Ces risques grandissants qui menacent le « rêve chinois »

Climat économique anxiogène, ambiance politique délétère: pour les investisseurs étrangers, la Chine de l’omnipotent Xi Jinping devient de plus en plus énigmatique. Mais certains y croient encore.

Trois ans après son arrivée à Zhongnanhai, le dernier empereur rouge du globe reste une énigme. Chantre d’un « rêve chinois » censé marquer l’ouverture économique et la « renaissance » de son pays, Xi Jinping paraît incapable de maîtriser cette mutation. Le président chinois a beau promettre des lendemains meilleurs et l’accès imminent à une « société de moyenne prospérité » – comme il l’a répété lors de son discours du 5 mars devant l’Assemblée nationale populaire -, les résultats se font attendre. Hausse du chômage, risque de bulle immobilière, surcapacité industrielle, fuite des capitaux : tous les voyants sont au rouge. « On sent une tension chez Xi Jinping, confirme Mark Williams, analyste Chine au cabinet londonien Capital Economics. Il doit à la fois lâcher du lest en desserrant son contrôle sur l’économie et satisfaire les caciques du PCC qui sont dans une posture beaucoup plus conservatrice. »

Reste pourtant l’essentiel : une croissance annuelle enviable, certes au plus bas depuis vingt-cinq ans, dont le cap est fixé à 6,5 % par le nouveau plan quinquennal 2016- 2020. Dans le détail, le secteur des services (soit 45 % du PIB du pays) affiche « un rebond de 7 % en 2015, celui de la construction se redresse avec un investissement en augmentation de 15 % sur un an et le secteur automobile reprend des couleurs », détaille Mark Williams. Le problème vient du reste de l’industrie, en déflation, du fait notamment de l’augmentation des coûts salariaux unitaires, alors que les prix du secteur, en raison des surcapacités, ont diminué d’environ 7 % en 2015. Et la Bourse de Shanghai ne cesse de dévisser après avoir enregistré en janvier sa pire performance depuis 2008 avec une chute sur un mois de plus de… 22 %.

Facteurs de paralysie

Sans prendre encore complètement l’eau, le paquebot Chine vacille et entre dans une zone à risques. Difficile en effet de comprendre la ligne de ce président omnipotent que l’on dit volontiers libéral, mais qui tarde à reformer un secteur industriel toujours trusté par les grandes entreprises d’Etat. Or, pour nombre d’observateurs, la seule façon d’offrir un rebond à l’industrie chinoise est justement de fermer ces mastodontes, devenus pour la plupart des machines à perdre du cash.

Parallèlement, autre facteur d’inquiétude et de paralysie, la lutte anticorruption, lancée par Xi Jinping lui-même, redouble d’intensité. Près de 30 000 responsables politiques et d’entreprise ont ainsi été visés en 2015 par des enquêtes, contre 24 000 l’année précédente. Une vaste purge qui vise de plus en plus de chefs d’entreprise ayant construit leur carrière grâce à de puissants appuis politiques fidèles à l’ancien président Hu Jintao. A l’instar de Chang Xiaobing – ex-boss de China Unicom et de China Telecom – tombé fin décembre pour corruption. Celui qui fut aussi membre de la commission centrale de discipline, sorte de «supergendarme» du Parti communiste et de ses 88 millions d’adhérents, est désormais sur la touche. De même pour Zhang Yun, feu président et secrétaire adjoint du PCC au sein de la Banque agricole de Chine, fauché lui aussi mi-2015 par une enquête.

Business model en transition

Pour les investisseurs étrangers, la Chine de Xi Jinping devient de plus en plus énigmatique. Et risquée. Quand Guo Guangchang, président du conglomérat Fosun (propriétaire du Club Med) a disparu  quatre  jours,  Henri  Giscard  d’Estaing,  qui  dirige  le  Club  Med,  a  dû  se  fendre  d’un communiqué indiquant qu’« en l’absence de toute information précise », la vie des affaires continuait « normalement » (sic). A la mi-mai, l’un des actionnaires chinois de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, Mike Poon, s’est volatilisé, avant d’écrire en septembre à sa présidente, Anne-Marie Idrac, qu’il démissionnait. Il n’a jamais refait surface. En novembre, c’est Zhu Fushou, directeur général du groupe automobile Dongfeng, le partenaire de Renault et de Peugeot, qui est « soupçonné de graves violations de la discipline », c’est-à-dire de corruption. « Il n’est toujours pas réapparu ! » s’étonnait en janvier Louis Gallois, le président du conseil de surveillance de PSA, dont Dongfeng détient 14 % du capital.

