Le terrorisme dans le monde et dans la région du Pacifique Jean-Michel DASQUE

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Introduction

Depuis les évènements du 11 septembre 2001, le spectre du terrorisme n’a pas cessé de planer sur le monde. Mais les progrès au cours des derniers mois de l’Etat Islamique d’Irak et du levant ont créé une situation nouvelle et une véritable guerre oppose DAESH et les Etats occidentaux alliés aux Etats arabes modérés. Le terrorisme arabo-musulmanest devenu un problème majeur pour les gouvernements et a repoussé au second plan des questions fort importantes telles que la crise de Crimée, le programme nucléaire iranien ou les tensions dans le Mer de Chine.

La persistance d’un danger terroriste omniprésent a eu des incidences dans bien des domaines. Elle a modifié les lignes de fracture au Moyen Orient et est en train de redessiner les frontières nées de la première guerre mondiale. Elle a amené les Etats-Unis à reconsidérer leur politique étrangère et à intervenir à nouveau sur les théâtres extérieurs, alors qu’ils semblaient résolus, après le Vietnam, à revenir à un certain isolationnisme. Elle a contribué à recomposer les systèmes d’alliance et à susciter la formation d’un front réunissant des Etats ayant des options politiques et idéologiques différentes.

Sur le plan économique et financier la menace terroriste a entrainé une augmentation des budgets de défense. Elle a enrichi certains groupes sociaux tels que lessociétés privées de sécurité, les marchands d’armes et les trafiquants de toutes sortes. En revanche elle a ruiné l’économie des Etats exposés aux coups des terroristes, notamment ceux dont la prospérité reposait sur le tourisme. Elle a eu aussi des incidences sur les plans juridiques et de la protection des libertés. Obsédés par la menace djihadiste, des gouvernements démocratiques ont durci leur législation dans un sens répressif, imposé des restrictions à l‘exercice des libertés et renforcé les moyens de surveillance.

Mon exposé comprendra quatre parties :

  • 1) Les aspects généraux du terrorisme ;
  • 2) Les différents types de terrorisme ;
  • 3) Les trois âges du terrorisme ;
  • 4) La région du Pacifique

1) Les aspects généraux du terrorisme

1.1) Définition

Le terrorisme est un concept difficile à cerner et il est significatif qu’il n’existe aucune définition de ce phénomène unanimement acceptée. A l’origine, sous la Révolution française, furent baptisés terroristes les républicains intransigeants partisans d’une politique de la terreur. Ultérieurement ce terme fut appliqué successivement aux factions qui voulaient renverser les régimes monarchiques et instaurer la république, aux partisans du principe des nationalités, aux socialistes proudhoniens, aux communistes, aux anarchistes, aux adversaires du système colonial, aux extrémistes de gauche et de droite.

Le mot terroriste recouvre des réalités fort diverses et a une forte dose de subjectivité. Il sert souvent à stigmatiser un adversaire politique. Pendant la deuxième guerre mondiale, les occupants allemands et le régime de Vichy traitaient de terroristes les résistants qui furent acclamés plus tard comme des libérateurs. Bechar el Assad en Syrie qualifie de terroristes ceux de ses compatriotes qui combattent pour le rétablissement des libertés démocratiques. Le gouvernement du général Sissi baptise indifféremment de terroristes les religieux et les démocrates qui condamnent le coup d’Etat du 3 juillet. Selon l’expression consacrée, le terroriste de l’un est le résistant de l’autre.

Malgré la difficulté de l’exercice de nombreuses définitions ont été avancées. La plupart mettent l’accent sur les moyens employés (violence et médiatisation destinées à semer la peur au sein des populations ciblées) et le but poursuivi (déstabiliser l’ordre institutionnel, provoquer des troubles civils et contraindre les autorités à prendre telle ou telle mesure, par exemple libérer des détenus). La question de savoir si des actes commandités par des gouvernements (meurtres, sabotages) relèvent du terrorisme a donné lieu à d’amples discussions.

Le terrorisme doit être distingué des guérillas. Ces dernièressont organisées militairement, hiérarchisées,disciplinées ;elles    forment    des    unités    relativement    importanteset    peuvent être lourdement armées. Elles se concentrent sur des objectifs militaires. Surtout elles cherchent à conquérir des territoires et leur but est de contrôler la totalité de l’espace convoité, pays ou région. Les terroristesse distinguent aussi des mouvements révolutionnaires de masse (partis, syndicats).S’ils prétendent exprimer les revendications d’une classe sociale ou d’un groupe ethnique, ils détournent une violence considérée légitime, au profit d’un cercle politique ou sectaire fermé. Comme le dit Michel Wieviorka, le terrorisme est «  un anti-mouvement social ».

1.2) Antécédents historiques

Le terrorisme est un phénomène ancien et on peut affirmer qu’il a existé de tous temps. Dans l’antiquité en Grèce et à Rome, des nostalgiques du régime républicain assassinèrent des dirigeants, rois, empereurs, tyrans (Tyran doit être pris dans son sens ancien, dirigeant parvenu au pouvoir par la force des armé) qui se comportaient de manière despotique et étaient devenus impopulaires. Le meurtre de Jules César par Brutus est dans toutes les mémoires. D’autres formes de terrorisme ont existé. L’historien Flavius Josèphe rapporte comment des fanatiques juifs, les Zélotes, organisèrent une résistance de guérilla contre les romains en employant des méthodes terroristes.

La tradition du terrorisme se perpétua pendant l’ère chrétienne. Dans le nord-ouest de la Perse et le nord de l’Irak, aux alentours de l’an mille, des adeptes d’une secte chiite, les Haschischin, combattirent férocement les sultans seldjoukides et commirent de nombreux assassinats en égorgeant leurs victimes à l’aide d’une dague. Un peu plus tard les Thugs, adorateurs de la déesse Kali, répandirent la terreur dans la zone indogangétique. En Chine,à la fin du règne des Song, des bandits patriotes organisèrent dans les zones montagneuses la résistance contre les envahisseurs Jin et Kitan. Ils rançonnaient les voyageurs et pillaient les territoires proches de leur repaire. Si l’on en croit certains récits (« Au bord de l’eau »), ils pratiquaient le cannibalisme. Au XVIème siècle des illuminés influencés par les doctrines des monarchomaques tuèrent deux rois de France, Henri III et Henri IV et aux Pays Bas le stathouder, Guillaume d’Orange. En Angleterre, à l’orée du XVIIème siècle, un groupe de séditieux, dirigé par un officier catholique, Guy Fawkes, avait projeté de faire sauter le parlement.

Si l’on excepte les violences sectaires, observées souvent dans le contexte de révolutions, de guerres civiles ou de luttes religieuses, la plupart des attentats terroristes ont été perpétrés par des individus isolés ou de petits groupes marginalisés, ils utilisaient des moyens rudimentaires, essentiellement le poignard ou le pistolet, ils opéraient sur une aire géographique restreinte et n’avaient pas de projet politique. Les mouvements terroristes modernes sont apparus véritablement dans la seconde moitié du XIXème siècle, avec les anarchistes européens et les nihilistes russes. Ils ont acquis à cette époque leur traits distinctifs qu’ils ont conservés jusqu’à nos jours. Ce sont ces traits qu’il convient maintenant d’examiner.

1.3) Les facteurs favorisant l’apparition des mouvements terroristes

La naissance d’un mouvement terroriste n’est pas le fruit du hasard et peut être favorisée par divers facteurs.

