Les changements géopolitiques intervenus dans la région du Pacifique au cours des deux dernières années.

Au cours des deux dernières années l’aire du Pacifique a connu d’importantes mutations, presque des bouleversements. Plusieurs Etats, et non des moindres, ont changé de dirigeants, les rapports de force entre les pays ont été altérés, des conflits anciens que l’on croyait apaisés se sont réveillés et de nouveaux sujets de litige sont apparus. Les transformations ne sont pas terminées et nous ne savons où elles nous conduiront

I L’Amérique.

A-Canada.
La nomination de Justin Trudeau comme chef du gouvernement a marqué une rupture avec la période de Stephen Harper. Le nouveau premier ministre entend pratiquer une politique extérieure plus active, plus ouverte et moins alignée sur les Etats-Unis. Il est favorable au multilatéralisme ; le Canada s’est rapproché de l’Alliance du Pacifique et siège dans les instances de l’Organisation des Etats Américains (OEA). Partisan du libre-échange, M. Trudeau appuie l’accord CETA (Canada Europe Trade Agreement) avec l’UE (conclu sous son prédécesseur) et a paraphé le CPTPP (Compréhensive and Progressive Trans Pacific Partnership) après une certaine hésitation. Il adhère aux décisions de la COP 21 mais, pragmatique, il est favorable au projet de construction de l’oléoduc Keystone XL reliant les champs de pétrole canadiens aux ports du Golfe du Mexique, qui est critiqué par les défenseurs de l’environnement.

B-Les Etats-Unis.
Donald Trump donne la priorité aux intérêts nationaux des Etats-Unis, à la prospérité économique, au plein emploi, à la sécurité intérieure et extérieure. Il marque sa méfiance vis-à-vis des institutions multilatérales et privilégie le bilatéral. Il se montre hostile à l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) et cherche à bloquer son fonctionnement. Il a signé le 27 janvier 2017 un décret mettant fin à la participation de son pays au traité du TPP. Il s’est retiré des discussions sur les autres projets multilatéraux : partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, accord sur le commerce des services, TISA. Il a exprimé son intention de renégocier l’ALENA.
Sur le plan économique il veut pratiquer une politique protectionniste ; il est résolu à réduire par des mesures drastiques (augmentation des droits de douane) le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine et d’autres pays fournisseurs tels que l’Allemagne et le Mexique. Passablement xénophobe, il veut freiner l’afflux des immigrants et renvoyer dans leur pays les étrangers dépourvus de titres de séjour (projet de construction d’un mur le long de la frontière avec le Mexique). Indifférent aux problèmes de l‘environnement il est sorti de la COP 21 et n’appliquera pas l’accord de Paris.
Le président républicain se montre un leader imprévisible, versatile, contradictoire. Il est incapable de suivre une ligne claire en politique intérieure comme dans le domaine diplomatique. Il réagit aux évènements par des tweeters improvisés qui reflètent ses mouvements d’humeur plus qu’une pensée cohérente. Il a une conception étroite des intérêts économiques et sécuritaires américains sans voir la dimension stratégique des problèmes. Il a pris des décisions aberrantes, nuisibles aux intérêts américains. Le refus de ratifier le traité sur le Transpacific Partnership ouvre un boulevard à l’influence chinoise. Les règles adoptées dans le cadre de l’OMC, auxquelles le président tourne le dos, présentaient des avantages pour les USA et il n’est pas sûr que le désordre qu’il introduit dans le commerce international soit bénéfique aux entreprises d’outre Atlantique. Ses initiatives brouillonnes, mal coordonnées et parfois contre-productives déconcertent les alliés des Etats-Unis et les amènent à prendre leurs distances vis-à-vis des positions de Washington. La France et l’Allemagne ont réaffirmé leur adhésion au multilatéralisme, au libre-échange, un libre-échange mesuré et régulé, ainsi que à l’OMC. Le Japon et dix autres Etats d’Asie et d’Amérique latine ont signé un traité reprenant les dispositions essentielles du TPP rejeté par Trump. Tokyo a conclu en outre un accord global de libre- échange et de coopération avec l’UE. Ces décisions confirment son refus de revenir au protectionnisme.

