Les paradoxes de l’Organisation de Coopération de Shanghai.

Après l’implosion de l’URSS et au moment où les Etats en « stan » se sont créés le long ou à proximité de la frontière chinoise (Kirghizistan, Ouzbékistan,Tadjikistan, Turkménistan) le gouvernement chinois a voulu établir rapidement des relations avec ses nouveaux voisins.

Initialement, le groupe de Shanghai se concevait comme l’incarnation de la volonté de la Russie et de la Chine de stabiliser la région centre asiatique post-soviétique, considérée comme un enjeu de sécurité commun et prioritaire. La Russie et la Chine craignaient alors (et craignent d’ailleurs toujours)la contagion à leur territoire des risques et menaces présents dans la région (cette préoccupation était accentuée, à l’époque, par la guerre civile au Tadjikistan, qui n’a pris fin qu’en juin 1997 . Cet accord était un prolongement des négociations sur la frontière sino-soviétique qui, entamées en 1964, n’avaient pas abouti au moment de la disparition de l’URSS.

A partir de 1996 des traités ont constitué le groupe des 5 de Shanghai. L’objectif était d’assurer la sécurité des frontières et par là même de réduire les effectifs militaires mobilisés aux frontières de la Chine. Il s’agissait bien évidemment pour la Chine de veiller à ce que la transition vers l’indépendance de ces Etats ne perturbe pas ses frontières. L’arrivée au pouvoir des Talibans à Kaboul en septembre 1996 a renforcé les craintes sécuritaires des pays de la régionL’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) a vu le jour en 2001, regroupant les quatre Etats en « stan », la Chine et la Russie. Une charte en 2002 a institutionnalisé cette coopération.

Le centre de gravité de cette organisation s’est déplacé au moment où l’Inde et le Pakistan, sont devenus membres en juin 2017.

Grande rivale de la Chine, l’Inde est traditionnellement plus proche de Moscou, tandis que le Pakistan est le plus proche allié de Pékin. Cet élargissement a été poussé par la Russie désireuse de contrebalancer l’influence grandissante de la Chine sur les républiques d’Asie centrale. D’abord réticente à cet élargissement, la Chine y a vu des avantages permettant de faciliter la mise en œuvre du projet OBOR (One Belt One Road) qui doit prendre appui sur le sous-continent indien.

Le premier paradoxe de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS)est de rassembler en son sein deux Etats qui, depuis leur création en 1947, ont été des ennemis.

Lutter contre le terrorisme, améliorer la sécurité, tels sont les objectifs de l’Organisation de Shanghai. Le deuxième paradoxe de l’OCS est d’avoir en son sein un Etat, le Pakistan, où le terrorisme fait des ravages de manière quasi permanente, et où les services de sécurité de l’État (ISIS) jouent un rôle ambigu.

Il est peu vraisemblable que l’OCS devienne une plate-forme de rapprochement indo-pakistanais. « C’est quelque chose dont l’Inde va se méfier, car un dialogue indo-pakistanais sous l’œil attentif de Pékin est la dernière chose dont l’Inde a besoin. Les préoccupations indiennes à l’encontre du terrorisme émanant du Pakistan risquent de ne pas trouver beaucoup d’écho au sein d’un groupement dans lequel la Chine s’empressera de protéger son allié de tout temps [le Pakistan] », écrit dans The Diplomat l’expert indien Harsh Pant, de l’India Institute au King’s College de Londres.

Pourquoi l’Inde a-t-elle voulu se joindre à l’OCS ? Elle souhaite intensifier ses relations avec centrale où se trouvent des réserves pétrolières et gazières. Or, pour l’instant, elle ne peut pas y avoir accès, faute de pouvoir transiter par le Pakistan. New Delhi tente de contourner son voisin en investissant dans la construction d’un port à Chabahar, en Iran. L’accès à l’Asie centrale se ferait donc pour l’Inde par voie maritime, puis terrestre, à partir de l’Iran.

L’Iran, qui a le statut d’observateur, est d’ailleurs candidat pour être membre à part entière de l’OCS; il est poussé par la Russie.

Le dernier sommet de l’OCS qui s’est tenu en juin 2018 à Qingtao en Chine a montré que, dans le contexte de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, l’OCS va au-delà de sa vocation initiale qui est sécuritaire et va tenter d’établir des solidarités économiques pour contrer les initiatives et les sanctions lancées par les Etats-Unis.

Les responsables russes et chinois ne manquent jamais de rappeler que l’OCS, qui rassemble plus de 3 millards d’habitants, est l’une des rares structures internationales asiatiques sans participation américaine. Elle est progressivement devenue l’une des tribunes privilégiées de la Russie et de la Chine pour manifester leurs intérêts politiques communs face à l’hégémonisme des Etats-Unis.

Jean-Christian Cady