La nouvelle stratégie maritime américaine
Un nouveau document officiel[1] du Department of Defence « Advantage at Sea » (27 pages hors présentation et annexes), publié le 16 décembre 2020, vient d’affirmer la nouvelle stratégie maritime unifiée pour les « trois services » que forment la Marine, le corps des Marines et celui des Garde-côtes[2]. Leurs trois commandeurs, respectivement l’amiral Michael Gilday « chief of Naval operations », le général David Berger et l’amiral Karl Schutz, précisent que « nous devons agir ensemble et dans l’urgence pour intégrer et moderniser nos forces en nous préparant aux défis à venir ». Le document, dédié « au peuple américain », est nettement orienté pour contrer « la menace posée par Beijing » et à un moindre niveau par Moscou, Beijing disposant du plus grand nombre de navires mais aussi des plus grands chantiers navals pour en construire de nouveaux. De plus, pour appuyer cette flotte à niveaux multiples[3], la Chine développe le plus large arsenal de missiles à capacité nucléaire, destinés à frapper les forces américaines et alliées à Guam et dans le Pacifique lointain avec une panoplie de moyens allant des missiles balistiques aux missiles de croisière, manœuvrables ou hypersoniques.
Les mesures envisagées par les Etats-Unis comprennent :
– l’intégration des trois services dans une planification globale,
– la réaffirmation des alliances, unies dans un but commun,
– la suprématie dans les opérations de routine,
– le contrôle des mers, du littoral[4] à la haute mer, depuis les sous-marins de la dissuasion nucléaire, les forces de surface, de l’air et sous-marines, la projection de puissance et la frappe, la défense anti-aérienne et anti-missile,
– la modernisation, avec une approche expérimentale flexible et proactive, par la construction de nouveaux navires et le gain de suprématie dans le domaine de l’information et de la décision, ainsi que le maintien en condition opérationnelle des équipements, y compris ceux du soutien et de l’entraînement.
Le « Rapport au Congrès sur le plan prospectif annuel de construction des navires de la Marine » du 11 décembre 2020 appelle en particulier à la réalisation de trois sous-marins (nucléaires) d’attaque et de quatre grands vaisseaux robotisés en plus de la désignation d’un second chantier naval pour la construction de frégates. Il prévoit aussi le retrait de la majeure partie des croiseurs. Au total, 82 nouveaux navires seraient construits d’ici 2026, pour un total de 147 milliards de dollars, alors que les plans précédents ne prévoyaient que 44 navires pour 102 milliards[5].
Le rapport « tri-service » du 17 décembre souligne aussi que « les forces, prêtes et pré-localisées, accepteront des risques tactiques calculés et adopteront une posture plus affirmée dans les opérations de routine ». La mise en œuvre de telles dispositions dans les eaux disputées de la mer de Chine méridionale n’est pas explicitée. Interrogé sur ces risques et cette posture, le contre-amiral James Bynum, sous-chef des opérations navales par intérim, a répondu que le rapport traitait de stratégie et que présenter des cas d’exemple ne serait que « conjecture ». De son côté, le général de division des Marines Paul Rock, directeur de la division de la stratégie et des plans, a indiqué qu’il ne s’agissait pas de se montrer provoquant mais de signaler à la Chine – et à la Russie – que les forces navales américaines prendraient des mesures de renforcement, et de maintien des standards internationaux. « Il ne s’agit pas d’exposer des fils et des filles de l’Amérique à des risques gratuits sans nécessité »[6].
Selon Bradley Martin, ancien sous-marinier pendant 30 ans, devenu analyste à la Rand Corporation, l’aspect « stratégique » du document ne signifie pas qu’il soit « vide de sens » (au sens pratique), mais que l’ensemble intégré des trois services va utiliser ses ressources pour répondre efficacement aux demandes globales. La Marine de surface aurait tendance à plutôt chercher à battre des records, comme l’envoi de deux porte-avions ensemble sur un terrain pacifique, ce qui diminue fatalement leur réserve de potentiel en cas de conflit. Le « management précautionneux des ressources » serait actuellement, selon lui, de la pure langue de bois.
Denis LAMBERT
[1] https://media.defense.gov/2020/Dec/17/2002553481/-1/-1/0/TRISERVICESTRATEGY.PDF/ TRISERVICESTRATEGY.PDF
[2] cf. « Renforcement militaire américain pour l’Asie » de l’auteur, en date du 5 décembre sur ce site.
[3] La marine chinoise a commencé par des capacités de protection des côtes puis étendu les distances couvertes, d’abord aux premières chaînes d’îles puis à la haute mer en trois niveaux successifs. On doit noter que les garde-côtes chinois interviennent de plus en plus loin puisque la Chine prétend annexer la quasi-totalité de la Mer de Chine méridionale !
La marine américaine distingue une « blue water Navy », de type océanique, d’une « green water Navy » agissant contre la terre depuis des eaux peu profondes, mais généralement très loin de ses bases d’attache, la « brown water Navy » étant plus spécifiquement fluviale.
[4] Deux types spéciaux de frégates, les Littoral Combat Ships des classes Freedom (9 navires) et Independence (9 aussi) sont dédiés à l’action contre la terre. Malheureusement les deux classes, qui devaient atteindre 19 bateaux chacune, semblent souffrir de défauts graves de propulsion (transmission de la puissance des deux turbines à gaz et des deux diesels). https://www.defensenews.com/naval/2020/12/15/the-us-navy-is-investigating-a-potential-lcs-class-wide-design-flaw/
[5] https://www.spacewar.com/reports/US_Navy_plan_calls_for_82_new_ships_at_147B_by_2026_999.html
[6] https://www.navytimes.com/news/your-navy/2020/12/17/new-tri-maritime-strategy-released-but-leaders-struggle-to-explain-certain-key-points/?utm_source=Sailthru&utm_medium=email&utm_campaign=Navy%20DNR%2012.17.20&utm_term=Editorial%20-%20Navy%20-%20Daily%20News%20Roundup