C- L’Amérique latine.
Deux traits doivent être notés dans l’évolution de l’Amérique latine. Le premier est une coupure entre deux blocs, les Etats riverains de l’Atlantique et ceux bordant l’océan Pacifique. Les premiers sont confrontés à des problèmes graves et sont en crise semi-permanente. La situation économique du Venezuela est désastreuse et le pays est au bord de la guerre civile. Le Brésil traverse aussi une phase délicate, marquée par la stagnation économique, l’aggravation de la pauvreté et le discrédit frappant une classe politique passablement corrompue. L’Argentine sort à peine du chaos où l’avaient plongée les trois mandats de la famille Kirchner. Au contraire les Etats riverains du Pacifique bénéficient d’une relative stabilité politique basée sur le respect des principes démocratiques et de l’Etat de droit. Leur économie, qui avait souffert d’une récession causée principalement par la baisse des cours mondiaux de matières premières, a retrouvé en 2017 la voie de la croissance. Certes ces pays sont confrontés à des problèmes : corruption des élites au Pérou, criminalité organisée et trafic de drogue au Mexique, difficultés rencontrées dans l’application de l’accord conclu avec la rébellion marxiste des FARC en Colombie. Malgré tout, ils sont sur la voie de progrès et devraient rejoindre assez rapidement le peloton des pays développés.
Le deuxième fait marquant est un certain basculement à droite. Les candidats des partis conservateurs ou libéraux ont remportés les élections présidentielles en Argentine, au Chili, au Pérou, au Paraguay. L’extrême droite, dirigée par l’ancien président Uribe, a de fortes chances d’arriver en tête lors du prochain scrutin présidentiel en Colombie. Il reste cependant à savoir ce que donneront les prochaines élections au Mexique, prévues pour l’automne.
Menacés par les mesures protectionnistes envisagées par la nouvelle administration américaine, les pays du sous-continent s’efforcent de diversifier leurs relations économiques. Ils intensifient leurs échanges avec la Chine devenue le premier partenaire commercial du Brésil, du Chili, du Pérou. Ils négocient des accords de libre-échange avec d’autres pays d’Asie et des pays d’Océanie (Corée, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande). Ils resserrent leurs liens avec l’UE. Le Mexique et le Chili déjà liés à Bruxelles par des accords d’association négocient des textes nouveaux avec des objectifs plus ambitieux. Le Mercosur exprime son intention de relancer les pourparlers, à l’heure actuelle au point mort, avec les vingt-huit. Cette organisation qui réunit l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay examine la possibilité d’un rapprochement avec l’Alliance du Pacifique de manière à constituer un vaste marché régional.

II L’Asie-Océanie.

A- Les deux Corées.
La Corée du Nord poursuit la réalisation de son programme nucléaire et balistique. Depuis 2006 elle a effectué 6 essais nucléaires et une douzaine de tirs de missiles intercontinentaux. Son but semble être de parler d’égal à égal avec les USA et de conclure avec Washington un traité garantissant sa sécurité. Cette politique inquiète les Etats voisins, tels que la Corée du sud et le Japon mais aussi les Etats-Unis qui pourraient être atteints par les fusées intercontinentales. La Chine est embarrassée par l’attitude agressive de Pyong-Yang. Elle est hostile par principe à la prolifération nucléaire et souhaiterait voir l’ensemble de la péninsule dénucléarisée. Mais elle veut éviter un effondrement du régime communiste. Elle a toutefois voté les sanctions frappant la Corée du nord et avait commencé à les appliquer. Le gouvernement américain voudrait l’amener à durcir sa position et à prendre des sanctions véritables, notamment à suspendre la fourniture d’énergie. Au début de 2017, la tension entre les Etats-Unis et la Corée du nord a atteint un degré maximum quand Trump a menacé cette dernière d’employer des moyens militaires pour l’obliger à abandonner son programme nucléaire et balistique. Depuis un net apaisement s’est produit, dû principalement à l’action modératrice du nouveau président de centre-gauche de la Corée du sud, Moon Jae-In. Des sportifs nord-coréens ont participé aux jeux d’hiver organisés à Pyongchang, en Corée du sud. La sœur de Kim, Kim Yo-jong a assisté à cette manifestation et a eu de brefs entretiens avec des dirigeants sud-coréens. Une délégation sud-coréenne comprenant le chef des renseignements s’est rendue à Pyong-Yang. Enfin le 27 avril Kim Jong-un et Moon se sont retrouvés pour des entretiens à Pan-Munjon, sur la ligne de démarcation entre les deux Corées. C’était la première fois depuis 65 ans qu’un dirigeant nord-coréen mettait les pieds sur le sol de la Corée du sud. De son côté Trump a accepté de rencontrer Kim le 12 juin à Singapour afin de discuter du problème de la dénucléarisation des deux Corées. M Mike Pompeo, le nouveau directeur de la CIA s’est rendu dans la capitale nord-coréenne pour préparer l’entretien entre les deux leaders.
Sur le plan militaire, la Corée du nord a annoncé le 21 avril la fin des expériences nucléaires et des tirs de missiles ainsi que la fermeture du site d’essais de Punggye-ri. Par contre les gouvernements américain et sud-coréen ont maintenu leurs manœuvres conjointes annuelles ce qui a irrité vivement Pyong-Yang (Kim Jong-In a parlé d’annuler la rencontre avec Trump).
Le gouvernement japonais a accueilli avec prudence les nouvelles concernant le rapprochement entre les deux Corées. M Shinzo Abe s’est félicité de l’arrêt des essais mais s’est demandé si cette mesure pourrait conduire à l’abandon complet du programme nucléaire et balistique de la Corée communiste d’une façon irréversible et vérifiable. De nombreux experts dans le monde partagent ce point de vue. Ils considèrent qu’il est trop tôt pour se réjouir car la Corée du nord conserve sa capacité nucléaire et un revirement de Kim Jong-in est toujours possible. On y verra plus clair après le sommet entre Trump et le dictateur nord-coréen. La Chine pour sa part s’est félicitée de l’assouplissement de la position de Pyong-Yang et de la détente entre les deux Corées. La rencontre à deux reprises en moins de deux mois entre Xi et de Kim illustre le réchauffement des relations entre les deux Etats communistes.

