L’Australie : un nouveau rôle affirmé sur la scène régionale et internationale ?
Depuis 2016, les relations bilatérales entre l’Australie et la Chine se sont peu à peu dégradées en plusieurs étapes : en 2018, l’Australie interdit son réseau 5G au groupe chinois Hua Wei ; en 2020, elle réclame une enquête internationale sur les origines de la pandémie du Covid-19 ; ce qui entraîne des mesures de rétorsion chinoises, principalement économiques. La Chine introduit des barrières douanières sur le charbon et les produits alimentaires australiens exportés en Chine (bœuf, vin…), mais pas sur le fer et le gaz, indispensables à l’économie chinoise.
L’annonce du Pacte AUKUS en septembre 2021 entre les Etats-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni enveniment encore les relations sino-australiennes, la Chine voyant dans cet accord, au-delà de l’acquisition par l’Australie de sous-marins nucléaires, une initiative américaine hostile à son égard, des liens diplomatiques et militaires renforcés contre elle.
Le changement de gouvernement en Australie en mai 2022, avec l’arrivée du travailliste Anthony Albanese, laissait espérer une amélioration des relations bilatérales et un premier signe est apparu en marge du sommet du G 20 à Bali en novembre 2022.
En mars 2023, la Chine rouvre ses ports au charbon australien, puis lève les taxes sur l’orge et les grumes de bois, et envisage de supprimer les droits de douanes de 220% sur les vins australiens dans les mois à venir. Enfin la journaliste sino-australienne Cheng Lei, accusée d’espionnage, est libérée le 11 octobre après 3 ans de prison en Chine[1].
Dernière étape dans ce « réchauffement diplomatique » : pour la première fois depuis 2016, un Premier ministre australien est en visite officielle à Pékin du 4 au 7 novembre, et c’est à l’occasion du cinquantenaire de la première visite d’un Premier ministre australien (Gough Whitlam) en Chine communiste. Anthony Albanese a été reçu par Xi Jinping le 6 novembre, et s’est rendu à Shanghai avec les représentants de 250 entreprises australiennes pour visiter l’exposition commerciale internationale.
Comment interpréter cette évolution ? Le gouvernement australien est prudent, et ne prétend pas à une « normalisation » des relations, mais au moins à une « stabilisation » selon Rory Medcalf, Directeur du National Security College à l’Université nationale d’Australie. Selon Xi Jinping, on peut constater un « effort commun des deux côtés pour résoudre les problèmes » et préserver la stabilité régionale. Les deux parties ont intérêt à rechercher un apaisement, même si persiste une certaine méfiance basée sur des différences de système politique, de valeurs et d’intérêts. « L’Australie cherchera toujours à coopérer avec la Chine où elle le pourra, sera en désaccord où elle le devra, et poursuivra son intérêt national » (Anthony Albanese dans sa conférence de presse le 6 novembre).
Il est essentiel pour l’Australie de renouer des relations avec la Chine, son premier partenaire commercial qui reçoit plus de 25% de ses exportations. Les échanges avec la Chine sont supérieurs à ceux du Japon, de la Corée du sud et des Etats-Unis réunis. En outre, les plus grandes réserves de fer et de charbon étant en Australie, les intérêts sont partagés. S’y ajoutent les besoins en lithium, indispensables pour la fabrication des batteries, et dont la moitié de la production est extraite d’Australie. La Chine est le principal client des exportations australiennes de vin (40% environ). Malgré la levée des taxes, deux ou trois ans seront nécessaires pour écouler les stocks de vin accumulés.
Contribution australienne à l’apaisement avec la Chine : le 20 octobre, l’Australie a renoncé à annuler la concession pour 99 ans de la gestion du port de Darwin, accordée en 2015 à une entreprise chinoise, Landbridge, en dépit de la proximité avec la base militaire sur laquelle s’entrainent 2 500 marines américains aux côtés des soldats australiens.
En revanche, l’Australie a maintenu ses positions sur les dossiers suivants :
- Elle persiste dans l’interdiction de Hua Wei de participer au déploiement de la 5G en Australie,
- Elle n’a pas modifié sa législation sur les interférences étrangères dans les entreprises relevant de la sécurité nationale. Les services Chinois ont été mis en cause par le Chef des services de renseignements australiens sur une « attaque sans précédent sur la propriété intellectuelle » lors d’une rencontre récente des partenaires des « Five Eyes ».
