Aung San Suu Kyi veut rétablir ses relations avec l’ONU dans la crise des Rohingyas.

La réputation d’Aung San Su Kyi a énormément souffert de son attitude pendant la crise des Rohingyas. Elle espère la rétablir en autorisant les organisations des droits de l’homme et les agences humanitaires de l’ONU à entrer au Myanmar pour préparer le terrain pour un retour à grande échelle de la minorité musulmane Rohingya. Les collaborateurs d’Aug San Su Kyi espèrent que cette proposition, ainsi que des changements politiques internes au Myanmar qui renforcent sa position et la nomination d’un envoyé spécial de l’ONU pour la crise de Rohingyas, permettront d’améliorer ses relations avec la communauté internationale.

Près de 700 000 Rohyngyas se sont enfuis du Myanmar après les opérations militaires qui y ont été lancées. A ces réfugiés s’ajoutent environ 200 000 personnes qui, au cours des décennies précédentes, ont trouvé refuge au Bangladesh.

De façon très inhabituelle, des diplomates de haut rang des 15 pays membres du Conseil de Sécurité se sont rendus le 30 avril au Bangladesh et au Myanmar. Cette visite souhaitée depuis de longs mois, a finalement été autorisée par Aung San Suu Kyi. Le 30 avril, la délégation a visité le camp de réfugiés de Kutupalong-Balukhali à Cox’s Bazar au Bangladesh, où sont réfugiés 600 000 Rohyngyas. C’est le camp de réfugiés le plus grand et le plus peuplé du monde établi dans l’un des pays les plus pauvres et les plus peuplés du monde.

Il faut ajouter à ces effectifs 6000 réfugiés qui sont coincés dans un no man’s land à proximité de Cox’s Bazar coincé entre le Bangladesh et le Myanmar. Ces réfugiés ne peuvent ni pénétrer au Bangladesh, ni revenir au Myanmar.

Les conditions précaires des réfugiés vont s’aggraver avec la mousson. Plus de 150.000 réfugiés rohingyas se trouvent dans des endroits menacés par des glissements de terrain et des inondations. e A l’urgence actuelle risquent de s’ajouter des catastrophes naturelles.

Pour subvenir aux besoins de ces réfugiés rohyngyas au Bangladesh, plus de 16 millions de litres d’eau potable sont nécessaires chaque jour et quelque 12.200 tonnes de nourriture sont nécessaires chaque mois. Au moins 180.000 familles de réfugiés ont besoin de combustible pour cuisiner. Quelques 50.000 latrines doivent être construites et entretenues et au moins 30 installations de gestion des eaux usées sont nécessaires.
Les problèmes de santé publique sont aigus au sein des communautés de réfugiés, notamment la rougeole, la diphtérie et la diarrhée. 43 centres de santé primaires et 144 postes de santé sont nécessaires. Une centaine de centres de traitement nutritionnel des programmes de protection pour les 144.000 mères célibataires et leurs familles et 22.000 enfants à risque constituent également une priorité urgente. Environ 400.000 enfants dans les communautés de réfugiés et d’accueil ont besoin de soins de traumatologie et de soutien connexe. Par ailleurs, le HCR et l’OIM estiment que 5.000 salles de classe doivent être mises à disposition pour 614.000 enfants et jeunes afin de leur assurer un accès adéquat à l’éducation.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont lancé un appel de 951 millions de dollars pour financer leur plan de réponse humanitaire conjoint à la crise des réfugiés rohingyas.
Les ambassadeurs du Conseil de Sécurité veulent pousser Aung San Suu Kyi à mettre en œuvre les réformes proposées par la commission consultative sur l’Etat de Rakhine, commission qu’elle a créée et qui était présidée par Kofi Annan, l’ancien secrétaire général de l’ONU. La commission propose notamment que le Myanmar révise la loi sur la nationalité qui interdit aux Rohyngyas d’être citoyens du Myanmar. La délégation propose aussi de mettre fin aux restrictions diverses qui frappent ce groupe minoritaire.
Win Myint, membre depuis de longues années de la Ligue Nationale pour la Démocratie, le parti d’Aung San Suu Kyi et considéré comme l’un de ses proches collaborateurs, était jusque là président de la chambre basse. Il a été élu le 28 mars 2018 à la présidence du Myanmar par le parlement birman. Il davantage de poids que Htin Kyaw, son prédécesseur qui avait démissionné du fait de problèmes de santé. Il convient de rappeler qu’Aung San Suu Kyii ne peut être présidente puisque la constitution l’interdit, car elle a deux enfants citoyens étrangers. Elle est conseiller d’État, une position qui est au dessus de celle de président. Avec l’élection de ce nouveau président, la position d’Aung San Suu Kyi est renforcée. Mais même si elle davantage de marge de manœuvre, sa liberté d’action est très contrôlée par les militaires qui restent les véritables maîtres du pouvoir.

Pour exceptionnelle qu’elle soit sur des territoires où il n’existe pas de mission de maintien de la paix, la visite des membres du Conseil de Sécurité au Bangladesh et au Myanmar n’apporte aucune certitude que le problème des réfugiés rohingyas sera résolu pour trois raisons.

La première est que l’immense majorité des Rohingyas n’a aucune envie de revenir au Myanmar. Ils y ont été maltraités, leurs habitations ont été détruites, leurs parents ou leurs enfants ont été tués, leurs femmes ou leurs filles violées. C’est une véritable épuration ethnique qui a eu lieu, même si le Myanmar conteste les faits et nie l’évidence pourtant corroborée par des photos satellite en ce qui concerne les incendies de villages. Il faudra donc aux Rohingyas de très solides garanties pour qu’ils acceptent de revenir au Myanmar.

La seconde raison est qu’en réalité les Birmans ne souhaitent pas le retour les Rohingyas, cette minorité qu’ils ont toujours méprisée et à laquelle ils ont toujours dénié la citoyenneté du Myanmar. Il n’est pas impossible qu’Aung San Suu Kyi elle-même partage ces sentiments.

La troisième est que l’opération de retour sera très coûteuse. Les infrastructures détruites sont à reconstruire. Il faut lancer tout un programme de formation et de réintégration et donc mobiliser l’aide internationale puisque le Myanmar ne pourra – ni probablement ne voudra – le financer.

Dans ce tableau assez désespérant il y a tout de même deux lueurs d’espoir.

La première est qu’Aung San Suu Kyi sait ce qu’elle doit à la communauté internationale. Sans l’action résolue des membres du Conseil de Sécurité – et en particulier des Etats-Unis – il y a de fortes chances qu’elle serait restée en résidence surveillée et n’aurait jamais pu être élue à la tête du Myanmar. L’avenir politique d’Aung San Suu Kyii dépend dans une large mesure du soutien de la communauté internationale. Sa réputation a beaucoup souffert. Elle ne peut plus continuer à la laisser se détériorer. De plus le Myanmar dépend de l’aide internationale. Une réduction de cette aide aurait des conséquences catastrophiques.

La seconde lueur d’espoir est financière. Le statu-quo, c’est à dire la gestion d’immenses camps de réfugiés pendant de longues années, est extrêmement onéreuse. L’expérience montre que la bonne volonté et les contributions financières de la communauté internationale s’épuisent assez rapidement. Cet épuisement des pays bailleurs (donor fatigue) intervient d’autant plus vite quand aucune sortie de crise et solution pérenne ne se profilent.

L’ONU ne va pas relâcher ses efforts. Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres vient de nommer l’ancienne ambassadrice de la Suisse en Allemagne, Christine Schraner-Burgener comme son envoyée spéciale au Myanmar.

Jean-Christian Cady