Vers un retour des traités internationaux avec le président Biden ?
Parmi les legs empoisonnés de la présidence Trump se trouvait la quasi disparition des derniers instruments de maîtrise des armements et de la conflictualité. Depuis le Traité de Non-Prolifération de 1968 et la « grande stratégie » de Nixon et Kissinger, en effet, des accords bilatéraux globaux avaient été négociés. Ils couvrent les théâtres classiquement dénommés « Atlantique » mais aussi « Pacifique » entre lesquels les arsenaux (par exemple les flottes de sous-marins nucléaires) sont partagés.
Reprenons en l’histoire :
– « Strategic Arms Limitation Talks », dit SALT-1, fut négocié entre 1969 et 1972 et signé le 26 mai 1972 à Moscou par le président Nixon et le secrétaire général du PCUS Brejnev. Sa conclusion fut certainement précipitée par la visite de Nixon à Beijing du 21 au 28 février qui a fait redouter à Brejnev une alliance américano-chinoise contre l’URSS. Les accords comportent un volet sur la limitation des systèmes de défense stratégique, que les Russes considèrent comme intégré à SALT, alors que les Américains le considèrent comme le « Traité ABM », indépendant de SALT-1[1]. Ce dernier vise la non-augmentation des arsenaux au lieu de la poursuite d’une course aux armements, en gelant comme plafonds les arsenaux de missiles intercontinentaux terrestres et sous-marins de l’époque[2]. Signé pour cinq ans (venant donc à échéance en 1977) il fut prolongé par un consentement mutuel non formalisé pendant la poursuite des conférences.
– « Strategic Arms Limitation Talks II », dit SALT-2 fut signé par le président Carter et le président du Présidium du Soviet Suprême Brejnev à Vienne le 18 juin 1979. Il apportait un plafond catégoriel spécifique impliquant la destruction de l’arsenal excédentaire. Le Sénat américain repoussa toutefois la ratification et la refusa complètement après l’invasion de l’Afghanistan le 27 décembre de cette année.
– « Intermediate-range Nuclear Forces treaty » ou INF signé par le président Reagan et le secrétaire général du PCUS Gorbatchev le 8 décembre 1987 à Washington et ratifié les 27 et 28 mai 1988 pour une entrée en vigueur le 1er juin. Arrivé au pouvoir en 1985, Gorbatchev avait été ébranlé par la catastrophe de Tchernobyl et les pertes militaires d’Afghanistan dont il retira ses troupes après sa déclaration du 15 mai 1988. L’INF interdit tous les missiles américains et soviétiques, de croisière aussi bien que balistiques et quelles que soient leurs charges, lancés depuis le sol et ayant une portée se situant entre 500 et 5 500 km. C’est le premier traité qui interdit une catégorie d’armement, en prévoit la destruction et qui introduit des méthodes de contrôle intrusives acceptées. Ce traité est aussi exceptionnel en ce que ses obligations ont été réalisées des deux côtés bien avant fin de la période négociée pour l’exécution.
– « Treaty on Conventional Armed Forces in Europe » ou CFE fut signé à Paris par les 34 participants de l’OTAN et du Pacte de Varsovie, le 19 novembre 1990, en pleine période d’attente avant soit le retrait de Saddam Hussein soit le déclenchement d’une offensive alliée pour libérer le Koweit. Il fixe des plafonds d’armements conventionnels et marque la fin de la Guerre froide par une importante destruction d’armements… les plus anciens. Malheureusement, d’une part tous les pays n’ont pas ratifié le traité signé et, d’autre part, l’entrée dans l’OTAN d’anciens pays du Pacte de Varsovie a complètement bouleversé la situation géopolitique et militaire. La Russie a donc demandé un moratoire, entré en vigueur le 12 décembre 2007 donc avant l’attaque des troupes russes d’Ossétie du Sud par la Géorgie le 8 août 2008. Après divers accords correcteurs, la Russie a mis un terme à sa participation au CFE par la déclaration de 10 mars 2015, un an après sa récupération de la Crimée et un mois après les accords dits « Minsk-II ».
– « STrategic Arms Reduction Treaty » ou START-1, signé le 31 juillet 1991 par les présidents Bush (père) et Gorbatchev. Il est probable qu’il ait irrité les dirigeants soviétiques les moins ouverts à la démocratisation et ait ainsi précipité le putsch du 27 août dont l’échec hâta la disparition de l’URSS. Il prévoyait une réduction progressive en trois phases des arsenaux de lanceurs terrestres (ICBM), sous-marins (SLBM) et aériens (bombardiers) à un total de 2100 au 5 décembre 1997, 1900 deux ans plus tard et enfin 1600, dont seulement 154 ICBM lourds (SS-18 Satan), fin 2001. Les deux parties ont annoncé à cette date avoir satisfait ces obligations, la Russie ayant repris seule l’héritage nucléaire de l’URSS éclatée, et ses obligations. Les pourparlers se sont poursuivis.
– Après l’échec du putsch, le président Bush (père) offrit unilatéralement à ce qui était l’URSS pour quelques mois encore la renonciation des Etats-Unis à certains types d’armes (sur bateaux). Gorbatchev répondit à ce geste par un engagement équivalent, pas plus formalisé en traité.
– « STrategic Arms Reduction Treaty II » ou START-2, fut signé le 3 janvier 1993 par le président Bush (père), alors sur le départ, et Boris Eltsine, président de la nouvelle Fédération de Russie. Le traité fut ratifié très tardivement en 1996 par le Congrès américain et seulement en 2000 par la Douma. Il prévoyait une réduction du nombre des têtes nucléaires à près de la moitié seulement, dans la fourchette 3500-3000. Cependant, après les attentats du 11 septembre 2001, le président Bush (fils) annonça le retrait des Etats-Unis de l’accord ABM – que les Russes considèrent partie intégrante de SALT, traité qui fait partie du préambule de START.
