La civilisation océanienne : un modèle inédit de symbiose entre l’Homme et l’Océan
Parler d’une histoire étonnante et mal connue au moins en France : celle de l’exploration puis du peuplement de ce que nous appelons l’Océanie
Nous allons donc faire un voyage à la fois dans l’espace et dans le temps
Dans l’espace, puisqu’il s’agit de l’histoire d’un peuple qui s’est implanté depuis la côte africaine jusqu’à celle de l’Amérique en couvrant donc la totalité du Pacifique et une partie de l’Océan Indien
Dans le temps, car cette extraordinaire épopée débute quelque part à l’issue de la dernière grande glaciation et s’achève vers le XIIème siècle de notre ère
Le temps imparti ne permet que quelques clichés : ce qui constitue à mon avis les principales spécificités de cette civilisation maritime unique dans l’histoire du monde
Pour entrer dans le sujet, je voudrais préciser que mes recherches m’ont conduit naturellement à lire à peu près toutes les relations des voyages de découverte entrepris par les Européens à partir de la découverte du Pacifique par les Portugais à l’ouest (Malacca 1508) puis Magellan, par l’est qui le traversa pour la première fois en 1521, puis surtout par les grands marins comme Cook, La Pérouse, Bougainville ou Dumont d’Urville.
Décalage entre le discours européen imprégné d’esprit de conquête mais aussi des Lumières et la quasi absence de témoignage venant des Océaniens eux-mêmes qui ne connaissaient pas l’écriture.
Cette vue de l’espace nous est familière :
Vision du monde centrée sur FR et Europe
Une petite moitié bleue, Atlantique, Méditerranée, Mer Noire, Mer Rouge, Golfe Persique,…
On perçoit les limites, les rivages, les frontières …
On cherche à se situer par rapport à des repères terrestres (côtes, îles, ports, ..), puis bientôt en latitude et longitude
Une vision de « terrien » qui va tout « positionner », c’est-à-dire figer sur une carte écrite
Pour situer le décor de notre sujet, vision prise à la verticale des MARQUISES (FR)
Le Pacifique s’impose, il couvre presque la moitié du globe
Il interroge sur notre vision globale du monde :
- POURQUOI la mer ? Se pose de façon plus évidente
- Et pas seulement : « À quoi sert la mer ? »
Pour les Océaniens, marins de naissance :
Un Océan d’îles et non pas des îles sur l’Océan
Le marin ne s’intéresse pas à sa position absolue sur l’océan immense; seules importent pour lui la route pour atteindre sa destination et la route du retour.
Sa « carte » sera essentiellement représentée par les astres célestes, la nuit.
Premières migrations
« La Mer est le propre d’Homo Sapiens »
Pascal Picq, paléontologue au Collège de France
Familiarisés avec les rivages et leurs ressources depuis qu’ils ont quitté l’Afrique il y a environ 100 000 ans, franchissant le Sud de la Mer Rouge, puis longeant à pied la côte, tour de la péninsule indienne et arrivée Sundaland (Malaisie, Indonésie, Bornéo, Thaïlande …)
Niveau moins 120 m. par rapport au niveau actuel
Traversée détroit Wallace (70 km de mer) vers 60 000 ans (début conquête Haute mer)
Archipel Bismarck 32 000 ans
Ile Manus (240 km de la terre) 12 000 ans
Civilisation florissante, population nombreuse sur Sundaland
Utilisation meules pierre îles Salomon il y a 24 000 ans
Remontée niveau à partir 12-10 000 ans: réduction drastique surface habitable dans le SUNDALAND
D’où nouvelles migrations vers – 6/5 000
Le peuple de l’Océan
À partir Sundaland réduit (géographie actuelle), nouvelles migrations maritimes dans toutes les directions : exploration, découverte puis installation dans toutes les îles nouvelles.
Au cours de trois ou quatre millénaires, les ancêtres directs de nos compatriotes Polynésiens investissent systématiquement toutes les terres qui ne sont pas déjà habitées par les vagues migratoires précédentes.
Cela représente plusieurs dizaines de milliers d’îles, de la côte africaine à la côte américaine.
Dimensions : de Singapour à Panama 20 000 km, de Tahiti à Hawai’i 4500 km, pas de frontières Indien/Pacifique. Avant l’an mille, les Océaniens rapportent en Polynésie centrale la patate douce d’Amérique.
