La Nouvelle Calédonie face à son destin
La Nouvelle Calédonie (NC) est fort loin des préoccupations de la métropole dont l’opinion appréhende mal les caractéristiques ou ses invariants : ceux-ci constitueront un premier temps de la présente communication, avant d’aborder successivement les deux issues possibles du troisième référendum. Celui-ci est désormais fixé au 12 décembre prochain, à la suite des entretiens parisiens de fin mai, soit dans la première phase encore de l’élection présidentielle de mai 2022, et non pas repoussé à septembre 2022 comme souhaité par les «indépendantistes»…dont une branche avait boycotté ces rencontres, destinées à préciser le « jour d’après » dans les deux cas :
La question posée reste la même : « Voulez-vous que la NC accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » que lors des deux premiers scrutins de 2018 (le 4 Novembre) et de 2020 (le 4 Octobre) et a priori avec les suffrages exprimés du même corps électoral restreint :
Pour le non-natif, il s’agit de prouver vingt ans de domicile continu en NC et au plus tard au 31 décembre 2014, d’où une liste électorale spéciale révisée annuellement par une commission présidée et composée de magistrats de la Cour de Cassation ! : Ce corps électoral glissant a été gelé aux seuls électeurs arrivés sur le Caillou avant le 8 novembre 1988 puis la révision constitutionnelle du 19 février 2007 (validée par le C. Constitutionnel et par la C.E.D.H.).
L’incertitude en reste ouverte, les sondages ayant perdu leur crédibilité en se trompant largement la première fois sur l’ampleur du non (56,67%) réduit à 53,26 % en 2020 (moins 3,41 pts) avec une participation très élevée de 85,7% en progression de 4,62pts sur celle de 2018 (81,08%) sans anicroches rendant ces « urnes » probantes.
Caractéristiques géographiques
La localisation est aux «antipodes» : 16 758 km de distance orthodromique entre Roissy et la Tontouta soit un double vol long-courrier et quasiment 24 h de vol inclus l’escale japonaise ou coréenne. Passons sur les 45 jours des paquebots il y a un siècle, voire des 100 jours du temps de la marine à voile. Ceci entraîne un décalage horaire de 9/10 heures en avance. Notons l’éloignement des autres iles françaises du Pacifique : W et F est à plus de 2000 km, Papeete à 4 618, soit 6h de vol par une seule liaison hebdomadaire et un changement de date ; L.A est à plus de 10 000km.
La prégnance anglo-saxonne de ce Pacifique Sud-Ouest est forte avec l’Australie et la Nouvelle Zélande dont les grands centres urbains, Sydney et Auckland, sont équidistants de Nouméa à 3h de vol, la «gold coast» et Brisbane encore plus proche, à 2h bon poids.
Avec 18 575 km2, la NC équivaut à 3 ou 4 départements métropolitains ou bien 1,5 fois l’Ile de France : le «Caillou», surnom de la «Grande Terre» est un parallépipède qui s’étire sur près de 500km dans l’axe NO/SE mais sur moins de 50 de large, prolongé au sud par l’Ile des Pins (160 km2), et au nord par les îlots de Belep avec en axe parallèle les iles Loyauté (1 981 km2 : Ouvéa, Lifou au centre 1 207 km2, ce qui se compare à la Martinique et Maré, complétée par Tiga (fraction de Lifou 140 hts) en oubliant les archipels d’ilots inhabités. Il en résulte que la ZEE des 200 N représente quasiment 1,4 Millions de km2 et pèse 13% de celle de la France. Une ceinture – barrière de corail entoure tout le Caillou formant le plus grand « lagon » du monde après la «grande barrière de corail» (Est australien). Sa partie en bon état, 60% approximativement, est classée depuis 2008 au patrimoine mondial de l’UNESCO. Diverses réserves marines ont été créées.
