Le sommet entre les Etats Unis et la Corée du nord à Singapour suscite des interrogations.

Accepté par le président Trump contre l’avis d’une majorité de ses conseillers, annoncé depuis plusieurs mois, puis annulé à l’initiative du président américain, puis rétabli, le sommet entre le président américain et le dictateur nord coréen a finalement lieu à Singapour le 12 juin 2018. Il s’est caractérisé par :
– une mise en scène spectaculaire
– un manque de substance décevant
– une source d’inquiétudes chez les alliés asiatiques des Etats-Unis.

1. Une mise en scène spectaculaire.

Ceux qui, il y a quelques mois, s’insultaient, se traitant « d’homme-fusée » et de « vieux fou » se sont donc rencontrés le 12 juin à Singapour à grand renfort de sourires, de poignées de main et de déclarations chaleureuses. Le président Trump et le dictateur Nord-Coréen Kim Jong-un sont entrés dans les livres d’histoire à Singapour, le mardi 12 juin, comme étant les deux premiers dirigeants de leurs pays à s’être rencontrés en personne. La signature du document a été réglée comme un ballet. Mais au delà de la forme et des photos, le contenu de cet accord reste faible et insatisfaisant.

2. Un manque de substance décevant.

A l’issue de cette réunion, MM. Trump et Kim ont signé un document commun dont le texte est le suivant :

« Convaincus que l’établissement de nouvelles relations entre les Etats-Unis et la République Populaire Démocratique de Corée va contribuer à la paix et la prospérité dans la péninsule coréenne et dans le monde, et reconnaissant que la construction d’une confiance mutuelle peut promouvoir la dénucléarisation de la péninsule coréenne, le président Trump et le président Kim affirment ce qui suit :

1. Les Etats-Unis et la RPDC s’engagent à établir de nouvelles relations conformément à la volonté de paix et de prospérité des peuples des deux pays.
2. Les Etats-Unis et la RPDC associeront leurs efforts pour bâtir un régime de paix durable et stable dans la péninsule coréenne.
3. Réaffirmant la déclaration de Panmunjom du 27 avril 2018, la RPDC s’engage à travailler à une complète dénucléarisation de la péninsule coréenne.
4. Les Etats-Unis et la RPDC s’engagent à restituer les restes des prisonniers de guerre et des portés disparus au combat, avec un rapatriement immédiat de ceux déjà identifiés. »

Il est évident que s’il y a si peu de détails dans ce document, c’est que les deux parties n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Il n’y a rien sur le démantèlement des missiles nord coréens et des armes nucléaires. Rien sur les visites d’inspection du site de Yonbon par l’agence internationale de l’énergie atomique. Il n’y a rien non plus sur la prolongation du moratoire des essais nucléaires que la Corée du nord observe actuellement. Le président Trump n’a pas obtenu davantage que le père et le grand-père de Kim n’avaient accordé à ses prédécesseurs.

Même s’il présente le résultat de cette rencontre comme un triomphe, le président américain n’en ressort qu’avec la perspective vague d’une dénucléarisation totale, déjà promise à plusieurs reprises par Pyongyang depuis vingt-cinq ans. En 1994, la Corée du nord avait promis à l’administration Clinton d’arrêter la production de plutonium. En 2005, sous l’administration Bush, la Corée du nord s’était engagée à abandonner toutes les armes nucléaires et tous les programmes de développement des armes nucléaires. Elle avait promis alors de revenir rapidement au traité de non prolifération des armes nucléaires sous la vérification de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique. Aucune de ces promesses n’a été tenue. En ira-t-il différemment de l’accord de Singapour en l’absence de calendrier et de mesures concrètes, significatives et vérifiables de démantèlement du dispositif nucléaire nord-coréen, comme le prévoyaient les exigences américaines initiales et les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU ?
De son côté, sans avoir consulté ses alliés, ni ses conseillers, Donald Trump a fait une concession majeure en annonçant qu’il renonce aux exercices militaires américano-sud coréens qualifiés de « coûteux et provocateurs ». Et pourtant, le 11 juin, veille de la rencontre, le secrétaire à la défense John Mattis avait déclaré que les exercices militaires prévus pour août, étaient maintenus et ne faisaient pas partie des points figurant dans l’agenda de la négociation.

L’un des risques de la négociation est que, voyant que les Etats-Unis considèrent cet accord comme un immense progrès, la Chine relâche davantage la mise en œuvre des sanctions de l’ONU et facilite le commerce entre la Corée du nord et son territoire, ce qu’elle a commencé à faire ces derniers mois.