  • Les facteurs culturels et religieux

Certaines sociétés ont une tradition guerrière et une culture de la violence. Elles exaltent le courage, la virilité, l’esprit de rébellion et vouent un culte aux héros historiques ou légendaires qui ont résisté à l’oppression. Les Pashtoun en Afghanistan, les Yéménites, les Kurdes, les peuples du Caucase ont été déchirés pendant des siècles par des guerres civiles et les rivalités familiales et tribales (Lire les « Amants de Kandahar » dans les Nouvelles Asiatiques d’Arthur de Gobineau (Œuvres, Gallimard, collection de la Pléiade, tome 3, Paris 1987, p. 488).). Sous des noms divers, ils pratiquent les vengeances privées. Ils ont été constamment en rébellion contre le pouvoir central. Les religions, surtout dans leurs déviations sectaires, ont engendré assez fréquemment le terrorisme. Dans plusieurs passages du Coran, notamment dans les sourates   6   et   8,   Mahomet   enjoint   aux   musulmans   de   combattre   ceux   qu’il   appelle   les « transgresseurs » c’est-à-dire les polythéistes et les païens. Ces préceptes peuvent être interprétés comme un appel à la guerre sainte, ledjihad.

  • Les facteurs nationaux et historiques

Des institutions politiques et administratives faibles, une unité nationale fragile, des structures claniques créent un contexte favorable au développement du terrorisme. L’Afghanistan n’a jamais constitué un véritable Etat et doit être assimilé à une confédération de tribus hétérogènes. La Libye n’a pas de conscience nationale. Les sociétés arabes sont encore souvent régies par le système de l’asabiyya, décrit au XIVème siècle par Ibn Khaldoun, dans lequel la solidarité de groupe l’emporte sur toute autre forme d’organisation socio-politique.

  • Le contexte politique et socio-économique

Des régimes tyranniques et corrompus, l’absence de libertés, la confiscation du pouvoir par une famille ou par un clan sont un terreau sur lequel prospère le terrorisme. Celui-ci est favorisé aussi par la pauvreté, le chômage, les inégalités de revenus, l’absence de perspectives économiques pour les jeunes diplômés. Quelquefois le progrès technique qui modifie les modes de vie et de production entraine des réactions de révolte (cas des « luddistes » au XIXème siècle).

  • L’environnement extérieur

Enfin la création de mouvements terroristes peut résulter d’un effet de contagion. Les réseaux extrémistes cherchent à étendre leur influence au-delà des limites de leur aire d’origine et à se transformer en multinationales. Ils diffusent leur propagande à l’étranger par la voie de la presse écrite et par des émissions de radio, apportent aux organisations soeurs une aide financière, logistique et en armes, les manipulent. Du fait de leur situation géographique à proximité de l’Afghanistan, le Pakistan et les républiques d’Asie Centrale sont particulièrement exposés au danger terroriste.

1.4) Origine sociale

Les terroristes se recrutent dans des milieux sociaux très divers. A la fin du XIXème siècle, les nihilistes russes provenaient de l’intelligentsia, de la bourgeoisie et même de la petite noblesse. Les anarchistes en Europe et en Amérique étaient issus des classes populaires (ouvriers, apprentis, employés) et quelquefois de la pègre. Ils avaient fréquemment participé à l’agitation syndicale et milité au sein des associations de tendance libertaire telles que l’Association Internationale des Travailleurs (L’Association Internationale des Travailleurs ou Première Internationale se divisa en deux sections, une section de tendance socialiste et une branche anarchiste à laquelle adhéra notamment la fédération italienne). Les activistes qui sévirent en Amérique latine et Europe occidentale dans les années soixante et soixante-dix étaient originaires, en majorité, des classes moyennes.

Les premiers militants des mouvements islamistes, notamment d’Al Qu’Aida, appartenaient à la bourgeoisie arabe et avaient reçu une instruction dans les universités musulmanes. Ils étaient médecins, ingénieurs, juristes, théologiens. Oussama ben Laden était né dans une riche famille d’origine yéménite. Les nouveaux adhérents sont d’origine plus modeste et se recrutent dans les banlieues pauvres des grandes villes, notamment dans les milieux immigrés, parmi une jeunesse sans formation, coupée de ses racines familiales et tribales et mal intégrée à la société moderne. Souvent au chômage, les apprentis djihadistes ont cédé parfois aux tentations de la petite délinquance. On remarquera que très rarement les mouvements terroristes sont composés d’authentiques prolétaires.

1.5) L’engagement, un processus social

Certains individus s’engagent isolément, proprio motu. Ils ont été marqués par des lectures, souvent mal assimilées, par l’audition de prêches ou de discours ou par la consultation de sites Internet.  Mais  ces  cas  sont  encore  limités  bien  que  le  phénomène  d’auto-radicalisation  soiten progression. Le plus souvent les terroristes ont été en relation avec des militants et leur engagement est la résultante d’un processus social. Ils ont été influencés par leur milieu familial, subi l’ascendant d’un maître, d’un gourou (Ben Laden subit l’influence de son professeur à l’université de Djeddah, Abdallah Azzam) ou ont appartenu à des réseaux sociaux, notamment à des cercles organisés près d’un centre religieux ou d’un site Internet. Parfois, ils ont été contactés par des recruteurs professionnels

Les universités ont été dans la deuxième moitié du XXème siècle de véritables pépinières pour la formation de brigades terroristes. Les mosquées et les écoles coraniques jouent le même rôle pour l’éveil des vocations djihadistes. Les prisons sont également des viviers au sein desquels les réseaux terroristes recrutent des adhérents. Certains détenus de droit commun considèrent que l’engagement djihadiste leur ouvre une voie de réhabilitation et donne un sens à leur existence. Ils subissent par ailleurs, l’influence des imams militants.

1.6) La psychologie des terroristes

Le terroriste n’est pas un être fruste, inculte ni un psychopathe. Il obéit à une certaine logique. Des personnes basculent parfois dans la violence à la suite d’une déception ou d’un échec personnel (cas d’Ulrike Meinhoff). Des jeunes d’origine immigrée  se sont sentis humiliés, marginalisés,  relégués  dans  des  professions  sous-qualifiées  (voir  le  film  de  Philippe  Faucon, «LaDésintégration »). Ils éprouvent un ressentiment contre un monde qui les rejette et veulent se venger du sort qui leur est fait (L’acte terroriste est toujours une vengeance refoulée » écrit Hélène l’Heuillet.). En outre, ils espèrent trouver au sein de la cellule terroriste une fraternité et une chaleur humaine qui lui font défaut dans leur milieu familial ou professionnel.

Tous les terroristes ne sont pas motivés par des frustrations individuelles et nombreux sont ceux qui entendent exprimer leur indignation et leur révolte contre le sort infligé à des individus ou des groupes pour lesquels ils ont de la commisération.Merah a avoué s’être engagé dans le djihad après avoir vu des photos représentant des enfants palestiniens tués par  des bombardements israéliens. Ben Laden voulait venger la communauté musulmane des vexations qui lui auraient été infligées par les nations chrétiennes tout au long de l’histoire. Les apôtres de la terreur se considèrent donc comme des justiciers. Ils justifient l’emploi de moyens violents, en arguant qu’ils n’ont pas d’autre recours et se considèrent en état de légitime défense contre un pouvoir illégitime.

Les terroristes ne sont pas des intellectuels, même s’ils ne sont pas incultes, et sont animés par une soif d’action. Le groupe nihiliste russe Tchernovia Znamia (le drapeau noir) qui commit des attentats dans la période 1903-1905 avait pris pour devise la phrase de Goethe « Au début était l’action ». Cette mystique va de pair avec la fascination de la violence qui est censée purifier la société et éliminer les corrompus et les tièdes. Cette addiction à la violence est entée comme l’ont montré les psychanalystes sur une pulsion de mort (déclarations de Ben Laden, de Merah, les auteurs d’attentats suicides, les shahids). Un dernier trait caractéristique est la passion de la destruction. Le terroriste est par essence un nihiliste.

