Le nouveau partenariat stratégique entre la France et l’Australie dans le Pacifique.

La visite à Sydney du Président Macron les 1er et 2 mai 2018 a été l’occasion de réaffirmer les liens plus étroits que la France veut avoir avec l’Australie dans le domaine de la sécurité. Lors de cette visite, le premier ministre australien Malcolm Turnbull et le président français ont signé plusieurs accords visant à établir des liens plus étroits dans le domaine de la défense et une coopération accrue dans le domaine de la cybersécurité. Ce qui est important, aux yeux de MM. Macron et Turnbull, est de promouvoir dans la région indo-Pacifique un développement basé sur l’État de droit, le respect des règles internationales et d’éviter l’établissement de toute hégémonie dans la région. Même si la plupart des observateurs ont conclu que ce propos visait la Chine, le président français et le premier ministre australien s’en sont défendus car, selon eux, les accords qu’ils ont signés, n’ont pas pour but d’empêcher la Chine de jouer un rôle majeur dans la région.

La visite du Président Macron se situe dans le prolongement de la visite du Président Hollande en novembre 2014, qui fut le premier chef d’État français à se rendre en Australie. Elle se situe aussi dans le prolongement du contrat que l’Australie a signé le 24 avril 2016 avec DCNS (Direction des Constructions Navales), le constructeur naval qui est une entreprise privée mais dont le capital est détenu à 62 % par l’État français, et qui est l’héritier lointain des arsenaux navals français fondés par Colbert au XVIIe siècle. En juillet 2017, DCNS a changé de nom et s’appelle désormais Naval Group.

Le contrat de DCNS avec l’Australie concerne la construction de 12 sous-marins Barracuda. C’est le contrat militaire le plus important jamais conclu par l’Australie. Il est d’un montant de 53 milliards de dollars australiens, soit environ 33 milliards d’euros. Les sous-marins Barracuda qui ont une propulsion conventionnelle (non nucléaire) font 4000 tonnes, sont d’une longueur de 97 mètres et ont un équipage de 60 marins. C’est une coopération entre la France et l’Australie d’une durée d’une bonne cinquantaine d’années qui a débuté avec ce contrat.Les retombées économiques immédiates pour les deux pays sont importantes, avec notamment la création de 4000 emplois en France et 2800 emplois en Australie.

Les deux pays ont réitéré leur engagement en faveur d’un système commercial mondial fondé sur des règles, face à la montée du protectionnisme. L’accord de libre-échange entre l’Australie et l’UE a été un autre point majeur des entretiens entre MM. Macron et Turnbull. Le Président de la République a assuré les autorités de Canberra de son soutien à l’ouverture de la négociation d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Commonwealth australien. Il a rappelé certaines priorités françaises. La France souhaite notamment qu’à l’occasion de ces accords, des engagements en matière de développement durable soient pris. Il a aussi rappelé la nécessité de préserver les intérêts économiques des territoires français du Pacifique. Sur le plan bilatéral le communiqué officiel conjoint a annoncé la création d’un dialogue annuel ministériel sur le commerce et l’investissement.

En marge de la visite, des accords impliquant le secteur privé ont été signés. En particulier Neoen, qui est le plus grand producteur français d’énergies renouvelables, a signé un mémorandum d’accord avec la société australienne Zen Energy (groupe GFG) aux termes duquel Zen Energy s’engage à acheter sur une période de 15 ans la plus grande partie de l’électricité produite par la future ferme solaire de Numurkah gérée par Neoen. Cette électricité sera utilisée par les aciéries détenues par le groupe anglo-indien qui vient de racheter en mars 2018 la société australienne Rio Tinto. Cet accord a été doublé de la signature d’un protocole d’accord dans lequel les deux entreprises s’engagent à développer ensemble de nouvelles solutions de déploiement des énergies nouvelles renouvelables à plus grande échelle, afin d’en réduire davantage les coûts.

Par ailleurs, la société australienne Silicon Quantum Computing, spécialisée dans l’informatique quantique, et le Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives (CEA) français ont signé un protocole d’accord portant sur l’engagement de recherches conjointes afin de développer et commercialiser un nouveau circuit quantique intégré, à base de silicium. Cette coopération vise à développer un nouveau matériel informatique quantique de premier ordre, pierre angulaire d’une coopération scientifique et industrielle accrue dans le domaine de l’informatique quantique.

