Le dalaï-lama en France : une visite politiquement encombrante

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Le Dalaï-lama en visite à Paris, le 13 septembre 2016. Photo Marc Chaumeil pour Libération

Personnage adulé en Occident, le chef spirituel des Tibétains, est en visite à Paris et à Strasbourg, un déplacement cantonné au spirituel et boudé par les autorités françaises. Pourtant la question de sa succession, l’une des clés de l’avenir du Tibet, se pose avec acuité.

Le dalaï-lama en France : une visite politiquement encombrante

«Sa sainteté» : l’entourage français du dalaï-lama a pris l’habitude de parler de lui en utilisant cette appellation. Cela surprend un peu. On a plutôt l’habitude d’entendre les catholiques s’adresser de cette manière à leur pape. Mais la comparaison s’arrête là. Si François à Rome est le chef spirituel de plus d’un milliard de fidèles à travers le monde, le dalaï-lama, en visite cette semaine en France, «règne» sur une petite dizaine de millions de Tibétains, à peine 5% des bouddhistes de la planète. Malgré son audience et le capital de sympathie dont il dispose, le dalaï-lama n’est pas, contrairement à une idée répandue en Occident, le «pape du bouddhisme». «Cela agace d’ailleurs pas mal les bouddhistes des autres courants que l’on fasse cette comparaison», explique Dominique Trotignon, directeur de l’Institut d’études bouddhiques de Paris.

«Une visite pastorale»

Cela n’ôte rien au charisme et à l’aura du personnage, de son vrai nom Tenzin Gyatso, âgé de 81 ans, reconnu officiellement quand il avait cinq ans comme la réincarnation de son prédécesseur, chef spirituel des Bonnets jaunes (l’un des cinq courants du bouddhisme tibétain) et chef temporel du Tibet (l’une des dernières théocraties du monde), formé à Lhassa avant de fuir, en 1959, l’occupation chinoise et d’installer son gouvernement en exil à Dharasamla en Inde. «Le dalaï-lama a une très forte cote depuis qu’il a reçu le prix Nobel de la Paix en 1989 pour sa résistance non violente à l’occupation chinoise. Il est très apprécié des Occidentaux pour son message de tolérance et de compassion et chacun de ses déplacements donne lieu à de véritables grandes messes», rappelle l’un de ses meilleurs biographes francophones, Gilles Van Grassdorff. «En fait, le Tibet exerce un attrait et une fascination en Europe depuis le Moyen Age et Marco Polo», complète, de son côté, Dominique Trotignon.

De passage régulièrement en France, le chef spirituel tibétain n’avait cependant pas mis les pieds dans l’Hexagone depuis 2011. De Paris à Strasbourg, son agenda est, de mardi à dimanche, surchargé. Il va rencontrer des avocats (sur l’environnement), des scientifiques à l’université strasbourgeoise (pour débattre notamment des bienfaits médicaux et psychologiques de la méditation), joue mercredi matin à guichets fermés au collège des Bernardins (le centre culturel catholique à Paris) pour une rencontre interreligieuse, donne, samedi, une conférence publique au Zénith de la capitale alsacienne.

Quelques plages de ce précieux temps ont été réservées à la communauté bouddhiste tibétaine. «Le dalaï-lama adapte son discours et ne s’adresse pas de la même manière aux Occidentaux et à ses fidèles», explique Dominique Trotignon. De bouddhisme, il n’est pas véritablement question, selon les spécialistes, dans les interventions du dalaï-lama au grand public. «C’est une visite pastorale, commente-t-on sobrement dans son entourage français. Sa Sainteté répond aux invitations qu’il a reçues.»

Une succession sous pressions

Mais de politique, il ne sera point question. Malgré le sourire qu’il arbore en permanence et sa non violence radicale, Tenzin Gyatso est un personnage éminemment encombrant. Il a pourtant abandonné toute fonction temporelle et confié les rênes du gouvernement à un Premier ministre, sa manière à lui de moderniser la théocratie tibétaine. «Business oblige, les responsables politiques n’ont pas beaucoup de courage», commente Gilles Van Grasdorff. Pour ne pas mécontenter Pékin, aucune rencontre officielle n’est prévue avec les autorités françaises. Aux Bernardins, le chef du bureau des cultes du ministère de l’Intérieur est invité à écouter la conférence interreligieuse du chef des Bonnets jaunes. Mais c’est à peu près tout. Cette prudence française est habituelle même si quelques-uns espèrent encore un geste de dernière minute. Et ce n’est pas l’apanage de la France. Certes, la chancelière allemande Angela Merkel et le président des Etats-Unis ont rencontré l’un et l’autre le dalaï-lama. «Mais c’était à titre privé», rappelle Gilles Van Grasdorff.

De la situation du Tibet et des enjeux politiques, il ne sera donc pas question. Pourtant, la succession du 14e dalaï-lama se pose avec acuité, le chef spirituel tibétain étant atteint d’un cancer. Pour garder la main, les autorités chinoises ont enlevé et fait disparaître, il y a plusieurs années, le Panchen Lama, un personnage qui joue un rôle clé lors de la mort du dalaï-lama et la désignation de son successeur. A ce sujet, Tenzin Gyatso multiplie, lui, les déclarations contradictoires, voire les facéties. Ici ou là, il a dit que sa réincarnation serait une femme ou bien qu’il est lui-même le dernier dalaï-lama… Pékin attend et sait que le temps joue en sa faveur. La Chine compte sur la disparition de Tenzin Gyato pour réduire la résistance tibétaine. Selon Gilles Van Grasdorff, il y aura probablement à l’avenir deux dalaï-lamas, l’un reconnu par les Tibétains et l’autre désigné par le gouvernement chinois.

12/09 – Bernadette Sauvaget – http://www.liberation.fr/france