1.7) La stratégie du terrorisme

  • a. Une stratégie indirecte dominée par la recherche de l’effet psychologique

Les terroristes cherchent à créer un climat d’insécurité et de peur au sein de la population pour amener les autorités à infléchir leur politique. Ils donnent le maximum d’éclat à leurs actions et opèrent une théâtralisation de la violence. Raymond Aron a écrit « qu’une action est dénommée terroriste lorsque ses effets psychologiques sont hors de proportion avec ses résultats purement physiques ». Ce mode d’action est en phase avec une société dominée par la politique spectacle, où les médias jouent un rôle un premier plan.

  • b. Une stratégie du faible au fort

Dans une guerre atypique, les terroristes cherchent à compenser leur infériorité par l’avantage que donne l’initiative, l’effet de surprise, la mobilité, la dispersion des forces sur de vastes étendues. Ils cherchent à se fondre autant que possible dans la population et pratiquent la dissimulation. C’est ce que les arabes appellent la Taqqyia. Ils frappent là et au moment où ils sont le moins attendus et s’efforcent d’exploiter les faiblesses du dispositif adverse. Bien évidemment ils font fi des lois de la guerre (emploi des armes interdites par les conventions, traitement des prisonniers).

  • c. Une économie des moyens

Placés dans une situation d’infériorité, les terroristes sont tenus d’économiser leurs ressources et utilisent des matériels rustiques et peu coûteux. Selon les estimations des experts, l’attentat du 11 septembre n’aurait pas coûté plus de 500.000 dollars.Les attentats commis à Madrid et à Londres au milieu des années 2000, ont entraîné une dépense évaluée entre 15000 et 20.000 euros. Aucours des dernières années, certaines organisations ont accumulé des ressources suffisantes pour leur permettre d’acquérir un stock d’armements impressionnant.

  • d. Des cibles très diverses

Les terroristes ne font guère de distinction entre les objectifs civils et militaires. Ils s’en prennent aux représentants de l’ordre qu’ils veulent abattre, chefs d’Etat ou de gouvernement, ministres, hauts fonctionnaires, hauts responsables de la police et de l’armée. Ils visent aussi ceux que les marxistes appelaient les ennemis de classe, chefs d’entreprise, cadres supérieurs, grands propriétaires fonciers, syndicalistes « jaunes ». Enfin, ils s’efforcent de détruire les installations stratégiques (installations militaires, commissariats de police, centraux téléphoniques, gares ou aéroports) ou les bâtiments ayant un contenu symbolique (édifices religieux, écoles, sièges d’organisations internationales et des ONG).

  • e. Le terrorisme, un phénomène urbain

Traditionnellement, les terroristes privilégient les villes où se concentre le pouvoir politique, économique, culturel, médiatique et où réside une part croissante de la population mondiale. Ils agissent notamment dans les grandes mégapoles du sud, mal contrôlées par les autorités et où ils pouvaient recruter dans la pègre et le prolétariat misérable des slums et des bidonvilles.

La typologie des terrorismes

Le concept de terrorisme recouvre des réalités très diverses et peut être comparé, selon la formule que Clausewitz appliquait à la guerre à un caméléon. Les classifications habituelles distinguent sept catégories principales.

  • Les terrorismes idéologiques

Les terrorismes idéologiques visent à modifier par la violence l’ordre institutionnel politique, économique et social. Ils sont d’une très grande variété. On rencontre d’abord des mouvements qui peuvent être classés à gauche et à l’extrême gauche Les nihilistes russes apparus après 1870 avaient pour objectif : abolir le régime tsariste, libérer la nation du joug des prêtres et de la noblesse, distribuer la terre aux paysans et promouvoir l’éducation populaire. En Europe occidentale et en Amérique du Nord, les anarchistes voulaient détruire l’Etat bourgeois jugé oppresseur, abolir la propriété privée, supprimer l’armée et les autres structures de la répression, constituer une société composée de petites unités de production autogérées, d’inspiration  proudhonienne. Ils développaient une propagande pacifiste, antimilitariste et anticléricale.

Les années soixante et soixante-dix furent marquées par une recrudescence des mouvements terroristes révolutionnaires. Au lendemain des évènements de 1968 des groupes d’ultra gauche se multiplièrent en Europe et en Amérique du Nord. Ils se réclamaient d’une idéologie anti-impérialiste et tentaient de réaliser la synthèse des doctrines libertaires et marxistes-léninistes. Ils prétendaient combattre le capitalisme exploiteur, la domination des  multinationales  et  des grands groupes financiers, l’hégémonie des Etats-Unis en Europe et dans le monde. Sur le plan politique, ils dénonçaient les tromperies d’une fausse démocratie au service de la classe bourgeoise et des intérêts économiques. Certains groupes se faisaient aussi les défenseurs des marginaux, des chômeurs, des immigrés, des prisonniers soumis  selon  eux à un  régime inhumain.  Des réseaux terroristes révolutionnaires se sont formés dans d’autres régions du monde, en Amérique latine notamment dans le cône sud (Argentine, Uruguay), en Turquie, en Inde (Naxalistes), aux Philippines (Nouvelle Armée du Peuple). Certains de ces groupes ont disparu car ils avaient perdu le soutien du bloc soviétique et avaient été anéantis par une répression souvent brutale, mais d’autres subsistent encore bien qu’affaiblis (Le Sentier Lumineux au Pérou, FARCS en Colombie, les maoïstes en Inde et au Népal). En Europe et en Amérique du Nord « l’Autonomie » rassemble des vétérans des luttes révolutionnaires de la fin du siècle dernier et des jeunes gens en quête d’aventures politiques. Elle organise des manifestations violentes, notamment lors des sessions du G8, et pratique un terrorisme de basse intensité.

A l’autre extrême de l’échiquier politique, on trouve des formations d’extrême droite, partisans d’un régime autoritaire et corporatiste, ultra-nationalistes, souvent racistes et antisémites. Ces groupes ont été très actifs dans l’entre-deux-guerres. Des nostalgiques du fascisme et du nazisme subsistent actuellement en Europe ainsi qu’en Amérique du Nord. Ils commettent des attentats sporadiques (massacre de 77 personnes par Anders Behring Breivik en Norvège, meurtres d’immigrés turcs par une cellule néo-nazie en Allemagne).

  • Le terrorisme religieux

Une deuxième forme de terrorisme est d’essence religieuse. On peut ranger dans cette catégorie le terrorisme islamique qui a pris au cours des dernières décennies une ampleur extraordinaire et sur lequel on reviendra ultérieurement. Mais les musulmans n’ont pas l’exclusivité de  la  violence  religieuse  et  les  adeptes  d’autres  confessions  ont  également  fait  preuve  d’un fanatisme. Sans remonter aux guerres de religions, sous la révolution française les chouans et les compagnons de Jésus (ou Jéhu) étaient motivés par la foi catholique aussi bien que par la fidélité à la monarchie. Ils commirent de multiples attentats dont le plus célèbre fut celui de la rue saint- Nicaise.Au Mexique, dans les années vingt, des catholiques intégristes, les cristeros, ont combattu les armes à la main le régime laïque instauré par la révolution zapatiste (Un étudiant catholique, José de Leon Toral, assassina le 17 juillet 1928 le Président Alvaro Obregon, franc- maçon et anticlérical. Plusieurs prêtres furent fusillés pour avoir aidé les cristeros.). Aux Etats-Unis le Klu Klux Klan avait des racines religieuses et se fondait sur le chapitres 9-27 de la Genèse pour affirmer la suprématie de la race blanche. En Inde, des fanatiques hindous ont organisé à plusieurs reprises des pogroms contre la communauté musulmane. Ses gardes du corps sikhs ont assassiné, en 1985, Indira Ghandi. Des juifs extrémistes se sont rendus coupables d’attentats terroristes (meurtre d’Istzak Rabin en 1996, musulmans massacrés à Hébron).

