La visite officielle du premier ministre japonais aux Etats-Unis
Le premier ministre Shinzo Abe aura été le premier dirigeant étranger à se rendre en visite officielle auprès du président Trump, qu’il avait déjà été le premier à rencontrer de façon informelle à la Trump Tower à Manhattan dès novembre 2016. Évitant toute critique sur le style et les déclarations du nouveau président américain, y compris sur l’absurde décret anti-immigrants, son approche pragmatique et sa présence à la propriété de Mar-a-lago en Floride pour une partie de golf, auront montré de la considération pour ce président improbable. Et focaliser les discussions sur le commerce, grand dossier international de rupture de la nouvelle administration, pour jouer le jeu de la réorientation américaine.
Cette attitude compréhensive vis-à-vis du discours « America First », qui tente de répondre aux effets sur l’emploi attribués au libre-échange, prend acte de l’abandon du Partenariat Trans-Pacifique (TPP). Abe avait fait accepter par la Diète japonaise cet accord de commerce liant douze pays du Pacifique au prix d’une forte implication politique. En raison de son poids économique, le Japon était un protagoniste clé de ce projet phare de la présidence Obama censé assoir l’influence américaine en Asie devant la Chine montante, si bien qu’il enveloppait, en quelque sorte, un accord de libre-échange nippo-américain ne disant pas son nom, car politiquement sensible au Japon.
La priorité de Abe semble donc bien être d’établir une relation de confiance avec Trump pour répondre à sa préférence pour des accords bilatéraux, où le maître de « l’art du deal » voit une configuration plus favorable que dans une négociation multilatérale. Le rapprochement en tête-à-tête permet aussi d’aplatir les critiques de Trump sur le marché intérieur nippon ou la faiblesse du yen, qui rappellent les tensions commerciales et monétaires des années 80 et 90.
Enfin, Abe veille à arrimer la relation militaire nippo-américaine, pilier de la sécurité régionale en Asie, où les déclarations aventureuses du candidat Trump avaient fait l’effet d’une onde de choc. Montrer à la Chine que cette alliance, choyée par Obama, reste inébranlable, est capital au moment où Pékin revendique sa souveraineté en mer de Chine du Sud, modernisation navale à l’appui. Sur ces équilibres stratégiques, on observe d’ailleurs que les États-Unis de Trump restent dans les clous : l’esprit de responsabilité des ministres l’emporte sur l’excentricité de la Maison-Blanche.
Le premier déplacement du général Mattis, secrétaire à la Défense, fut en effet pour rassurer les alliés nippon et coréen, dans le droit fil d’un Obama réaffirmant la validité du parapluie nucléaire américain. Mattis a notamment réitéré que la défense mutuelle s’appliquait aux îles Senkoku revendiquées par la Chine sous le nom de Daioyu. On est très loin des critiques de Trump pendant la campagne contre des alliés ne payant pas assez pour leur défense. Sur d’autres sujets aussi Trump a fait marche arrière, s’en remettant à Mattis, « le général des généraux », en matière d’interrogatoire des « ennemis combattants » ; le ministre a condamné la torture. La démission du conseiller à la sécurité nationale Flynn a illustré de façon plus spectaculaire la fragilité de la Maison-Blanche.
Dans son approche prenant en compte les ressorts de la victoire de Trump, Abe a aussi proposé des investissements créateurs de 700 000 emplois aux États-Unis, saisissant l’occasion offerte par le plan de modernisation des infrastructures de mille milliards sur dix ans avancé par Trump. Le plan de coopération bilatérale « pour la croissance et l’emploi » privilégie ainsi le ferroviaire à haute vitesse, l’innovation et des infrastructures de première qualité, dont Trump a fait l’emblème de la grandeur américaine retrouvée. Proposant de travailler ensemble à l’économie de demain, il n’oublie pas de pointer la déloyauté commerciale chinoise si vivement dénoncée par Trump.
Yannick Mireur. Les Echos 19/2/2017