Au plan orographique, la grande Terre est montagneuse selon une chaîne dorsale qui tombe de manière abrupte à l’Est mais ménage des petites plaines à l’ouest propices à l’élevage extensif : Le Mont Humboldt au sud (1629m) équilibre au Nord par le Mont Panié (1618m) comme point culminants Au plan hydrographique, les rivières « perpendiculaires » sont nombreuses et de faible longueur puisque 9 seulement sur 278 passent les 30km de long. Le régime climatique tropical est agréable, la saison chaude (au 1e trimestre) pouvant engendrer des épisodes cycloniques. Les pluies sont plus abondantes à l’Est d’où une végétation vraiment luxuriante alors que les pentes occidentales sont proches d’une savane, parsemée de «niaoulis», arbre dont l’écorce résiste au feu.
La NC est un paradis pour les botanistes et forestiers avec la forêt sèche, le maquis minier, la mangrove : 75% d’espèces «vasculaires» (à sève) sont endémiques, comme 45 variétés de conifères, les pins colonnaires et des kaoris dont un de plus de 800 ans. Pour la faune, idem avec 34 « hotspots » (avec la NZ et Hawaï) e.g. 86/93 « geckos ». Le dernier siècle et demi a introduit des « allochtones » qui déséquilibrent les écosystèmes du « pin vulgaire » dans le Nord au cerf (soit plus que d’habitants, selon l’adage).
Survol historique
La découverte « occidentale » de la NC intervient par hasard au petit matin du 5 septembre 1774 (moins de 250 ans) par l’aspirant écossais de quart Colnett, sur le «Resolution» commandé par James Cook, lors de sa deuxième circumnavigation, venant des Nouvelles Hébrides et cinglant pour hiverner en NZ. La haute terre (Mont Panie dans le NE du Caillou) dans les brumes derrière Balade engendre le choix du nom latin de la partie nord des iles britanniques puisque « Nova Scotia » était déjà pris, et le reste, pour désigner une province maritime atlantique du Canada. Le désastre de Vanikoro a englouti les observations de Lapérouse qui a fait le tour de l’île en mars/avril 1788. D’Entrecasteaux parti à sa recherche aborde aussi Balade en avril 1793 et y perd son second, Huon de Kermadec, le premier européen à décéder sur place, enterré sur un petit îlot.
En passant sur divers épisodes sans grand intérêt, la « prise de possession » officielle, au nom de Napoléon III, n’est que le 24 septembre 1863 par le C.A Febvrier-Despointes, toujours à Balade (il y a 168 ans) : il s’agissait de préparer une alternative au bagne de Guyane. L’année suivante, la rade protégée de l’île Nou plein Sud côte Ouest est choisie comme site du chef-lieu sous le nom de « Port de France » mais qui deviendra douze ans plus tard Nouméa, tant les quiproquos s’étaient multipliés avec la ville martiniquaise de … Fort de France. La période du bagne (dès mai 1864 jusqu’en 1897) recense 74 convois pour 25 000 « transportés », dont un millier de femmes, qui doivent rester sur place pour un temps double de leur peine au terme de l’exécution de la condamnation, et définitivement si celle-ci dépasse les 8 ans ! Par ailleurs, 3 000 «communards » séjourneront comme simples exilés politiques entre 1871 et 1880 dont Louise Michel à l’ile des Pins. H. Rochefort réussira à s’évader (cf le tableau d’E. Manet) et 2 000 kabyles, après la révolte de 1874, feront souche à Bourail.
La NC opte pour la France libre dès le 19 septembre 1940 et le bataillon du Pacifique avec plus de 700 calédoniens s’illustrera à Bir-Hakeim : Avec 11 compagnons de la Libération, la NC détient le «record de France», calculé au prorata de la population de l’époque par département.
Les américains débarqueront le 12 mars 1942 créant un choc majeur d’adaptation au monde moderne de ce « porte-avions » fixe pour la reconquête US/ANZAC de la mer de corail sur les japonais.