Route des épices Molluques – Madagascar/Afrique : 4 000 km de haute mer, attestée il y a 4 000 ans (girofle en Egypte et Mésopotamie)
Eplorations non limitées au « triangle polynésien » : Amériques nord et sud (y compris limites des glaces arctiques et antarctiques), Océan Indien, côte africaine, Chine du sud et Taïwan, Vietnam, …
Le Grand Océan
« Il est extraordinaire que la même nation se soit répandue sur toutes les îles dans ce vaste océan (…) je puis assurer que si elle n’est pas la nation du globe la plus nombreuse, c’est sûrement la plus étendue « James Cook
Magellan déjà s’était étonné que l’esclave malais qu’il avait acheté en 1508 à Malacca parle la langue des indigènes des Mariannes « découvertes » en 1521 et distantes de plus de 3 000 km de son lieu de naissance. Cet Océanien sera sans doute le premier homme à faire le tour du monde (et beaucoup plus).
La Pérouse reprendra le commentaire de Cook, en insistant sur l’ancienneté de la civilisation océanienne.
L’étude des langues locales permet de confirmer cette parenté aux cours des millénaires, malgré les distances considérables. Elle confirme a posteriori l’extraordinaire mobilité de ces peuples, qui se sont toujours déplacés sur l’Océan avec beaucoup de facilité et de plaisir.
Il était en effet courant d’aller passer quelque temps voire même des années, chez des cousins installés à des centaines ou des milliers de km de chez soi (par exemple des Tahitiens allant séjourner à Tonga).
La question du comment ?
Une maîtrise exceptionnelle de la navigation hauturière :
1- Méthodes de navigation, sans instruments ni cartes
2- Techniques de construction navale, sans métal
3- Vie et survie en mer
Comment ont-ils fait pour explorer, découvrir, s’installer dans toutes ces îles ?
A la différence des historiens, linguistes, archéologues et autres ethnologues, j’ai abordé la question de façon très concrète et en marin.
Je résume la problématique en parlant d’une maîtrise exceptionnelle de l’art de naviguer en haute mer : prend toute sa signification dans l’immense désert du Pacifique, où il n’est pas question de suivre plus ou moins la côte comme l’ont fait les marins occidentaux jusqu’à la fameuse traversée de Colomb.
Trois grandes questions se posent au marin confronté à des traversées de cette importance :
- la navigation proprement dite, notamment astronomique mais pas seulement: comment aller d’une île à l’autre et surtout comment revenir sûrement à son point de départ;
- les navires et la construction navale : qualités de tenue à la mer et aptitude à remonter au vent
- ce qui concerne les équipages et la vie à bord, compte tenu notamment de la durée possible des voyages
Trois questions principales, mais cela suppose aussi un niveau social et culturel très évolué, et c’est pour cela que l’on peut parler de civilisation. En d’autres termes, il est difficile d’imaginer que des peuples « sauvages » comme on le disait à une époque encore très récente aient pu mener à bien cette extraordinaire épopée maritime.
1- Navigation
J’entre donc dans le vif du sujet, par son côté à la fois le plus intellectuel et le plus mystérieux pour nous.
L’une des difficultés principales est bien d’ordre culturel et se pose donc même à ceux qui connaissent la navigation. Cela a été particulièrement probant avec les récits de nos plus grands navigateurs occidentaux qui ont bien constaté que les Polynésiens naviguaient sans instrument ni cartes d’aucune sorte, avec des résultats probants voire même surprenants, mais n’ont jamais réussi à expliquer comment ils faisaient concrètement.
La science de la navigation occidentale atteignait son apogée à l’époque de Cook, avec la maîtrise de la mesure du temps. On conçoit donc facilement qu’il leur était très difficile d’imaginer seulement que des populations « sauvages » puissent prétendre naviguer en haute mer sans le secours des cartes et instruments qui leurs paraissaient indispensables.
En réalité, l’Océanien n’utilise que ses sens et son intelligence pour parvenir au même résultat, par des voies par conséquent bien différentes. En particulier, l’observation minutieuse et l’étude des mouvements célestes, leur permettait d’inscrire dans leur mémoire des images extrêmement précises des différents ciels, tels qu’ils se présentaient au dessus de telle île, à telle époque, etc.
