Comment limiter les violences : des leçons d’Amérique latine ?

Plusieurs pays latino-américains ont connu ces derniers temps des mouvements qui les paralysent, mais par certaines prises de décision ils ont trouvé, du moins à court terme, un moyen d’apaiser la situation.

Martín Vizcarra announces the dissolution of Congress on Monday night. Photograph: Juan Pablo Azabache/AFP/Getty Images

Le Pérou fait face à des problèmes de corruption qui gangrènent aussi l’ensemble du continent depuis des années et qui ont conduit la plupart de ses dirigeants vers la case prison.

L’actuel président, Martin Vizcarra,  en est venu à dissoudre le parlement – dominé par l’opposition fujimoriste –  le 30 septembre dernier en raison de dissensions avec les Fujimoristes quant au mode de nomination des juges du tribunal constitutionnel. Celui-ci est justement saisi de la demande de remise en liberté de Keiko Fujimori, fille de l’ancien président Alberto Fujimori et sœur de Kenji (également candidat) impliquée dans le scandale Odebrecht. L’opposition – actuellement en perte de vitesse – a donc riposté en suspendant le chef de l’état pour « incapacité morale » et en nommant Mercedes Araoz  présidente par  intérim, mais elle a presque aussitôt démissionné. Cette décision présidentielle est soutenue par une large partie des Péruviens qui souhaitent revenir à une démocratie sans corruption. L’armée et la police se sont aussi rangées du côté de Martin Vizcarra ainsi que nombre de gouverneurs et de maires.

Le 4 octobre, un nouveau gouvernement a été nommé et Martin Vizcarra appelle à de nouvelles élections législatives pour le 26 janvier 2020.

La vie semble avoir repris son cours normal et l’économie du pays n’a pas été impactée.

Le président équatorien Lenin Moreno le 8-octobre 2019 à Guayaquil

En Equateur, le gouvernement annonce le 1er octobre la fin des subventions publiques aux carburants diesel et essence, visant une économie annuelle de près de 1,3 milliard d’euros et une réduction du déficit budgétaire, répondant ainsi au FMI (Fonds monétaire international) pour obtenir un prêt sur 3 ans de 4,2 milliards d’USD.  Une conséquence est  une augmentation de tous les prix.

Cette austérité frappe les couches sociales les plus précaires.

Les transporteurs ont violemment réagi et les manifestations ont rapidement dégénéré. Le pays s’est trouvé paralysé par le blocage des moyens de communication et les grèves.

Le président Lenin Moreno décrète le 3 octobre l’état d’urgence dans tout le pays pour 60 jours.

Il transfère le 7 octobre le gouvernement à Guayaquil.

Jorge Calderon, président de la Fédération nationale de taxis, est arrêté le 5 octobre, accusé de la paralysie des services publics. Le gouvernement accorde alors des hausses de tarifs pour ce secteur qui annonce la fin de la grève.

Les routes restent bloquées  ainsi que des puits de pétrole, ce qui se traduit par une baisse de la production de 12%. Le gouvernement suspend 70% de la distribution en suspendant le transport via le principal oléoduc. Cela ne règle pas pour autant les manifestations alors que les indigènes convergent vers Quito.  Jaime Vargas, le président de la Confédération des nationalités indigènes de l’Equateur (Conaie), refuse en l’état toute négociation avec le gouvernement. Les indigènes représentent environ 25% de la population et sont dépendants du carburant pour transporter leurs produits agricoles.

Le 8 octobre, le président déclare le couvre-feu autour des lieux institutionnels avec restriction de la liberté de circuler la nuit entre 20h et 5h. Mais le 13 octobre,  pour éviter que la situation ne se dégrade encore plus,  le gouvernement  retire le décret supprimant les subventions sur les carburants.

Le gouvernement et la Conaie trouvent alors un accord pour sortir de cette crise qui s’est soldée par la mort de 7 personnes et de nombreuses arrestations. Ils ont convenu de mettre sur pied une commission en vue de proposer un nouveau décret.

Une des conséquences immédiates est la levée des barrages dans le pays et le retour à la négociation.

Sebastian Pinera – Photo du journal Libération

Au Chili, le 18 octobre, la capitale Santiago  a été le théâtre de violentes manifestations suite à l’augmentation du prix du ticket de métro, la 2e depuis le mois de Janvier, dont le prix vient de passer à 830 pesos (+30 pesos) aux heures de pointe.

Cela a entraîné la fermeture pratiquement des 164 stations paralysant les 140 km de lignes et des dégradations estimées pour l’heure à 630 000 €.

Le soir même, le président Sebastián Piñera a décrété l’état d’urgence à Santiago pour 15 jours démarrant le dimanche à 01h00 GMT.

L’état d’urgence a par la suite été étendu au reste du pays et au 24 octobre il est toujours en vigueur.

Les pillages ont fait 18 morts et le président a affirmé à la télévision que le Chili était en guerre.

Changement de ton le 22 octobre, lorsque le président reconnait son manque de vision et demande pardon. Il annonce un tournant social dans sa politique avec notamment un salaire minimum garanti, l’augmentation de 20% du minimum retraite et le gel des tarifs de l’électricité.

Le président souhaiterait transformer ces manifestations en opportunités pour le pays et rattraper le temps perdu depuis des décennies en prenant des mesures concrètes. Il est encore trop tôt pour dire si cela apaisera les protestataires qui demandent la démission du président et appellent à la grève générale.

Quelles conclusions ?

Ces 3 pays ont su chacun réagir à leur manière face à des situations qui auraient pu devenir insurrectionnelles, même si au  Chili, le désordre persiste.

Chaque sortie de crise  a sa propre solution, mais le facteur temps est un élément déterminant.

Pour autant, il reste à pérenniser une paix encore fragile grâce à l’implication des parties prenantes et avancer avec leur soutien. Seule une attitude constructive permettra de trouver une issue durable avec l’assentiment de la majorité.

Savoir négocier à temps est une belle leçon mais elle reste à être entendue.

Sources : Courrier international, Le Figaro, leperouenfrance, Libération , Le Monde, malaymail, VoA, rfi

Michèle BIETRIX