La tournée asiatique du Président Trump réaffirme les alliances traditionnelles des Etats-Unis.
On pouvait craindre le pire. Après les joutes verbales avec la Corée du nord, Donald Trump allait-il dans sa tournée asiatique, faire des déclarations tonitruantes et fracassantes et multiplier des tweets ravageurs et vengeurs ? Il n’en a rien été. Le Président Trump s’en est tenu au script préparé par ses collaborateurs et son voyage a permis de réaffirmer l’engagement des Etats-Unis vis à vis de ses alliés traditionnels : le Japon, la Corée du sud et les Philippines, tout en confortant la relation établie avec la Chine et en établissant une nouvelle relation avec le Vietnam.
Le Japon.
Le Japon est particulièrement inquiet des initiatives militaires de la Corée du nord. Depuis mars 2017, six missiles nord-coréens de moyenne portée sont tombés dans les eaux japonaises et deux autres ont survolé le Japon avant de poursuivre leur route. C‘est en réponse à cette menace que la solidarité entre les États-Unis et le Japon s’est manifestée par un nouvel exercice militaire commun le 12 novembre. Dans la foulée, la 7ème flotte de la marine américaine a poursuivi ces manœuvres avec un déploiement de force inhabituellement important en engageant 3 porte-avions en mer du Japon, dont un, le USS Ronald Reagan est stationné en temps normal au Japon auprès de la base navale américaine de Yokosuka, à l’entrée de la baie de Tokyo.
Dans le communiqué rendant compte de leurs entretiens, le premier ministre Abe et le président Trump ont confirmé que les deux pays sont « 100 % d’accord sur le problème de la Corée du nord » et que l’engagement des Etats-Unis dans cette région reste le même. Le président Trump a affirmé que le soutien des Etats-Unis au Japon dans le cadre de leur alliance, comprend tous les moyens militaires américains conventionnels et nucléaires.
Les deux leaders ont souhaité renforcer la pression sur la Corée du nord, estimant que le moment du dialogue n’est pas venu tant que la Corée du nord ne s’oriente pas vers la dénucléarisation.
Sur le plan économique, les deux dirigeants ont convenu d’intensifier la coopération dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures. Ils ont signé un partenariat visant à accroître les importations de GNL américain en Asie, à coopérer dans la construction d’infrastructures adaptées au commerce du GNL et de promouvoir la construction de centrales à combustibles fossiles. L’accord de coopération nucléaire qui arrive à son terme en juin 2018 sera renouvelé sans modification. Un mémorandum de coopération a été signé entre l’Agence américaine pour le commerce et le développement et l’Agence japonaise pour les énergies et ressources naturelles (ANRE). Dans le secteur des infrastructures les gouvernements américain et nippon veulent coopérer pour encourager les exportations d’infrastructures destinées à soutenir la croissance économique en Extrême Orient. Ces arrangements illustrent la volonté des Américains de conquérir de nouveaux marchés en Asie pour exporter le gaz de schiste et celle des Japonais de dominer le marché asiatique du GLN. Ils révèlent aussi leur souci commun d’empêcher la Chine d’agrandir son influence dans la zone Asie-Pacifique
La Corée du sud.
Si le président américain se veut proche du Premier ministre japonais Shinzo Abe, ses relations avec le président sud-coréen de centre gauche Moon Jae-In sont moins chaleureuses. Ce dernier, un ancien avocat spécialisé dans les droits de l’Homme, a succédé cette année à la présidente conservatrice destituée, Park Geun-Hye, qui défendait une ligne dure vis-à-vis de Pyongyang.
L’enjeu pour la Corée du sud était d’obtenir des assurances sur la solidité de l’alliance bilatérale et qu’aucune intervention militaire américaine contre la Corée du nord ne se fasse sans le consentement préalable de la Corée du sud dont la capitale est à portée de l’artillerie de Pyong Yang.
Dans un discours chargé de références à la guerre de Corée et aux décennies qui ont suivi, le président américain a mis en avant la solidité des liens entre Washington et Séoul. Rappelant qu’au lendemain du conflit, une grande partie de la ville de Séoul n’était plus que ruines, il a loué la détermination des Sud-coréens, passés d’une « dévastation totale » à « l’une des grandes nations du monde ».