De sorte qu’ils « dessinaient » leurs routes maritimes dans le ciel et étaient capables de les « lire » à la demande, comme cela a été attesté à de multiples reprises, y compris du temps de Cook (voir Tupaia, ci-après).
Compas stellaire
Ce compas inventé par les Occidentaux donne une bonne idée de la façon dont les océaniens utilisent les astres à leur lever et leur coucher, pour déterminer des directions (azimuts)
Chaque étoile se lève en effet dans une certaine direction immuable, et se couche de même dans un azimut symétrique à celui du lever par rapport à l’axe Nord-Sud.
En visant telle étoile à son lever sur l’horizon, on peut donc se diriger dans une direction bien précise (par exemple celle d’une île de destination)
Sur ce compas, on observe ainsi de multiples directions différentes, utilisées par les Océaniens pour se diriger en mer.
Ils utilisent aussi les étoiles culminantes ( zénith ou verticale) au-dessus des îles. Chaque île est donc caractérisée par son étoile culminante. Le couple île-avei’a est dénommé pou. Une dizaine de pou principaux constitue les piliers qui permettent de maintenir séparées les eaux-du-dessus (océan d’astres) et les eaux-du-dessous (océan d’îles).
C’est la combinaison de ces différentes méthodes mais aussi la mémoire visuelle de chaque « ciel », qui permettent au navigateur de dire concrètement dans quelle direction il doit aller. Outre les astres, il a également recours à tout ce que ses sens peuvent appréhender en mer : houles, courants, vents, nuages, animaux marins et oiseaux, végétaux, salinité de l’eau, couleurs, odeurs, etc.
En fait, il utilise toutes les ressources de ses sens en mer pour élaborer les routes maritimes d’île en île, qui sont ensuite mémorisées par des moyens mnémotechniques dont le chant rythmé.
Ces sortes de récitations ou litanies chantées sont apprises par cœur par les pilotes qui savent que pour rallier telle île, nommée par son étoile culminante, il faudra ensuite viser telle étoile à son lever, puis telles autres, que l’on rencontrera telle sorte de poissons et d’oiseaux, telle houle du sud, tel courant chaud, etc…
Ils ont d’ailleurs une nomenclature et une richesse de vocabulaire bien supérieures aux nôtres pour caractériser tout ce qui touche à l’art de la navigation et d’une façon générale tout ce qui se rapporte à la mer (ex : noms d’étoiles ou de poissons)
La carte de TUPAIA
Une idée concrète de ce que représente la science de la navigation développée par les Océaniens : l’histoire de Tupaia. Grand-prêtre et Maître navigateur, Tupaia embarque avec Cook à Tahiti lors de son premier voyage autour du monde. Il passera 16 mois sur le navire anglais, intégré aux officiers et savants européens de l’état-major, qui soulignent tous son « intelligence » et même son « génie ».
Alors qu’il ne savait pas lire et ne disposait d’aucun instrument ni d’aucune carte, il s’est montré capable de désigner sans erreur l’azimut de Tahiti quel que soit l’endroit où ils se trouvaient (jusqu’à 15 000 km de son île natale) au grand étonnement de son entourage (on ne sait toujours pas comment il faisait …); preuve de la capacité des Océaniens à maîtriser la « route du retour ».
Comme il désignait à Cook plus de 130 îles inconnues des cartes anglaises, en indiquant leurs étoiles culminantes, Cook lui demanda de dessiner une carte avec ces îles. Mais comme il ne connaissait pas le système cartographique européen cette « carte » est en réalité restée illisible pour Cook et son entourage. Elle a pourtant suscité un immense intérêt : elle fut par exemple étudiée en détail par le comte de Fleurieu, membre de l’Académie des sciences qui fut ministre de la Marine et auteur des instructions du roi pour le voyage de Lapérouse.
Elle ne fut déchiffrée concrètement qu’il y a tout juste deux ans, par des universitaires allemands qui en conclurent que non seulement ces îles existaient bien, mais que Tupaia avait inventé un système cartographique tout à fait inédit et décrivant de façon sûre l’ensemble des routes maritimes qui relient ces îles entre elles. On peut en effet mesurer de façon précise sur cette carte tous les azimuts d’île en île.