Le lien entre le développement du partenariat stratégique bilatéral et les opportunités pour notre industrie de défense a été illustré lors d’un événement organisé sur la base navale de Garden Island (gérée par Thales). MM Macron et Turnbull ont réaffirmé l’importance de leur coopération dans la zone indo-pacifique, notamment en matière de sécurité et pour répondre aux crises humanitaires régionales et aux catastrophes naturelles.

M. Macron a été plus explicite. Il a déclaré à la presse que la priorité était « de construire un axe indo-pacifique fort pour garantir nos intérêts économiques et de sécurité » et que « le dialogue trilatéral Australie-Inde-France avait vocation à jouer un rôle central » dans cette stratégie. Les chefs des exécutifs français et australiens ont marqué leur intention de mettre en place des initiatives pour lutter contre le réchauffement climatique et pour protéger l’environnement régional, notamment les milieux marins. Ils sont convenus notamment de collaborer pour mieux comprendre et améliorer la résilience des massifs coralliens.

Le partenariat dont MM. Macron et Turnbull se sont félicités, marque une nouvelle étape dans l’évolution de la réflexion stratégique française qui a débuté en décembre 2009, quand un « Livre Bleu » du gouvernement français définissait ses priorités stratégiques dans le domaine maritime et indiquait son souhait que la France retrouve son rôle historique dans le domaine maritime. Avec ses territoires éparpillés sur l’ensemble de la planète, la France a la deuxième zone économique exclusive (ZEE) du monde avec 10,2 millions de km² derrière les Etats-Unis et devant l’Australie. Dans la ZEE de la France, 7,3 millions de kilomètres carrés se situent dans la zone Pacifique autour de la Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna, la Polynésie française et Clipperton.

Ces faits sont connus. Ce qui l’est moins est que c’est avec l’Australie que la France partage sa plus longue frontière maritime qui est d’ailleurs l’une des plus longues frontières maritimes du monde.

L’Australie est la 12ème puissance économique mondiale en termes de PNB. Elle a échappé à la crise de 2008. Son économie connaît une croissance ininterrompue depuis 1991. La volonté française d’établir un partenariat avec l’Australie s’inscrit dans le cadre de nombreux fora multilatéraux qui cherchent à coordonner l’action des différentes nations du Pacifique et de l’océan Indien en particulier au niveau de la défense. Citons notamment :

· l’International Institute for Strategic Studies Shangri-La dialogue, au niveau politique et stratégique, réunion annuelle entre les ministres de la défense de la zone Asie-Pacifique,

· le South Pacific Defence Ministers Meeting (SDPMM). Il s’agit d’une communauté régionale de défense créée en 2013 qui réunit tous les deux ans les ministres de la défense de l’Australie, la France, la Nouvelle-Zélande, le Chili, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les Tonga. Fidji pourrait prochainement adhérer.

· la Pacific Armies Chiefs Conference et sa déclinaison méridionale, la Chief of Defence Conference (CHOD), qui est la réunion annuelle des chefs d’état-major des nations du Pacifique, soit environ 30 pays ;

· le Western Pacific Naval Symposium (WPNS). Les échanges qui s’y tiennent sont orientés vers la recherche d’une plus grande interopérabilité des armées. Le WPNS regroupe 21 membres. La France est le seul pays européen permanent depuis 2002. Cette réunion des chefs d’état-major de la marine s’est tenue en avril 2016 en Indonésie;

· l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS) est le pendant du WPNS pour l’océan Indien ;

· les séminaires des chefs d’état-major des armées du Pacifique, USPACOM,

· la réunion annuelle des chefs du renseignement militaire d’Asie-Pacifique ;

· mais aussi, le central South Pacific Coast Guard forum.
Cette diversité de formats, d’acteurs, et de niveaux de dialogue montre assez la diversité des problématiques qui caractérisent cette zone et la difficulté d’y apporter une réponse unique. En fonction des thèmes abordés, les rapports de force, les alliances se modifient au détriment d’une stabilisation globale de la zone. Dans ce contexte, la position de la France peut en faire un acteur privilégié, capable de parler avec chacun des pays riverains.

C’est ce que souhaite la France. Depuis la fin des expérimentations nucléaires en Polynésie en 1996 et également depuis les accords de Matignon qui ont évité une guerre civile en Nouvelle-Calédonie, la France est perçue comme un facteur de stabilité dans une région où les Etats nouvellement indépendants se caractérisent souvent par leur instabilité politique et la médiocrité de leurs performance économiques. Un vaste champ de coopération lui est donc ouvert.

Jean-Christian CADY