L’après-guerre voit un essor de l’autonomisme, d’où le choix TOM en 1958 mais le pouvoir gaulliste (nickel, essais nucléaires,.. ) cherche à le contrecarrer par diverses réformes statutaires. L’indépendantisme se révèle à partir de 1969 dans le monde mélanésien (« foulards rouges ») et prend son essor lors du festival Melanésia de 1975 où J.M. Tjibaou forme l’invariant « kanak ». L’assassinat de P. Declerq le 01/12/1981, S.G de l’U.C ouvre la période de «guerre civile» qui culmine avec la prise d’otages d’Ouvéa et l‘assaut de la grotte de Gossanah le 5 Mai 1988, entre les 2 tours de la présidentielle (25 morts). A la proportionnelle des populations, les 70 morts violentes recensées sur le Caillou représenteraient 26 000 métropolitains et les 1 200 déplacés depuis la côte Est environ 400 000 : Le souvenir des « évènements » reste bien vivace sur place.
La poignée de main entre J.M. Tjibaou et J. Lafleur du 26 juin 1988 illustre la signature des Accords de Matignon, ratifiés par référendum national en Octobre et ouvrant une perspective institutionnelle de 10 ans. Elle est prolongée par l’Accord de Nouméa signé au Haussariat le 5 Mai 1998 par Lionel Jospin puis « constitutionalisée » par voie parlementaire au titre XIII, et mis en œuvre par le L.O. 209 du 19 mars 1999 longue de 234 articles, (complétés ou développés le 3 aout 2009 puis le 15 novembre 2013)
De la Démographie
Le premier recensement, en 1887, dénombre 62 500 hts mais « l’atlas colonial illustré », édition de 1902, ne retient que 54 415 personnes : 12 253 libres + 740 militaires et 10 506 « pénaux » et 30 916 « indigènes » (56,8%) qui précise « en déclin en raison de la dure condition des femmes, l’abus des spiritueux, la mauvaise alimentation et l’hygiène défectueuse », mais passant sur l’incidence de la politique de «cantonnement» dans des réserves peu fertiles. Nouméa regroupait alors 7 854 âmes.
L’échec de la colonisation de peuplement, pénale ou libre, malgré les tonkinois (1891) et plus originaux, les japonais libres d’Okinawa (1893) puis les javanais (1896) qui ont engendré des communautés restées vivantes est corroboré par les 68 500 hts recensés en 1956, soit moins de 10% d’essor démographique en 70 ans. On passe sur un rythme trentenaire de doublement avec 164 000 âmes en 1989, effet de la transition démographique et du boom du nickel. 245 580 hts au recensement de début 2009 et depuis quelques années un palier, semble-t-il, à hauteur de plus de 270 000 : 271 407 en 2019 selon récemment «le Figaro». Insistons sur la «macrocéphalie» du Grand Nouméa qui frôle les deux tiers du total, la capitale elle-même touchant les 100 000. La Province Sud regroupe les trois quarts (plus de 7 points relatifs sur 1989) de la population, la Province Nord environ 18% et la P.I.L à peine 7% .
La répartition par communautés est mal connue et reste un sujet plus ou moins tabou car la société locale tend à nier le métissage qui est pourtant une réalité tangible (E. Kasarehrou , directeur du musée du quai Branly par ex) Les Kanak dépassent les 40%, les « européens » sont aux alentours de 30% mais il ne faut pas négliger les Wallisiens soit environ 10%, ni les asiatiques des trois communautés précitées, majorés des chinois de la diaspora, (5%), les tahitiens (2%) ou les ni-vanuatais (1%), le solde étant constitué des divers métis et des inclassables. Géographiquement les Kanak forment 97% de la population de la PIL et 75% de la Province Nord. Réciproquement les européens sont plus nombreux que les canaques en province Sud (36 vs 26) Mais Nouméa n’est plus «N. la blanche ».
Conséquences d’un NON à l’indépendance
Un troisième non n’implique pas le maintien du statu quo ante : L’accord de Nouméa de 1999 et ses transcriptions légales se consume. Le Titre XIII de la Constitution parle de dispositions «transitoires» pour la NC. Les parties, à savoir l’Etat français, (exécutif comme législatif) et les représentants de la Nouvelle Calédonie (NC) doivent se « réunir pour examiner la situation ainsi créée. »
– en droit international, il appartient à l’ONU de se prononcer (à la majorité simple de son AG en principe) sur le retrait de sa liste des 26 territoires non autonomes, de la NC … du fait du caractère démocratique du triple référendum constaté par des observateurs indépendants. C’est au gouvernement français d’introduire la demande, avec le choix de la date. Je relève qu’aujourd’hui même Mme Sonia Backès, leader dans le camp des loyalistes a prononcé devant le comité ad hoc de l’ONU une déclaration demandant le retrait de la liste des 26 territoires la NC, en cas de confirmation le 12 décembre de son maintien au sein de la France.
