Lassée par la corruption de ses dirigeants, l’Amérique centrale se rebiffe

Le fléau de la violence n’est pas le seul à frapper l’Amérique centrale où de nombreux dirigeants ou ex-dirigeants sont actuellement visés par des accusations de corruption à grande échelle, conduisant certains d’entre eux en prison et provoquant des mobilisations citoyennes inédites.

«Nous observons que la population est un peu lassée, écœurée, indignée par la corruption. Les gens ont connaissance de nombreux actes de corruption et les dénoncent, anonymement ou non, et les affaires sortent» au grand jour, explique à l’AFP Carlos Gasnell, responsable de l’ONG Transparency International au Panama.

Au  Guatemala,  la  colère  populaire  a  fait  chuter  début  mai  la  vice-présidente  Roxana  Baldetti, éclaboussée par une affaire de fraudes aux droits de douanes impliquant son ex-secrétaire personnel, Juan Carlos Monzon, actuellement en fuite.

Ces  derniers jours,  le  pays  a  connu  une  série  de  manifestations  pacifiques inédites. Marches et barrages routiers ont mobilisé des indiens, des paysans, des travailleurs, des étudiants et de nombreux citoyens urbains exigeant la démission du président Otto Pérez (droite).

«Nous  demandons  qu’on  enquête  sur  les  grands  fraudeurs  (aux  impôts)»,  clamaient  encore  des pancartes brandies vendredi par des manifestants à Guatemala Ciudad.

«Nous les Guatémaltèques, nous avons été excessivement permissifs face à la plaie purulente de la corruption. Désormais, nous sommes convaincus qu’il faut y mettre un terme», renchérit l’analyste politique Luis Linares.

Au Honduras, pays champion du monde du nombre d’homicides, selon l’ONU, le président Juan Orlando Hernandez affronte une vindicte populaire alimentée par la révélation de détournements de fonds au détriment de la Sécurité sociale et au bénéfice de son parti.

Il a dû admettre que son Parti national (PN, droite) a reçu 136.000 dollars de cet organisme ayant servi à financer sa campagne présidentielle en 2013. Ses adversaires affirment qu’il a même reçu 90 millions de dollars de la Sécurité sociale !

Mais  Hernandez  comme  Pérez  ont  tous  deux  écarté  toute  éventualité  de  démission,  s’affirmant étrangers à ces faits, malgré la pression populaire dans les rues.

«Je n’ai rien à voir avec ça (les détournements au sein de la Sécurité sociale)», a assuré devant la presse le président Hernandez, dont le mandat s’achève en 2018.

Violence, pauvreté, corruption, impunité –

Pour le sociologue hondurien Marvin Barahona, l’équation est simple : «Cette reconnaissance (des faits) par le président vient seulement confirmer ce que la société civile répète depuis des années, que le Honduras vit sous un régime d’impunité» pour les corrompus et que «les riches volent les pauvres». Mais  ce  cancer  touche  également  les  autres  pays  de  l’isthme  centre-américain,  qui  se  distingue également par de forts taux de pauvreté en plus d’indices de criminalité records.

L’ancien président du Salvador Francisco Flores (1994-2004) est par exemple sous le coup d’une enquête portant sur le détournement de 10 millions de dollars versés par le gouvernement de Taïwan. Plus emblématique encore, l’ex-président conservateur du Panama, le millionnaire Ricardo Martinelli (2009-2014), a quitté le pays en début d’année, accusé d’avoir ordonné des surfacturations au détriment d’un programme d’aide sociale.

La liste de ses proches et anciens ministres interpellés et incarcérés ne cessent de s’allonger, mis en cause dans toute une série de scandales financiers.

Dernier en date, l’ancien ministre de l’Agriculture et de la Pêche, Oscar Osorio, a été placé en détention dans la nuit de jeudi à vendredi, dans l’enquête sur un projet de système d’irrigation qui n’a jamais vu le jour mais pour lequel une entreprise équatorienne a touché 37 millions de dollars.

Pour  Carlos  Gasnell,  la  multiplication  des  révélations  de  ces  agissements  reflète  la  difficulté grandissante à les occulter dans un monde où l’accès à l’information se développe.

«Depuis les années 2000, il y a des lois d’accès à l’information dans la majorité des pays. Avec les réseaux sociaux, au final, tout se sait et il est très difficile de cacher ce qui est évident», explique-t-il.

Pourtant, le chemin est encore long. Le dernier classement mondial de Transparency International sur la perception de la corruption place le Honduras au 126e rang sur 175 pays, le Guatemala au 115e, le Panama au 94e et le Salvador au 80e.

06/06 – http://www.20minutes.fr avec AFP