La confession religieuse peut non seulement être à l’origine des mouvements terroristes mais elle a parfois contribué à façonner leurs modes opératoires. Les chiites, qui ont toujours exalté le martyre et qui célèbrent chaque année la mort au combat des imams Hussein et Hassan, ont montré une prédilection pour les attentats suicides.

C-Le terrorisme expressif et eschatologique

Le terrorisme expressif sert à exprimer une émotion, à témoigner, à prendre position pour l’avenir sans proposer de programme précis. Fondée à Beyrouth en 1975, l’Armée Secrète pour la Libération de l’Arménie (ASALA) s’était fixé comme objectif d’obliger le gouvernement d’Ankara à reconnaître le génocide de 1915. Elle commit, jusqu’à son  démantèlement en 1984, plusieurs dizaines d’actions violentes en Turquie et dans d’autres pays européens (Trente-cinq attentats furent perpétrés par cette organisation en France). Des sectes ont affirmé vouloir purifier ce monde corrompu par le matérialisme, voient partout des ennemis à vaincre, promettent le bonheur éternel à leurs membres et annoncent la  fin du  monde prochaine.Les attentats de la secte Aum au Japon  ou  celui  d’Oklahoma en  1995 relevaient ouvertement du terrorisme eschatologique. Certains de ces groupes retournent la violence contre leurs membres et préconisent le suicide collectif. Ce fut le cas du Temple du Soleil en Guyane.

D- Terrorisme nationaliste

Les terrorismes nationalistes ou séparatistes ont été très nombreux au cours de l’histoire et souventpuissants parce qu’ayant une assise populaire relativement large. Ils veulent modifier le statutquo territorial et redessiner les frontières des Etats. Après la première et surtout la deuxième guerre mondiale un puissant mouvement de décolonisation a secoué le monde et provoqué l’effondrement des empires coloniaux. Mais des mouvements nationalistes ont subsisté après la fin de la décolonisation en Espagne avec l’ETA, au Royaume-Uni, principalement en Irlande du Nord avec l’IRA, en Russie (Tchétchénie, Daghestan), et même en Corse avec le FLNC. En dehors d’Europe on doit mentionner le mouvement ouïghour en RPC, le FNLK (mouvement kurde) et bien sûr les organisations palestiniennes. Toutes ces entités fondent leurs revendications sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui est reconnu dans la charte de l’ONU. Mais ils invoquent aussi d’autres arguments tirés de la race, de la culture, de l’histoire et de la religion.

F- Le terrorisme écologique

Situés aux marges de la mouvance écologiste, des individus ou des groupes n’hésitent pas à recourir à des moyens violents pour défendre la nature et les animaux. Ils sont particulièrement nombreux dans les pays du nord et anglo-saxons. Selon le directeur adjoint du FBI, John Lewis, les deux groupes les plus importants, l’Animal Liberation Front (ALF) et l’Earth Liberation Front (ELF), ont commis entre 1990 et 2005, 1200 actes terroristes provoquant 110 millions de dollars de dégâts. Le 6 mai 2002, le leader populiste néerlandais Pim Fortuyn, fut la victime, à Hilversum, d’un éco-terroriste, membre de l’ELF. Plusieurs dizaines d’actions violentes ont été revendiquées par l’ALF en France.

Une dernière remarque doit être formulée. De très nombreux mouvements terroristes sont mixtes et poursuivent des objectifs multiples. Des partis nationalistes comme le Vietminh en Indochine, le Front de Libération de la Palestine de Georges Habache ou les mouvements apparus dans les années soixante dans différents pays d’Afrique Noire, notamment dans les colonies portugaises, se réclamaient d’une idéologie nationaliste mais adhéraient en même temps au credo marxiste. Le Hamas en Palestine ou les Talibans en Afghanistan ont un caractère à la fois politique et religieux.

3) Les trois âges du terrorisme

Je n’ai ni le temps ni les compétences pour retracer l’histoire du terrorisme depuis l’antiquité et je me contenterai d’évoquer l’évolution de ce phénomène depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Je distinguerai à cet égard trois phases.

  • 3.1) Le terrorisme pendant la guerre froide

Pendant la guerre froide, le terrorisme a été employé comme une stratégie de contournement, quand un affrontement direct pouvait être dangereux en raison du système bipolaire et du risque d’escalade nucléaire.Les gouvernements ou du moins certains services gouvernementaux manipulaient les organisations terroristes internationales ou leur donnaient un appui logistique. Comme l’ont révélé les archives de la Stasi, la Bande à Baader et le Mouvement du 21 juillet étaient pilotés par les services de Berlin-Est, Abou Nidal par la Bulgarie, d’autres groupes par la Hongrie ou la Tchécoslovaquie. Les réseaux palestiniens étaient protégés par la Syrie, la Libye et le Soudan qui étaient à l‘époque alliés du camp communiste. Mais des agences occidentales n’étaient pas en reste et appuyaient de leur côté descoteries contrerévolutionnaires. Des attentats contre des personnalités et des intérêts cubains furent l’œuvre d’éléments anticastristes soutenus par la CIA. Les gouvernements avaient en face d’eux des interlocuteurs visibles capables d’exercer une influence sur les groupes terroristes.

Les terroristes se réclamaient d’une idéologie clairement définie (socialisme, marxisme- léninisme, nationalisme) et défendaient un programme politique concret, sinon toujours réaliste. Comme l’écrit Jean-François Gayraud, «  les terroristes tuaient pour des idées (Jean-François Gayraud, « Le Terrorisme », PUF, collection « Que sais-je ? » Paris.)». Ils avaient en outre  une  assise  territoriale  clairement  délimitée  et  s’écartaient  rarement  de  leur  théâtre d’opérations.

Leur modus operandi était connu et leurs actions étaient «signées». L’on savait quel payshébergeait telle ou telle organisation.Les menaces étaient prévisibles,leur origine était identifiée et l’on pouvait tenter d’y parer. En outre, les mouvements terroristes étaient structurés et centralisés. Leurs membres étaient soumis à une discipline de fer et les initiatives individuelles étaient interdites. Ils étaient commandés par des personnalités charismatiques, exerçant une autorité incontestée.

Sur le plan tactique, les terroristes visaient des cibles précises, sélectionnées avec discernement et épargnaient en général les populations civiles. Les seules exceptions notables furent les attentats à la bombe commis contre des ambassades et des installations militaires au Liban dans les années quatre-vingts, qui firent de nombreuses victimes innocentes.

  • 3.2) Le terrorisme après l’effondrement du bloc soviétique

Le terrorisme a changé de nature avec la fin de la guerre froide. Al Qu’Aida, en particulier, a introduit des méthodes radicalement nouvelles et a provoqué une révolution dont l’ampleur peut être comparée à celle de la guerre totale au siècle dernier.

  • Un terrorisme irrationnel, massif, impitoyable

Le terrorisme apparu après 1990 est devenu irrationnel, impitoyable et imprévisible. Les attentats commis par AlQu’Aida au cours de cette période ont entraîné de véritables hécatombes. Le plus célèbre et le plus meurtrier, l’attaque des Twin Towers à New York, a fait 2974 victimes, chiffre supérieur à celui des personnes tuées lors de l’attaque de Pearl Harbour (2043) et un politologue, François Heisbourg, a inventé à ce propos le concept d’ « hyperterrorisme (François Heisbourg, L’hyperterrorisme, Odile Jacob, novembre 2001) ». Les terroristes ont fait encore moins qu’auparavant la distinction entre civils et militaires et ils ont multiplié les attentats aveugles frappant aussi bien des membres des forces de l’ordre que de simples passants.Ils affectionnent les mises en scène macabres et mettent en œuvre des méthodes d’un autre âge (supplices, tortures, décapitations).Appartenant en majorité au sunnisme, ils s’en sont pris avec violence aux membres des autres confessions ainsi qu’aux branches dissidentes de l’Islam (chiites, ismaéliens, ibadites, alaouites).

