Le nouveau président de la Colombie, M. Duque devra faire face à de nombreux défis.
M. Ivan Duque, un conservateur qui veut réviser les accords de paix passés avec les FARC, a été élu au deuxième tour, président de la Colombie, le 17 juin 2018 avec 53,9 % des suffrages contre l’ancien maire de Bogota, et ex-guérillero du M-19, M. Gustavo Petro. Ce dernier, un militant de gauche, n’a jamais voulu critiquer au cours de sa campagne, les mesures économiques prises par l’ancien président vénézuélien Hugo Chavez et son successeur Nicolas Maduro, mesures qui ont poussé un million de Vénézuéliens à se réfugier en Colombie pour fuir la misère. L’ancienne otage des FARC, Ingrid Bettencourt figurait parmi les nombreux soutiens de Gustavo Petro.
Il n’en demeure pas moins que le score de M. Petro est le plus élevé qu’un candidat de gauche ait obtenu en Colombie. Jusqu’ici la Colombie a toujours été dirigée par la droite, aucun candidat de gauche n’était jamais arrivé au deuxième tour. Ce qui explique que M. Duque ait repris, dans son discours le soir de sa victoire, les thèmes principaux de ses concurrents, politique sociale, environnement, éducation et, surtout, le référendum local anti-corruption en août. M. Duque devra accepter des compromis, même si la gauche elle-même est divisée, les électeurs de Sergio Fajardo, candidat malheureux du premier tour, dont plus de la moitié des voix est allée à Petro, étant davantage verts et centristes.
M. Duque est, à 38 ans le plus jeune président que la Colombie ait élu depuis 1872. L’une des raisons de son succès est que de nombreux Colombiens ont craint que si M. Petro était élu, il appliquerait un programme économique analogue à celui du Vénézuéla, entrainant les mêmes conséquences désastreuses. Dans sa jeunesse, M. Petro a été un cadre du mouvement M19, organisation de guérilla, dont l’idéologie combinait nationalisme et marxisme hétérodoxe et qui, contrairement aux FARC qui menaient leurs actions dans la jungle, prônait la lutte armée en milieu urbain. Ce mouvement fondé en 1974 s’et dissous en 1990, date à laquelle il s’est transformé en parti politique.
Si l’élection de M. Duque rassure les milieux économiques et une grande partie de la population qui ne veut pas voir l’économie de la Colombie sombrer, son programme suscite cependant des inquiétudes sur l’avenir de l’accord de paix fragile qui a été passé en 2016 avec les FARC, accord qui a mis fin à 52 ans d’une guerre civile qui a fait 220 000 morts et 7 millions de personnes déplacées.
On se souvient en effet que le premier projet d’accord avait été soumis à un référendum où le non l’avait emporté, une majorité d’électeurs s’opposant vivement aux garanties obtenues par les FARC, notamment celles relatives à l’indulgence de la justice pour les crimes qu’ils avaient commis. La population s’opposait aussi au fait que le FARC bénéficierait d’un certain nombre de sièges qui lui seraient réservés au Sénat. Une deuxième version de cet accord fut adoptée par le Parlement mais ne fut pas soumise à nouveau à un référendum, processus considéré comme peu démocratique par une grande partie de la population. Cet accord valut le Prix Nobel de la Paix en 2016 au président colombien Juan Manuel Santos, qui en fut l’artisan et le promoteur.
De toutes les tâches qui attendent le nouveau président – et notamment la lutte contre la corruption et contre la drogue – la révision des accords de paix sera certainement la plus difficile si l’on veut éviter que la guerre civile reprenne.
Ce qui choque le plus la population ce sont évidemment les dispositions de « justice transitoire » qui permettent aux anciens FARC d’avoir des sentences allégées s’ils avouent leurs crimes. De même une grande partie de la population est ulcérée par la disposition permettant que 10 membres du FARC (devenus maintenant un parti politique) prennent un siège au Sénat avant de purger la peine de prison à laquelle ils peuvent avoir été condamnés.
Cela étant, on ne sait pas de manière précise comment M. Duque veut réviser l’accord. Il existe des FARC dissidents qui ont refusé l’accord de paix. Ces dissidents combattent l’ELN, un autre groupe de guérilla et le Clan del Golfo, mafia formée par d’ex-paramilitaires des milices d’extrême droite armées, notamment par de grands propriétaires terriens, pour combattre les guérillas de gauche durant le conflit armé qui a déchiré la Colombie pendant plus d’un demi-siècle.
La majorité de ces milices se sont démobilisées en 2006 sous le gouvernement de l’ex-président Alvaro Uribe (2002-2010). Mais plusieurs de leurs chefs et de leurs hommes se sont ensuite organisés en gangs dédiés au trafic de drogue et de minerais.Le plus important est le Clan del Golfo.
Il a compté jusqu’à 4000 hommes, mais suite à une vaste offensive lancée par le gouvernement de M. Santos, il rassemblerait aujourd’hui environ de 2000 à 3000 hommes. Il continue à contrôler le trafic de la cocaïne, dans le nord-ouest du pays. Maintenant que les groupes de guérilla FARC ont été démobilisés, le Clan de Golfo est la principale organisation criminelle de Colombie. Cette mafia s’est installée dans les territoires naguère occupés par les FARC et ont commis de nombreux assassinats.
L’autre menace à l’ordre public est la guérilla de l’ELN (l’armée de libération nationale) avec laquelle des négociations sont menées à Cuba. Etant une structure différente des FARC, l’ELN ne se sent pas tenue par l’accord de paix de 2016.
La Colombie est le premier producteur de feuilles de coca, composant de base de la cocaïne, avec 146 000 hectares de plantations, et le premier producteur de cette drogue avec 886 tonnes en 2016, selon l’ONU.
Dans ce pays de 49 millions d’habitants miné par la corruption, l’extrême violence, le trafic de drogue et où les inégalités sont criantes notamment dans le domaine de l’éducation et de la santé, le nouveau président, M. Duque, qui est économiste de formation et fut pendant une dizaine d’années représentant adjoint de la Banque Interaméricaine de développement à Washington, et dont le seul mandat était jusqu’à présent celui de sénateur, siège obtenu en 2014, aura fort à faire pour mener à bien les trois tâches principales qu’il s’est assignées : obtenir un nouvel accord avec les FARC qui ait davantage le soutien de la majorité de la population, lutter contre la production de cocaïne alors que les agriculteurs n’ont pas de culture de substitution qui soit aussi rémunératrice, démanteler le trafic de drogue et éradiquer les mafias. Il devra enfin lutter contre la corruption qui est la plaie permanente de ce pays comme de nombreux autres pays d’Amérique du sud.
M. Duque aura pour cela le soutien le soutien de M. Uribe, ancien président de la Colombie et partisan de la manière forte qui a beaucoup fait pour le mettre sur la trajectoire qui l’a mené à la présidence. Et même si M. Santos, son prédécesseur à la présidence, qui, après deux mandats de quatre ans, ne pouvait pas se représenter, est un ennemi politique de M. Uribe, M. Duque aura également peut-être son soutien. Une partie des interrogations sur la politique du nouveau président devraient trouver un début de réponse lors de la constitution du gouvernement, en août. M. Duque a promis que 75 % de ses membres auraient moins de 45 ans, et que la moitié serait constituée de femmes. Pour la première fois, la vice-présidence revient d’ailleurs à une femme, Marta Lucía Ramírez, qui fut la première ministre de la Défense d’Uribe en 2002.
Jean-Christian Cady