Le Canal du Nicaragua, projet XXL ou escroquerie ?

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 « Promis par le président Daniel ORTEGA, qui brigue un quatrième mandat le 6 novembre, cet ouvrage devant relier le Pacifique à l’Atlantique est dans les limbes. Le concessionnaire hongkongais HKND n’a quasiment rien fait depuis deux ans ».

En 2013, la concession a été attribuée à l’entreprise HKND (Nicaragua Canal Development Investment) appartenant à un milliardaire chinois Wang Jing. Le projet évalué à 50 milliards de $ (environ 45 milliards d’€, soit 4 fois le PIB nicaraguayen) devrait couvrir 278 km de long (3 fois plus que celui de Panama) et avoir 27 à 30 m de profondeur (2 fois plus que celui de Panama). Il devrait mesurer entre 320 et 520 mètres de large. Une dizaine de sous-projets sont prévus : un aéroport, deux ports en eau profonde, des routes, viaducs, un lac de 395 km2, des usines de ciment et d’acier, une zone commerciale de 35 km2, 4 complexes touristiques. « Les travaux débuteront comme prévu fin 2016 …ils ont juste pris un peu de retard… ».

Les écluses prévues de 83 m de large (28 m de plus que celles de Panama) permettront le passage de super-cargos transportant entre 15 000 et 25 000 conteneurs EVP (« équivalent vingt pieds »). Ces « post-post-panamax » ne peuvent pas passer par Panama (depuis son élargissement en juin dernier, il n’est accessible qu’aux bateaux chargés de moins de 13 000 conteneurs EVP).

La concession est prévue pour 50 ans, renouvelable une fois. HKND devrait employer 25 000 travailleurs pour la construction, 200 000 pour son fonctionnement. Selon le Président Ortega, l’ouvrage devrait doubler le PIB du pays (12 milliards de $ en 2015) et éradiquer la pauvreté qui touche 4 habitants sur 10.

« 70% des Nicaraguayens approuvent le projet » selon M. Coronel, Président de l’autorité du Grand Canal ; cependant 81 manifestations de populations locales ont été organisées contre les mesures d’expropriation (rachat des terres au prix cadastral, soit 5% de leur valeur) et la catastrophe écologique annoncée. De plus, le projet ne semble pas économiquement viable selon Manuel Ortega HEGG, Président de l’Académie des Sciences du Nicaragua (ACN) : le canal devrait coûter le double des 50 milliards annoncés, ce qui remet en cause sa rentabilité ; l’ouverture permanente de la route de l’Arctique du fait du réchauffement climatique rendra le canal obsolète. M. Coronel a fait faire une étude sur la rationalité économique par le Cabinet McKinsey qui « doit être réajustée aux conclusions de celle de l’impact écologique » …. La crédibilité de Wang Jing est aussi en question : où sont les autres investisseurs ? Le gouvernement chinois ne semble pas impliqué.

L’absence de transparence fait supposer que « le canal pourrait n’être qu’un leurre pour construire les projets annexes, ports, hôtels, zone franche …. La concession a été attribuée sans appel d’offres, HKND peut disposer de terrains à bas prix et revendre les projets à sa guise. En retour, HKND versera 10 millions de $ par an pendant 10 ans et 1% des actions du canal par an jusqu’à atteindre 100% dans 100 ans. « Des conditions tellement défavorables pour le pays qu’elles laissent soupçonner une opération de corruption », selon Jimena Reyes, de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme qui a présenté le 14 octobre un rapport demandant l’annulation de la concession.

04/11 – Frédéric Saliba –  Le Monde (extraits)