Les Philippines se retirent de la Cour Pénale Internationale
La Cour pénale internationale (CPI) a été officiellement informée le 17 mars 2018 par les Nations Unies du retrait des Philippines du Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour. Le représentant philippin aux Nations unies avait déposé cette note verbale le 16 mars 2018 auprès du Secrétaire général des Nations Unies, ce dernier étant dépositaire du Statut.
Dans un communiqué publié le 19 mars, la Cour a encouragé les Philippines « à rester dans la famille de la CPI ». Le gouvernement philippin a ratifié le Statut de Rome le 30 août 2011 et le Statut est entré en vigueur le 1er novembre 2011. Le ministre des affaires étrangères des Philippines, Alan Peter Cayetano a déclaré que la décision de retrait était motivée par le fait qu’une campagne internationale de désinformation avait donné une fausse image des Philippines mais que la volonté de son gouvernement était de continuer à respecter l’État de droit et de défendre les droits de l’homme, comme il l’a toujours fait dans le passé.
« Décision souveraine », le retrait du Statut de Rome prendra effet un an après le dépôt de la notification de retrait auprès du Secrétaire général des Nations Unies. « Un retrait n’a aucune incidence sur les procédures en cours ou sur toute question déjà examinée par la Cour avant la date à laquelle il a pris effet ; ni sur le statut de juges siégeant déjà à la Cour », a toutefois précisé la CPI dans son communiqué.
La CPI conserve sa compétence concernant les crimes commis pendant la période où l’État était partie au Statut et peut exercer cette compétence sur ces crimes, même après que retrait soit devenu effectif..
L’examen préliminaire de la situation aux Philippines a été annoncé par le bureau du procureur le 8 février 2018. Il porte sur l’analyse des crimes présumés commis dans cet État depuis le 1er juillet 2016 au moins, dans le contexte de la campagne de « guerre contre la drogue » lancée par le gouvernement philippin.
Plus particulièrement, depuis le 1er juillet 2016, des milliers de personnes auraient été tuées car elles auraient illégalement consommé des drogues ou se seraient livrées au trafic de stupéfiants. Tandis que certains de ces meurtres seraient survenus dans le contexte d’affrontements entre gangs ou au sein de ceux-ci, nombre des faits rapportés concerneraient des meurtres extra-judiciaires perpétrés au cours d’opérations policières de lutte contre la drogue. Le chiffre officiel produit par l’Agence Philippine de Lutte contre la Drogue est de 3906 personnes qui ont été tuées (trafiquants ou consommateurs de drogue) entre le 1er juillet 2016 et le 26 septembre 2017. Les organisations des droits de l’homme, comme Human Rights Watch font état de chiffres beaucoup plus élevés. Selon elles, 12000 personnes ont été exécutées en dehors de toute procédure judiciaire dans la lutte que le Président Duterte a engagée contre la drogue, depuis son élection en juillet 2016. De plus les actions d’intimidation contre les associations défendant les droits de l’homme, les journalistes et les personnels des Nations unies se sont multipliées.
« Un examen préliminaire n’est pas une enquête », rappelle la CPI. « C’est une première étape pour déterminer s’il existe une base raisonnable pour mener une enquête ». Plus précisément, en vertu du paragraphe 1 de l’article 53 du Statut de Rome, le Procureur de la CPI doit examiner les questions de compétence, de recevabilité et d’intérêt de la justice pour prendre cette décision.
En vertu du Statut de Rome, les juridictions nationales ont la responsabilité principale d’enquêter et de poursuivre les responsables de crimes internationaux.
Conformément au principe de complémentarité, qui est la pierre angulaire du système juridique du Statut de Rome et dans le cadre de chaque examen préliminaire, le Bureau du Procureur engage un dialogue avec les autorités nationales concernées afin de discuter et d’évaluer toute enquête et poursuite au niveau national. Même si la CPI déclare que les investigations en cours vont se poursuivre, on voit mal comment cela pourra se réaliser car la coopération du gouvernement philippin est loin d’être acquise.
Sur les 193 Etats membres de l’ONU, 124 Etats ont ratifié le Statut créant la CPI adopté lors de la conférence diplomatique de Rome en juin-juillet 1998. Le statut de Rome est entré en vigueur le 1er juillet 2002 quand il a été ratifié par 60 Etats. Cependant il faut noter que 32 Etats, dont la Russie, les Etats-Unis ont signé la convention mais ne l’ont pas ratifiée. Certains Etats n’ont ni signé ni ratifié la convention comme la Chine, l’Inde, l’Indonésie, la Turquie, l’Arabie saoudite. Ces Etats ne reconnaissent donc pas l’autorité de la Cour Pénale Internationale.
La Cour Pénale Internationale est composée de 18 juges élus par l’assemblée des Etats ayant ratifié le Statut de Rome. Il n’est pas douteux que le fait qu’aucune immunité ne peut être invoquée devant la CPI, qu’il s’agisse de chefs d’État ou de membres de gouvernement, a probablement été l’un des motifs qui ont amené le Président Duterte à la quitter. Le retrait des Philippines ne va pas contribuer à crédibiliser davantage la CPI à laquelle de nombreux observateurs reprochent de manquer de représentativité puisque sur une population mondiale de 7 milliards d’habitants, plus de 3 milliards sont en dehors de sa compétence. Sans remettre en cause le bien-fondé et l’utilité de la CPI, les mêmes observateurs lui reprochent d’être coûteuse (un budget de 148 millions d’euros en 2018 pour 800 personnes employées), d’être lente, de se concentrer presque exclusivement sur l’Afrique et de rendre peu de décisions dont la plupart ne peuvent pas être exécutées puisque la CPI ne dispose pas de moyens pour assurer par elle-même ou par le recours à la force publique, ni les mandats d’arrêt ni l’exécution de ses décisions.
Jean-Christian CADY