L’attentat du 13 mai 2018 montre l’aggravation de la menace islamiste en Indonésie.
Avec ses 265 millions d’habitants, l’Indonésie est le 4ème pays le plus peuplé du monde. C’est également le pays qui compte la population musulmane la plus nombreuse. Traditionnellement l’islam pratiqué en Indonésie est modéré. Il se veut différent de celui pratiqué dans les etats du Golfe. La plupart des Indonésiens sont loin d’être des intégristes, ayant au contraire un rapport syncrétiste avec la religion, y intégrant des croyances et des rites traditionnels.
La liberté de religion est inscrite dans la constitution qui en reconnaît six : l’islam, le protestantisme, le catholicisme, l’hindouisme, le bouddhisme et le confucianisme. On pourrait penser qu’avec près de 14 000 îles, 700 langues locales, 300 groupes ethniques, 200 croyances, l’Indonésie est trop plurielle pour être intolérante. Cette vision d’un islam indonésien majoritaire mais ouvert et tolérant ne reflète plus totalement la réalité actuelle. Les limites de la tolérance et de l’ouverture de l’Indonésie ont été montrées en 2017 lorsque le gouverneur de Djakarta, M. Basuki Purnama a été condamné à deux ans de prison pour blasphème.
Ce gouverneur était chrétien et d’ethnie chinoise. Il avait été élu gouverneur de Djakarta en 2014, et était le premier non-musulman et le premier issu de la minorité chinoise à avoir été élu à ce poste. Son crime est d’avoir cité, lors d’un meeting électoral en septembre 2016, une sourate du Coran qui recommande aux musulmans de ne pas prendre pour « amis les juifs et les chrétiens » ; il avait accusé ses adversaires politiques de manipuler ce verset pour appeler les électeurs à ne pas voter pour lui, sous prétexte qu’il n’est pas musulman.
Cette condamnation du gouverneur, à laquelle des calculs politiques de ses adversaires ne sont pas étrangers, témoigne des menaces que fait peser sur le modèle tolérant et ouvert de l’islam indonésien la résurgence d’une conception conservatrice et fondamentaliste du religieux.
Depuis le début des années 2000, l’islam fondamentaliste a progressé, même si la loi indonésienne est sévère à l’égard du radicalisme islamique.
C’est aussi depuis le début des années 2000 que le terrorisme islamique s’est développé. Les attentats se sont multipliés. On peut ainsi recenser l’attentat du Jakarta Stock Exchange en 2000 qui fit 15 morts, les attentats qui la même année à la veille de Noël ont visé des églises chrétiennes qui firent 18 morts, l’attentat de Bali en 2002 qui fit 202 morts, dont 88 touristes australiens, l’attentat de l’Hôtel Marriott à Djakarta qui fit 12 morts, l’attentat contre l’ambassade d’Australie en 2004 qui fit 9 victimes, une nouvelle série d’attentats en 2005 à Bali fit 20 morts. Le 17 juillet 2009, un attentat à la bombe touche deux hôtels (JW Marriott et Ritz-Carlton) à Jakarta et fait au moins 9 victimes. Le jeudi 14 janvier 2016, une série d’attaques revendiquée par l’Etat islamique (EI) à Jakarta a fait 7 morts, près d’un café Starbucks, à proximité d’ambassades et d’agences des Nations unies. Tous ces attentats ont été revendiqués par des organisations islamistes.
L’attentat qui a eu lieu le 13 mai 2018 dans la deuxième ville indonésienne, Surabaya, qui a frappé simultanément trois églises chrétiennes, faisant 13 morts et plusieurs dizaines de blessés, est le dernier en date de cette longue série. Il a été revendiqué par Daech.
Bien entendu les plus importantes organisations musulmanes d’Indonésie, Nahdlatul Ulama (NU) et Muhammadiyah, ont fermement condamné ces actes de terrorisme. “Il n’y a pas une seule religion dans le monde qui justifie la violence comme mode de vie”, a déclaré immédiatement après les attentats le président du NU, Said Aqil Aqil Siradj.
Le mode de propagation de l’extrémisme islamiste en Indonésie est le même qu’en France : les mosquées et les prisons. Une étude faite récemment dans des mosquées par une équipe de chercheurs indonésiens a montré que 41 mosquées dans 16 provinces indonésiennes propagent les idées de Daech et recrutent pour cette organisation. Il est vraisemblable que cette estimation est en dessous de la réalité.
La propagation de l’islamisme se fait autant dans les prisons. L’Indonésie a une population carcérale de 254 000 personnes c’est à dire le double de la capacité de l’institution pénitentiaire. Il y a un personnel de l’administration pénitentiaire pour 55 détenus. Des programmes de déradicalisation existent mais ils sont mal coordonnés entre les différentes administrations gouvernementales. Mal formés à ces programmes, les gardiens n’arrivent pas à identifier les individus qui sont radicalisés ou en voie de l’être. Comme toujours la prison est un foyer de propagation de l’islamisme radical.
Au début des années 2000, les attentats – et notamment ceux de Bali – ont été commis par la Jemaah Islamiyah, une organisation armée islamiste indonésienne fondée en 1993. Les derniers attentats ont été commis par une autre organisation terroriste plus récente basée en Indonésie, la Jamaah Ansharut Daula (JAD) composée d’au moins une dizaine de groupes extrémistes indonésiens » proches de l’État Islamique. C’est l’État Islamique qui a revendiqué les derniers attentats.
Jean-Christian Cady