Notons qu’une déclaration d’indépendance unilatérale (par et sur une partie du territoire) n’aurait pas de validité en soi (l’ONU parle du peuple de NC) et toute partition est exclue selon l’article 5 de l’accord de Nouméa. Le cas échéant, il conviendra que l’Etat français fasse respecter cette unité au triple plan, politique, de l’ordre public en interne, et au plan diplomatique à l’extérieur.
– en droit interne français, s’il convient de définir un nouveau cadre institutionnel, un délai raisonnable peut être convenu pour le mettre en place pendant lequel l’accord de Nouméa persisterait (pas de vide ou de rupture brutale) : les réunions parisiennes de fin mai début juin ont retenu à cet égard deux ans, ce qui ne devrait pas souffrir de critiques. Plus exactement ce serait dix-huit mois, si je me réfère aux déclarations gouvernementales précisant que la ratification par referendum devrait intervenir avant le 30 juin 2023.
Il n’en demeure pas moins que les entorses du titre XIII à aux principes d’’égalité et d’universalité ne sauraient subsister, au premier chef le concept de corps électoral « restreint » Le corps électoral spécifique pour les assemblées provinciales et donc le Congrès est aussi contraire à l’égalité des suffrages, principe constitutif inhérent à la citoyenneté française. De plus, cela crée des distorsions avec les engagements internationaux de la France et par construction, en sus, le temps accroit le nombre des exclus du suffrage et donc lamine le caractère démocratique des scrutins. ( Il y aurait environ 20% des inscrits sur la liste générale qui sont déjà privés de pouvoir voter lors du dernier referendum). Des restrictions ne peuvent s’envisager que si elles sont proportionnées et non discriminatoires : un délai de séjour de durée limitée à un petit nombre d’années peut se concevoir pour les élections locales.
Un statut nouveau peut contenir des dispositions relatives à un droit à l’autodétermination, reconnue pour les parties ultramarines de la France par le Conseil Constitutionnel par combinaison du Préambule, en son 2ème alinéa, et l’article 53 : soit il y a une date prédéterminée, soit un mécanisme de déclenchement par une fraction des électeurs ou de leurs représentants. Il est possible –référence à J. Lafleur dont c’était peu avant sa mort en octobre 2010 le leitmotiv – qu’il y aura une vive discussion pour le repousser « à 50 ans », voire à en écarter le principe même. Il semble patent que l’accord de Matignon puis celui de Nouméa ont contribué par leur durée respective à engendrer une incertitude qui peut avoir des effets négatifs, singulièrement dans la sphère économique.
Il y a d’autres aspects contraires aux principes français comme la préférence locale pour l’emploi ou bien de tentations (en matière de propriété foncière) qui seront d’autant plus délicates à envisager par le précédent que ces règles pourraient constituer, en Corse, d’autres parties du territoire ultramarin de la République…
L’élaboration d’un nouveau statut devra faire de grands choix :
– institutionnels jusque et y compris la commune de POYA qui est à cheval sur deux provinces (aspect jamais traité, bien que prévu par l’accord de Nouméa !)
– la répartition des compétences entre l’Etat et les deux niveaux calédoniens, Congrès et gouvernement ou celui des trois provinces qui ont la compétence de droit commun. Le sénateur Frogier milite ainsi pour étendre au maximum le rôle des provinces, option qui pourrait orienter vers un futur «partitionniste» le cas échéant… retrouvant une orientation qui avait été envisagée (Pisani) par certains, dans la période des troubles des années 80.
– Aspects budgétaires et financiers, corrélés aux compétences respectives. A cet égard, les éléments de « rééquilibrage » au profit des provinces Nord et Loyauté et donc au «détriment» de la province Sud seront nécessairement revus sinon revisités, à la fois à la lumière des résultats d’une vingtaine d’années de mise en œuvre et des perspectives économiques prises en considération.
