« America is back » aux Etats-Unis mêmes ?

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Un slogan de campagne du candidat démocrate Jo Biden a été  : « America is back », identique à celui du républicain Ronald Reagan pour sa campagne de 1980. Non pas que les Etats-Unis se soient recroquevillés ces dernières années . Il suffit de voir combien d’étudiants brillants et prometteurs se précipitent de l’étranger vers les universités US et restent sur place pour y exercer leur inventivité créatrice, pour comprendre le formidable pouvoir attractif du modèle américain. D’ailleurs les « licornes », ces entreprises parties de rien et arrivant au milliard de dollars, sont presque toutes nées outre-Atlantique. L’Amérique est forte, puissante et créatrice, au point d’être étouffante pour les nations qui refusent de s’unir et de se mobiliser pour conserver leurs atouts face à elle.

Les Etats-Unis ont toujours eu tendance à se vouloir autarciques pour ce qui est de leurs besoins (sauf en matières premières et énergie)  et exportateurs pour ce qui est de leur production, au point d’ouvrir les frontières réticentes à coups de canon le cas échéant (comme fit le commodore Matthew  Perry au Japon en mars 1854). C’est évidemment un rêve pour économiste nationaliste, mais totalement absurde au niveau mondial, chaque pays ayant intérêt à suivre cette même politique. Cependant, jusque vers les années 1990, le pouvoir attractif de « l’American way of life », propagé par Hollywood en échange du plan Marshall[1], avait permis aux Etats-Unis de prospérer dans l’expansion, malgré les dépenses effarantes de la guerre du Vietnam[2]. Certes les « petits dragons » avaient pu remporter des marchés, mais sans menacer la production américaine. La production japonaise avait été plus dangereuse, mais sa progression avait été cassée par la politique financière imposée par Washington, champion du monde libre et capable d’imposer sa volonté en échange de sa protection.

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[1]    Ce plan mettait à disposition des nations européennes ruinées par la guerre des fonds pré-affectées à des importations de biens américains, à commencer par de la nourriture. Ces commandes soulagèrent l’Europe, mais permirent aussi aux usines américaines, surdimensionnées pour l’équipement militaire, de trouver un débouché. Un volet culturel obligeait les nations réceptrices à accepter la diffusion des programmes cinématographiques américains.

[2]    Et au prix de l’abandon par le président Nixon de la convertibilité du dollar en or le 15 août 1971 au mépris des accords de Bretton-Woods du 22 juillet 1944. John Maynard Keynes, chef de la délégation britannique, y avait tenté de faire adopter une unité de réserve non nationale : le « bancor ».  En vain, étant donnée la prépondérance américaine en cette période de la guerre.

Le tournant est venu avec la montée de la production chinoise[1], aubaine pour Walmart mais catastrophe pour des milliers d’industriels. Donald Trump est indéniablement un populiste, mais il n’en a pas moins raison en rappelant l’arrêt de manufactures et la désertification de quantité de petites villes. On visitait des « villes-fantômes » datant de la fin de la ruée vers l’or. Il y a maintenant des « villes-fantômes » toutes récentes par arrêt de mines ou d’usines de transformation. Ce n’est pas toujours l’effet de la concurrence chinoise, ni celle – bien moindre – du Mexique depuis l’ALENA, l’évolution technologique y a sa part, mais la réalité est tout autant douloureuse pour les foyers touchés. La « crise des subprimes » de 2007 en est une conséquence : la fin de la croissance artificielle des prix de l’habitat par la stagnation – voire la décroissance – du travail, cumulée avec l’acceptation de dossiers d’emprunts qui auraient dû éveiller les soupçons quant à leur remboursement, a causé une crise des remboursements, entraînant d’innombrables expulsions, donc la misère pour beaucoup et en fin « la crise », celle globale des liquidités, contre laquelle les banques centrales ont lutté par le « credit easing » quantitatif, le « credit easing » qualitatif et la « forward guidance »[2], les deux premiers correspondant à l’abandon des mesures classiques de sécurité bancaire. Les banques ont, presque toutes, à de rares faillites près, été recapitalisées aux frais du contribuable, mais les familles n’ont pas toujours été relogées. Joseph Stiglitz avait raison de stigmatiser l’avidité et la cupidité des établissements de crédit : aidés par le laxisme des dirigeants, ils ont précipité l’Occident dans une crise qui perdure.

