Incidents aériens dans les mers entourant la Chine

Source : http://www.opex360.com/

Les relations du Canada avec la Chine se sont détériorées lors de l’arrestation le 1er décembre 2018 de Meng Wangzhou, directrice financière de Huawei (fondée par son père Ren Zhengfei) et vice présidente du conseil d’administration. La Chine a arrêté sur son sol deux citoyens canadiens, Michael Kovrig, ex-diplomate employé par une ONG, et Michael Sparov, consultant d’affaires, sous une accusation d’espionnage, tout en prétendant que les deux affaires n’étaient pas liées[1]. Mme Meng était accusée par les Etats-Unis d’avoir monté un réseau de contournement des sanctions – américaines – contre l’Iran par la création de sociétés écrans[2]. Remise en liberté sous caution, elle a été retenue au Canada sous la menace d’une demande d’extradition par les Etats-Unis jusqu’à sa signature d’un accord avec le Department of Justice en septembre 2021. Les deux Canadiens ont alors été libérés.

Entre temps, les frictions étaient allées jusqu’au survol offensif (car à très basse altitude : 30 m au dessus de l’eau, sans tir) de deux navires canadiens, la frégate HMCS Regina et le transport MV Asterix en Mer de Chine méridionale par une patrouille de chasseurs chinois Su-30 en juin 2019. Un hélicoptère CH-148 Cyclone aurait été victime d’une tentative d’éblouissement par laser depuis un « bateau de pêche » chinois, et un avion de patrouille maritime CP-140 a été frôlé par des chasseurs chinois alors qu’il surveillait le trafic maritime pour faire respecter les embargos officiels contre la Corée du Nord[3]. Mais ces incidents s’étaient produits pendant la rétention de Mme Meng, et le Canada et la Chine semblaient s’être rapprochés ces dernières semaines.

En raison de la crainte d’un nouvel essai nucléaire prochain par la Corée du Nord, des appareils canadiens sont déployés au Japon. Leurs patrouilles, au dessus de l’espace maritime international, sont donc menées en application des sanctions décidées au CS de l’ONU. Les appareils ont été victimes d’approches à très courte distance (« permettant de voir l’équipage ») par des chasseurs chinois qui leur ont coupé la route[4]. Ces conduites sont formellement interdites par les normes internationales de sécurité : aucun accident n’a eu lieu, grâce aux manœuvres d’évitement, mais il n’est jamais exclu. L’affaire rappelle la collision entre un avion de patrouille EP-3 de l’US-Navy et un chasseur J-8 de la marine chinoise le 1er avril 2001 au large de l’île d’Hainan, qui avait constitué le plus gros incident diplomatique de l’époque[5].

De son côté, l’Australie accuse aussi la Chine de manœuvres encore pires, le 26 mai 2022 : un chasseur chinois aurait approché un appareil de surveillance P-8 et lui aurait coupé la route à courte distance tout en dispersant des leurres-paillettes en aluminium, susceptibles d’endommager les réacteurs[6] et de faire plonger l’appareil dans les eaux de la Mer de Chine méridionale que revendique la Chine au mépris de la Convention sur le Droit de la Mer (3 mars 1986 et rectifications du 26 juillet 1993)[7] et du jugement de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye (12 juillet 2016)[8], sur plainte des Philippines. Après le tir de huit missiles de courte portée par Pyongyang le 5 juin, la surveillance s’est intensifiée avec des patrouilles conjointes de F-35 sud-coréens et de F-16 américains, alors que le sous-secrétaire d’État Wendy Sherman se trouve en visite de trois jours à Séoul. Il a d’ailleurs réitéré l’affirmation que Washington ne nourrit pas d’intentions hostiles contre Pyongyang et que les Etats-Unis restent prêts à engager le dialogue[9].

A l’occasion de l’anniversaire de la victoire de Mao, durant le week-end du 2 au 4 octobre 2021, avait eu lieu la plus vaste incursion d’avions militaires chinois (161 avions de chasse et bombardiers) dans la zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) de Taiwan. Juillet 2021 marquait aussi le centenaire de la fondation du PCC à Shanghai[10]. Alors que les incursions s’étaient montées à 380  pour l’année 2020 toute entière, elles s’élevaient, pour 2021, à environ 600  dès octobre. Leur objectif est de tester les défenses aériennes et les réactions internationales, mais aussi de décourager la population insulaire à se défendre, et d’épuiser le potentiel d’utilisation des F-16 de l’aviation nationaliste (cellules et moteurs) envoyés en interception. Le Global Times (Pékin) les a présentées « non comme un avertissement, mais comme une répétition de prise de contrôle de Taïwan »…. Des rumeurs de réunification par la force[11] avant le XXème Congrès du PC prévu en octobre 2022  circulaient aussi. Le 30 mai 2022, Beijing a effectué une nouvelle incursion dans la zone aérienne de défense de Taïwan (la deuxième plus importante pour 2022 avec 30 avions, contre 39 le 23 janvier, soit 465 intrusions pour ce début d’année), entraînant des décollages d’urgence et le déploiement des systèmes de missiles de défense aérienne. Toute cette activité a déjà été cause de plusieurs accidents mortels d’avions taïwanais[12].

