Manœuvres conjointes entre les armées russe et chinoise en Sibérie et dans la province d’extrême orient.

Des manœuvres militaires conjointes des forces russes et chinoises se sont déroulées du 11 au 15 septembre 2018 dans l’est de la Sibérie, dans la région du lac Baïkal, et dans la province d’extrême-orient. 297000 militaires russes, 1000 avions, hélicoptères et drones, 36000 chars, véhicules de transport de troupes et pièces d’artillerie, enfin 80 navires ont participé à cet exercice, dénommé Vostok 2018. Quelque 3200 militaires de l’armée chinoise ainsi que 30 avions et hélicoptères se sont joints aux manœuvres auxquelles ont participé des unités de Mongolie.

Les organisateurs ont donné une large publicité à l’exercice Vostok auquel 80 observateurs internationaux, dont plusieurs représentants de pays de l’OTAN, ont assisté. Le gouvernement chinois s’est voulu rassurant. L’attaché militaire chinois à Moscou, le général Kui Yanwei, a qualifié la manœuvre « d’expérience inestimable » qui « contribuera certainement à la paix et la stabilité dans la région ». De son côté, le China Daily écrit dans son numéro du 31 août que « Vostok ne doit pas être mal interprété car il s’agit d’une pratique habituelle pour la Chine et la Russie ». Le quotidien ajoute cependant que « les exercices se font cette année à une plus grande échelle ». Selon une source militaire citée par les médias chinois, un des objectifs serait pour l’armée chinoise de bénéficier de l’expérience russe en Syrie. Les Russes tiennent eux aussi un discours modéré. Vladimir Poutine a déclaré « La Russie est une Etat pacifique. Il n’est pas question pour nous d’avoir des plans agressifs. Notre politique extérieure est dirigée vers la coopération constructive avec tous les pays qui partagent les mêmes aspirations ». Dans le même sens, le général d’armée Valery Guerassimov ne voit « rien de sensationnel dans le déploiement des forces ». Il ajoute : « Les manœuvres ne sont pas dirigées contre un autre pays et sont conformes à notre doctrine militaire qui est de nature défensive. Leur but est simplement de vérifier le niveau de préparation des unités qui ne peut être évaluée que lors d’exercices à l’échelle appropriée».

Ces propos apaisants ne doivent pas faire illusion. La Russie et la République Populaire de Chine (RPC) veulent faire la démonstration de leur puissance militaire. Le vice-ministre russe de la défense, Andrei Kartapolov, a été explicite sur ce sujet. Cité par le journal, Kommersant il a affirmé : « Nous faisons l’exercice pour que nos partenaires (c’est-à-dire les occidentaux) puissent voir ce dont nous sommes capables sur n’importe quel théâtre de guerre. Et croyez-moi, ils vont recevoir le message ». Les dirigeants russes et chinois veulent aussi souligner la cordialité de leurs relations bilatérales. La Russie souhaite montrer qu’elle n’est pas isolée sur les plans diplomatique et militaire et qu’elle peut compter sur le soutien de la deuxième puissance économique mondiale. Vivement critiquée dans plusieurs pays d’Asie à cause de sa tentative pour étendre son emprise sur une large fraction de la Mer de Chine et engagée dans une partie de bras de fer avec les Etats-Unis au sujet des questions commerciales, la RPC cherche elle aussi des alliés susceptibles d’appuyer sa politique.

Les rapports entre la Russie et l’ancien Empire du Milieu se sont sensiblement resserrés, surtout depuis 2015. Les deux Etats ont des positions identiques ou pour le moins voisines sur de nombreux problèmes internationaux : volonté de mettre fin à l’hégémonie des Etats-Unis dans le Pacifique, lutte contre le terrorisme, notamment islamique, condamnation du protectionnisme, des mesures unilatérales prises par Donald Trump, de l’ingérence dans les affaires intérieures des Etats, rejet des valeurs libérales et démocratiques de l’Occident, défense du multilatéralisme, préférence donnée à la recherche d’une solution négociée en Corée…. Ils ont intensifié leur coopération, notamment dans le domaine militaire (multiplication des exercices communs, fourniture d’équipements, transferts de technologie). Ils collaborent au sein des instances régionales telles que l’Organisation de Coopération de Shanghai. Certains problèmes existent entre Moscou et Pékin ; ainsi, selon Mme Alice Ekman, experte de l’IFRI, les investissements chinois en Russie ne seraient pas à la hauteur des espérances du Kremlin. Malgré tout l’entente entre les deux superpuissances est solide et leurs dirigeants y semblent fermement attachés car elle sert leurs intérêts nationaux. Cela a été confirmé encore récemment par la rencontre entre les présidents Poutine et Xi Jinping le 11 septembre à l’occasion de l’ouverture de quatrième sommet économique de Vladivostok.

Alors que l’exercice Zapad organisé en septembre 2017 avec la Biélorussie avait suscité une certaine inquiétude dans plusieurs pays européens, principalement la Pologne et les pays baltes, Vostok n’a pas provoqué de réaction similaire. L’éloignement du théâtre des opérations explique sans doute cette attitude. En revanche les Etats-Unis et le Japon suivent avec attention le renforcement de la coopération russo-chinoise dans le domaine militaire. « Nous envisageons de suivre de près la participation de la Chine aux grandes manœuvres russes de cette année »  a déclaré un responsable du département de la Défense américain. L’attaché militaire japonais à Moscou a demandé si des exercices étaient prévus à proximité des îles Kouriles. Il a été rassuré sur ce point. Il est symptomatique de relever qu’au moment où Vostock se déroulait dans l’ancien empire des tzars, Washington annonçait l’organisation d’exercices communs avec l’Inde en 2019. On voit ainsi se constituer progressivement deux groupes politiques et stratégiques en Asie et dans le Pacifique : un axe constitué par la Russie et Chine et un ensemble comprenant les Etats-Unis, l’Inde, le Japon, l’Australie et peut-être d’autres Etats. L’avenir confirmera si cette configuration se concrétise ou si elle reste à l’état d’ébauche.

Jean-Michel Dasque