L’alternance

Les élections de janvier ont porté au pouvoir Madame TSAI Ing-wei, présidente du Parti démocrate progressiste (PDP)

Au cours des 20 dernières années les présidents du Kuomintang (KMT) et du PDP se sont succédé au gouvernement de la République de Chine :

1996 – 2000   LEE Tsing-hui      KMT
2000 – 2008   CHEN Shui-bian   PDP
2008 – 2016   MA Ying-jeou    KMT
2016 –                     TSAI Ing-wei        PDP

Cette alternance perturbe les relations avec la République Populaire de Chine car le KMT reste attaché à la notion d‟une seule Chine, tout refusant une réunion immédiate, alors que le PDP est partisan de l‟indépendance de Taïwan, tout en se refusant de la proclamer immédiatement.

Pendant les périodes où le KMT est au pouvoir les relations entre la Chine et Taïwan s‟améliorent : les investissements de Taïwan en Chine augmentent, les relations aériennes se développent, les touristes affluent, les investissements de la Chine à Taïwan sont facilités.

Mais beaucoup de Taïwanais trouvent que ces liens sont dangereux : les investissements taïwanais en Chine offrent à la Chine un moyen de pression économique, les investissements chinois à Taïwan ne créeront pas d‟emploi si les investisseurs amènent leur personnel du continent.

Pendant les périodes « KMT », les deux parties acceptent qu‟à l‟occasion de compétitions sportives internationales les Taïwanais défilent sous la bannière « CHINE  – TAÏPEI ».

Pendant les périodes « PDP », la Chine installe des missiles pointés vers Taïwan et quelques fois en envoie dans la mer voisine.

L‟arrivée des « indépendantistes »  au pouvoir n‟a pas provoqué de réaction brutale du gouvernement chinois mais elle lui permettra de trouver un dérivatif au malaise économique interne en exaltant le sentiment nationaliste et l‟objectif d‟une Chine unique.

Les élections à Taïwan révèlent un nouvel échec de Pékin

Le 16 janvier, pour la première fois dans l‟histoire du monde chinois, une femme non liée à une dynastie politique a été élue à la présidence de la République, démontrant ainsi la vitalité et la modernité de la démocratie taïwanaise. Mais la victoire massive de Tsai Ing-wen et du Democratic Progressive Party (DPP) s‟inscrit aussi dans une suite d‟échecs de la stratégie extérieure de Pékin.

Le dirigeant chinois Xi Jinping, qui cumule les fonctions de Secrétaire général du Parti Communiste et de Président de la République, est également à la tête de la commission militaire centrale et de multiples groupes de travail créés à son initiative. Depuis sa nomination en 2012, il est décrit comme doté de pouvoirs inégalés depuis Mao Zedong et Deng Xiaoping.

En effet, en politique intérieure, si les résultats économiques sont décevants, il semble, grâce à la campagne de lutte contre la corruption, avoir pu considérablement réduire le poids des clans concurrents, y compris au sein de l‟armée dont la modernisation est une de ses grandes priorités. Sur internet et dans les médias, jusqu‟à Hong Kong qui en théorie jouit pourtant d‟un statut particulier, la reprise en main autoritaire de l‟opinion publique est manifeste, souvent par l‟utilisation de moyens d‟un autre âge, comme les enlèvements de personnalités qui dérangent.

De nombreux échecs pour l’homme fort de Pékin

Mais sur la scène internationale, et particulièrement en Asie, cette stratégie de l‟affirmation de puissance s‟est en réalité traduite par une série d‟échecs majeurs. Quelques semaines après la rencontre très médiatisée entre le président chinois et son « homologue » taïwanais Ma Ying-jeou, le parti de ce dernier a subi une défaite majeure aux élections présidentielles. Bien sûr les enjeux économiques, qui résultent aussi des incertitudes suscitées par une trop grande dépendance à l’égard du marché chinois, ont pesé. Mais au-delà de cette dimension importante, c‟est aussi le malaise suscité par la stratégie agressive de Pékin face aux opposants, y compris à Hong Kong, qui a joué un rôle dans le refus d‟un rapprochement trop étroit avec le régime chinois porté par le Kuomintang, le parti nationaliste chinois à Taïwan.

De même en Asie du Sud-Est, la stratégie d‟affirmation de puissance voulue par Pékin, notamment en mer de Chine, avec la poursuite du bétonnage des micro-îlots occupés par la République Populaire de Chine (RPC) et le rejet de tout arbitrage international, a entraîné un renforcement des coopérations militaires entre les États-Unis, les Philippines, le Vietnam et Singapour et plus généralement un accueil favorable au « retour » de Washington dans la région ; et même à un rôle plus important du Japon en matière de sécurité.

Avec Tokyo, les tensions autour des Senkaku et la multiplication des campagnes antijaponaises dans les médias et sur internet depuis 2012 sont très largement à l‟origine de l‟augmentation, pour la première fois depuis plus de 10 ans, du budget de la défense et des nouvelles lois de sécurité proposées par le gouvernement Abe, qui en la matière a poursuivi les initiatives de ses prédécesseurs.

19/01 – Valérie Niquet – Le Monde.fr