Certes le président américain peut plaider que les années d’isolement n’ont pas fait céder Pyongyang. La « patience stratégique » prônée par Barack Obama aura été synonyme de pourrissement et de menace supplémentaire sur la sécurité américaine puisque l’héritier de la dynastie des Kim a pu mener à son terme le programme nucléaire que lui avait légué son père. Quant à l’option des frappes préventives avancée par certains conseillers de Trump, elle relève de la folie pure face à la puissance nucléaire de la Corée du nord pour laquelle non seulement la Corée du sud serait une cible facile mais aussi pour laquelle les Etats-Unis continentaux ne sont plus hors de portée.

La négociation est donc la seule option. Il est certain que cette rencontre va dans le sens de la réduction des tensions dans cette partie du monde, même si les concessions paraissent être à sens unique et que la Corée du nord en tire l’essentiel du bénéfice. Elle n’est plus un Etat paria. Son président, qui a vu à deux reprises le président chinois ces derniers mois, dialogue d’égal à égal avec le président des Etats-Unis.

Le Président Trump est aussi l’un des bénéficiaires. Il a remporté un succès médiatique. Même si son électorat s’intéresse peu aux affaires internationales, le sommet de Singapour constitue un avantage au moment où se profilent les élections de mi-mandat. Il peut aussi faire valoir que ce document constitue un cadre général et que des discussions à haut niveau vont maintenant se poursuivre entre les deux pays. Mais il est douteux que des progrès significatifs en résultent. C’est ce qui inquiète les alliés asiatiques des Etats-Unis.

3. Une source d’inquiétude pour les alliés asiatiques des Etats-Unis.
A beaucoup d’égards la Corée du sud à tout lieu d’être satisfaite. Dans la foulée des Jeux Olympiques d’hiver qui furent un succès, c’est elle qui a initié la rencontre et a transmis l’invitation de la Corée du nord à cette rencontre. C’est elle qui sera la première bénéficiaire de la détente. Le président de la Corée du sud Moon Jae-in a exprimé sa satisfaction. Mais l’annulation des exercices militaires américano-sud coréens a été décidée unilatéralement par le président Trump, sans consultation de son allié, qui a peu apprécié cette décision. Les tombereaux de compliments déversés par Donald Trump à Kim Jong-un, louant notamment sa fiabilité (« trustworthiness ») sont particulièrement indigestes pour les Sud-Coréens qui s’interrogent sur le jugement et la fiabilité des Etats-Unis.

Mais c’est au Japon que les interrogations sont les plus pressantes et les inquiétudes les plus grandes. L’éventualité de réduire à terme la présence militaire américaine en Extrême-Orient et en particulier au Japon passe mal. Aux yeux des Japonais le parapluie américain qui, depuis le début de la guerre de Corée a protégé le Japon, semble maintenant avoir des trous. Cela n’a pas empêché le premier ministre Shinzo Abe, qui a rencontré Donald Trump la veille de la réunion avec le dictateur nord coréen, de féliciter le président américain et de se réjouir qu’il ait mentionné la nécessité de rendre au Japon les citoyens japonais qui ont été enlevés par les Nord Coréens dans les années 70 et 80, sujet qui est devenu une priorité dans la politique japonaise.

La réunion le 14 juin entre Mike Pompeo, le secrétaire d’État américain avec les ministres des affaires étrangères du Japon et de Corée du sud avait pour objet de rassurer ces deux alliés des Etats-Unis.

La Chine ne peut que se réjouir de cet accord. C’est ce que M. Wang Yi, ministre des affaires étrangères chinois a déclaré, saluant cette rencontre comme un pas positif et significatif. Et la Chine ne peut qu’applaudir au projet de réduction des troupes américaines en Extrême-Orient.

L’inconnue reste donc sur ce qu’apporteront les rencontres à haut niveau USA- Corée du Nord, dont le principe a été décidé. Se tiendront-elles ? Comment se dérouleront-elles lorsque les négociateurs quitteront le domaine des généralités pour entrer dans celui de la substance ? Il est vraisemblable qu’elles prendront du temps, un temps long peut-être, à l’instar des négociations sur le désarmement SALT (Strategic Arms Limitation Treaty) qui, commencées en 1972, se sont étalées sur plusieurs dizaines d’années.

Jean-Christian Cady