La Chine étend son influence en douceur en Europe.

Les visites de dirigeants européens se multiplient en Chine .
Peu de temps après les remous créés par la déprogrammation par le Président Trump de sa visite en Grande-Bretagne, le premier ministre Theresa May a effectué un voyage en Chine où elle a évoqué un nouvel âge d’or des relations sino-britanniques. La presse chinoise l’a félicitée de ne pas parler de questions irritantes de droits de l’homme. Et lorsque le Président Macron a fait sa visite en Chine un peu plus tôt en janvier, le président français a annoncé sa volonté d’amener le partenariat entre la Chine et l’Europe dans le XXIe siècle. A son hôte, le Président Xi Jinping, il a fait cadeau d’un cheval hongre appelé Vesuvius en un geste que les Français ont déclaré être « sans précédent diplomatique ».

Cependant deux études récentes montrent que même si elle met en garde contre les ingérences russes, l’Europe gagnerait à faire preuve de davantage de circonspection dans ses embrassades avec la Chine. Selon ces études, l’Europe ne porte pas assez d’attention aux ambitions autoritaires de la Chine.

« Les élites européennes et des pays voisins ont commencé à accepter la rhétorique et les intérêts chinois, même lorsqu’ils sont en contradiction avec les intérêts européens » écrivent Thorstein Benner, Jan Gaspers et Mareike Ohlberg, Lucrezia Poggetti et Kristin Shi-Kupfer dans une étude publiée le 5 février 2018 et financée par le Global Policy Institute et le Mercator Institute for China Studies, deux think tanks basés à Berlin. Un rapport publié par le Conseil européen des Relations Internationales qui a des conclusions analogues, a été publié en décembre dernier.

Dans leur dernière publication, les cinq chercheurs ont étudié les moyens utilisés par le Parti communiste chinois pour de manière dissimulée ou plus ouverte, influencer les politiques européennes, y compris les investissements dans des infrastructures dans l’Europe de l’est et du sud, notamment dans des pays à court d’argent comme la Grèce. L’amélioration des relations commerciales entre la Norvège et la Chine a coïncidé avec un effort de la Norvège de modérer ses critiques de la Chine dans le domaine des droits de l’homme. La Chine a présenté sa version dans des publicités dans les principaux médias européens,

Pékin apparaît réticent d’utiliser les moyens qu’emploierait la Russie, et pour lesquels elle est critiquée, c’est à dire l’utilisation de bots informatiques – c’est à dire de programmes informatiques automatiques ou semi automatiques qui interagissent avec les serveurs informatiques – pour faire prévaloir ses vues dans les médias sociaux. Peut-être avec l’exception des socio-démocrates allemands, Moscou a-t-il été davantage enclin à soutenir des partis d’extrême-droite qui n’ont pas de perspective immédiate d’accéder au pouvoir, comme Alternative für Deutschland ou UKIP (United Kingdom Independence Party). Alors que les efforts de la Russie visent à influencer un public très large, quitte à se mettre à dos les élites au pouvoir en Europe, la Chine en revanche cible les leaders d’opinion, les hommes politiques, les universitaires et les journalistes dans une politique de relations publiques faite de réceptions, de conférences et de réunions en cercle restreint.

«  Très peu de non-Russes voient dans la Russie de Poutine un modèle à suivre de réussite dans la croissance et le développement », écrivent ces chercheurs, « et la Russie investit moins dans les leaders d’opinion alors que le leader du Parti communiste chinois est vu comme proposant un modèle socio-économique qui réussit. L’Europe voit donc dans la Chine son plus grand défi à long terme sur le plan économique et sur celui des valeurs ».
La thèse de l’étude est que la Chine poursuit un certain nombre d’objectifs y compris celui d’apparaître comme un modèle et une alternative crédible aux démocraties libérales et que ses efforts tendent à « créer des strates de soutien actif aux intérêts chinois », ce qui pourrait amener l’Europe de se trouver en conflit avec les Etats-Unis sur des questions comme les rencontres avec le Dalaï Lama ou les conflits territoriaux en Mer de Chine du sud .
« La Chine a le sentiment qu’une fenêtre d’opportunité s’est ouverte avec l’administration Trump qui se retire de son rôle de gardien de l’ordre libéral, qui a été celui que les Etats-Unis ont joué pendant de nombreuses années » écrivent les auteurs de l’étude.
Dans sa poursuite de davantage de respect et d’influence internationales, la Chine est allée bien au-delà des limites de l’Europe. Pékin est particulièrement actif en Afrique où il a conclu des accords de grande ampleur avec plusieurs pays, accords portant sur le commerce ou sur les infrastructures. Il a développé aussi le réseau des instituts Confucius comme moyen d’influence en utilisant le soft power, c’est à dire la capacité d’influence par la persuasion.

En janvier 2018, le journal Le Monde a écrit que la Chine a mis sur écoute et piraté depuis des années le siège de l’Union africaine en Ethiopie, dont le bâtiment a été financé et construit par les Chinois. Pékin a démenti ces informations même si elles s’inscrivent dans les préoccupations de nombreux observateurs qui, dans la perspective plus large de la relation de la Chine avec les pays africains y voient une source d’inquiétude pour les relations de la Chine avec l’Europe.

Une étude récente menée par M. François Godement et M. Abigaël Vasselier pour le Conseil européen pour les relations internationales conclut que les propositions faites par la Chine à l’Europe « ne sont pas différentes de celles qu’elle fait aux pays africains et aux autres pays en voie de développement: une masse de projets qui crée une compétition parmi les pays récipiendaires, des prêts à des taux d’intérêt qui sont ceux du marché et une forte insistance pour des déclarations et des accords identiques ». « Comme des pays africains certains pays d’Europe – particulièrement ceux du sud et de l’est – semblent être tombés dans ce piège dont la Chine tire profit. » écrivent Godement et Vasselier.

« La Chine choisit à son gré, dans ses relations avec l’Union européenne, ce qui sert ses intérêts directs, en ignorant souvent dans ses propositions les normes européennes » écrivent aussi les auteurs de l’étude, remarquant que les accords bilatéraux se sont concentrés sur la périphérie de l’Europe et non sur l’Europe en tant qu’entité. « La Chine tient ses propres sommets avec des pays de l’est et du sud de l’Europe, ce que ils appellent les 16+1 et a saisi l’occasion de la crise de l’euro pour prendre des participations massives dans l’Europe du sud ».

Même si la Chine et la Russie exploitent les faiblesses de l’Europe, la Chine a aussi trouvé le moyen que l’Europe la remercie de procéder ainsi.

Rick Noack
The Washington Post
5 février 2018
Traduit par Jean-Christian Cady