Dans la course aux armements qui reprend, la Chine prend sa part.
Le conseiller à la sécurité du Président des Etats Unis, John Bolton s’est rendu à Moscou le 22 octobre 2018 pour y rencontrer le ministre des affaires étrangères russe Serguei Lavrov pour lui annoncer que les Etats-Unis se retirent de l’accord qui bannissait les missiles de portée intermédiaire, c’est à dire dont la portée est entre 500 et 5500 km. Le traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (Intermediate Range Nuclear Forces Treaty- INF) avait été signé en 1987 entre Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev. Il interdisait le déploiement de missiles sol-sol de moyenne portée ayant des têtes nucléaires. A la suite de ce traité, des milliers de missiles de ce type avaient été détruits par les deux super-puissances.
La raison invoquée par les Etats-Unis est que la Russie ne respecte plus ce traité. Il y a quatre ans, l’administration Obama avait constaté que, la Russie déploie en divers points de son territoire un système de missiles sol-sol appelé 9M729 dont la portée est supérieure à 500 km et dont une bonne partie serait dirigée vers l’Europe. Les Européens s’émeuvent de ce déploiement. Mais ils s’émeuvent encore plus du retrait américain du traité qui accroit leur vulnérabilité, même si ce retrait était prévisible depuis plusieurs mois et même si son éventualité avait été évoquée lors de plusieurs réunions de l’OTAN. Les Européens ajoutent que le retrait de ce traité, faisant suite au retrait de l’accord sur le dénucléarisation de l’Iran, au retrait de l’Accord de Paris sur le climat et au retrait de l’UNESCO et aux déclarations du Président Trump à l’OTAN sur la non-automaticité de la réponse américaine en cas d’agression d’un Etat européen, entame sérieusement la crédibilité des engagements américains dans le domaine multilatéral.
L’un des mérites du Traité INF, vu du côté américain, était qu’il ne concernait que les missiles basés sur le sol et nullement ceux qui sont déployés à la mer ou lancés à partir d’avions. Or c’est précisément dans ces deux dernières catégories que la supériorité américaine est indiscutable. Les Etats-Unis gardaient donc le champ libre dans ces domaines sans pour autant contrevenir aux dispositions du traité. La dénonciation du traité de 1987 fait planer un doute sur la pérennité du traité START signé le 8 avril 2010 à Prague sur la réduction des arsenaux nucléaires stratégiques des Etats-Unis et de la Russie qui limite à 700 le nombre de lanceurs nucléaires stratégiques déployés et à 1550 le nombre de têtes nucléaires déployées sur ces lanceurs. Ce traité établit un système d’inspection et de vérification du respect des clauses de l’accord. Ce traité expire en 2021 sans aucune perspective de le prolonger ou de le remplacer.
On estime les dépenses militaires mondiales s’élèvent à 1739 milliards USD en 2017. C’est le niveau le plus élevé depuis la fin de la guerre froide. Ces dépenses représentent 2,2 % du PIB mondial, ou 230 USD par habitant de la planète. Avec 610 milliards USD, les États-Unis sont restés le premier dépensier, soit 3,1 % de leur PIB, le même niveau qu’en 2016. En 2017, la Chine, qui est en deuxième position, a alloué environ 228 milliards USD à ses forces armées, soit 5,6 % de plus qu’en 2016 – la plus faible augmentation depuis 2010, mais qui suit la croissance du PIB plus l’inflation.
L’ère de la réduction négociée des armements nucléaires, qui avait commencé en 1972 avec les accords SALT 1, semble donc close. On s’achemine donc vers un développement de l’arsenal. La Chine en tire les conséquences.
Selon SIPRI (Stockholm International Peace Institute), un think tank qui publie depuis 1969 des statistiques sur les armes conventionnelles, biologiques, chimiques et nucléaires, les stocks d’armes nucléaires sont les suivants :
Etats-Unis 6450 têtes nucléaires.
Russie 6850
France 300
Chine 280
Royaume Uni 215
Pakistan 145
Inde 135
Israël 80
Corée du nord 15
Selon ces chiffres, qui sont bien entendu approximatifs car aucun pays ne publie de statistiques officielles sur son armement nucléaire, la Chine a un peu moins d’ogives que la France et un peu plus que le Royaume Uni, c’est à dire l’armement d’une puissance nucléaire moyenne. La Chine pense que son armement nucléaire n’a pas toute la crédibilité qu’elle souhaite, notamment parce qu’une partie importantes des têtes nucléaires sont dans des fusées tirées à partir du sol et qu’elles sont donc de ce fait vulnérables à une frappe préemptive, la privant de possibilité de riposte.
Selon SIPRI, l’arsenal nucléaire de la Chine en 2018 se décompose de la manière suivante :
186 ogives basées sur le sol
48 dans des sous-marins
20 sur des avions
26 en réserve
La capacité de dissuasion vis à vis des Etats-Unis est évidemment l’élément moteur du programme nucléaire militaire chinois.
La Chine veut donc qu’une proportion plus importante d’ogives soient placées dans des sous-marins lanceurs d’engins qui sont plus difficiles à détecter et donc moins vulnérables à une frappe préemptive. La Chine a lancé un programme améliorant sa capacité de seconde frappe et notamment en produisant des sous-marins moins bruyants que ses sous-marins actuels.
Les nouveaux sous-marins chinois de type 094 (classe Jin selon le code de l’OTAN) sont techniquement proches du sous-marin américain Ohio, du sous-marin russe Boreï ou du sous-marin français Triomphant. Ils peuvent emporter 12 missiles Julang 2 ayant une portée d’au moins 4350 milles nautiques. Une base pour accueillir ces sous-marins a été construite à Sanya à l’extrême sud du pays sur l’île de Hainan.
Les experts pensent que, compte tenu des opérations d’entretien, de réparation et de rechargement du combustible nucléaire, si l’on veut avoir en permanence à la mer un sous-marin opérationnel, il en faut quatre. Le simple rechargement du combustible nucléaire, qui doit être fait au bout des quatre premières années d’existence du sous-marin, exige de démonter une partie de la coque et rend le sous-marin indisponible pendant deux ans.
La marine chinoise est devenue la deuxième marine mondiale avec 1,2 million de tonnes, ayant maintenant dépassé en tonnage la flotte russe (1,15 million de tonnes) et toujours loin derrière les Etats-Unis (3 millions). Ce n’est que lorsque la Chine est sera en mesure d’égaler les capacités navales que les Etats-Unis peuvent déployer en extrême-orient, qu’elle estimera avoir atteint son but. La construction de porte-avions est un élément décisif. Voir à ce sujet la note Institut du Pacifique du 21 mai 2018.
Dans une partie du monde où les tensions ne manquent pas et où la Chine veut affirmer son hégémonie notamment en Mer de Chine du sud, hégémonie qui est contestée par les Etats-Unis et les pays riverains, ce programme d’armements est bien évidemment une source d’inquiétude.
Jean-Christian Cady