Au-delà, les autres perspectives sur le devenir, dans tous les domaines, ne manqueront pas d’orienter les choix. Il semble logique que l’élaboration du statut ne devrait pas remettre en cause, sauf à la marge, les transferts de compétence réalisés par l’accord de Nouméa en dehors du domaine régalien et donc « l’autonomie » originale et indiscutable de la NC dans l’ensemble français depuis longtemps.
Effets du oui.
Conformément à la logique politique, à l’article 5 de l’accord de Nouméa (AN) et au résultat référendaire, la Nouvelle Calédonie (NC) quitte la France : au terme de la période transitoire, le droit français ne s’y applique plus et les institutions de la République deviennent sans base légale d’action.
Le nouvel Etat sera reconnu par la France, pourra l’être souverainement par les autres et entrer dans les organisations internationales, en en reconnaissant les règles comme les procédures d’admission.
Naturellement, un accord global ou des accords sectoriels pourront être négociés et signés notamment avec la France et/ou l’U.E. qui prendront l’aspect d’un traité en droit international public et donc soumis à ratification parlementaire, selon l’article 53 de la Constitution, après négociation et signature par le Président de la République (art 52)
Dans ce tableau, relevons la fin, pour la NC, d’application de tous les traités internationaux signés et ratifiés par la RF ce qui peut poser des problèmes de continuité juridique dans certains domaines techniques, je pense, à titre d’exemple, aux droits maritime et aérien qui sont régulés par l’O.M.I. et l’O.A.C.I..
ASPECTS JURIDIQUES
Au-delà des aspects de droit international public sus-indiqués, les conséquences juridiques se déclinent en quatre volets :
A / La citoyenneté européenne tombe : liberté de circulation au sein de l’espace Schengen, droit de vote et d’éligibilité aux élections locales, protection diplomatique et consulaire, droit de pétition (encadré) auprès des institutions européennes.
B/ Une loi française précise la durée de la transition et la date de cessation des effets du droit français. Quid des mandats en cours des parlementaires, CESE, (entre abrogation immédiate ou extinction naturelle).
C/ La liberté d’organisation institutionnelle du nouvel Etat mais en 1987 le FLNKS avait déposé à l’ONU un projet de statut qui est mentionné dans le document préparé pour les discussions de fin mai dernier : j’ai repéré une publication toute récente en ce mois de juin d’un projet de Constitution des indépendantistes mais dont je n’ai pas examiné la filiation par rapport au texte de 1987.
D/ La transformation de la citoyenneté en nationalité au terme de la transition est un des aspects juridiques très sensible : Quels seront les critères d’accès et le principe de pluri-nationalité sera-t-il admis par le nouvel Etat. Je crois devoir souligner que localement, le refus pendant quarante ans de la pluri-nationalité par les Nouvelles Hébrides, devenue Vanuatu lors de son accès à l’indépendance en 1980 et alors si proche à maints égards de « Nouméa » pour sa part francophone, reste vif dans les mémoires, ravivé en outre par un revirement en 2020 pour des motivations de «vente» des passeports.
L’article 17-7 du Code civil, en cas de cession du territoire, renvoie à une convention, ou à défaut à une loi française, pour en traiter. L’article 32 prévoit le maintien de plein droit et le 32-3 évite l’apatridie.
Il est clair que les locaux qui perdraient la nationalité française deviendraient des tiers «étrangers» avec les conséquences sur l’entrée et le séjour en France et U.E. et, réciproquement, les locaux restant uniquement français deviennent des «étrangers» sur le Caillou.
Il n’est pas besoin d’épiloguer sur cet aspect majeur, à soigneusement préciser dans une convention à négocier lors de la période de transition et dont les principes de base devraient être logiquement rendus publics avant la consultation référendaire.
ASPECTS FINANCIERS et MACROECONOMIQUES
Ce secteur concerne 4 points majeurs par leurs incidences économiques et sociales.