  • Des acteurs indépendants

Les mouvements terroristes se sont affirmés comme des acteurs indépendants. Sans doute le Hezbollah chiite et le Hamas sont-ils de notoriété publique soutenus par l’Iran et le Syrie. Mais la plupart des organisations clandestines, en particulier AlQu’Aida,échappent à tout contrôle gouvernemental et définissent librement leur ligne stratégique

  • Une vision millénariste

Sur le plan doctrinal, Al  Qu’Aida et  les organisations assimilées  ont une vision millénariste.Elles déplorent la décadence morale, spirituelle et politique de la communauté musulmane, assimilée à la djahilla (Djahilla, ignorance et barbarie existant avant l’hégire).Elles veulent revenir aux temps mythiques de l’hégire, réislamiser la société,imposer la règle de la charia,  récupérer les terres ayant une fois appartenu à l’Islam (Dar al-Islam), y compris l’Andalousie (Al Andalous). Ces entités ne sont pas nationalistes mais ont une conception panislamique et souhaitent restaurer le califat universel, le Khilafah Minhaj Nebuwwah.

  • Des nébuleuses aux contours assez flous et faiblement structurées

Aux organisations fortement structurées du temps de la guerre froide ont succédé des nébuleuses, instables, fluides et aux contours assez flous. Après l’invasion de l’Afghanistan et la chute du régime des Talibans, Al Qu’Aida s’est transformée en une confédération d’entités franchisées, jouissant d’une large autonomie, unies par un lien très lâche à la direction centrale. Les réseaux djihadistes ont des structures opaques et leur organigramme reste mystérieux. De plus en plus fréquemment des attentats sont l’œuvre d’individus isolés ou de groupuscules, sans encadrement organisationnel, ayant eu seulement des contacts épisodiques avec les réseaux djihadistes. Le terrorisme post-guerre froide est « déterritorialisé », mobile, protéiforme. Il ne se concentre plus uniquement dans les villes et s’implante aussi dans les espaces ruraux, notamment dans les zones montagneuses, dans les déserts et  à proximité des frontières ce qui permetaux militants, s’ils sont poursuivis par les forces de répression, de chercher un refuge dans un Etat voisin.

  • L’emploi de techniques modernes et la maîtrise de la communication

Les groupes terroristes ont mis en œuvre des moyens techniques plus perfectionnés. Ils ont acquis notamment une parfaite maîtrise des NTIC.Grâce à une logistique perfectionnée et en utilisant des relais locaux, ils sont capables d’organiser des attentats à plusieurs milliers de kilomètres de leurs bases.

  • La symbiose avec la criminalité organisée

Les mouvements terroristes, qui ne bénéficient plus des soutiens gouvernementaux, ont cherché des ressources de remplacement en se livrant à des activités interlopes et se sont associés aux bandes criminelles. Le MUJAO est fortement impliqué dans les multiples trafics (armes, narcotiques, êtres humains) qui prospèrent en Afrique de l’Ouest.

  • 3.3) L’Etat islamique, une troisième vague de terrorisme

Le mouvement le plus puissant et le plus représentatif de la troisième phase, celle que nous vivons actuellement, est l’Etat Islamique d’Irak et du Levant ou DAESH. Il a emprunté de nombreux traits à Al Qu’Aida mais il s’en différencie sur plusieurs points.

IL comprend  des  effectifs  incomparablement  plus  nombreux.  Il  compte  entre  20.000  et 30.000 (la Cia avance le chiffre de 40.000) membres dont 15.000 combattants. A titre de comparaison, Al Qu’Aida, à l’apogée de sa puissance ne comptait que quelques centaines de partisans. Il intègre une très forte proportion de militants étrangers, notamment d’Européens (on cite le chiffre de 3000). Enfin il est relativement bien structuré grâce notamment à l’encadrement fourni par les anciens officiers du régime de Saddam Hussein qui se sont ralliés à lui.

Ce groupe possède des moyens financiers colossaux et envisage même d’émettre sa propre monnaie. Il tire ses ressources des subsides octroyés par des familles riches d’Arabie Saoudite et du Golfe, du pillage des banques dans les villes qu’il a conquises telles que Mossoul, de l’exploitation des ressources naturelles, notamment du pétrole dans les territoires qu’il contrôle (Selon les experts, l’exploitation des puits de pétrole en Irak et Syrie et la vente du brut en contrebande lui rapporteraient 2 à 3 milliards de dollars.). Des recettes complémentaires proviennent du blanchiment d’argent, du racket, des rançons versées pour la libération des otages (F. Heisbourg évalue à 100 millions de $ le montant total des rançons obtenues par AQMI).

Le nouveau califat de Mossoul a acquis des armements très modernes, très puissants et très performants : artillerie lourde, chars de combat, missiles, instruments de vision et même affirme-t- on, quelquesdrones. Il aacheté des équipements sur les marchés internationaux. Il a récupéré aussi les armes abandonnées par les forces gouvernementales irakiennes en déroute ou provenant du pillage des arsenaux libyens.

Il cherche à s’emparer d’un territoire et à construire un Etat dans le nord-ouest de l’Irak et l’est de la Syrie afin de reconstituer le califat Omeyade. D’autres organisations (AQMI, Boko Haram, les gangs du Sinaï) ont calqué leur stratégie sur Daesh et lui ont fait allégeance.

La région du Pacifique

La région du Pacifique n’est pas un des foyers les plus actifs du terrorisme mais elle n’a pas été épargnée totalement par ce fléau. On peut distinguer deux grandes catégories, les groupes appartenant à la mouvance islamique et les autres organisations.

A- La mouvance islamique

a-Indonésie

Le Jemaah Islamiya a été fondé dans les années 1992-93 par des militants islamiques dont certains avaient suivi un entraînement en Afghanistan.Il avait pour programme d’imposer la loi de la charia et de créer un califat en Asie du Sud-Est.Il a commis plusieurs attentats faisant un nombre élevé de victimes ; ses actions les plus retentissantes ont visé une discothèque à Bali (octobre 2002 et 2005), l’immeuble de la représentation de l’ONU et l’aéroport de Jakarta (Juillet 2003), l’hôtel Mariott (août 2003), l’Ambassade d’Australie (septembre 2004). Il a des ramifications en Malaisie, aux Philippines et Thaïlande. Il a été durement frappé par la répression et semble en perte de vitesse.

Le Gerakkan Aceh Merdeka avait un caractère à la fois nationaliste et religieux. Il visait à reconstituer le sultanat indépendant d’Aceh dans le nord de Sumatra. En 2005, ses dirigeants ont conclu un accord de paix prévoyant l’octroi d’un statut d’autonomie à cette région où la tradition islamique est particulièrement forte et qui est riche en pétrole.

b-Philippines

Fondé en 1969, le Front Moro National de Libération luttait pour obtenir la création d’un Etat indépendant regroupant les îles méridionales des Philippines peuplées de musulmans. Il a conclu en 1996 un accord de paix avec le Président Ramos, prévoyant la mise en place d’une zone jouissant d’une large autonomie. Mais une fraction radicale a fait sécession et fondé le Front Islamique Moro de Libération (MILF). Ce dernier a poursuivi la lutte armée et commis de   nombreux attentats à Manille et en province. Des pourparlers de paix ont été engagés en 2012 et un accord de paix a été signé en avril 2014.