Source : https://www.connaissancedesenergies.org/la-fracturation-hydraulique-la-cote-aux-etats-unis-160510- La production gazière américaine est principalement extraite du bassin de Marcellus qui est en grande partie située sous la Pennsylvanie. Ici, un puits sur un autre bassin important, Bakken. (©Hess Corporation)

Pour autant, la machine américaine n’est pas arrêtée, et les renouveaux prennent parfois des voies inattendues, comme dans le cas de l’énergie. Voilà bien longtemps que les Etat-Unis n’exportent plus de pétrole (dont ils étaient les principaux fournisseurs au début du XXème siècle). Au contraire, les importations, en particulier du Moyen-Orient, constituaient une véritable dépendance, au point d’influer sur leur politique étrangère.  La même chose s’est d’ailleurs produite pour la Chine, exportatrice nette de pétrole jusqu’en 1993, première importatrice aujourd’hui et soucieuse de ses lignes d’approvisionnement, y compris chez les autres. L’exploitation des gisements non-conventionnels a bouleversé le tableau. Celle du pétrole lourd des schistes bitumineux sacrifie l’environnement et s’avère désastreux pour le bilan carbone puisque un tiers de la ressource est consumé pour l’extraire. L’exploitation des gaz par fracturation entraîne de moindres désastres mais nécessite des forages incessants et coûteux – et donc le financement ad hoc – chaque puits cessant très rapidement d’être exploitable. Ce sont de bien gros inconvénients, mais les Etats-Unis sont ainsi devenus exportateurs d’énergie, ce qui a dissipé leur dépendance. Ces nouvelles exploitations sont toutefois très onéreuses et, en voulant ruiner la Russie en baissant le prix du gaz qu’elle exporte, Washington a rendu non rentables quantité d’entre elles. Les formes d’énergie renouvelable sont aussi explorées, certaines depuis longtemps comme la ferme d’éoliennes d’Altamont Pass en Californie, qui fonctionne depuis  quarante années  (dans un boucan d’enfer). Alors que le nucléaire ne compte que pour moins de 10 % dans la production d’énergie primaire[3], la perte des mines de charbon se trouve compensée du point de vue énergétique. 

Le secteur glorieux de l’industrie américaine se trouve cependant ailleurs, dans le secteur des nouvelles technologies de l’information, de la communication et du calcul (NTIC), celles de Microsoft, Google,  Apple, Facebook, mais aussi de leur utilisation innovante comme par Amazon, Airbnb ou Uber. Elles reposent sur l’ingénierie des puces, celles d’Intel, AMD, N-vidia et autres, conçues aux Etats-Unis même quand la fonderie et le montage s’effectuent en Asie. La Chine, pour le moment, ne peut pas concurrencer le savoir-faire de la Silicon Valley et Huawei, privé de puces et de logiciels Android[4], aura des difficultés d’approvisionnement qui effraieront sûrement nombre de clients possibles. Il reste que la Chine peut riposter en diminuant l’approvisionnement en métaux rares indispensables aux composants de ces technologies NTIC et aux énergies renouvelables, dont elle a su s’assurer le quasi-monopole[5]. Pour le moment, elle s’efforce de combler son retard, y compris par l’espionnage industriel, dans la partie existante des NTIC, tout en cherchant à prendre de l’avance dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) où elle investit massivement. La Chine est maintenant le plus grand dépositaire de brevets, même s’il s’agit rarement de brevets de premier rang (brevets internationaux globaux)[6]. Sa capacité de recherche et la taille de son marché intérieur captif lui donnent des atouts importants pour chercher à imposer ses normes. La promotion annuelle d’ingénieurs et chercheurs chinois est approximativement égale à la population totale d’ingénieurs et chercheurs français, tous âges confondus !

