Elections en Thaïlande


Une Thaïlandaise dépose son bulletin de vote dans une urne à Bangkok le 24 mars 2019afp.com – Lillian SUWANRUMPHA

Le contexte

La Thaïlande, ancien royaume de Siam,  a depuis 1932  connu 20 coups d’état, le dernier datant du 22 mai 2014 faisant suite à de vives manifestations entre les Jaunes (royalistes) et les Rouges (soutenant les Shinawatra).

L’attachement de la population à la royauté ne s’est jamais démenti durant  le long du règne de 70 ans de Rama IX et de la reine Sirikit. Qu’en sera-t-il avec Rama X ?

Après avoir amendé la constitution, la junte au pouvoir vient de procéder aux premières élections législatives, s’étant auparavant assuré les 250 sièges  de la Chambre haute.

Les enjeux

Ces premières élections législatives depuis 2011 peuvent être perçues comme un retour à la démocratie, mais est-ce que cela sera vraiment le cas ?

L’objectif des élections est en effet la nomination du Premier ministre qui mènera sa politique durant son mandat  qui ne peut excéder 8 années (2 mandats de 4 ans).  Pour cela, il faut réunir 376 sièges, la Chambre basse en ayant 500 et la Chambre haute 250.

Les principales forces politiques en présence

102 partis politiques se sont enregistrés pour participer à cette élection, mais seuls 77 ont été retenus, ce qui dépasse de beaucoup le  nombre de partis « traditionnels ». Le but de cette multitude de forces en présence est de pouvoir constituer des alliances pour désigner le nouveau Premier Ministre.

Les 4  partis rassemblant le plus grand nombre de suffrages sont  (par ordre alphabétique) :

Les parties prenantes

  • Le Parti Anakoth Maï (Nouvel Avenir) avec à sa tête Thanathorn Juangroongruangkit
  • Le  Palang Pracharat, présenté par les militaires et soutenant l’actuel Premier ministre Prayut Chan-o-Cha
  • Le Pheu Thai conduit notamment par Sudarat Keyurapha, émanation du clan Shinawatra1
  • Le Parti Démocrate Thai Raksa Chart, soutenu par l’ancien Premier Ministre Abhisit
  • Ouvriers et paysans  se sont trouvés en quelque sorte exclus au fil du temps des progrès de la croissance économique même si le taux de pauvreté est descendu en dessous des 10%.  Les mesures prises par Yingluck Shinawatra pour soutenir les riziculteurs ont rendu l’accès au marché international plus difficile créant une situation économique délicate qui a entrainé le coup d’état. La classe ouvrière a également souffert de la concurrence des pays voisins ayant une productivité devenue supérieure à la leur. Rappelons que profitant des « Thaksinomics », ils sont les électeurs du Pheu Thai.
  • La classe moyenne urbaine se trouve surtout à Bangkok et dans sa métropole (soit environ 19 millions d’habitants) et est fière dès les années 1990 d’appartenir à une nation démocratique à revenu intermédiaire. Elle n’a pas hésité à manifester ces dernières années contre le clan Shinawatra qu’elle considère comme corrompu et soupçonne d’acheter le vote des ruraux en promettant des politiques populistes. Elle a largement boycotté les dernières élections de 2014 et a accueilli favorablement le coup d’état. Même si les réformes nécessaires dans l’éducation, la police, la bureaucratie, les entreprises publiques ne correspondent pas toujours à ses attentes, elle craint un retour à l’instabilité et est majoritairement conservatrice.
  • Les jeunes représentent 7 millions de nouveaux électeurs parmi lesquels nombre d’étudiants diplômés ne trouvant pas de travail à la hauteur de leurs ambitions et  quantité d’autres n’ayant que de petits jobs. Il n’est pas certain qu’ils soutiennent le Pheu Thai .Ils sont pour beaucoup trop jeunes pour avoir connu Thaksin, mais ils ne sont pas davantage attirés par la junte.
  • Les riches familles dominent l’économie du pays. Elles sont généralement conservatrices et privilégient la stabilité politique. De grands groupes étrangers ont également investi en Thaïlande considérée comme une base pour leurs exportations et l’issue des élections pourrait changer la donne. La Thaïlande est effectivement intégrée dans les chaines de production internationales.
  • Les militaires ont élaboré une nouvelle constitution et visent à conserver par voie légale la main  mise sur un gouvernement civil pouvant appliquer leur programme étalé sur 20 ans et garantissant leur avenir par un budget avantageux. Ils sont conservateurs, mais pas à l’abri d’un coup mené par une ou l’autre faction.