A/ La monnaie : Dans ce domaine régalien relevant de la RF, la NC dispose d’une monnaie, le XPF (pour Franc Pacifique) qui est liée par une parité fixe avec l’Euro, géré par une banque centrale (IEOM) et un réseau bancaire qui applique jusqu’au 12 décembre toutes les règles bancaires françaises : supervision, agréments de l’AMF et l’ACP. Deux bons tiers des créances sur l’IEOM sont privées (dépôts) et ne sont donc pas garanties par l’Etat français, par construction. Les divers réseaux sur le Caillou sont des émanations de banques françaises en totalité sauf une (pour moitié locale).
Cet aspect est majeur car des mouvements de capitaux d’ampleur sont possibles, avec un phénomène d’auto-amplification capables de bouleverser l’économie locale dès avant le scrutin et surtout pendant la période de transition. Entre la création d’une monnaie autonome et l’extrême opposé du maintien de la parité fixe , le choix retenu induira des effets sur la dette libellée en XPF, sa conversion … obligatoire et les garanties de contrevaleur : Valorisations des patrimoines, compétitivité des agents économiques et inflation sont sous-jacents à la détermination de la parité et du régime des changes : Ce point suppose de réfléchir aux « réserves » de change et leur administration, et de bien prendre en compte le caractère déficitaire de la balance commerciale calédonienne.
B/ Aspects commerciaux : sans rentrer dans les chiffres, l’économie calédonienne est très fortement dépendante de la France et hors Australie/NZ les échanges avec le reste du Pacifique sont faibles. L’accès au commerce mondial supposerait une large évolution du droit commercial local, une forte limitation des leviers douaniers et tarifaires de la règlementation et des normes sanitaires et phytosanitaires actuellement en place. Une renégociation des conventions avec l’UE ou l’accord UE-APE sont des «himalayas techniques» qui demanderont des lustres d’autant qu’au point de départ le nouvel Etat ne pourra pas a priori disposer des préférences accordées aux pays « en voie de développement » vu le niveau de vie des calédoniens au plan statistique macroéconomique (PIB/ht, e. g.).
C/ Transferts financiers globaux de la France vers la NC. Cet aspect devient caduc par définition, sous réserve des sifflets de la période transitoire et des accords à construire. Ils représentent sensiblement 1,5 MM€, soit 18% du PIB (ou, sauf erreur, 5500€/an/ht) De plus, par sa stabilité dans le temps c’est un élément non négligeable dans la « résilience » de l’économie locale : 61% concernent les dépenses de personnel, 30% de dépenses d’intervention et 5,6% pour le fonctionnement et 2,2% en investissements plus 1% de divers selon la décomposition classique.
D/ Les finances locales ne sont pas en bon état avec le ralentissement de la progression des recettes fiscales (entre TGC, IS et IRPP), l’Accord de Nouméa qui stabilise les recettes de dotation des collectivités ainsi que le déficit de la protection sociale obligatoires, retraites, accidents du travail et régime général.
Il est donc certain que le contribuable du nouvel Etat ne peut s’attendre à un allègement de charges et doit plutôt supputer une certaine aggravation puisque la NC ne contribue en rien et historiquement n’a jamais contribué aux finances publiques françaises : la pleine autonomie fiscale et douanière du territoire remonte à une loi du 13 avril 1900 et a été confirmée par le statut Stirn de fin 1976.
QUATRE AUTRES POINTS ECONOMIQUES
1/ Le Nickel : sans entrer dans l’exposition de la situation compliquée, mais objectivement très obérée financièrement des trois usines rappelons que le nickel calédonien représente 8% de la production mondiale et 20% de ses « réserves ». C’est 90% des exportations (dont 55% vers la Chine, 13,6% vers la Corée du Sud et 11,5% vers le Japon). Selon une analyse très récente de l’ISEE d’avril, la filière totalise en emplois directs et indirects le quart du secteur privé. L’Etat français a apporté en prêts, défiscalisations, 607 M€ ces cinq dernières années après avoir effacé en 2013 la dette de l’entité NC des années 80 soit un abandon de créances de 289[jL1] M€. Quid des garanties de la RF et des créances en cours dans ce secteur central et vital de la NC …
2/ La mécanique de la « défiscalisation outre-mer » ne sera plus possible alors qu’elle joue, en NC, un rôle spécifique et majeur pour l’habitat social.
