La Suisse et le Pacifique
Si la place et le rôle de la Suisse sur la scène internationale ne sont pas à démontrer, on peut cependants’étonner de voir ce pays enclavé en Europe, s’intéresser à l’océan Pacifique et y développer sa présence.
Les premiers contacts de la Suisse avec les îles de la Mélanésie, de la Micronésie et de la Polynésie[1] remontent à la fin du XIXe-début du XXe s. Puis le Conseil fédéral a reconnu l’indépendance d’Etats parfois minuscules : Samoa en 1962, Nauru en 1969, Fidji en 1971, Tonga en 1971, Papouasie-Nouvelle Guinée en 1975, îles Salomon en 1978, Tuvalu en 1978, Kiribati en 1979, Vanuatu en 1980, et plus tard la République des Palaos, les Etats fédérés de Micronésie et la République des îles Marshall… Les relations diplomatiques ont été établies en 2001-2003. En 2007, environ 220 Suisses vivaient dans ces îles de l’Océanie, dont plus de la moitié en Papouasie-Nouvelle Guinée. La plupart sont des missionnaires (sœurs du couvent de Baldegg, présentes en Papouasie-Nouvelle Guinée dès 1969, et membres de l’Assemblée évangélique des frères d’Herbligen) et sont inscrits dans les postes diplomatiques de Canberra, de Sydney ou de Wellington. Les relations avec Palaos et les Etats fédérés de Micronésie sont par contre entretenues par l’ambassade suisse à Manille. Les échanges commerciaux restent insignifiants, voire inexistants ; en 2007, seules les exportations vers la Papouasie-Nouvelle Guinée (5,3 millions de francs), les îles Marshall (2,3 millions) et Fidji (2 millions) ont dépassé le million de francs suisses. La Confédération accorde des avantagesdouaniers à ces pays et des actions d’aide au développement sont organisées ponctuellement.
Aujourd’hui une évolution ? Une interview récente[2] de l’ambassadrice suisse auprès de Kiribati, Nauru, la Papouasie-Nouvelle Guinée et Vanuatu, et envoyée spéciale pour la région Pacifique, explique les raisons de cet intérêt. Basée à Canberra depuis janvier 2017, Mme Yasmine Chatila Zwahlen y personnifie la volonté suisse d’être présente au sein d’une région immense (un tiers de la surface terrestre[3]).
La Suisse est certainement consciente du rôle de plus en plus important de la région Pacifique dans la résolution des problèmes mondiaux, et de l’interconnexion des différentes questions internationales (liberté du trafic maritime et commercial, questions de défense, de développement, d’environnement…).
Certes en 1945, la Suisse, Etat neutre, n’a pas été invitée à la conférence de San Francisco, où a été décidée la création de l’ONU. Mais ses liens historiques avec la SDN, et le rôle important joué par Genèvecomme centre multilatéral, l’ont rapidement conduite à participer aux activités de nombreuses institutionsspécialisées, complétant ainsi ses multiples implications sur la scène internationale jusqu’à son adhésion pleine et entière en 2002. Présente dans la plupart des instances internationales, la Suisse mène une politique de « neutralité active »[4]et il n’est pas surprenant qu’elle exprime un intérêt pour cet espace lointain.
Parmi les 22 Etats et territoires de cette région, 12 sont membres de l’ONU, et y représentent 6,22% des votes.
Le Forum des îles du Pacifique (FIP)[5] y est la plus importante organisation régionale avec 18 membres dont l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Certains des membres du FIP, non indépendants, n’ont pas de siège à l’ONU, mais bénéficient d’une tribune dans cette enceinte : c’est le cas des îles Cook (Etat associé à la Nouvelle-Zélande), de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, territoires français qui y sont représentés par des instances locales.
Ainsi les « petits » Etats du Pacifique représentent-ils 500 000 km2 de terre, mais leur zone économique exclusive ZEE est de 40 millions de km2… Autrefois ces Etats étaient petits et insulaires, aujourd’hui donc, ils se considèrent comme « des Etats du grand océan »[6]. Ils sont les témoins de cultures millénaires, ils disposent de ressources considérables, ils sont touchés par les problèmes mondiaux, notamment liés au réchauffement climatique…
Jusqu’à une époque récente, la Chine populaire et Taïwan se partageaient presque à égalité les relations diplomatiques avec les Etats insulaires. Aujourd’hui, l’influence de Pékin tend à s’accroître grâce à ses investissements stratégiques.
La Suisse semble donc s’intéresser au Pacifique, même si ce n’est pas un sujet prioritaire pour la Direction du développement et de la coopération. Si l’Australie reste le partenaire le plus important dans la zone, la Suisse, elle, met l’accent sur les relations politiques, notamment en soutenant les Etats de la région qui sont présents à Genève auprès des institutions internationales (huit ont une mission permanente à Genève).
La stratégie du Conseil fédéral suisse en matière de coopération internationale, lie l’aide au développement à des intérêts à long terme, dont les questions d’environnement, le changement climatique, notamment par la recherche agricole pour faire face à la sécheresse, par l’amélioration de la sécurité des approvisionnements en eau, pour gérer les mouvements migratoires. Elle apporte un concours par des projets humanitaires en cas de cyclone (Vanuatu en 2019), aujourd’hui face à la crise sanitaire du COVID…
Fort de 170 représentations diplomatiques ou consulaires à travers le monde, le réseau suisse dans le Pacifique est principalement basé sur 3 postes en Australie, en Nouvelle Zélande et aux Philippines, mais la nomination d’un ambassadeur « envoyé spécial » pour le Pacifique n’est-il pas le signe d’une importance reconnue à cette zone par la Suisse ?
Hélène Mazeran avec Aude de Chavagnac
[1] Cf Dictionnaire historique de la Suisse
[2]Cf la Newsletter Swissinfo.ch du 5 février 2021
[3] Cf la conférence d’Emmanuel Desclèves à l’Institut du Pacifique le 2 décembre 2020.
[4] Cf Rapport sur le voyage d’études organisé en Suisse par la Commission des voyages d’études de l’AA-IHEDN du 23 au 16 juin 2016.
[5] Fondé en 1971 sous le nom de Forum du Pacifique sud, il rassemble aujourd’hui 16 Etats indépendants et la Nouvelle Calédonie et la Polynésie française.
[6] Cf note 3