La monarchie et le roi Rama X

Maha Vajiralongkorn, proclamé roi sous le nom de Rama X le 1er décembre 2016, sera couronné lors de cérémonies entre les 4 et 6 mai 2019.

Il s’est imposé sur la scène thaïlandaise en remaniant le Conseil  privé du Roi, en  refusant d’être remplacé par un régent lors de ses absences, en imposant sa signature à un grand nombre de lois, en plaçant des hommes de confiance à des postes clés, notamment au sein de l’armée, prenant le contrôle sur le Bureau des propriétés de la couronne et leur gestion.

Il représente l’autorité suprême et se considère à la tête du système politique.

Il faut aussi se rappeler que dans le passé, il a entretenu des liens avec Thaksin…

Très habilement, il ne prend pas position si ce n’est qu’il a trouvé «hautement  inappropriée » la tentative de sa sœur ainée, la princesse Ubolratana Mahidol, de briguer le poste de Premier Ministre pour le compte du Thai Raksa Chart, ce qui constitue une rupture avec la tradition qui veut que la famille royale se tienne en dehors de la vie politique du pays. Ce parti, favorable à Thaksin a de fait été dissout le 7 mars.

Les résultats provisoires

Le nombre d’électeurs est d’environ 51,4 millions dont environ 7,3 millions de nouveaux électeurs avec un record de 11 811 candidats pour 350 circonscriptions, dont 2 815 candidats sur les listes des grands partis.

Le scrutin s’est déroulé en 2 temps :

  • Vote anticipé le dimanche 15 mars avec une participation de75% des inscrits (avec une pointe à près de 95% dans la circonscription de Chiang Mai) – ceux qui n’ont pas voté ne pourront pas le faire par la suite.
  • Vote le dimanche 21 mars

Suite au dépouillement de tous les bulletins de vote, les résultats tels qu’annoncés par la Commission électorale (nommée par la junte) sur les 350 sièges attribués au suffrage universel direct par circonscription sont actuellement :

  • Le Palang Pracharat aurait 8,4 millions de votes, soit 97 sièges
  • Le Pheu Thai aurait 7,9 millions de votes, soit 135 sièges
  • Le Parti Anakoth Maï aurait 5,8 millions de votes, soit 30 sièges

Pour les 150 sièges restants, l’attribution se fait selon une formule proportionnelle.

Les résultats seront officiellement  annoncés le 9 mai au lendemain  de festivités liées au couronnement du roi.

Sur la base de leurs propres estimations, le Palang Pracharat et le Pheu Thai affirment tous deux disposer d’un mandat pour former le prochain gouvernement.

Rappelons qu’il faut 376 sièges pour ce faire.

Selon l’Asian Network for Free Elections (Anfrel), les problèmes relevés à ce stade n’auraient pas d’impact notoire sur le résultat dont le comptage est défendu par la très officielle Commission Electorale.

Quoi qu’il en soit les 2 principaux partis proclament leur victoire alors que le leader d’Anakoth Maï serait cité à comparaitre et encourrait jusqu’à 9 ans de prison pour incitation au trouble de l’ordre public alors qu’il a rejoint une coalition anti-junte afin de former un gouvernement.

Conclusion

Quelle majorité va émerger pour former un nouveau gouvernement et avec quel premier ministre ?

Si le Palang Pracharat se considère comme gagnant, il n’en reste pas moins que le Pheu Thai et l’Anakoth Maï, s’ils veulent prendre le pouvoir, doivent s’entendre. Combattre la junte n’est pas un programme suffisant alors que le leader d’Anakoth Maï considère Thaksin comme appartenant au passé et douteux…

Ces élections vont-elles engendrer une nouvelle instabilité et conduire à des heurts avant un nouveau coup d’état à un moment où la Thaïlande a la présidence de l’ASEAN ?

Le nouveau gouvernement aura une influence et une responsabilité dans ses relations avec la Chine.

Résultat le 9 mai !

  1. Le clan Shinawatra  se compose de Thaksin et de sa  sœur Yingluck, tous deux anciens premiers ministres et tous deux en exil à la suite de leurs condamnations par la justice.

Sources : Malaymail, Vietnam+, Le Figaro, Asialyst, VOA, Mainichi, lepetitjournal.com, Wikipedia

Michèle BIETRIX

Membre du groupe de travail de l’IP

Avril 2019