B- La Chine.
Sur le plan intérieur les deux ou trois dernières années ont été marquées par un renforcement de la centralisation et de la personnalisation du pouvoir politique. Un amendement constitutionnel adopté le 25 février 2018 par l’Assemblée Nationale du Peuple a supprimé la clause qui limitait à deux mandats la période pendant laquelle le président de la République pouvait exercer ses fonctions. L’on pense que Xi Jinping se fera réélire à la fin de son mandat en 2023. L’amendement intègre dans la constitution une pensée de Xi qui devient ainsi un des auteurs de référence de la république chinoise. Il cumule les fonctions de président de la République, de secrétaire général du Parti et de président de la commission militaire. Lors du XIXème congrès du parti, en novembre 2017, aucun nom n’a été avancé pour lui succéder comme cela se faisait précédemment. M Xi a éliminé tous ses rivaux et a placé des éléments fidèles aux postes clés de l’administration, du parti et de l’armée. Ainsi Wang Qishan, un fidèle parmi les fidèles, ancien président du comité anti-corruption, a été nommé en mars 2018 vice-président de la République.
Parallèlement à la montée en puissance de Xi, on observe un renforcement de l’emprise du parti sur la société et l’économie. Un amendement voté par l’Assemblée Nationale le 25 février a inscrit dans la constitution le rôle dirigeant du PCC. Les universités sont soumises à une surveillance pointilleuse et la part du marxisme a été accrue dans leurs programmes d’enseignement. Des contraintes de plus en plus lourdes pèsent sur les rares ONG étrangères encore tolérées. Des technologies modernes telles que le big data sont mises en œuvre pour s’assurer de l’orthodoxie des comportements des individus et toute velléité de dissidence est durement réprimée.
Sur le plan extérieur, Xi Jin PING mène une politique révisionniste, volontariste et ambitieuse, recourant le cas échéant à la menace ou même à l’emploi de la force. Il estime que son pays doit retrouver sur la scène internationale la place qu’il avait perdue et jouer un rôle majeur, en rapport avec sa puissance économique. Deux initiatives importantes sont à signaler.
a- La RPC entend exercer des droits de souveraineté sur une large partie de la mer de Chine orientale et méridionale. Elle a occupé des ilots et des récifs situés parfois à plus de mille kilomètres de ses côtes et qui sont revendiqués par d’autres Etats. Elle y a édifié des pistes d’avion, des héliports, des fortifications, des jetées, elle y a aussi installé des radars et des canons anti-aériens. Ces ilots sont peu étendus mais ils ont une grande importance stratégique et économique (ZEE).
b-La nouvelle route de la soie. Il s’agit d’une entreprise titanesque, comprenant des aspects multiples et mettant en œuvre des moyens considérables. Son objectif est de promouvoir l’interconnexion régionale et d’intensifier les courants d’échange avec les pays d’Asie, d’Europe et même d’Afrique. Le projet prévoit l’agrandissement et l’amélioration des infrastructures, notamment des infrastructures de transport, une libéralisation du commerce, l’aménagement des procédures douanières, la création de mécanismes de coordination politique, des investissements réalisés en Chine et chez les partenaires étrangers. Obor (one belt,one road), autre nom de la route de la soie, comprend deux volets : une route terrestre traversant l’Asie centrale et une route maritime basée sur une série de ports (le collier de perles) situés dans le Pacifique, la Mer d’Andaman, l’Océan indien, le Golfe persique. Pour financer ce plan, le gouvernement chinois a créé des mécanismes multinationaux tels que la BAII (Banque Asiatique d’investissement pour les infrastructures) qui associe 70 pays ou le Fonds des Routes de la Soie (Silk Road Fund). Le projet a de toute évidence un but commercial, à savoir faciliter aux Chinois l’accès aux sources de matières premières et aux marchés, notamment occidentaux, mais aussi un but politique et militaire : créer un nouvel ordre régional économique et politique en Asie centrale, assurer la présence de la Chine dans une grande partie du monde, garantir la sûreté de ses ressortissants, sécuriser ses voies de communication. Parallèlement au projet Obor, la Chine a proposé un projet de « partenariat économique intégral régional » (RCEP) regroupant les 10 Etats membres de l’ASEAN, leurs partenaires dans la région (Chine, Japon, Australie, Corée du sud, Nouvelle-Zélande, Inde) mais excluant les USA. Dans son discours au Forum de Davos, Xi est revenu sur ce plan qui a pour but de concurrencer le CPTPP.
Pour soutenir ses projets la Chine ne cesse de moderniser ses forces armées. Elle accorde une importance particulière aux moyens de projection qui lui permettent d’intervenir sur les théâtres extérieurs. Elle a bâti en dix ans une marine de guerre puissante, la deuxième du monde par son tonnage ; elle dispose actuellement de 2 porte-avions, 17 destroyers et 4 frégates. Elle possède en outre un corps importants de garde-côtes.
La politique chinoise conduit inévitablement à une confrontation avec les Etats-Unis. Les Chinois ont clairement l’intention d’exercer une suprématie dans le Pacifique occidental et de supplanter l’Amérique dans son rôle de leader (« top dog ») dans cette région. Ils tentent de pénétrer dans des espaces où ils étaient jusqu’ici assez peu présents comme l’Océanie. Ces projets ne peuvent qu’inquiéter les Etats-Unis. La « nouvelle stratégie nationale » approuvée par le Pentagone désigne la Chine, à l’instar de la Russie « comme une puissance révisionniste qui veut défier le pouvoir, l’influence et les intérêts »  des Etats-Unis. De fait les sujets de discorde ne manquent pas. Outre les tensions militaires dans la mer de Chine, on peut citer les différents commerciaux, la boulimie avec laquelle les entreprises chinoises absorbent les firmes occidentales, y compris dans le secteur de la défense, les attaques cybernétiques, les atteintes aux libertés en Chine, bien que ce sujet ne soit plus au premier plan des préoccupations de Washington, l’attitude ambigüe de Pékin dans l’affaire coréenne. Enfin le problème de Taïwan qui n’est toujours pas résolu hante les esprits et fait obstacles à l’établissement d’un climat de concorde entre la RPC et les USA. Un incident provoqué ou fortuit pourrait dégénérer en une crise grave et menacer la paix.