La Chine.
C’était évidemment une étape essentielle de son voyage.
Même si les Etats-Unis et la Chine sont d’accord pour obtenir la dénucléarisation de la Corée du nord, leur méthode n’est pas la même. Alors que Donald Trump déclare que le temps du dialogue est révolu, Xi Jinping pense le contraire.
Cela n’a pas empêché un échange de propos amènes entre les deux dirigeants. La volonté américaine était de toute évidence de faire baisser la tension.
Une série d’accords a été signée en vue de contrats commerciaux d’une valeur totale de 253 milliards de dollars (218 milliards d’euros). Cela recouvre des activités allant de la fourniture de gaz de schiste, à l’échange de pièces détachées automobiles, en passant par l’achat de 300 Boeing pour 37 milliards de dollars (32 milliards d’euros) par la compagnie nationale Air China. Mais de nombreux observateurs font valoir qu’il s’agit seulement de lettres d’intention et que ces contrats n’ont rien de nouveau.
Ce chiffre impressionnant de 253 milliards de dollars est donc à relativiser. Tout d’abord, parce que ces contrats qui étaient en discussion depuis des mois, n’attendaient plus qu’à être dévoilés. Ensuite, car certains d’entre eux ne sont pas contraignants, c’est-à-dire qu’ils ne se réaliseront peut-être jamais. De plus, sur le fond du problème, c’est à dire l’ouverture du marché chinois aux entreprises étrangères, Xi Jinping n’a rien annoncé de concret. Tant que la Chine ne baissera pas ses barrières douanières et n’annoncera pas de changements structurels, la balance commerciale américaine avec ce pays risque de rester encore déficitaire.
A également été décidée une participation de la Chine de 43 milliards de dollars à l’exploration de réserves gazières en Alaska, selon le South China Morning Post.
L’élément le plus important pour la Chine est sans doute que Donald Trump admet implicitement que la Chine a parfaitement le droit de défendre ses propres intérêts. Autrement dit, il a abandonné la posture tenue jusqu’alors par Barack Obama et ses prédécesseurs immédiats qui voulaient que la Chine se soumette à un ordre supérieur pour le bien de tous. La différence est importante. Avec Donald Trump, les Etats-Unis ne se présentent plus comme les ordonnateurs de l’ordre international mais comme un acteur qui a la ferme intention de défendre ses intérêts, une chose que les Chinois comprennent fort bien, puisque c’est la politique qu’ils suivent. C’est là sans doute une victoire diplomatique pour la Chine.
Vietnam.
La visite du président américain au Vietnam était une première. Le retrait des Etats-Unis du traité de libre-échange TransPacifique (TPP) a été un coup dur pour le Vietnam qui devait être l’un des premiers bénéficiaires, les USA étant leur premier client à l’export.
Fidèle à sa doctrine « l’Amérique d’abord », Donald Trump garde pour objectif de réduire le très important déficit commercial des Etats-Unis vis-à-vis du Vietnam, dans un cadre bilatéral qu’il affectionne. Un message bien compris des Vietnamiens, qui tiennent à conserver leur proximité avec l’ancien ennemi américain pour contrebalancer les ambitions chinoises dans la zone. En mai dernier, le Premier ministre vietnamien fut d’ailleurs le premier dirigeant d’Asie du Sud-Est à rencontrer le président américain à Washington.
Pour combler le vide laissé par le retrait des Etats Unis du TPP, Donald Trump a proposé des accords bilatéraux.
Sans Washington, les 11 autres participants du TPP ont continué de négocier plusieurs jours durant à Danang en marge du sommet de l’APEC. Et dans un tweet publié le 11 novembre, le ministre canadien du Commerce a en effet annoncé que les pays concernés avaient effectué « de grands progrès » dans la relance d’un « cadre pour un nouveau partenariat transpacifique complet et progressiste ».