Dans ce climat de chasse aux ripoux, la liste est longue des tycoons qui disparaissent du jour au lendemain. Yim Fung, directeur exécutif du géant Guotai Junan Securities, est resté invisible pendant un mois, gardé au secret dans le cadre d’une enquête visant son prédécesseur Yao Gang. Ainsi va la vie pour les grands patrons chinois, nouvelles brebis galeuses du système. « Les chefs d’entreprise de la nouvelle économie, secteur encouragé par le régime, sont épargnés », nuance le politologue Xu Tiebing, de l’Université de communication de Chine de Pékin. N’empêche, « tout cela crée un climat anxiogène dans le monde économique, reconnaît-il. On note d’ailleurs une perte d’efficacité de plusieurs grandes entreprises et dans certains services d’Etat dont les équipes sont tétanisées par cette lutte anticorruption. »

Inquiétant ? « La lutte anticorruption a plutôt tendance à simplifier le business, qui redevient normal », relativise Charles-Edouard Bouée, longtemps responsable de l’Asie au sein du groupe de conseil européen Roland Berger, avant d’en devenir le PDG. Pour lui, la corruption est l’un des « produits dérivés » de la folle croissance de ces dernières années, au même titre que la pollution, les inégalités et les mauvaises pratiques de business. Il est donc plutôt sain de s’y attaquer. Sauf que cela fait déjà trois ans que ça dure…

Faut-il se replier ? Très investi en Chine, le président de Michelin, Jean-Dominique Senard, considère que la campagne anticorruption est l’une des causes du ralentissement : dans les entreprises comme dans la sphère politique, les décisionnaires seraient tétanisés par la peur : « Les décisions ne se prennent plus. »

Ce n’est pas la seule cause de l’immobilisme. « Les lois chinoises sont souvent contradictoires, constate Julian Seydoux, un entrepreneur français qui a créé en Chine la société VAI Milano pour y produire… des glaces italiennes. Pour qu’un projet avance, il faut que quelqu’un prenne un risque.

C’est pour cela que beaucoup ne décident pas. »

Pourtant, la Chine et son immense marché continuent d’être attractifs. D’ailleurs, la directrice générale du FMI Christine Lagarde relativise les dangers : « Nous ne croyons pas à un atterrissage brutal de la Chine. Le pays est en train d’opérer une transition de son business model, et d’imposer une nouvelle approche de la gouvernance. Combien de pays rêveraient d’avoir 6 % de croissance ? » Car, comme le précise Charles-Edouard Bouée, « nous avons aujourd’hui une Chine à plusieurs vitesses. On y trouve des secteurs en surcapacité, comme l’automobile, l’acier ou l’immobilier, dont certains acteurs sont devenus des entreprises ―zombie‖, et un secteur de la consommation hyperconcurrentiel, en croissance de 13 à 15 %, dans lequel se constituent des groupes extrêmement puissants. Parallèlement, une nouvelle économie est en train d’émerger, dans le numérique ou la génomique, avec des acteurs très en pointe ». De ce fait, certaines régions chinoises sont tombées en récession, d’autres croissent à plus de 10 %.

Conquête de l’Europe

Et puis cette Chine qui semble minée de l’intérieur continue de s’affirmer en puissance conquérante en redéployant ses capitaux à travers le monde. L’Europe est sa nouvelle cible et, pour la première fois en 2015, ses investissements y ont été plus élevés qu’aux Etats-Unis, selon une étude Baker & McKenzie du 14 mars. Comme naguère en Afrique, Pékin tente de s’y rendre indispensable en séduisant les pays de l’Est avec l’organisation de « sommets » et des projets ambitieux tels que l’autoroute Belgrade- Budapest. « Les Chinois raisonnent en termes de décennies », conclut Philippe Le Corre, consultant à la Brookings Institution de Washington.

20/03 – Anne-Marie Rocco – http://www.challenges.fr