Les nouvelles routes de la soie passent aussi par l’Europe de l’est.
C’est avec une curiosité – peut-être teintée d’une certaine inquiétude – que Bruxelles a observé la réunion tenue à Budapest le 27 novembre entre le premier ministre chinois Li Qe Kiang et les chefs de gouvernement ou les ministres de 16 Etats d’Europe centrale et orientale, dont 11 sont membres de l’Union (Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie) et cinq États candidats à l’entrée dans l’UE (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Monténégro et Serbie).
Cette réunion n’est pas la première. Des réunions analogues avaient eu lieu (Varsovie 2012, Bucarest 2013, Belgrade 2014, Su Zhou 2015, Riga 2016). Mais la réunion de Budapest est la première au cours de laquelle la Chine a annoncé qu’elle allait mettre 3 milliards d’euros pour financer des projets d’investissements dans ces pays (2 milliards dans le cadre d’une association interbancaire et un milliard en fonds d’investissement). Ces investissements ont pour but d’améliorer les communications entre Budapest et le port du Pirée en Grèce, dont la Chine a pris le contrôle en 2016 par le biais de l’entreprise d’État de transport maritime COSCO. Le gouvernement chinois considère donc aujourd’hui Le Pirée comme le principal point d’entrée des exportations chinoises vers le sud, l’est et le centre de l’UE, et comme une plateforme importante du transport maritime en Méditerranée.
Le jour même de la réunion de Budapest, le gouvernement hongrois lançait un appel d’offres pour la modernisation de la voie ferrée Budapest-Belgrade. Le ministre hongrois des Affaires étrangères, a annoncé que le pays comptait investir 1,77 milliard d’euros dans la modernisation des 152 km hongrois du chemin de fer reliant Budapest à Belgrade. Il semble que 86 % de cette somme est couverte par un prêt obtenu par le ministère hongrois de l’Économie auprès de la Banque chinoise d’import-export. Ce prêt courra sur 20 ans, avec un taux d’intérêt de 2,5 %.
Ces investissements chinois s’inscrivent dans la très vaste stratégie du projet de la nouvelle route de la soie, dénommé aussi OBOR (One Belt One Road) mené par la Chine lancé dès 2013. Cette route économique et commerciale, tant terrestre que maritime, vise à donner à la Chine un accès plus facile à ses débouché futurs. OBOR englobe 68 pays d’Asie, d’Afrique et d’Europe représentant 4,4 milliards d’habitants et 40 % du PIB mondial. Ce sont donc des investissements d’infrastructures portuaires, aéroportuaires, routières et ferroviaires qui seront destinés à faciliter l’acheminement et l’accueil des exportations chinoises qui seront financés par ce programme ambitieux.
Bien entendu Pékin s’attend à ce que ces pays choisissent des entreprises chinoises pour financer ces réalisations.
En Europe balkanique le programme est accueilli avec intérêt, voire avec chaleur. Le premier ministre grec Alexis Tsipras, y voit un antidote à la cure d’austérité imposée par l’Union européenne. Les 365 millions d’euros payés par COSCO pour la privatisation et le contrôle du port du Pirée ont été les bienvenus.
Le premier ministre hongrois Victor Orban, dont les relations avec Bruxelles sont tendues, a été heureux non seulement d’accueillir cette réunion, mais aussi que Budapest ait été choisi comme le siège de la structure permanente de la coopération 16+1.
Il se félicite du fait que « le centre de gravité de l’économie mondiale est en train de basculer de l’ouest vers l’est, de l’Atlantique vers le Pacifique. »
Avant de s’en émouvoir il faut redonner à ces investissements leur juste proportion à la fois par rapport aux investissements chinois dans l’ensemble de l’Europe et par rapport aux investissements que l’Union européenne fait dans l’Europe centrale et orientale.
Pour les Chinois, l’Europe de l’ouest est beaucoup plus attractive que l’Europe orientale. Entre 2008 et 2014, parmi les 20 investissements chinois dans des entreprises européennes, un seul a été fait en Europe centrale (une usine chimique en Hongrie). Les investissements les plus importants ont concerné des entreprises au Royaume-Uni, en Italie, au Portugal, en France et en Allemagne. Les investissements chinois en Hongrie sont à la sixième place et le reste de l’Europe centrale et orientale est plus bas sur cette liste.
Le Centre pour les Etudes Stratégiques et Internationales de Washington estime que, depuis 2012, la Chine a dépensé 15 milliards de dollars sur les pays d’Europe centrale et orientale (qu’ils fassent ou non partie de l’UE). Ce chiffre est à comparer aux 86 milliards d’euros qu’un seul pays – la Pologne – a reçu ou doit recevoir entre 2014 et 2020. Ce dernier chiffre ne comprend pas les financements d’origine privée en provenance d’Europe occidentale. Il faut donc être conscient des réalités économiques
La réalité économique pour ces pays est donc évidemment l’Union européenne. C’est aussi la réalité politique. Même si les différends se sont accumulés entre la commission de l’Union européenne et certains de ces pays, en particulier la Hongrie et la Pologne dont les gouvernements populistes refusent la doxa européenne et font bande à part, notamment en matière d’immigration et de politique sociale, l’Union européenne, dont les pays de l’Est ont si fortement désiré devenir membres, représente le présent et une certitude. Les promesses chinoises d’investissement n’ont rien de chimérique. Elles ne sont pas pour autant un substitut à l’UE.
Jean-Christian CADY