De son côté M Taro Kono, ministre des Affaires Etrangères du Japon, a déclaré que le CPTPP (Comprehensive and Progressive Agreement for Trans-Pacific Partnership) qui est le nom du nouveau traité, conserve « les standards élevés, l’équilibre global et l’intégralité du TPP tout en assurant les intérêts commerciaux de tous les participants ». Il considère que « l’accord doit être le fondement pour construire une plus large zone de libre commerce en Asie-Pacifique » et « contribuer à la paix et à la stabilité dans la région ».
Il convient de rappeler que le TPP avait été signé en 2015, après de difficiles négociations, par 12 pays d’Asie-Pacifique représentant 40 % de l’économie mondiale. Ce projet de traité avait été perçu depuis ses débuts comme un contrepoids possible à l’influence grandissante de la Chine.
L‘un des problèmes des Etats-Unis vis à vis du Vietnam est que, soucieux d’obtenir la bonne volonté de Pékin pour l’aider à mettre un terme à la nucléarisation de la Corée du nord, le gouvernement américain n’a pas agi sur les ambitions de la Chine en Mer de Chine méridionale. C’est un dossier crucial aux yeux du Vietnam qui est d’ailleurs le seul pays à tenter de résister à la volonté hégémonique de Pékin dans cette zone géographique. Et contrairement aux Philippines, le Vietnam maintient la pression.
Les Philippines.
Elles étaient la dernière étape du voyage du Président Trump. Le sommet de l’ASEAN s’y tenait. Cette association, qui vit le jour à Bangkok le 8 août 1967, a maintenant 50 ans. Donald Trump a profité de sa visite pour afficher sa proximité avec le Président Duterte, lui aussi connu pour ses déclarations explosives et marquer sa différence avec Barack Obama qui, insulté par le président philippin, avait rompu toute relation avec lui. Bien entendu Donald Trump et Rodrigo Duterte ont évité d’aborder la question de la lutte contre la drogue aux Philippines qui, selon les sources, a causé la mort de 3000 à 12000 personnes en dehors de toute procédure judiciaire. Le respect des droits de l’homme n’a pas été abordé lors des entretiens de Manille, pas plus qu’il ne l’avait été lors de l’étape chinoise. Bien entendu le communiqué final de l’ASEAN n’en fait pas mention, pas plus qu’il n’évoque le sort des Rohingyas au Myanmar.
Lors de ce sommet, les Etats-Unis et les Philippines ont insisté sur la liberté de navigation et de survol en mer de Chine du sud et souligné l’importance de régler les conflits conformément au droit international et en particulier la convention de l’ONU de 1982 sur le droit de la mer Il est douteux que cette déclaration change quoi que ce soit dans les intentions et les pratiques de la Chine à ce sujet.
Donald Trump présente son voyage en Asie comme une réussite. Et au moins à trois égards c’est exact. Tout d’abord le pire a été évité. Les dérapages verbaux, les improvisations malencontreuses et dévastatrices n’ont pas eu lieu. Il est à noter aussi que la Corée du nord qui est restée remarquablement silencieuse pendant cette période, n’a fait ni tir de missile ni ‘essai nucléaire.
Ensuite parce que, même si les sujet qui fâchent n’ont pas été abordés (droits de l’homme notamment), l’essentiel a été réaffirmé : l’intérêt agissant des Etats-Unis pour la zone Pacifique et leur engagement pour leurs alliés.
Enfin parce que la volonté d’intensifier les relations économiques avec la Chine a été clairement exprimée.
Mais ce voyage met en évidence deux faiblesses dans la politique des Etats-Unis.
La première est la défiance de Donald Trump à l’égard du multilatéral. Son expérience d’homme d’affaires, sa volonté de faire des « deals » lui fait privilégier le contact bilatéral. En se retirant du multilatéral, il laisse le champ libre à la Chine et suscite inévitablement une inquiétude chez ses partenaires.
La seconde est que néo-protectionisme américain (America First) va à l’encontre d’une démarche constamment poursuivie par les Etats-Unis depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Ils ont été le moteur et souvent le principal financeur de la plupart des organisations multilatérales, à commencer par l’ONU. « America First » est-il le début d’un repli sur soi ? Est-il compatible avec « Make America great again » ? Y verra-t-on plus tard l’amorce de la fin du leadership américain ?
Jean-Christian Cady