L’espace couvert par cette carte représente environ 9000 km d’est en ouest et 5000 du nord au sud. On a pu prouver que Tupaia avait lui-même navigué dans toutes ces îles, à l’exception de Hawai’i et de la Nouvelle-Zélande (qu’il découvrira avec Cook).
Voilà donc un navigateur capable de naviguer librement dans cet espace considérable, plus de cinq fois la surface des EU, sans cartes ni instruments, avec le seul recours de ses sens et de sa mémoire.
Bien entendu, ces connaissances n’étaient pas innées : elles étaient acquises dans des écoles et par des méthodes rigoureuses qui n’ont rien à envier aux académies occidentales ou orientales.
2. Construction navale
« Chez les peuples les plus sauvages, ce qui a rapport à la navigation dénote un degré d’intelligence que l’on chercherait souvent en vain dans la manière dont ils subviennent à leurs premiers besoins. » Amiral Pâris, 1843
Après avoir survolé la navigation, abordons maintenant les fameuses « pirogues » puisque c’est sous ce nom largement réducteur que nous avons pris la mauvaise habitude d’appeler tous les navires conçus par des peuplades « sauvages ».
Vous voyez là les commentaires de l’amiral Pâris, un personnage remarquable, sorte d’esprit universel bien de son époque, curieux de tout et sans préjugés. Pour n’en dire qu’un mot, il était membre de l’Académie des sciences, avait fait plusieurs voyages autour du monde dans les années 1830 et a créé le musée de la marine tel que nous le connaissons.
Il a laissé une œuvre considérable, notamment des monographies, carnets de dessins, aquarelles, plans et maquettes de navires extra-européens qui constituent aujourd’hui une collection unique au monde.
Le premier, il a compris que- pour ces populations maritimes – les navires étaient les objets matériels les plus représentatifs et les plus précieux, à tous points de vue. Là où les historiens, archéologues et ethnographes occidentaux cherchaient vainement des documents écrits et des monuments, il a compris que les bateaux étaient à la fois des objets utiles mais aussi l’expression la plus aboutie de la culture océanienne.
Et, en effet, ces « pirogues » sont à bien des égards extraordinaires à la fois par leur performances mais aussi par leur architecture, leur élégance et la beauté de leurs décorations.
Prao volant
« Je crois que ces pirogues sont les bateaux les plus rapides du monde entier … j’ai essayé moi-même l’une d’entre elles … je suis persuadé qu’elle aurait pu marcher à plus de 24 nœuds. »Dampier, 1686
L’étude systématique de ces « pirogues » montre qu’en matière de construction navale traditionnelle, avant l’arrivée du métal et de la propulsion mécanique, tout a pratiquement été inventé dans le Pacifique.
Qu’il s’agisse des formes de coque, des gréements, de la forme des voiles ou des techniques de manœuvre, on y trouve en effet une incroyable variété de navires (plusieurs centaines répertoriées), chaque type de navire étant exactement approprié à son usage préférentiel et à son environnement maritime particulier.
L’une des « pirogues » les plus remarquées compte tenu de ses performances proprement « inimaginables » à l’époque où elles ont été découvertes par les Européens, est celle qui a été qualifiée de «prao volant ». Il faut savoir qu’au temps du capitaine hollandais Dampier, les embarcations européennes ne dépassaient pas 10 nœuds dans les meilleures conditions.
Là encore, nos ancêtres avaient bien observé quelque chose d’extraordinaire, mais ils n’avaient pas su en tirer bénéfice à leur profit. Ils avaient pourtant sous les yeux des engins infiniment plus performants que les lourds vaisseaux et embarcations occidentaux.
Mais nul n’en a profité avant l’apparition des tout premiers catamarans à la fin du XIXème siècle en Occident.
Le prao volant a des formes très originales. Il s’agit d’un navire à balancier d’environ 12 m de long, large de moins de 50 centimètres.
La coque principale est extrêmement fine (une lame de couteau) et présente l’originalité unique d’être dissymétrique sur le plan longitudinal comme sur le plan transversal.
Autrement dit, la coque est bombée du côté au vent (balancier) et presque plate de l’autre. De même, elle est cintrée dans le plan vertical un peu à l’image d’un couteau. Ces formes originales sont destinées à contrer les effets de dérive dus au vent et à la gite du bateau lorsqu’il est en route libre. Il faut avoir en tête que ce prao est fait pour naviguer balancier au vent et hors de l’eau, c’est-à-dire en réalité comme un monocoque.
