maintenu. Même à Hong Kong, vivant en théorie dans un système économique différent, 30 entreprises publiques ont changé leurs statuts depuis 2016 pour donner au Parti Communiste un rôle dans leur gouvernance.
Le commerce international est aussi un moyen de pression contre des Etats. Quand les Philippines ont contesté la revendication chinoise sur les récifs de Scarborough en Mer de Chine du Sud, la Chine a immédiatement cessé d’acheter des bananes philippines, prétextant un risque sanitaire.
Il est évident que les investissement colossaux que la Chine fait dans l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie (One Belt One Road) sont aussi un outil qui servira à un impérialisme économique chinois. C’est plus de 1000 milliards de dollars que la Chine va investir dans ce projet mondial qui dépassera de très loin en volume le Plan Marshall d’après la 2ème guerre mondiale. Dans une Asie fragmentée et affaiblie, la Chine veut exporter son modèle qui n’est certes pas celui de la démocratie à l’occidentale. La Chine veut utiliser l’ASEAN comme instrument de cette expansion.
La Chine est consciente que non seulement elle est le pays le plus peuplé du monde mais qu’elle est en passe de devenir la première économie mondiale. Il n’est pas douteux qu’avec ses vastes ambitions, la Chine veut effacer un siècle et demi d’humiliations de la part de l’Occident, humiliations qui ont commencé au moment de la guerre de l’opium en 1842. Si à 27 reprises dans le dernier Congrès du Parti Communiste chinois, le terme « la grande régénération de la nation chinoise » apparaît dans le discours de Xi-Jinping, c’est une volonté de revanche sur un destin où elle s’est sentie longtemps abaissée.
Par 2958 voix pour, 2 contre et 3 abstentions (un score de dictateur), les députés ont supprimé la limitation à deux mandats de cinq ans du président chinois. Le président Xi Jinping est désormais président à vie et dispose maintenant d’un pouvoir absolu. Tout comme Mao.
L’espoir qu’avaient nombre d’intellectuels occidentaux d’une Chine qui s’acheminerait peu à peu vers la démocratie est un rêve qui ne se réalisera pas avant une ou plusieurs générations. La Chine n’en prend pas le chemin. C’est une forme d’impérialisme, de « hard power » qui est désormais à l’ordre du jour. C’est la fin de la grande illusion.
Jean-Christian CADY