C- Les autres Etats asiatiques.
Les autres Etats de la façade ouest du Pacifique sont divisés face à la menace chinoise. Le gouvernement japonais tient un discours offensif vis-à-vis de Pékin. Il renforce les capacités militaires du pays et le dote de matériel moderne (achat aux Américains). Le premier ministre, Shinzo Abe, veut réviser la constitution pour supprimer la clause interdisant le recours à la guerre. Il cherche en même temps à constituer une vaste alliance antichinoise qui inclurait l’Inde. D’autres Etats tels que l’Australie et paradoxalement le Vietnam restent fidèles à l’alliance américaine et développent la coopération militaire avec Washington. Par contre des alliés traditionnels de Washington ont opté pour un rapprochement avec la Chine. Lors de sa visite à Pékin (20 octobre 2016) le président philippin Rodrigo Dutertre a déclaré qu’il se détournait des Etats-Unis et qu’il négociait un accommodement avec Pékin sur la question des Spratley. Quelques jours plus tard le premier ministre malaisien, Najib Razak, a annoncé qu’il envisageait de resserrer ses liens militaires avec la Chine.
En dehors des deux problèmes que j’ai étudiés, d’autres points chauds existent dans la zone Asie-Pacifique. On peut citer le drame des Rohyngias en Birmanie ou la recrudescence du terrorisme islamique aux Philippines et en Indonésie. Mais les troubles auxquels j’ai fait allusion affectent des zones circonscrites et n’ont pas un impact régional et encore moins mondial.

