Un jeudi à l’Institut du Pacifique : impressions d’un auditeur poète et voyageur

Source : https://routedelacoree.com/presentation-de-coree-sud/

J’arrive à la Maison des Associations pour une conférence de l’Institut du Pacifique par l’impasse Marie de Régnier qui est l’une des deux héroïnes d’un roman que je viens de lire :« J’ai péché, péché dans le plaisir » de Abnousse Shalmani[1] : elle y mêle la vie de la poétesse française Marie de Régnier qui a mené un combat féministe pour sa liberté et celle de Forough Farokhzad, poétesse et cinéaste iranienne.

Mettons fin à ces rêveries et revenons à la conférence du jour à l’Institut du Pacifique sur « Le modèle économique sud-coréen ».

Le conférencier, Monsieur Li, juriste et économiste, avocat d’affaires travaillant aussi bien en France et en Corée, pour des entreprises françaises et coréennes, est un une des très rares personnes à posséder la double nationalité française et coréenne. Du fait de sa double culture, il nous parle avec talent de l’économie coréenne, paradoxalement développée et modernisée par les deux dictateurs Park Chung-hee et Chun Doohwan.

Un rappel historique montre l’évolution d’un pays ruiné et misérable après la Deuxième Guerre mondiale, qui connait 26 ans de dictature militaire, mais où l’influence du confucianisme et les efforts en matière d’alphabétisation et de développement industriel ont permis de devenir l’une des premières économies mondiales :

  • 10ème rang de la puissance économique mondiale,
  • 11ème PIB pour 51 M d’habitant, dont 9,3 à Séoul,
  • 8e exportateur mondial,
  • 1,7% de croissance en 2023 avec 5,2% du PIB consacré à la R&D.
  • Fait à ne pas sous-estimer : 97% de la population a un Smartphone !

La Corée est le pays de la technologie et de la modernité. « La technologie et la modernité ne font pas peur en Corée ; ils sont considérés comme des facteurs de progrès et de développement ». On a ici le souci constant de faire » plus et mieux ».

Le pays est très rapidement passé à l’ère numérique alors qu’en 1945 il se trouvait dans la misère absolue ! Les 7 plans quinquennaux de 1961 à 1996 ont donné une feuille de route permettant le passage de l’économie à l’industrie, d’abord textile dans les années 60, puis à l’industrie lourde, chimique et aux chantiers navals (dont la Corée devient leader mondial).

A partir des années 80, on assiste à un saut technologique avec la création d’Instituts de recherche et de programmes de R & D. En 1983, Samsung investit des millions de dollars dans les semi-conducteurs. Dès les années 90, c’est l’envolée de la technologie où les sous-traitants deviennent les constructeurs affirmant ainsi la souveraineté économique au risque de se fâcher avec leurs prescripteurs. La rapidité est un facteur essentiel de ce développement avec par exemple un délai de 18 mois entre la conception, l’industrialisation et le lancement de Smartphones ! Il y a aussi le parti pris de ne pas s’ouvrir aux IDE, mais de recourir à des prêts coréens afin de protéger le tissu économique et de préserver la souveraineté du pays. L’ouverture aux capitaux étrangers n’intervient qu’après la crise financière de 1997, traumatisme brusque et inattendu malgré une bonne croissance et une économie solide, mais résultant de la propagation de la crise du Sud-est asiatique. L’approche patriotique de la prospérité se résume un peu dans l’adage : « ce qui est bon pour le pays est bon pour l’entreprise et vice-versa ».

L’économie est donc un sujet majeur, facteur de compétitivité, celle-ci étant une obsession.

Les années 2010 voient la 4e révolution industrielle avec l’émergence de l’IA, de la robotique, des blockchains, du cloud, de la cybersécurité…

Le Coréen est toujours animé d’un sentiment de précarité quel que soit son niveau de richesse. Il n’est jamais dans le confort, dans les situations acquises et il est donc extrêmement réactif. Ainsi le Covid-19 n’a pas été vécu comme une crise sonnant la fin du monde, mais comme un passage.

Le soft power coréen se répand aujourd’hui dans le monde entier, et tout particulièrement en France. Le think tank KEY (Korea, Europe and You) dont M. Li est le fondateur, a tenu le 1er février son premier forum à Paris, dédié au soft power coréen. Ce forum se reproduira dans l’année à Berlin et à Londres.

Des questions en fin de conférence amènent Monsieur Li à nous parler de la culture séculaire[2] de son pays, qui a reçu une influence japonaise, et s’illustre aujourd’hui dans la gastronomie, la musique (K-pop), les séries (Skycastle), les BD et le cinéma qui, selon M. Li, vit un « âge d’or » et reçoit de nombreux prix internationaux. Il est vrai que les écrans parisiens présentent régulièrement des films coréens, parmi lesquels on peut citer, dans leur diversité :

  • Sur la fin de la dictature de Park :

« The President’s Last Bank » (Im Sang Soo 2005) : assassiné par les services secrets coréens.

  • Des films historiques :

« Ivre de femmes et de peinture » (Im KwonTaëk 2002) histoire de la vie d’un peintre à la fin du 19ème.

« Le chant de la fidèle Chunhyang » (Im KwonTaëk 2000) les amours d’une courtisane sous la forme d’un « Opera coréen » appelé pansouri, passionnant même si la musique nous entraîne loin de Haendel Verdi et Wagner.

  • Des films traditionnels :

« Printemps, été, automne, hiver… et printemps » (Kim Ki Duk 2003). Un maître zen élève son jeune disciple.

  • Des films contemporains éclairant les contradictions de la société coréenne.

« Parasite » ( BongJoon Ho 2019 Palme d’Or à Cannes) : une famille pauvre multiplie les ruses pour exploiter une famille richissime.

« Les Bonnes Etoiles » (KoreEda 2022) :  histoire policière d’un trafic d’enfants. KoreEda est japonais mais le film est tourné en Corée avec des acteurs coréens. Ses films sont souvent centrés sur des problèmes familiaux.

  • Enfin, plus « Art et Essai » :

« In Another Country » (Hong Sang Soo 2012) Une « même » histoire, celle d’Anne jouée par Isabelle Huppert racontée 3 fois différemment.

Conférence du 8 février 2024

François Chauvière


[1] Ecrivain française née à Téhéran, présidente du jury du prix de la laïcité 2023.

[2] Cf notamment les céladons