Autre singularité : il s’agit d’un navire amphidrome, c’est-à-dire qu’il avance indifféremment dans un sens ou dans l’autre. La proue et la poupe sont identiques.
Avec ce type de navire hauturier, armé par trois ou quatre marins, les Indigènes de Mariannes ou des Carolines effectuaient des traversées jusqu’à 600 milles (1000 km).
Pirogue des Santa Cruz
Un autre exemple de « prao » très original, de l’archipel des Santa Cruz où Lapérouse fit naufrage (Vanikoro). Formes très différentes du précédent (coque et voile). Une dizaine de mètres de longueur.
Coque « Semi-submersible » : le cylindre est presqu’entièrement immergé.
Plate-forme surélevée en V pour permettre la gite, balancier accroché en pattes d’araignées (très rigide et souple à la fois)
Voile très originale en « pince de crabe », très performante du point de vue aérodynamique
Ces « pirogues » à balancier hauturières et très performantes étaient utilisée pour les liaisons rapides entre îles ou archipels. C’est avec des engins de ce genre que les voyages d’exploration (au moins les plus récents) ont été menés à leur terme.
Il s’agissait d’aller explorer l’océan à la recherche de nouvelles îles. Explorations systématiques et soigneusement préparées puis exécutées. On fixait une direction précise (chemin d’étoiles) et l’équipage allait jusqu’au bout de ses possibilités (2 à 3 semaines de mer, cela pouvait représenter jusqu’à 3000 km par bon vent) puis retour. Et ainsi de suite, en changeant de proche en proche la direction de recherche ((quelques degrés), jusqu’à découvrir un île nouvelle.
Rien d’improvisé dans ces voyages. De grands marins, maîtrisant les risques.
Une fois les îles découvertes par les éclaireurs sur leurs « praos » rapides, il fallait transporter plantes et animaux pour mettre en valeur l’île, puis acheminer les familles qui allaient en prendre possession.
Des navires plus spacieux et plus stables étaient alors nécessaires : c’est essentiellement pour cet usage que les catamarans (pirogues doubles) ont été inventés, probablement avant notre ère.
Il en existe de multiples sortes et modèles, tous adaptés aux usages et conditions d’environnement locales.
Le modèle figurant ici est typiquement tahitien, largement représentés par les artistes européens du temps de Cook. Il est formé de deux coques fines et identiques, et gréé de voiles en pandanus assez rigides de type « aile » (que l’on utilise sur les voiliers de course actuels)
La poupe est largement surélevée (surf, récifs)
Mâture très légère (2/3 seulement de la hauteur de la voile, et sans foc)
Longueur de 15 à 25 m. Embarque facilement de l’ordre de 50 personnes pour des voyages de deux à trois mois si nécessaire. Ce navire léger et très performant marque sans doute l’apogée de l’art de la construction navale polynésienne.
Catamaran des Fidji, 108 pieds
Encore un catamaran original et très différent du précédent
C’est un navire considérable, l’un des plus grands en usage dans le Pacifique central et oriental. Des flottes composées de plusieurs dizaines de navires de cette dimension naviguaient encore à la fin du XIXème siècle dans les archipels Fidji et Tonga.
Longueur 35 m.
Antennes de 35 m pour enserrer une voile de plus de 400 m2
Le navire pouvait filer 18 nœuds vent portant
Un équipage de plusieurs dizaines de marins était nécessaire pour manœuvrer l’immense voilure, en l’absence de poulies.
Il était fréquemment utilisé en guerre et transportait alors jusqu’à 2 ou 300 hommes
Amphidrome pour catamaran des Tonga
Il hébergeait là encore un catamaran original et très différent du précédent.
C’est un navire considérable, l’un des plus grands en usage dans le Pacifique central et oriental. Des flottes composées de plusieurs dizaines de navires de cette dimension naviguaient encore à la fin du XIXème siècle dans les archipels Fidji et Tonga .
Longueur 35 m.
Antennes de 35 m pour enserrer une voile de plus de 400 m2
Le navire pouvait filer 18 nœuds vent portant
Un équipage de plusieurs dizaines de marins était nécessaire pour manœuvrer l’immense voilure, en l’absence de poulies.
