La Birmanie entre dans une nouvelle ère avec son nouveau gouvernement
Le nouveau gouvernement prend ses fonctions ce vendredi 1er avril : un gouvernement véritablement civil, pour la première fois depuis plus de cinquante ans. Et si Aung San Suu Kyi a été empêchée par les militaires de devenir présidente, elle se taille la part du lion dans le nouveau gouvernement avec pas moins de quatre portefeuilles.
La Dame de Rangoon devrait devenir conseillère spéciale de l’Etat, ce qui lui permet de faire la liaison entre le président, le Parlement et le gouvernement – l’équivalent d’un poste de Premier ministre. Mais dans le gouvernement qu’elle a réuni autour d’elle, elle s’est octroyé quatre ministères, et pas les moindres: Affaires étrangères, éducation, électricité, et énergie. Il s’agissait d’abord pour elle de montrer aux militaires, qui ont refusé de modifier la Constitution pour lui permettre de devenir présidente, qu’elle pouvait quand même « exercer des fonctions de responsabilité de premier plan et même les cumuler » explique Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse à l’IFRI.
Mais si elle a pris autant de responsabilités, c’est aussi parce qu’il y a un problème de compétence, d’« insuffisances techniques » : ni Aung San Suu Kyi ni aucun membre de son parti, très présents dans ce nouveau gouvernement, n’ont jamais exercé ce genre de fonctions.
Reconstruire le pays
Le nouveau gouvernement a pourtant intérêt à se montrer performant, car la tâche est énorme après des décennies de règne sans partage des militaires qui ont mis le pays sur les genoux.
Première attente de la population : la libération de tous les prisonniers politiques restants. Ce mouvement a déjà commencé depuis quelques années – un geste de l’ancienne équipe en direction de la communauté internationale pour obtenir la levée des sanctions. Mais il s’agit maintenant de faire table rase du passé : libérer tous ceux encore en prison et en finir avec ces pratiques, c’est-à-dire reconstruire la justice du pays.
Les birmans veulent aussi une amélioration de leurs conditions de vie : 70% des foyers n’ont pas accès à l’électricité, 30% de la population vit encore sous le seuil de pauvreté. Aung San Suu Kyi a donc choisi un économiste, Htin Kyaw, comme président. Il va falloir entre autres gérer la gestion de l’afflux d’investissements étrangers pour diminuer les risques d’accroissement des illégalités.
Les conflits ethniques
Autre gros dossier, peut-être le plus important pour le nouveau gouvernement : celui des conflits ethniques. Il y a 130 minorités en Birmanie, certaines sont depuis des dizaines d’années en lutte armée contre le pouvoir central, parfois entre elles. Car depuis la création du pays les militaires accaparent les fantastiques ressources naturelles birmanes qui sont sur leurs territoires (jades, pierres précieuses). Une piste évoquée mercredi 30 mars par le nouveau président, et dont Aung San Suu Kyi avait déjà parlé : le fédéralisme. Pour Guy Lubeigt, du Centre national de la recherche scientifique, « ça peut être le point fédérateur pour que toutes les nationalités se retrouvent et puissent négocier entre elles ». Ces «nationalités » (les minorités) « veulent une garantie qu’une bonne partie du gâteau leur sera réservée, avec laquelle ils pourront faire le développement qu’ils souhaitent ».
Le système de santé est aussi entièrement à reconstruire : le taux de mortalité est très important dans le pays. L’anthropologue Guy Robinne raconte que les hôpitaux sont vides, et que les médicaments proposés sont des contrefaçons, souvent d’origine chinoise : « on peut mourir d’être allé voir un médecin en Birmanie ou d’avoir consommé le médicament prescrit». Les birmans riches vont eux se faire soigner à Bangkok ou à Singapour. Le gouvernement est parfaitement conscient de cette priorité, souligne Guy Robinne, mais cela va prendre du temps : les structures médicales sont quasiment absentes de Birmanie.
Un gouvernement d’union nationale ?
Pour gérer tous ces dossiers, Aung San Suu Kyi a voulu former un gouvernement d’union nationale –c’est en tous cas ce qu’elle revendique : on y trouve évidemment de nombreux membres de son parti la LND, deux membres de l’ancien parti au pouvoir l’USDP, le vice-président du parti de la minorité Mon, mais aussi trois militaires à qui reviennent de droit la Défense, les frontières et l’Intérieur. Pour Guy Lubeigt, ce dernier portefeuille peut sérieusement poser problème, car le ministère de l’Intérieur, qui compte dans ses rangs un véritable bataillon de militaires, contrôle à partir de la capitale Rangoon toute la vie administrative de la Birmanie.
Pas une décision n’est prise dans un village sans en référer au chef administrateur local, qui dépend directement du ministère de l’Intérieur et donc de l’armée. « Tant qu’il ne peut pas y avoir de réforme constitutionnelle, je vois mal comment la Birmanie pourra arriver à fonctionner et mettre en œuvre sa politique puisque les autres (les militaires) vont systématiquement tout bloquer ». Guy Lubeigt est donc plutôt pessimiste. D’autant que l’armée possède toujours une minorité de blocage au Parlement avec ses 25% de députés nommés. Et le chef des militaires a répété cette semaine que l’armée allait continuer à occuper un rôle de premier plan… Pour mener à bien tous ces grands chantiers, Aung San Suu Kyi sait qu’elle doit continuer à collaborer avec l’armée.
01/04 – Christophe Paget – RFI (extrait)