Al Harrakatul, plus connu sous le nom de son chef Abbu Sayyaf, combine des opérations de guérilla et des actes de banditisme. Il s’est fait connaître notamment en enlevant un groupe de touristes et une équipe de télévision française.

c-Thaïlande

Une insurrection a éclaté en 2004 dans trois provinces méridionales de Thaïlande, Pattani, Yala et Naratyvat où 80% de la population est d’ethnie malaise et de confession musulmane. Les insurgés se plaignent de l’abandon et du sous-développement de leur région, de la destruction de leur culture et de l’attribution exclusive des fonctions administratives à des Siamois bouddhistes. Des Rohininghas, membres d’une minorité musulmane de Birmanie persécutée par les bouddhistes, ont pu rejoindre les rebelles de Thaïlande qui ont reçu par ailleurs le soutien duJemaah indonésien Des négociations ont été engagées par le gouvernement de Bangkok avec l’un des principaux partis séparatistes.

On observe un regain d’influence de l’islam radical en Asie du Sud-Est. Ayman al-Zawarhi, le successeur d’Oussama Ben Laden a annoncé en Octobre la création d’un émirat d’Asie du Sud qui inclut la Birmanie. En outre plusieurs groupes de formation récente tels que le Jemaah Anshoru Tauhid et Al- Moujahiroun d’Indonésie ainsi qu’Abbu Sayyaf se sont ralliés à Daesh. Enfin plusieurs centaines de volontaires, originaires de Malaisie, de Singapour, d’Indonésie et des Philippines participent à la guerre sainte en Irak et en Syrie. Cette situation ne manque pas de préoccuper les gouvernements de la région.

d-Chine

Le gouvernement chinois est confronté lui-aussi à la montée de l’islamisme, principalement au Xinjiang. Des activistes ouighours ont organisé des manifestations violentes et attaqué des postes militaires et des commissariats de police, non seulement dans des villes du Xinjiang mais aussi dans d’autres régions de la RPC, notamment à Pékin (attentat de la place Tienanmen en septembre 2013) et à la gare de Kunming (avril 2014). Ces actions ont été imputées par les autorités à l’ETIM (Mouvement Islamique du Turkestan Oriental) et au PIT (Parti Islamique du Turkestan). Ces deux organisations ont leurs bases dans les zones limitrophes de l’Afghanistan et du Pakistan et seraient en relation avec Al Qu’Aida et le MOI (Mouvement Islamique d’Ouzbékistan). Le militantisme islamique trouve un terrain favorable au Xinjiang car les Ouighours critiquent l’afflux des Hans qui accaparent les terres et monopolisent le commerce local, la destruction de leur culture, la politique antireligieuse de Pékin, l’absence de libertés.

d- L’Amérique du Nord, Etats-Unis, Canada

Les Etats-Unis sont par excellence l’ennemi des mouvements djihadistes. Ils incarnent au plus haut point les valeurs occidentales, la démocratie, la civilisation matérialiste, l’individualisme libertaire, la permissivité.Ils symbolisent aussi le capitalisme mercantile, la mondialisation, l’exploitation des peuples du Tiers-Monde.Il leur est reproché enfin leur politique impérialiste, leur présence militaire au Moyen-Orient, l’accaparement des richesses notamment pétrolières de cette région, le soutien apporté à Israël et aux régimes arabes apostats. De nombreux attentats contre les intérêts américains ont été commis depuis vingt ans par des islamistes soit à l’étranger (Aden, Nairobi, Djeddah) soit aux USA. Certains ont été programmés et préparés de l’étranger,d’autres ont été l’œuvre de cellules locales ou de loups solitaires.

Le Canada a subi lui aussi subi les assauts des islamistes. En octobre dernier un ressortissant canadien converti à la religion de Mahomet a fauché un groupe de passants faisant une victime et le Parlement d’Ottawa a été le théâtre d’une fusillade provoquée par un commando islamiste.

B Les terrorismes sans connotation islamique

a-Etats-Unis

Les Etats-Unis ont été troublés à différentes périodes de leur histoire par l’agitation de cellules d’extrême gauche, LesChevaliers du Travail à la fin du XIXème siècle, les anarchistes (affaire Sacco Venzetti) dans les années vingt, les Weathermen qui commirent dans les années 1960 des attentats contre le Sénat et le Pentagone. A l’opposé des gauchistes, on trouve des groupuscules d’extrême droite. Ils sont les héritiers lointains du Klu Klux Klan. Ils défendent les valeurs traditionnelles américaines et adoptent des positions ultra-conservatrices. Ils incitent à la haine contre les immigrés, les noirs, les homosexuels et, d’une manière générale, les membres des minorités ethniques et religieuses. Ils sont hostiles à l’Etat fédéral et veulent réduire les pouvoirs de l’administration. Timothy Mc Veigh, qui appartenait à cette mouvance, a organisé l’attentat d’Oklahoma le 19 avril 1995, qui fit 168 morts.Le 23 août 2008 troisactivistes d’extrêmedroite avaient projeté de tirer sur Barak Obama à Seattle. Des actes de violence peuvent aussi être mis au compte de certaines sectes (la Dravidian Branch, une secte chrétienne fondamentaliste responsable du drame de Waco, le Temple du Soleil).

b-La Colombie

Deux groupes d’extrême gauche sont actifs en Colombie. Les Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARCS) ont été fondées en 1964 par la réunion de ligues paysannes qui entendaient résister aux empiètements des grands propriétaires fonciers. Elles ont adopté un programme se réclamant de l’idéologie marxiste-léniniste mais ont essentiellement une base rurale. A la fin du siècle dernier elles comptaient environs 20.000 combattants dont une forte proportion de femmes. Elles combinaient les activités de guérillas et les actes terroristes, notamment les enlèvements (cas d’Ingrid Betancourt). Elles étaient solidement organisées et disposaient d’un budget considérable. Elles ont été affaiblies par les offensives de l’armée, la désertion de nombreux combattants et la mort de leurs principaux dirigeants. Elles ont engagé des négociations de paix avec le gouvernement de Bogota et un accord a pu être conclu sur plusieurspoints de l’ordre du jour.

L’ELN (Armée de Libération Nationale) est un mouvement castriste fondé en1965. Elle est implantée dans les provinces du nord (Santander) et à la différence des FARCS elle a un recrutement essentiellement urbain. Elle comprend des étudiants, des intellectuels, des syndicalistes et même d’anciens prêtres et séminaristes. Elle n’a jamais compté plus de 3000 combattants. Sa direction a entamé des pourparlers avec le gouvernement de Bogota.

Les groupes d’autodéfense (AUC) ont été créés à la fin de la décennie 1990 avec l’appui du gouvernement et de l’armée. Ils ont combattu avec une relative efficacité les FARCS et l’ELN. Mais ce résultat a été obtenu au prix de nombreuses exactions et violences. Le désarmement des milices et le châtiment des individus coupables de violations des droits de l’homme sont un des chapitres les plus délicats des négociations de paix avec la guérilla marxiste.

En attendant, la guerre civile aura fait 70.000 morts dans l’ancienne Nouvelle Grenade.

  • Le Pérou

Le Sentier Lumineux fondé en 1970 était un mouvement d’inspiration maoïste, implanté principalement dans la région centrale de la Cordillère des Andes, notamment dans la province d’Ayacucho. Il était composé d’intellectuels, d‘enseignants et d’éléments de la petite bourgeoisie provinciale. Il a commis des attentats sanglants, massacrant des villages entiers dont les habitants avaient refusé de collaborer. La Commission Vérité et Réconciliation a évalué à 26.000 le chiffre des personnes tuées pendant la guerre civile au Pérou, dont 54% auraient été les victimes du Sentier lumineux. Ce dernier a été très durement atteint par la répression menée sous la  présidence Fujimori et a été réduit à quelques bandes concentrées dans les confins de l’Amazonie, qui tirent leurs principales ressources de la production et du trafic de la coca.