3/ Par définition, les engagements de la CDC (1MM) et pour l’AFD trois fois ne pouvant plus continuer, et seront à négocier…
4/ Conséquences humaines de la fin de la « mise à disposition » des 4 453 enseignants + 368 autres soit 4 821 fonctionnaires d’Etat, au pouvoir d’achat moyen au-dessus du secteur privé. Il est fort malaisé de prévoir la « fuite » d’agents privés mais il est manifeste de pronostiquer une baisse induite de la consommation « des ménages », des recettes fiscales (l’IRPP local est fort proche de l’I/R métro) et sur le marché de l’emploi dans certains secteurs spécialisés.
INCIDENCES SUR LA VIE QUOTIDIENNE
1/ Les Enseignants : 4553 personnes fin 2019 sont à la charge en rémunération de la RF pour 385[jL2] M€/an par la mise à disposition, rémunérations qui seront à la charge du nouvel Etat.
2/ L’Université est restée une compétence non transférée, soit 206 postes d’enseignants pour 5000 étudiants (+37% sur 8 ans) (237 Erasmus) et son insertion dans un régime international …
3/ Le RSMA-NC devra disparaitre alors qu’il forme 650 jeunes par an et représente 38% du volume local de formation avec un rôle majeur pour la conduite des engins de chantier et les opérateurs miniers
4/ le « service civique » : 1 675 personnes depuis 2011 dont 83% voire 86% pour des boursiers de la rémunération est à la charge de la RF
5/ Le programme « Cadres-Avenir » continuateur des « 400 cadres » est à la charge de la France pour 90% ; signalons qu’il profite à 71% au monde canaque que la réussite est estimée à 78% sur 1752 parcours terminés. 500 calédoniens sont au niveau master/doctorat.
6/ Le transport aérien est assuré par 2 compagnies, dont 99% du capital appartient aux collectivités calédoniennes, qui sont en grande difficulté avec la crise induite par la pandémie Covid au moment où le renouvellement d’appareils bénéficie d’apports financiers français. Par ailleurs, La Tontouta est un aéroport international aux normes OACI, géré par la Cci en concession jusqu’à fin 2024. Le nouvel Etat devra se positionner pour l’organisation, le fonctionnement et le financement de ces aspects aériens incontournables.
7/ L’audiovisuel public, resté dans le giron de l’Etat représente avec « NC 1ère » environ 150 personnes et 24M[jL3] € de budget annuel dont il reviendra au nouvel Etat de déterminer le maintien, l’organisation et le fonctionnement de ce secteur sensible avec le sous-ensemble de la gestion des fréquences puisque l’ANF n’a plus vocation à intervenir, sauf par une convention spécifique rémunérée.
8/ Parmi les autres opérateurs de la RF, notons le rôle de l’office français de la biodiversité (OFB) via divers programmes tout comme l’Agence nationale du sport.
Wallis et Futuna
Si la distance fait que les rapports avec la Polynésie sont marginaux et négligeables pour l’aspect que nous traitons il n’en est pas du tout de même avec W et F :
– liens administratifs : maints services calédoniens ont une « succursale » à Mata-Utu (4h d’avion). La NC sert d’appui pour l’enseignement (lycée et supérieur) la plupart des formations professionnelles, l’appel en matière judiciaire, Les Evasan et les secours sanitaires, etc…
– liens humains : Il y a bien plus de wallisiens en NC que sur place depuis les années 50 entre 2 et 3 fois plus. Que feront-ils ?
– Psychologiquement, les wallisiens de NC sont des « sabras » et pèsent fortement dans les secteurs de la sécurité et du BTP. Ils ont fondé un parti « communautaire » récemment qui joue un rôle de bascule au Congrès. Ils ont été les bras séculiers des loyalistes dans les années 80, suivies d’autres péripéties (logements de l’ave maria par exemple) d’où une haine envers eux du monde canaque ce qui risque d’avoir certaines répercussions …
COMPETENCES REGALIENNES
A/ ARMEE
Les FANC représentent environ 1700 personnes sur quatre sites et couvrent pour la France une immense zone. L’armée dans ses trois dimensions a vocation à se retire sauf négociation et signature d’un accord de coopération avec les précédents transposables de Djibouti ou de la Côte d’Ivoire.