De nombreux domaines promettent des débouchés importants : nanotechnologies, intelligence artificielle,  biotechnologies, systèmes autonomes, calcul par super-ordinateurs, informatique quantique, matériaux avancés, énergies alternatives, technologies avancées de fabrication… Il est intéressant de noter que ces domaines ont été listés… par les Chinois comme étant les technologies de pointe à potentiel (militaire) certain dans lesquels la Chine veut investir des ressources énormes pour les maîtriser sinon y dominer ses concurrents. Les Etats-Unis ne l’ignorent pas puisque cette liste apparaît dans l’analyse faite par le Department of Defense « Military and Security Developments Involving the People’s Republic of China 2020 Annual Report to Congress » du 2 août 2020[7].

Or, pour profiter des opportunités des nouvelles technologies, il faut des intelligences bien formées. Si les universités américaines sont parfaitement au niveau pour cette tâche, leur cherté les interdit à de nombreux postulants capables et, parmi ceux qui s’endettent pour payer des droits exorbitants, nombreux sont ceux qui, à ce jour, n’arrivent toujours pas à rembourser des emprunts étudiants contractés il y a… 20 ans[8]. La dette étudiante est colossale et ne se résorbe pas. L’attribution de bourses et de scolarités gratuites compense très partiellement ce défaut, encore faut-il qu’elle ne soit pas orientée vers la sélection des joueurs de base-ball de l’université ! C’est tout le modèle de la promotion par le mérite intellectuel qui s’effondre.

De toute façon, la seule promotion de ceux qui sont aptes aux nouvelles technologies ne résoudrait pas le problème des laissés pour compte à faible qualification. D’où deux axes de mesures nécessaires. D’une part, soulager ceux qui souffrent. Il n’est pas dans la mentalité américaine de secourir ceux qui ne s’aident pas eux-mêmes (même les bons d’alimentation, les « food stamps » ne font pas l’unanimité, et Trump a cherché à les éliminer). Il faut donc leur trouver une occupation : l’exemple se trouve dans les camps de travail de la « Grande Récession » d’après 1929, comme le barrage Hoover, et la création de la Tennessee Valley Authority. Ce genre de grands travaux date d’une époque écoulée et dépassée[9] : qu’inventer à la place ? La remise en état d’un environnement saccagé ne serait il pas une piste possible ? D’autre part éviter que de nouveaux individus tombent dans la trappe de pauvreté : c’est le rôle de l’éducation, du primaire à l’université. Pour le primaire, l’Amérique a su inventer des ordinateurs très bon-marché pour le tiers-monde, mais n’a pas su les distribuer à son propre quart-monde. Pour l’université, peut être devrait-elle rétablir une concurrence systématique aux organismes onéreux en créant de nouveaux établissements à but non lucratif. L’élan vers la connaissance reste vif : c’est un atout que les Etats-Unis peuvent développer.

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Au soir du 20 janvier 2021, le président Jo Biden, qui a déjà l’expérience d’une vice présidence et d’un long travail parlementaire, saura très bien quelle politique il aimerait tenir. Dans le domaine de l’action extérieure, comme il cherchera à ne pas affaiblir la position américaine et à ne pas contrarier la politique israélienne, il n’aura pas à affronter, sauf imprévu, d’opposition flagrante. Les Etats-Unis, eux, savent en effet se montrer « bipartisans » dans l’intérêt national. Dans le domaine de l’action intérieure, il sera loin d’avoir les coudées franches, même si la Géorgie, qui n’avait pas réussi à réunir les majorités nécessaire à chacun, élit deux sénateurs démocrates pour le second tour du 5 janvier 2021[10]. Car le président n’aurait alors la majorité qu’en cas de vote 50/50, le vote de sa vice-présidente comptant alors double. Sinon, si la Géorgie élit comme il est vraisemblable un démocrate et un républicain, Biden, minoritaire, devra se montrer très convainquant pour faire passer son programme.