III L’Europe et la région Pacifique.

Dans cette dernière partie j’examinerai quelle peut être la position de l’Europe face aux grands problèmes qui se posent dans la région Asie-Pacifique.

A-L’Europe et le problème coréen.
S’agissant du problème coréen, l’Union Européenne n’est pas en première ligne et ne dispose pas de beaucoup de moyens d’action. Elle peut participer aux débats de l’ONU, appliquer les sanctions décidées par le Conseil de sécurité, recommander des mesures susceptibles de diminuer la tension. Elle a participé au groupe de négociation constitué par l’accord cadre (KEDO) dans les années quatre-vingt-dix mais ce mécanisme a cessé de fonctionner. Elle a appuyé les efforts du président Moon pour détendre le climat dans la péninsule coréenne et s’est félicitée du rapprochement entre Séoul et Pyong Yang. Elle ne peut guère aller au-delà.

B- La politique chinoise.
Le deuxième grand problème concerne les relations avec la Chine. Selon mon opinion et celle de bien des gens en occident, l’Europe devrait combiner une politique d’endiguement (containment) et la poursuite d’un dialogue politique. L’Union Européenne doit mener une politique d’endiguement. Dans ce sens, elle devrait réaffirmer le prix qu’elle attache au respect des grands principes du droit international et de la liberté de circulation en haute mer. Elle devrait insister pour faire appliquer les règles de l’OMC, prendre des mesures adéquates si la Chine viole les normes de la propriété intellectuelle ou subventionne indûment ses exportations, enfin protester contre les contraintes imposées aux entreprises étrangères opérant dans l’ancien Empire du Milieu. Simultanément ils devraient contrer les manœuvres des entreprises chinoises tendant à mettre la main sur les firmes occidentales dans des secteurs sensibles tels que celui de la défense. Dans un autre domaine les Européens pourraient dénoncer les atteintes aux droits de l’homme dans les enceintes appropriées telles que le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Je sais que c’est un sujet délicat mais les Etats du vieux continent doivent marquer leur attachement aux valeurs humanistes sur lesquelles la construction européenne est fondée.
La fermeté n’exclut pas le dialogue politique. L’Europe et la RPC ont des vues convergentes sur plusieurs questions importantes. Elles sont favorables au multilatéralisme. Elles s’opposent à la prolifération nucléaire et ont voté les conventions de l’ONU sur ce sujet. Elles appuient l’accord de 2015 sur l’Iran. La Chine et la communauté des 28 condamnent fermement toutes les formes de terrorisme et sont prêtes à coopérer pour combattre ce fléau. Elles ont approuvé l’accord de Paris de 2016 sur le réchauffement climatique et mettent en œuvre les résolutions de la COP 21.

Le programme OBOR peut offrir des opportunités aux entreprises européennes et ne doit pas être rejeté en bloc.
L’Europe devrait essayer de mener une action concertée avec les Etats de la région adhérant aux mêmes valeurs démocratiques : le Japon, la Corée, l’Australie, certains Etats de l’ASEAN, l’Inde. Cette dernière pourrait être en raison de son poids démographique, de sa situation géopolitique, de ses capacités militaires et de son dynamisme économique un véritable contrepoids à la puissance chinoise. Emmanuel Macron a fait allusion à cette idée, quand il a parlé lors de son dernier voyage en Océanie d’un axe Paris, New Delhi, Canberra. Cependant, ce projet, qui n’a un sens qu’avec la participation de l’UE ou en tout cas de ses principaux membres, rencontre des obstacles. L’UE n’est pas présente militairement sur le théâtre de l’Asie-Pacifique (sauf la France avec ses bases en NC et en Polynésie). Il n’y a pas de véritable politique extérieure commune européenne et les Etats européens sont divisés sur de nombreux sujets. Certains d’entre eux comme l’Allemagne sont paralysés car ils ne veulent ni fâcher les Etats-Unis ni heurter la Chine et n’osent pas prendre positions sur des questions conflictuelles. L’Europe doit affronter des problèmes plus urgents et plus immédiats (le Sahel, le Moyen-Orient, le Brexit). On ne doit pas se faire trop d’illusions. En raison de l’impuissance relative de l’UE et d’autre part de la faiblesse et de la division des groupes régionaux (ASEAN, Forum du Pacifique), les Etats-Unis demeurent le seul véritable « challenger » de la Chine en Extrême orient et l’avenir de cette partie du monde dépendra dans une large mesure de l’évolution des relations bilatérales sino-américaines.

Jean-Michel DASQUE