L’élection du nouveau président du Mexique change-t-elle la donne ?

Conformément aux prévisions des sondages, M. Andrès Manuel Lopez Obrador a été élu le 1er juillet 2018 président du Mexique. Ce leader au populisme charismatique, âgé de 64 ans, surnommé Amlo par ses électeurs, qui s’était présenté deux fois sans succès à la présidence et avait été maire de Mexico, a obtenu 53 % des voix, avec une forte participation des électeurs. Sa coalition Juntos haremos historia (ensemble nous allons faire l’histoire) qui comprend trois partis : le Mouvement de régénération nationale (MORENA), le Parti du Travail (PT) et le Parti du Combat Social , a aussi la majorité aux deux chambres du congrès.
Le président mexicain est élu au scrutin à un tour pour un mandat de 6 ans non renouvelable. En plus du mandat présidentiel, les 89 millions d’électeurs mexicains renouvelaient les deux chambres du congrès, soit 500 députés élus pour 3 ans et 128 sénateurs élus pour 6 ans.

Les sièges de 8 gouverneurs d’états (sur les 32 que compte le Mexique) étaient également soumis à renouvellement. 5 des 8 sièges en compétition ont été emportés par la coalition du président. De plus elle obtient le siège de maire de la capitale, avec Mme Claudia Sheinbaum, une scientifique âgée de 56 ans, membre du parti de gauche Morena d’Andrès Manuel Lopez Obrador. Elle devient la première femme à occuper ce poste. Elle met ainsi un terme à vingt ans de domination du Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche) dans la mégapole mexicaine qui compte 20 millions d’habitants.

La victoire de M. Lopez Obrador et de la coalition qu’il conduit est donc indiscutable. L’autorité dont il disposera sera la plus forte qu’un président mexicain ait jamais eue depuis 1990. Mais, lorsqu’il prendra ses fonctions le 1er décembre prochain, que fera-t-il de cette victoire ?

Sur le plan économique, le nouveau président a promis de ne pas augmenter les impôts, tout en déclarant qu’il allait geler les prix à la consommation du pétrole et de l’électricité. Il a l’intention de subventionner l’agriculture, et d’augmenter les bourses d’études et les retraites. Si tout ce programme se réalise, le déficit qui en résulterait serait l’équivalent de 5,5 points de produit intérieur brut, selon certain économistes. M. Lopez Obrador déclare que la lutte contre la corruption dégagera les marges budgétaires nécessaires, ce qui est très loin d’être réaliste.

Les maux du Mexique sont bien connus. Ce sont la pauvreté, la violence, la corruption et l’impunité.

Le prochain président devra faire face à une situation économique déprimée. Les réformes structurelles engagées au début du sextennat de Pena Nieto, qui avaient été saluées par le FMI et l’OCDE, n’ont pas eu les effets escomptés. Les investissements se font attendre et la croissance est molle. Les inégalités sociales ont augmenté: 53 millions de Mexicains vivent dans la pauvreté, contre 49 millions en 2008. Les menaces de Donald Trump sur le traité de libre-échange, dit TLC, entre les États-Unis, le Canada et le Mexique risquent d’avoir un impact négatif direct sur un tiers du PIB mexicain. Or 80 % des exportations mexicaines sont en direction des Etats-Unis.

En matière de corruption, selon Transparency international, le Mexique est classé en 135ème position sur 180 pays, le pire classement des pays du G20 et de l’OCDE. Le président Enrique Pena Nieto lui-même a été rattrapé par une affaire de luxueuse maison achetée par sa femme à l’un des principaux entrepreneurs travaillant pour l’État mexicain. 17 anciens gouverneurs sont poursuivis ou emprisonnés pour des détournements de fonds publics. La plupart avaient été élus sous l’étiquette du PRI. Le scandale Odebrecht, du nom de la société de BTP brésilienne, n’a pas épargné le Mexique. Le responsable de la campagne présidentielle de Enrique Pena Nieto, Emilio Lozoya, est accusé d’avoir touché 10 millions de dollars de l’entreprise brésilienne. Les autorités fiscales estiment à 6500 le nombre d’entreprises écran ou fantôme dont l’activité aurait représenté en 2017 5% du PIB du pays. Quant à l’enquête mexicaine sur les pots-de-vin distribués par le géant brésilien du BTP Odebrecht, elle piétine.

 Le troisième défi qui se présentera au nouveau chef de l’État mexicain est la violence. Le septennat de Enrique Pena Nieto a été le pire qu’a connu le Mexique en matière de sécurité avec 29 000 homicides en 2017. Depuis septembre 2017, 122 hommes politiques dont 46 candidats à une élection ont été assassinés. La lutte contre les cartels de la drogue, lancée fin 2006 par M. Calderon alors président et poursuivie par son successeur M. Peña Nieto, n’a pas été une réussite. L’offensive (50 000 militaires déployés) a fragmenté les mafias en gangs rivaux et ultra-violents, qui mettent le pays à feu et à sang. Bilan : plus de 200 000 morts et 30 000 disparus en douze ans. La campagne électorale qui vient de se terminer a elle-même été marquée par des violences : on compté 200 assassinats.