Le gouvernement australien de M. Albanese maintient ses préoccupations sur la tension dans le détroit de Taïwan du fait du comportement de Pékin en mer de Chine méridionale, et sur les atteintes aux droits de l’Homme dans le Xinjiang, au Tibet et à Hong Kong, mais il le fait plus discrètement que le gouvernement Morrison.
Un accord de défense signé avec le Japon s’ajoute aux relations entretenues par l’Australie au sein du QUAD avec l’Inde, le Japon et les Etats-Unis afin de ne pas limiter les échanges au seul sujet de contrer la montée en puissance de la Chine. L’objectif de l’Australie est aussi de réduire l’influence chinoise dans le Pacifique sud[2], notamment en s’y affirmant comme un partenaire possible, et pas seulement comme un allié de la stratégie des Américains en dépit de leur proximité. Et cependant, bien que signé par son prédécesseur, le Pacte AUKUS reste d’actualité pour Anthony Albanese qui s’est déplacé à Washington pour convaincre de l’importance de ce programme, certains membres du Congrès, réticents du fait de l’impact budgétaire sur les besoins de la marine américaine.
L’Australie cherche à s’affirmer comme puissance régionale indépendante, autonome et pas seulement comme une alliée des Etats-Unis. Si l’appartenance à l’anglosphère ne peut être mise en doute, quelles relations l’Australie envisage-t-elle avec l’Europe ? il faudra sans doute distinguer le volet économique et le volet politico-militaire, même si les deux aspects sont liés.
Les discussions sur l’accord de libre-échange entre l’Australie et l’Union européenne, en cours depuis cinq ans, ont été suspendues par l’Australie qui n’envisage pas une reprise des négociations avant 2025 alors qu’elles devaient se conclure en marge de la réunion des ministres du commerce du G7 au Japon (27-29 octobre 2023). L’Europe espérait bénéficier d’un accès facilité aux gisements australiens pour les minerais critiques pour lesquels elle dépend aujourd’hui de la Chine et de la Russie. Selon l’AIE, la demande mondiale de lithium va être multipliée par 42 d’ici à 2040. Or la moitié de ce métal provient actuellement d’Australie. Mais c’est sur les questions agricoles que l’accord a échoué : pour l’Australie l’accès au marché européen de ses produits était un enjeu majeur. Or la France, l’Irlande et la Pologne se sont opposées aux demandes australiennes de quotas d’exportation de viande qui risquaient de mettre en danger leurs productions nationales.
Sur le plan politico-militaire, les Etats membres de l’OTAN « regardent » aujourd’hui au-delà de la zone couverte par le traité de 1949 en s’intéressant à l’Indopacifique où se trouvent quelques-uns de leurs enjeux, notamment pour les trois Etats disposant de marines à visée mondiale (Etats-Unis, Royaume-Uni et France). Déjà invités au sommet de l’OTAN à Madrid en 2022, l’Australie, le Japon, la Nouvelle Zélande et la Corée du sud dans le contexte « d’une compétition systémique… qui porte atteinte à nos intérêts, à notre sécurité et à nos valeurs » selon le communiqué final, en juillet 2023 à Vilnius, les 4 pays sont devenus « partenaires » de l’OTAN.
Comment concilier la défense des intérêts économiques et la protection de la sécurité pour l’Australie ? et distinguer les deux aspects dans sa relation avec l’Europe ? Le pacte Aukus ne concerne-t-il que la zone Pacifique ou Indopacifique, bien que cette alliance implique deux membres de l’OTAN ? et doit-il être entendu de manière isolée, autonome par rapport aux autres membres de l’Alliance atlantique ?
L’annonce sur le site Naval News de la participation prochaine de la France au Pacte Aukus, le premier avril 2023, bien qu’aussitôt démenti, était-il un simple « poisson d’avril » ?
Hélène Mazeran
[1]Yang Hengjun, écrivain sino-australien et militant pro-démocratie est encore détenu en Chine depuis 2019.
[2] Cf les articles parus sur ce site en 2022: « Pénétration insidieuse de la Chine dans le Pacifique : l’exemple des îles Salomon » (30 avril) et « Nouvelle étape de l’expansion chinoise dans le Pacifique ? » (12 juin)