Ces incidents font partie des tactiques d’intimidation et d’agression « en deçà de la ligne rouge » qui appartiennent aux caractéristiques des « guerres hybrides »… mais peuvent dégénérer en guerre ouverte sur un accrochage physique ou une erreur d’interprétation. En 2001, l’émotion populaire chinoise à la mort du pilote du J-8 (auteur de l’accident) avait été très importante, mais la Chine ne pouvait alors se manifester trop brutalement face aux Etats-Unis (qui avaient toutefois dû s’humilier). Qu’en serait-il aujourd’hui, alors que la Chine se sent puissante et sur son (prétendu) terrain ?

Si on ajoute les nombreux incidents maritimes en Mer de Chine méridionale entre bâtiments des flottes occidentales et chinoises, on peut s’inquiéter des possibles « dérapages » à partir de démonstrations de force faisant partie d’un projet véritable ou d’un risque assumé d’incidents armés. Espérons que des questions de politique interne, soulevées en préparation du 20ème congrès de PCC en novembre de cette année[13], n’exacerberont pas les extrémismes nationaux, car il serait très dangereux pour un dirigeant d’apparaître mou ou conciliant.

Denis LAMBERT


[1]     Anne PELOUAS, « Affaire Huawei : le casse-tête chinois de Justin Trudeau », Le Monde, 21 décembre 2018

[2]     https://www.justice.gov/opa/pr/chinese-telecommunications-conglomerate-huawei-and-huawei-cfo-wanzhou-meng-charged-financial

[3]     Murray BREWSTER, « It was the Canadian navy’s closest encounter with Chinese military assets this month”, CBC News, 27 juin 2019, https://www.cbc.ca/news/politics/china-fighters-buzzed-regina-asterix-east-china-sea-1.5193149

[4]     https://www.spacedaily.com/reports/Canada_says_Chinese_jets_put_pilots_at_risk_in_international_airspace_999.html

[5]     https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/04/04/collision-de-l-avion-espion-le-ton-monte-entre-washington-et-pekin_169634_1819218.html

[6]     https://www.spacewar.com/reports/Australia_accuses_China_of_dangerous_interception_over_South_China_Sea_999.html

[7]     https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/convention_overview_convention.htm Convention et état des signatures et ratifications.

[8]     Jane PERLEZ, « Tribunal rejects China’s claims on South China Sea », https://www.nytimes.com/2016/07/13/world/asia/south-china-sea-hague-ruling-philippines.html du 12 juillet 2016.

[9]     https://www.spacewar.com/reports/US_South_Korea_fly_warplanes_after_Norths_missile_tests_999.html du 7 juin 2022.

[10]    Jérémie TAMIATTO, « La naissance du parti communiste chinois : le début de la « Grande Renaissance » ? », https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin1-2011-2-page-81.htm mis en ligne le 20 décembre 2011.

[11]    Jean-Pierre CABESTAN, « Nul ne sait quelle forme prendrait l’engagement américain pour défendre Taïwan », World Policy Conference, https://asialyst.com/fr/2022/05/28/jean-pierre-cabestan-nul-ne-sait-quelle-forme-engagement-americain-defendre-taiwan/ ou  https://www.worldpolicyconference.com/fr/jean-pierre-cabestan-nul-ne-sait-quelle-forme-prendrait-lengagement-americain-pour-defendre-taiwan/ du 28 mai 2022.

[12]    https://www.lesoleil.com/2022/05/31/incursion-de-30-avions-chinois-dans-la-zone-de-defense-aerienne-de-taiwan-6952bc20a9568cb2140fad5efc504ddd du 31 mai 2022. Le Soleil numérique est un magazine canadien.

[13]    Fondation Maison des Sciences de l’Homme, 6 mai 2022, https://www.fmsh.fr/fr/projets-soutenus/pourquoi-le-congres-du-parti-du-pcc-est-il-important-la-politique-de-leadership-de