Enfin, le nouveau président devra répondre au défi migratoire et aux menaces de Donald Trump de construire un mur entre les deux pays et prétendant le faire payer par le Mexique. Le Mexique est le pays de passage des migrants latino-américains, générant une économie parallèle très lucrative pour les bandes mafieuses.

Sur tous ces sujets, la politique de M. Lopez Obrador doit être précisée. Peut-être mettra-t-il à profit la très longue – et même trop longue – transition de cinq mois entre la fin du mandat de son prédécesseur et le début du sien ?

Si la politique intérieure du nouveau président n’est pas clairement définie, il en est de même pour sa politique étrangère.

Même si la politique du président sortant M. Enrique Pena Nieto peut être critiquée, dans deux dossiers de politique étrangère, il a joué un rôle essentiel.

Le premier est le Groupe de Lima, un groupe créé en août 2017 qui regroupe 17 pays d’Amérique du nord (à l’exception des Etats-Unis) et du Sud (à l’exception de la Bolivie et de l’Equateur) qui veulent aider à restaurer la démocratie au Vénézuela. Le tour que le nouveau président mexicain donnera à cette initiative sera révélateur. Il est possible que, dans le Groupe de Lima, le Mexique devienne moins interventionniste, étant très soucieux de la non-ingérence dans les politiques menées par des Etats souverains. Les félicitations chaleureuses que M. Nicola Maduro, le président du Vénézuéla a adressées à M. Lopez Obrador pour son élection, montrent les espoirs qu’il porte dans le nouveau président mexicain.

Le second domaine où le président sortant a été très actif est l’Alliance pour le Pacifique qui comprend le Mexique, le Chili, la Colombie et le Pérou qui veut promouvoir le libre-échange et des pratiques économiques libérales.

Les accords commerciaux au sein de l’Amérique latine sont nombreux. Le Mexique est membre de 33 de ces accords, chacun d’eux ayant ses règles propres. Il vaudrait sans doute mieux qu’il n’y en ait qu’un seul puisque, selon une étude faite par IDB (Inter American Development Bank), 80 % du commerce à l’intérieur de l’Amérique Latine se fait déjà sans droits de douane. L’Alliance pour le Pacifique et Mercosur ont déjà des entretiens informels sur l’harmonisation de leurs règles.

A ce sujet la position de M. Lopez Obrador doit être mieux définie puisque d’un côté il a fait quelques déclarations protectionnistes disant qu’il faudrait que le Mexique produise les produits alimentaires qu’il consomme et d’un autre il s’est déclaré en faveur d’une diversification et d’une spécialisation et d’une complémentarité des productions par pays.

Il est certain en tous cas que le nouveau président mexicain dispose d’un créneau dont il pourrait profiter pendant que l’Amérique de Trump se tourne vers le protectionisme et au moment où l’Union européenne est engluée dans ses problèmes internes liés à l’immigration et au Brexit. C’est vers l’Asie qui offre les meilleures perspectives de progression que le Mexique pourrait se tourner ainsi que vers l’Amérique du sud.

Mais c’est bien évidemment dans le nouveau tour qu’il veut donner dans ses relations avec les Etats-Unis que le nouveau président mexicain est le plus attendu. Dans la campagne M. Lopez Obrador ne s’est pas privé de critiquer la politique américaine d’immigration, déclarant notamment que le Mexique cesserait sous son mandat de « faire le sale travail » pour les Etats-Unis en retenant sur son territoire les immigrants d’Amérique centrale qui veulent entrer aux Etats-Unis. Selon les chiffres de du ministère mexicain de l’intérieur, l’an dernier le Mexique a retenu plus de 80 000 immigrans d’Amérique centrale et en a renvoyé 78 000 vers leur pays d’origine.

Le président américain vient d’inclure le Mexique dans la liste des pays soumis à des droits de douane sur l’acier et l’aluminium. Le Mexique, qui est le troisième partenaire commercial des Etats-Unis, a répliqué en taxant les exportations américaines de porc, de fromage, de pommes et de bourbon, exportations qui représentent 3 milliards de dollars.

Selon la chambre américaine de commerce, plus de 1,7 million d’emplois aux Etats-Unis dépendent du commerce avec le Mexique par l’intermédiaire du NAFTA (North American Free Trade Agreement) qui fait actuellement l’objet d’une renégociation.

Dans un discours de campagne M. Lopez Obrador déclarait : « Ce n’est pas en construisant des murs ou en utilisant la force que les problèmes sociaux et de sécurité sont réglés. C’est avec le développement économique et une meilleure qualité de vie. »
Le nouveau président du Mexique réussira-t-il là où nombre de ses prédécesseurs ont échoué ?

Jean-Christian Cady