B/ SECURITE INTERIEURE
595 policiers à Nouméa et 509 gendarmes en trente brigades pour la Gendarmerie, renforcée en permanence d’escadrons de « mobiles » assurent l’ordre public à la française et je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’indépendantistes prêts à assumer un rôle dans ce domaine voire avoir envie de s’y investir. Ajoutons que la protection contre l’ingérence étrangère constitue une préoccupation forte. Le nouvel Etat doit penser son ordre public, le substrat juridique et la doctrine d’emploi des forces de sécurité. Tout au plus, une période de transition peut se concevoir pour préparer l’encadrement et assurer des formations dans le cadre d’une convention négociée.
C/ AFFAIRES EXTERIEURES
Par définition c’est au nouvel Etat de s’organiser librement en la matière, sans disposer du réseau diplomatique et consulaire français. Pour la RF, un ambassadeur remplacera le Haussaire et les Affaires Etrangères seront le correspondant de droit et non plus l’OM…
D/ SECURITE CIVILE : le transfert intervenu le 1er janvier 2014 a mis en place une organisation « mixte » laissant des responsabilités opérationnelles au Haussaire qui devra être repensée. Il appartiendra au nouvel Etat de convenir des méthodes de protection des populations et … le financement de la sécurité civile lato sensu.
E/ JUSTICE.
C’est au nouvel Etat de définir son organisation judiciaire : maintient–on un ordre administratif et un T.A ainsi qu’une CTC ? Quid du régime des avocats, du parquet, du SPIP et immédiatement de l’administration pénitentiaire !!! Quid de l’absence de « cours suprêmes » ?
Plus encore l’absence de juristes et singulièrement de magistrats professionnels (les assesseurs canaques n’interviennent que pour les affaire coutumières, soit une fraction des affaires civiles). A mon sens c’est une des points noirs pour un bon fonctionnement d’un état de droit d’un Etat indépendant.
F/ En matière de douanes, sécurité maritime et aérienne, le partage actuel des compétences, l’Etat français conservant ses missions de police (ZEE au-delà des 12n , trafic aérien international, lutte contre les trafics illicites et/ou d’application de conventions internationales, statut des navires ou immatriculation des aéronefs avec leurs éléments inhérents de sécurité) a induit le maintien d’un seul service, soit français (Douanes-119 personnes même s’il travaille à plus de 95% pour la surveillance de règles et tarifs calédoniens) ou la mise en place de services mixtes DAM et DAC dans les années 2011/2013, lors de ces transferts complexes et partiels de compétence.
G/ In fine litis, 2772 édifices valorisé à 735 M€ sont propriété de l’Etat : à quelles conditions juridiques et financières seront-ils transférables/transférés au nouvel Etat ? Cela constituera un chapitre non négligeable de la discussion politique.
H/ TRANSITION
Le document de travail « Lecornu » précise que les troubles à l’ordre public jusqu’à la date juridique de mise en œuvre de la souveraineté, restent de la responsabilité française exclusive.
Il rappelle également que la partition unilatérale est exclue ainsi que nous l’avons indiqué précédemment.
Parmi les modalités premières à définir est de savoir quel sera le représentant « légitime » du nouvel Etat pour négocier dans tant de domaines la transition et la mise en place d’une nouvelle organisation. Peut-on considérer que le gouvernement et le Congrès actuels le sont ? Faut-il élire (et comment) une assemblée constituante ?
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Bref on voit, au terme de ce survol panoramique et, j’en ai conscience, encore superficiel, que l’accession à la pleine souveraineté reste après le 12 décembre un immense chemin.
Jacques-André Lesnard
Conférence prononcée le 16 juin à l’Institut du Pacifique
NB : Les passages en bleu expriment un point de vue plus personnel