Et si la France aussi pouvait être de retour ? Le diagnostic sur l’éducation, avec des bacheliers qui ne savent pas lire ou des « littéraires » qui ne savent pas compter, permet de déterminer les mêmes priorités d’enseignement des bases. La sélection des domaines dans lesquels investir pour préparer le futur est connue : c’est la même que pour la Chine et les Etats-Unis. D’excellents rapports s’amoncellent à ce sujet[11]. Alors, puisque la France aime donner des leçons, pourquoi ne donnerait elle pas l’exemple, pour changer ?

Denis LAMBERT


[1]    Cette production est largement le fruit d’une délocalisation d’entreprises américaines, puis européennes à la recherche  de plus grands profits générés par l’utilisation d’une abondante main d’œuvre à bas coût, le contournement des normes sociales et sécuritaires, etc.

[2]    Respectivement le déplafonnement des prêts par les banques centrales, l’acceptation par elles de dépôts de garantie moins surs que ceux exigés auparavant et la fixation d’objectifs à long terme.

[3]    8,45 % en 2019. https://www.eia.gov/totalenergy/data/browser/?tbl=T01.02#/?f=A

[4]    La Corée du Sud a annoncé qu’elle ne se joindrait pas le boycott, mais ne pourra se substituer totalement aux entreprises américaines. Samsung a cessé la production de téléphones mobiles en Chine https://twitter.com/boycotthegemony/status/1247498263176949762 et profite du rejet des marques chinoises en Inde https://www.news18.com/news/tech/samsungs-mobile-business-to-benefit-amid-anti-china-sentiment-in-india-say-analysts-2713501.html

[5]    La principale usine au monde était aux Etats-Unis celle de Mountain Pass propriété de Molycorp, puis de Union Oil, qui décida de sa fermeture en 1998, les Chinois en profitant, puis de Chevron. Celle-ci a enfin revendu l’entreprise à Molycorp qui a annoncé en 2012 reprendre la production pour raison stratégique. Rachetée en 2017 par MP Mines Corp., elle a repris en 2018 mais à bas régime, d’autant que les Chinois jouent sur les cours pour tenter de l’éliminer. https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-09-27/the-californian-rare-earths-mine-caught-between-trump-and-china

[6]    Elle est passé au premier rang en 2019 avec 58 990 brevets contre 57 840 aux Etats-Unis. Huawei, premier contributeur, en a déposé 4 441 https://www.usine-digitale.fr/article/pour-la-premiere-fois-la-chine-devance-les-etats-unis-sur-le-nombre-de-brevets-deposes.N951596 du 08/04/2020.

[7]    Voir sur ce même site site de l’Institut du Pacifique l’analyse par l’auteur : « La vision américaine de l’outil militaire chinois ».

[8]    L’emprunt à rembourser atteindrait 35 000 $ par étudiant, https://www.capital.fr/entreprises-marches/la-dette-des-etudiants-aux-etats-unis-est-elle-une-bombe-a-retardement-1351322 du 26/09/2019 pour un total de 1600 milliards, https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/05/19/la-dette-etudiante-boulet-d-une-economie-americaine-en-crise_6040144_4401467.html du 19/05/2020. C’est la moitié du PIB de la France.

[9]    On pense aux « chantiers nationaux » de Louis Blanc en 1848.

[10]  https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/10/la-georgie-au-c-ur-de-la-bataille-pour-le-senat_6059217_3210.html du 10/11/2020.

[11]  Par exemple « Technologies-clés 2020 » en 641 pages, organisé en neuf domaines d’application (dont « loisirs et culture ») et 47 technologies clefs, avec un annuaire des acteurs français identifiés, très complet, date toutefois de quelques années.  https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/politique-et-enjeux/innovation/technologies-cles-2020/technologies-cles-2020.pdf