– « Strategic Offensive Reduction Treaty ou SORT est une conséquence de cette annonce et de la rencontre à Washington le 13 novembre 2001 des présidents Bush (fils) et Poutine. Ce dernier conservait encore l’espoir d’une acceptation de la Russie par le monde occidental, et avait été le premier à annoncer l’aide de son pays après le 11 septembre. Reconnaissant le délabrement de la Russie après l’accaparement de ses moyens de production par les oligarques, il était prêt à réduire le nombre de têtes aux alentours de 2000. Le traité fut signé à Moscou le 24 mai 2002 par Bush (fils) et Poutine, ratifié par le Sénat le 6 mars 2003 et par la Douma le 14 mai pour une entrée en vigueur au 1er juin. En conservant le plafond de 1600 lanceurs de START-1, le traité ajoute la limitation du nombre des têtes à 1700 – 2200.
– « New START », enfin, a été signé à Prague le 8 avril 2010 par les présidents Obama et Medvedev et est entré en vigueur le 5 février 2011, après les ratifications, pour une durée de 10 ans. Il remplace START-1 (expiré) et SORT (qui serait expiré en 2012). Il limite à 700 le nombre de lanceurs stratégiques déployés et à 1550 le nombre de têtes déployées.
A la fin du mandat Trump, c’est donc ce dernier traité, à quelques jours de son échéance, qui constituait le seul et unique instrument de limitation des armements ! En effet, non seulement son renouvellement n’avait pas été organisé[3], mais encore Trump avait-il mis fin à l’accord INF[4]. Heureusement, les présidents Biden et Poutine étant tous deux désireux de recréer un accord, ont décidé de le renouveler pour cinq ans (durée maximale prévue dans l’article XIV) – sans d’ailleurs que la presse n’ait daigné en faire de gros titres.
Le traité de Non-Prolifération, entré en vigueur en 1970 pour une durée de 25 ans, prévoit des Conférences d’examen de l’observation du traité tous les 5 ans. Cette disposition n’a pas été supprimée par la conférence de 1995 qui a voté sa reconduction pour une durée illimitée, enregistrée par la résolution 984 de l’ONU du 11 avril 1995. Celle de 2020 a été repoussée en raison du Covid, mais doit se tenir avant le 10 avril 2021. Alors que de nombreux pays s’insurgent contre le privilège des cinq Etats dotés d’armes nucléaires (les EDAN : Etats-Unis, Russie reprenant le rôle de l’ex-URSS, Royaume-Uni, France et Chine) et contre la lenteur de la dénucléarisation (alors que le nombre des armes des 5 EDAN a été grossièrement divisé par 10 !, la Chine seule n’ayant pas diminué son arsenal[5]), il est certain que la non-reconduction de New START, le seul traité bilatéral de limitation stratégique en vigueur, aurait donné lieu à des récriminations justifiées. N’oublions pas que le Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires, ou TIAN, a été signé par suffisamment de pays, 50 en octobre 2020, pour qu’il soit entré en vigueur le 22 janvier 2021. Seuls ont signé des pays non dotés d’armes nucléaires qui s’étaient donc déjà engagés à ne pas en posséder, le nouveau traité n’apportant donc rien qu’une satisfaction morale aux opposants.
La prochaine étape nécessaire serait de revenir à un accord sur les forces conventionnelles en Europe, doté d’instruments de vérification et accompagné d’un retour à « Ciel ouvert », afin de faire cesser la psychose d’une invasion qui hante certains pays de l’OTAN, en particulier les pays baltes et la Pologne. La situation n’est plus celle de 1990, ni même celle d’avant le 18 mars 2014[6]. Il est urgent qu’elle devienne une situation apaisée et puisse servir de modèle à un accord correspondant pour la zone asiatique.
Denis LAMBERT
[1] Le point de vue américain se trouve rappelé sur le site de la Federation of American Scientists : https://fas.org/nuke/control/salt1/intro.htm
[2] Maxima établis sans tenir compte des armes des bombardiers ni des missiles de croisière.
[3] Il avait toutefois été discuté depuis les deux dernières années avec des négociations ouvertes à Vienne en juin 2020.
[4] Bien qu’il appartienne à un autre registre, le Traité « Ciel ouvert » ou « Open Skies » signé le 24 mars 1992 à Helsinki mais entré en vigueur 10 ans plus tard seulement du fait de la frilosité initiale russe, est une mesure de confiance qui constitue aussi un instrument de paix internationale. Or Trump met fin à cet instrument important de vérification par le retrait des Etats-Unis du 21 mai 2020 suivi de celui, conditionnel, de la Russie le 15 janvier 2021. Poutine ouvre en effet la porte à une prolongation du traité, chaque retrait n’entrant en vigueur que six mois après son annonce, si les Américains décident de réintégrer ce traité avant la fin du préavis russe.
[5] Il est difficile d’évaluer les arsenaux des pays non-participants au TNP : Inde, Pakistan et Israël. La Corée du Nord prétend s’être retirée du Traité, mais selon des modalités non conformes au traité (question du préavis que la Corée prétend avoir pratiqué en 1994 alors qu’elle s’est retirée sans préavis le 10 janvier 2003 sur l’accusation de mener un programme clandestin). Quant à l’Iran, il reste légèrement en deçà du seuil nucléaire.
[6] Reconnaissance par la Fédération de Russie du référendum de Crimée et du rattachement de celle-ci sous forme d’une république et de la ville fédérale de Sébastopol rattachées à la Fédération de Russie.