Le Mouvement Tupac Amaru était un autre groupe marxiste dont le principal fait d’armes fut la prise en otage de 400 personnes à l’ambassade du Japon à Limaen décembre 1997.

h–   Philippines

En dehors des réseaux djihadistes, fort peu d’organisations terroristes existent en Asie Orientale. On peut seulement citer la Nouvelle Armée du Peuple, héritière des Huks, un  parti marxiste qui mena la lutte armée pendant et après la seconde guerre mondiale. La NPA est encore présente dans certains districts de Luzon mais fait assez peu parler d’elle. Le principal danger, aux Philippines comme dans les autres Etats d’Asie orientale et du Sud-Est,  provient de l’Islam radical.

Conclusion

Le terrorisme depuis quinze ans a connu une histoire contrastée, marquée par une alternance de hauts et de bas. En septembre 2001 les attentats des « twin towers » avaient stupéfié le monde et créé une véritable psychose de la terreur. Ensuite Al Qu’Aida avait connu une période de déclin. A cause des pertes et des désertions, ses effectifs avaient été réduits à quelques centaines. La direction avait été désorganisée après l’intervention de l’OTAN en Afghanistan. La mort en mai 2011 d’Oussama Ben Laden l’avait privé d’un chef charismatique. Les autres mouvements terroristes dans le monde étaient affaiblis et certains envisageaient de renoncer à la lutte armée.Les politologues croyaient pouvoir annoncer l’avènement de l’ère post-terroriste. Cette prédiction s’est révélée exagérément optimiste et on a observé depuis deux à trois ans une recrudescence du terrorisme islamique. A la suite d’une offensive éclair, l’Emirat Islamique d’Irak et du Levant est parvenu à contrôler des pans entiers de l’Irak et de la Syrie. Boko Haram a soumis sous son autorité plusieurs Etat du nord-est du Nigéria et parle d’égal à égal avec le gouvernement d’Abuja. Des groupes terroristes ont relevé la tête dans d‘autres régions de ce que les spécialistes dénomment l’arc des crises, qui s’étend de l’Afghanistan à la Mauritanie. Plusieurs raisons expliquent cette situation.

1-Les Etats occidentaux ont commis de graves erreurs. Après 2003, le proconsul américain à Bagdad, Paul Brème, a démantelé l’appareil sécuritaire baasiste et dissous la police et l’armée, ce qui a facilité la tâche des groupes subversifs. Les Etats-Unis et les autres pays membres de l’OTAN ont retiré prématurément leurs troupes déployées en Afghanistan et en Irak. Ils n’ont pas anticipé la montée en puissance de l’EI.

  • Les gouvernements mis en place avec le soutien des occidentaux sont vite devenus impopulai Le Président afghans, Hamid Karzai,a été faible et souvent hésitant. Il s’est révélé incapable de lutter efficacement contre les deux fléaux dont souffre son pays, l’insurrection de Talibans et le trafic d’opium. En outre des membres de son entourage, notamment son frère, étaient notoirementcorrompus. A Bagdad, le premier ministre Al Maliki s’est aliéné par son attitude sectaire la minorité sunnite.
  • Les espoirs placés dans les révolutions arabes ont été déçus. Ces dernières ont débouché soit sur le chaos (Libye, Yémen) soit sur le retour au pouvoir des militaires (Egypte). Le régime de Bechar al Assad en Syrie s’est révélé plus solide que ne le pensaient les oracles et l’opposition démocratique est faible et divisé Seule la Tunisie a réussi à mettre en place un gouvernement démocratique et stable.
  • Al Bagdadi, « le calife Ibrahim », a su rallier à sa cause les baasistes et reconstituer le front de l’opposition. Il a reçu des soutiens financiers de familles riches du Moyen-Orient et du Golfe et même de certains gouvernemen De son côté Bechar al Assad a libéré d’anciens leaders d’Al Qu’Aida détenus afin de semer la zizanie, la fitna au sein du front de ses opposants. Il a réussi au- delà de tout espoir.

Même si elle tarde à se mettre en place, la coalition des puissances occidentales et des Etats arabes modérés devrait pouvoir enrayer la progression d’EI. Elle a une supériorité écrasante dans le domaine des armements et possède la maîtrise du ciel. Ses effectifs sont plus nombreux que ceux de ses adversaires.Les islamistes se rendront inévitablement impopulaires par leurs exactions, leur cruauté, leur intolérance. Ils se heurteront à de fortes résistances dès qu’ils pénètreront dans les aires peuplées de kurdes, de chiites et des autres minorités religieuses ou ethniques. Leurs ressources financières vont sans doute diminuer ; les zones de production pétrolière ont été bombardées et l’extraction du brut est en baisse. On peut augurer que l’EI s’effondrera sous les coups de l’adversaire comme AQMI au Mali. Combien de temps ce processus prendra-t-il ? Cela dépendra de l’importance des moyensmis en oeuvre, de la présence ou non de soldats au sol, de la combattivité des troupes arabes alliées, notamment de l’armée irakienne. Mais l’issue finale du combat ne fait pas de doute.

Ceci dit, tous les problèmes n’auront pas été réglés. Les djounouds d’Irak et de Syrie auront recours à la vieille tactique du terrorisme : formation de petites unités très mobiles, dispersion de forces, taqqiya, c’est dire dissimulation au sein des populations civiles, attaques par surprise. Des groupes terroristes existent dans d’autres districts de l’arc de crises, leur capacité offensive n’a pas été sérieusement entamée et ils continueront de monter des opérations. Enfin les Européens et les Américains du Nord ayant subi un entraînement au djihad représentent un danger potentiel que l’on ne doit pas sous-estimer.

J’avais terminé il y a deux ans le livre que j’avais consacré au terrorisme par cette phrase :

« En toute hypothèse, une chose est certaine ; on entendra parler pendant longtemps si ce n’est toujours du péril terroriste et l’ère de la terreur n’est pas près de se clore ». Je crois que cette conclusion est toujours valable.

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Discussion

Questions (M. Ebodé) : Je veux poser plusieurs questions. Est-ce que nous ne payons pas les conséquences des accords conclus pendant ou au lendemain de la première guerre mondiale qui a vu la désintégration de l’Empire Ottoman. Je pense notamment à l’accord Sykes-Picot de 1916 et la conférence de San Remo de 1922. Par ailleurs l’Assemblée Générale de l’ONU avait proposé en 1947 un partage de la Palestine. Ce projet a été rejeté par Israël. L’échec de ce plan, qui a fait au moins une victime, le comte Bernadotte assassiné le 18 septembre 1948, est peut-être une des causes de l’apparition des mouvements terroristes. Enfin je demanderai ce que compte faire la France ? Va-t-elle reconnaître la Palestine ?

ponse : Les accords Sykes-Picot et les autres arrangements conclus à la même époque ont effectivement une part de responsabilité dans la situation actuelle.  Ils  ont réparti les zones d’influence entre la France et la Grande Bretagne sans tenir compte des réalités géopolitiques, ethniques, religieuses ni de l’histoire des peuples concernés. Ils ont divisé certains groupes ethniques comme les Kurdes entre trois ou quatre Etats. Ils ont créé des Etats artificiels comme l’Irak qui réunit trois groupe distincts, les chiites, les arabes sunnites et les kurdes. Les Alliés avaient fait des promesses qui n’ont pas été tenues. Les Anglais avaient promis à Hussein, cherif de la Mecque, de créer un immense empire qui couvrirait tout la Syrie, la Transjordanie, la Palestine et des districts d’Anatolie (notamment le Sandjak d’Alexandrette). Bien évidemment cette promesse n’a pas été tenue parce que les Français ont voulu avoir le mandat sur la Syrie. Les puissances alliées avaient laissé espérer la création d’un Etat kurde qui n’a jamais vu le jour. Enfin le secrétaire d’Etat au Foreign Office, Lord Balfour, avait promis en 1916 de créer un foyer national juif en Palestine.

