L’agriculture chinoise se transforme profondément mais progressivement.
Depuis les années 1980, l’agriculture chinoise s’est profondément transformée. La Chine n’en est plus à tenter de produire suffisamment de céréales pour nourrir une population toujours croissante. Désormais sa préoccupation est double :d’une part accroître le revenu des agriculteurs en choisissant des cultures qui rapportent davantage et d’autre part mieux utiliser des terres dont la surface cultivable est limitée. Le gouvernement veut accélérer ce changement, ce qui n’est pas facile.
Le défi est immense. La Chine doit nourrir 20 % de la population mondiale sur 9 % de la surface labourable mondiale alors que ses ressources en eau ne représentent que 6 % des ressources de la planète, ressources en eau qui sont très inégalement réparties sur le territoire chinois. L’agriculture chinoise permet maintenant de nourrir les 1,4 milliard d’habitants de la Chine.
La Chine est le premier producteur mondial de blé, le deuxième producteur de maïs et le premier producteur de porc (un porc sur deux dans le monde est chinois).
La récolte de riz de 2017 a atteint un record, avec une progression de 40 % par rapport à 2003. Le rendement des céréales à l’hectare est plus élevé en Chine qu’au Canada. C’est une réussite remarquable par rapport à ce qui se passait pendant les années du Grand Bond en Avant, du temps de Mao, où des millions de Chinois souffraient de la famine. Cet accroissement des rendements a permis à des millions d’agriculteurs de quitter la terre pour participer à la révolution industrielle.
Cependant ces succès dans le domaine agricole ont un coût. La Chine utilise deux fois plus de pesticides et d’engrais par hectare que la moyenne mondiale et contribue de manière catastrophique à la pollution des sols. Des surfaces importantes sont ainsi stérilisées. Dans la Chine du nord, qui est le grenier à blé du pays, les agriculteurs utilisent beaucoup plus d’eau que cette région aride ne peut fournir et épuisent les réserves. Enfin, comme l’accent a été mis beaucoup plus sur la quantité des produits que sur leur qualité, il y a eu des alertes sanitaires, la concentration en produits chimiques de certaines denrées étant excessive.
L’agriculture a encore beaucoup de progrès à faire. Une étude récente montrait que 314 millions de Chinois sont des agriculteurs c’est à dire 40 % de la population active. Et pourtant l’agriculture ne compte que pour moins de 9 % du produit intérieur brut. Cela signifie que la productivité de l’agriculture a une grande marge de progression.
De plus l’exode rural s’est ralenti ce qui implique que le sous-emploi au sein de l’agriculture n’est pas prêt de se résoudre. La population agricole a diminué de 100 millions dans la décennie 1996-2006. Mais elle n’a diminué que de 28 millions dans la décennie suivante. La plupart de ceux qui sont employés dans les travaux des champs sont âgés et peu éduqués. En 2016 plus de la moitié des agriculteurs avaient plus de 55 ans et presque la moitié n’avaient été qu’à l’école primaire.
Comme toutes les révolutions qui ont réussi en Chine ont commencé dans le monde rural, le Parti Communiste s’inquiète. En octobre dernier, le président chinois Xi Jinping, dont la thèse de doctorat portait sur la marketisation rurale, a lancé « la stratégie de revitalisation » pour les zones rurales, stratégie qui met l’accent sur l’agriculture. Même si elle est encore vague, cette stratégie a au moins deux priorités.
La première est les prix. En 2018 le gouvernement va baisser les prix garantis qu’il paie aux agriculteurs pour le blé. En 2015 le gouvernement avait mis un terme au prix garantis pour le maïs et pour le colza. Cette mesure est destinée à encourager les gains de productivité. Il y aura moins d’intérêt pour les agriculteurs de cultiver des céréales là où le coût de production est élevé, comme par exemple dans le nord du pays, là où l’eau est rare. Toutefois le gouvernement continuera à aider les agriculteurs en augmentant des subventions.
La seconde priorité est l’accroissement de la taille et des investissements des exploitations. Presque toutes les terres agricoles en Chine sont la propriété de collectifs villageois. Dans les années 1980, les familles d’agriculteurs furent autorisées à utiliser une portion des terres pour elles-mêmes. Et depuis 2008, les agriculteurs ont la possibilité de donner en location les terres qu’ils avaient été autorisés à exploiter eux-mêmes. Mais s’est greffé sur cette autorisation un problème juridique : quelles sont les limites de ces exploitations privatisées ?
Selon un recensement récent il existe seulement 4 millions d’exploitations privatisées, soit 2 % du total des exploitations agricoles chinoises. Et 30 % des fermes privatisées se consacrent à l’élevage ou à l’aquaculture, alors que ces activités ne regroupent que 4 % de l’ensemble des exploitations. Mais là encore on voit l’importance de l’idéologie : les animaux sont considérés comme propriété privée alors que les champs, sur lesquels ils pâturent, sont propriété collective. C’est donc un frein au développement de grandes entreprises agricoles privées. Mao haïssait les propriétaires ruraux, et nombre d’entre eux ont été victimes de purges. Même si l’attitude de l’administration a évolué, il n’en demeure pas moins un fond de défiance à l’égard des propriétaires ruraux.
En 2018 l’administration chinoise terminera les formalités permettant de donner aux agriculteurs des certificats définissant les limites de leurs terres privatisées. Cela devrait faciliter les investissements dans les exploitations. Mais il n’en reste pas moins que les droits d’utilisation des terres ne sont pas transmissibles. Des programmes pilotes vont en ce sens mais il n’y a pas de schéma national global. Et il n’y a aucune indication que le gouvernement chinois est disposé à donner une pleine propriété aux agriculteurs, propriété qui leur permettrait de bénéficier de la hausse du foncier agricole. Il est donc vraisemblable que la progression du nombre de grandes exploitations prendra du temps.
L’agriculture chinoise ne manque pas de bras. Mais elle manque de terres. Si l’on compte qu’il faut en moyenne une surface agricole de 0,5 hectare pour nourrir un Américain en un an et que la surface agricole dont dispose la Chine est de 0,1 hectare par habitant et que la situation va se détériorer du fait de l’accroissement de la population et de l’urbanisation croissante qui stérilise des terres cultivables, il est indispensable pour la Chine d’avoir davantage de surface agricole utile. Cela la pousse à acheter ou à louer des terres agricoles dans des pays du Tiers Monde comme le Mozambique. La Chine achète aussi des terres en Europe. Ainsi, en novembre 2017, un consortium chinois a acheté 900 hectares en France, dans le département de l’Allier. De même en 2016 le groupe chinois Hong Yang avait acheté 1700 hectares dans le département de l’Indre. Ces achats se multiplient. Mais cela ne suffira pas et c’est dans un accroissement de la productivité agricole chinoise et dans la récupération de terres qui ont été stérilisées par un usage immodéré de produits chimiques que réside certainement la solution.
Jean-Christian Cady