Il était fréquemment utilisé en guerre et transportait alors jusqu’à 2 ou 300 hommes
« Je suis toujours fasciné par la modernité des pirogues polynésiennes, tant au niveau des formes de coque que du plan de voilure… le bilan de nos maîtres et grands prédécesseurs architectes et constructeurs océaniens est vraiment admirable. »Marc Van Peteghem, 2016
Ce témoignage d’un de nos architectes navals les plus renommés aujourd’hui marque bien la filiation avec la construction navale océanienne.
Marc Van Peteghem m’avait avoué que son « livre de chevet » en la matière était le remarquable ouvrage du père Jean Neyret, « Pirogues océaniennes » (éd. Musée de la Marine, 1972), d’où sont tirées les gravures présentées ici.
3. La vie à bord
- Mise en valeur des îles
- Les ressources de la mer
- La conservation des aliments
- Les techniques de survie
Les premiers Européens ont à juste titre décrit beaucoup de ces îles comme des « paradis terrestres ». En réalité, il faut bien se rendre compte qu’au moment de leur découverte par les ancêtres des Polynésiens, elles étaient dépourvues du nécessaire pour s’y installer durablement. Les premiers découvreurs y ont transplanté plus de 90 espèces de plantes vivrières, dont le cocotier, l’arbre à pain, les taros et ignames, la canne à sucre, les bananiers, etc. plus tous les animaux utiles : cochons, poules et chiens notamment. En l’occurrence, le paradis avait été mis en valeur par l’homme.
Deuxième point : les ressources de la mer
Aucun peuple, et c’est bien logique, n’a su tirer autant de profit des ressources de la mer. Techniques de pêche originales (à courre), enclos à poissons, consommation de produits très variés, façons de préparer les aliments (four, pierres chaudes).
Troisième point : conservation des aliments
Le problème de la nourriture en mer pour les longues traversées n’a été résolu en Occident qu’à la toute fin du XIXème siècle (scorbut). Les méthodes et techniques employées par les Polynésiens leurs permettent de naviguer sans aucune difficulté et sans maladie (notamment cocos et fermentations des végétaux).
Enfin, techniques de survie : innombrables exemples d’histoires de survies dans des conditions incroyables (Si loin du monde)
La société océanienne est organisée comme l’équipage d’un navire, avec un capitaine, un pilote navigateur, des équipiers pour la manœuvre, d’autres pour s’occuper des vivres, des voiles, de la pêche, etc.
Les Océaniens
«Ils sont les descendants des dieux de la mer, à mes yeux les plus grands Navigateurs de tous les temps. » Alain Gerbault
J’espère vous avoir donné un aperçu suffisamment convaincant de la pertinence de ce propos d’Alain Gerbault, repris dans plusieurs de ses ouvrages.
Son avis est d’autant plus intéressant qu’il était lui-même l’un de pionniers de la navigation de plaisance et qu’il a passé de longues périodes de sa vie à naviguer dans le Pacifique. Par ailleurs, il parlait parfaitement le tahitien et était très proche de cette population, ardent défenseur de son histoire et de sa culture.
Une histoire que l’on a crue dépassée avec l’arrivée des Européens des Lumières, après dénonciation de l’utopie du « Bon sauvage ».
Comme le conclut très justement l’anthropologue et navigateur américain Ben Finney : « il se pourrait que la contribution océanienne au vaste monde pré-européen fût intellectuelle : une technique de navigation certes dépourvue d’instruments, mais hautement sophistiquée puisqu’elle toisait les cieux. »
Les Océaniens ont encore beaucoup à nous apprendre, notamment dans la démarche de « protection » des océans, mais aussi dans la façon dont on peut appréhender le monde, d’une façon plus globale, plus intégrée, où « tout est lié ».
« Nous sommes le peuple de la pirogue, nous sommes l’Océan »
Vous reconnaitrez sur cette élégante figure de proue d’une pirogue du Grand Océan, la silhouette des fameux « moaïs » sculptés de l’Ile de Pâques, ou plutôt Rapa Nui
« Nous sommes l’Océan » déclaration solennelle des dirigeants des peuples polynésiens (dont la Polynésie française) au congrès mondial de l’UICN, Hawai’i, 2016
Comment pourrait-on mieux exprimer une symbiose entre Homme et Océan?
Emmanuel Desclèves, Institut du Pacifique, 2 décembre 2020