Vous dîtes que le rejet du projet de l’ONU de partage de la Palestine est à l’origine de l’apparition du terrorisme au Moyen-Orient. Il faut nuancer car la plupart des pays arabes (sauf la Jordanie) n’avaient pas accepté le plan de l’ONU. Par ailleurs, il faut faire une distinction entre les mouvements terroristes anciens, ceux qui sont apparus au temps de la guerre froide et les djihadistes actuels. Du temps de la guerre froide, le terrorisme qui sévissait au Moyen-Orient était essentiellement un terrorisme arabe. Il avait un caractère nationaliste et était plutôt laïque. Les organisations de cette époque,dont certaines étaient d’obédience marxiste, voulaient avant tout détruire Israël et libérer les territoires occupés. Le nouveau terrorisme, celui qui est apparu après 1990, est d’essence religieuse. Il comprend des éléments qui ne sont pas tous arabes : afghans, pakistanais, populations africaines originaires du Sahel. La libération de la Palestine est un de leurs buts de guerre mais n’est pas le seul. Les nouveaux djihadistes veulent combattre l’occident, ses valeurs, ce qu’il représente : la modernité, l’individualisme libertaire, un ordre séculier, la démocratie libérale. Ils veulent revenir aux temps mythiques de l’hégire, réislamiser la société, imposer la règle de la charia. Se réclamant ouvertement d’une idéologie panislamique, ils souhaitent récupérer les terres ayant dans le passé appartenu à l’Islam (Dar al-Islam), y compris l’Andalousie (Al Andalous) et restaurer le califat universel, le Khilafah Minhaj Nebuwwah.

La position de la France ? L’Assemblée Nationale et le Sénat, ont reconnu la Palestine mais leur vote n’a pas de portée juridique. J’ignore ce que compte faire le gouvernement français. Je note simplement que la Palestine peut très difficilement être admise à l’ONU. Cette dernière réunit des Etats souverains. Or la Palestine, actuellement, ne répond pas aux critères permettant de reconnaitre un Etat ; un Etat est caractérisé par des frontières clairement délimitées, reconnues par la communauté internationale et à l’intérieur desquelles une autorité politique exerce un pouvoir souverain. Ce n’est pas le cas actuellement de la Palestine qui reste une entité au statut mal défini et dont les limites actuelles ne sont pas considérées comme définitives.

Question (l’ambassadeur Dorin) : J’ai remarqué à la télévision que Daech arborait un drapeau noir avec l’insigne tiré de profession de foi ou shahada « Allah Akbar ». Or c’était l’étendard du califat abbasside. Il y avait trois couleurs dans l’Islam : le califat omeyade utilisait le couleur blanche, les Abbassides arboraient le noir et plus tard le califat chiite fatimide du Caire avait choisi le rouge. Les trois couleurs se retrouvent sur le drapeau des arabes. Donc le chef de Daesch, Boubaker al- Bagdadi, se considère comme le successeur des califes de Bagdad, le successeur d’Haroun al- Rachid. Il ne reconnait pas des frontières au sens du droit international et dans sa conception de la politique internationale, l’empire s’étend ou se rétracte en fonction des avancées ou des reculs de l’Islam.

Réponse : J’ignorais que le noir était la couleur des califes de Bagdad.  Ceci dit, je partage entièrement votre point de vue. Les dirigeants de Daesch ne sont pas véritablement des nationalistes, ils ne veulent pas constituer un Etat ; ils sont animés par une idéologie pan-islamique et veulent restituer un califat recouvrant l’ensemble du « croissant fertile « c’est à dire la Syrie, l’Irak et peut-être d’autres pays comme le Liban. Cette façon de voir les rapproche du Baas et on comprend que des officiers proches de Saddam Hussein aient rejoint les rangs de Daech. Créé dans les années cinquante par deux politiciens syriens, Akram el-Aurani et Salah Bitar, le Baas avait un caractère supranational ; son véritable nom était « Parti Socialiste de la Renaissance Arabe ». Son objectif était l’unification du monde arabe et il avait créé des branches en Syrie, en Irak et dans d’autres pays, notamment au Liban. A cause de rivalités personnelles entre ses chefs, le Baas s’est scindé en deux entités ennemies, le commandement de Damas et celui de Bagdad. Mais l’idéologie était de constituer un califat laïc.

Question (ambassadeur Lucet) : L’on explique le développement du terrorisme par la volonté de laver les humiliations subies par les peuples musulmans. Mais ce phénomène est aussi une réponse à la crise de l’Islam. Ce dernier est confronté à des défis. Il est soumis à l’analyse critique et historique. Il doit faire face à la revendication de l’émancipation de la femme. Il y a dans l’Islam traditionnel un volet de répression sexuelle qui est remis en cause par l’évolution des mœurs et des idées. Enfin l’Islam sunnite se heurte à la concurrence du chiisme qui est soutenu par l’Iran.En réaction à la politique nationaliste des mollahs, le gouvernement de Ryad cherche à construire un bloc coranique sunnite au sud. Ainsi l’Islam est divisé entre des factions rivales, ce que l’on appelle la fitna, et traverse une crise de confiance ; il ne croit plus en lui-même.

Question (Hubert Martin) : Pouvez vous développer ce que vous avez dit au sujet du narco- terrorisme en Amérique du Sud.

Réponse : Les mouvementd subversifs étaient fortement soutenus par les régimes communistes, surtout par Cuba. Mais cette assistance a cessé avec l’effondrement du bloc soviétique et même La Havane a cessé d’intervenir activement. Les guerilleros ont cherché des ressources de substitution et se sont lancés à corps perdu dans le trafic de drogue. Ils ne produisent pas eux-mêmes ou du moins ils le font rarement mais ils organisent le trafic et prélèvent une taxe aux différentes étapes de la production   et de la transformation. Daniel Pecaut, citant une source gouvernementale, écrit que 50% des ressources des FARCS provenaient, au cours des dernières années, du trafic de la coca. Le commerce de ce narcotique est aussi la principale activité sinon la seule des dernières bandes du Sentier Lumineux subsistant au Pérou.

Question (M. Ebodé) :Vous n’avez pas parlé du terrorisme en mer ?

Réponse : Le terrorisme en mer n’a jamais revêtu une grande ampleur. Il y eut quelques actions en Méditerranée pendant la guerre froide, dont la plus célèbre fut le détournement de l’Achille Lauro par l’OLP. Plus tard Al Qu’Aida a organisé des attaques contre des navires américains dans le port d’Aden (1999). Enfin le groupe Abbu Sayaff pratique la piraterie dans les archipels méridionaux des Philippines , une région où la piraterie est une activité traditionnelle. Mais c’est à peu près tout ce que l’on peut dire. On n’a pas la preuve d’un lien existant entre les Schahabs et les groupes de pirates existant dans le Nord de la Somalie, le Puntland.

Question (ambassadeur Heikinheimo) : Quelle attitude adopter vis-à-vis des individus ayant rejoint les rangs des djihadistes ?

Réponse : Vous posez une question trés difficile. Il faut surtout essayer de freiner le mouvement qui pousse des jeunes à aller combattre en Syrie et en Irak. Le gouvernement français a pris des dispositions dans ce sens : priver de passeport les candidats au départ, sanctionner l’appartenance à des mouvements terroristes, établir un numéro d’appel (numéro vert) à la disposition de familles. La France souhaite renforcer la coopération au sein du groupe de Schengen et améliorer l’échange des renseignements entre les services compétents. Mais le problème est rendu compliqué par la porosité des frontières et la difficulté de percer à l’avance les intentions des personnes voyageant à l’étranger.