Que devient l’OMC ? Les difficultés de la régulation du commerce international.
Regroupant 164 Etats, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC ou en anglais WTO) s’occupe des règles régissant le commerce international. Elle a pour but de favoriser le développement économique en libérant le commerce international par la diminution ou l’abolition des barrières tarifaires et douanières. Elle est née en 1995 mais, avant sa naissance, avait déjà une longue histoire puisqu’elle a pris la succession du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) qui datait de 1947 et visait à développer les échanges internationaux pour accélérer la reprise économique de l’après-guerre.
Depuis sa fondation lors de la conférence de Marrakech en 1995, l’OMC pouvait se prévaloir de succès, en dépit de l’échec du cycle de Doha sur la libéralisation des échanges agricoles en 2005. Elle pouvait s’enorgueillir du bon fonctionnement de son organe de règlement des différends (ORD).
Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, rien ne va plus à l’OMC. Tout est chamboulé. En charge d’arbitrer les recours aux décisions de l’ORD dans un conflit, la Cour d’appel de l’ORD risque de ne plus pouvoir fonctionner d’ici à la fin de l’année. Composée de sept juges, elle n’en compte plus que quatre puisque Washington a bloqué le remplacement de trois départs. Fin septembre 2018, un autre juge verra s’achever son mandat. N’en restera plus que trois – un américain, un chinois et un indien. « Il faut trois juges pour trancher un appel sur un différend commercial entre deux pays en sachant qu’aucun ne peut être saisi d’un dossier impliquant son propre pays… », témoigne un expert des affaires commerciales internationales. Résultat: en cas de différend entre la Chine et les Etats-Unis, un panel de juges de la Cour d’appel ne pourrait pas être constitué.
Preuve supplémentaire que l’administration Trump ne se soucie guère de cette enceinte multilatérale, l’ambassadeur américain à l’OMC n’a toujours pas été nommé. L’OMC va pourtant avoir fort à faire dans les semaines à venir si Donald Trump décide d’instaurer des taxes sur l’acier et l’aluminium au nom de la sécurité nationale des Etats-Unis.
Certes l’article 21 du GATT- l’ancêtre de l’OMC – prévoit bien que des mesures de sauvegarde sous forme de taxes ou de quotas d’importation peuvent être instaurées pour des raisons de sécurité nationale. Mais, comme l’a rappelé la commissaire au commerce européen, les importations d’acier européen par les Etats-Unis peuvent-elles menacer la sécurité nationale américaine alors que l’Europe est un allié?
Circonstance aggravante, Donald Trump a déclaré dans un tweet que les Etats-Unis pourraient accorder des dérogations à certains pays « qui sont de vrais amis et nous traitent de manière équitable à la fois dans le commerce et la défense ». Or les règles de l’OMC ne permettent pas de discrimination entre les pays partenaires. Des plaintes devant l’OMC sont donc probables mais sera-t-elle en mesure d’y donner suite comme la cour d’appel va manquer de juges ?
En attendant la Chine a pris la tête d’un groupe de 18 membres de l’OMC pour demander au président américain d’annuler son projet de taxes à l’importation.
De son bureau de Genève, le directeur général de l’OMC, le Brésilien Roberto Azevedo ne peut que constater les dégâts, sans avoir de prise sur la guerre tarifaire engagée par les Etats-Unis. Certes le président Trump n’a pas confiance dans les instances multilatérales et ne croit qu’au rapport de forces bilatéral. Mais le conflit commercial qui s’annonce entre les Etats-Unis et la Chine a des causes plus profondes.
Ce n’est qu’en 2001 que la Chine est entrée à l’OMC.Ses conditions d’adhésion n’ont jamais été révisées. Au sein de l’OMC elle est toujours classée dans les pays en voie de développement alors qu’elle est en passe de devenir la première puissance économique mondiale.
La deuxième cause de l’hostilité des Etats-Unis à l’égard de l’OMC est que l’instance d’appel des conflits commerciaux de l’OMC se voit accusée par Washington de s’ériger en instance suprême de l’ordre commercial mondial, de vouloir être une instance supranationale créatrice de droits, une sorte de cour suprême mondiale pour les questions de commerce alors que ce n’est pas sa vocation.
Les efforts de l’OMC se sont enrayés sur deux sujets: les aides de l’Etat et l’anti-dumping, sujets qui pré-existaient à l’adhésion de la Chine mais sont, aux yeux des Etats-Unis, devenus insupportables depuis son adhésion.
Sur les aides de l’Etat, les règles de l’OMC n’ont jamais été très opérantes car les Etats-Unis, comme l’Europe, n’ont jamais voulu les préciser, l’un voulant subventionner Boeing, l’autre Airbus sans être trop sanctionné par l’OMC. La situation est devenue incontrôlable aujourd’hui, la Chine ayant un panel d’aides très variées, avec du crédit et du foncier fortement subventionnés.
Quant à l’anti-dumping, les Américains ont perdu dans les années 2000 une bataille à l’OMC face aux plaintes initiées par les Européens qui contestaient leur manière de calculer les droits anti-dumping. L’actuel secrétaire américain au commerce Robert Lightizer, qui alors était avocat, défendait les intérêts des sidérurgistes américains et a été marqué par cet échec. L’efficacité de la lutte anti-dumping est compromise aussi par le fait qu’en vertu de son traité d’adhésion de 2000, la Chine est censée avoir le statut d’économie de marché depuis décembre 2016. Ce statut ne signifie nullement que la Chine soit réellement une économie de marché. Ce statut veut dire que pour intenter une action anti-dumping, il faut prouver que les prix chinois sont trafiqués et non pas simplement les comparer à ceux ayant cours dans d’autres pays.
Ce sont donc de nouvelles normes que l’OMC doit élaborer, ce que les Etats-membres ont été incapables de faire depuis quinze ans. Une réforme qui implique de donner une solution au cas chinois de l’anti-dumping et des aides de l’Etat. Une réforme qui suppose aussi la reprise d’un chantier abandonné il y a vingt ans car trop conflictuel: la régulation des investissements que l’OMC ne contrôle pas et qui permettent à Pékin d’exiger des transferts de technologie dès qu’une entreprise étrangère s’implante en Chine.
Jean-Christian Cady