Les îles Natuna, centre d’un conflit entre la Chine et l’Indonésie

Carte « provinces d’Indonésie » de l’article « Indonésie » de Wikipédia.

Les îles Natuna forment un ensemble de  272 terres émergées sur plus de 2000 km² de la Mer de Chine méridionale. La plus importante, qui porte ce nom de Natuna, couvre 1720 km² et héberge plus de 52 000 habitants[1]. Elles font partie de la « province des îles de Riau » de  la République indonésienne dont la nature d’archipel a été reconnue par la Convention de la Mer (UNCLOS)[2]. Cette Convention, toutefois, définit l’usus des zones côtières (zone littorale exclusive et zone économique étendue), sans statuer sur la propriété des terres. Une commission de délimitation a été établie mais son rôle se limite à la détermination des limites des plateaux continentaux[3].


Carte « provinces d’Indonésie » de l’article « Indonésie » de Wikipédia

Dès les premières revendications de la Chine sur ce qu’elle considère comme « sa » mer du sud, l’Indonésie avait répliqué haut et fort que Natuna était et resterait indonésienne. La Chine avait alors paru l’accepter sans toutefois accepter d’engagement sur les eaux avoisinantes. L’intérêt paraissait se limiter aux ressources halieutiques.

Un énorme gisement de gaz naturel, malheureusement mêlé de gaz CO2 en forte proportion (71%), a été découvert sous les eaux de l’est de l’archipel par la société italienne Agip en 1970, exploité en joint-venture par Pertamina et Exxon-Mobil. En raison de difficultés dues au CO2, l’accord a été rompu, le projet repris par Pertamina seul, et le gaz exporté principalement vers Singapour proche à partir de l’île de Matak[4]. Un gazoduc sous-marin de 640 km a été réalisé et livre 3,4 Gm³ annuellement. Un nouveau gisement a été découvert en 1999 à l’ouest de l’archipel et est exploité par Pertamina, Conoco, Premier Oil et Gulf Indonesia Resources. Sa distance à Singapour n’est que de 200 km. Ces exportations gazières jouent un rôle important dans les exportations indonésiennes alors que la balance commerciale et le budget restent déficitaires[5].


Champ gazier de Natuna : https://www.offshore-technology.com/projects/natuna/

En mars 2016 un navire de garde-côtes chinois a aidé un bateau de pêche chinois, à échapper à la marine indonésienne qui venait de l’arraisonner pour pêche illégale. Un mois plus tard un bateau chinois fut dûment arraisonné et saisi. Protestations de la Chine. A partir du 17 juin, les actions se sont multipliées, l’Indonésie a fait tirer au canon[6] et la Chine a protesté en invoquant le droit international y compris l’UNCLOS (ce qui pourrait constituer un argument pour qu’elle doive se plier à l’arbitrage de la Cour de La Haye face aux Philippines). A cette occasion, l’agence de presse officielle Xinhua a qualifié les îles Natuna comme étant une « zone de pêche chinoise traditionnelle où les revendications des droits maritimes par la Chine et par l’Indonésie se chevauchent », ce qui suggère que Beijing ne reconnaît pas la plénitude des droits de Jakarta[7].

Une base aérienne existait sur Natuna Besar. En raison du resurgissement de la revendication chinoise de la « langue de bœuf » (surface principale de la mer de Chine du Sud mal définie par la carte dite « des neuf traits »[8]), la base a été rénovée et agrandie pour héberger plus de 1000 hommes à partir du 18 décembre 2018. Elle comporte des installations pour le soutien d’avions de combat et est devenue interarmées en accueillant des hélicoptères de combat AH-64 « Apache » de l’armée de terre ainsi qu’une unité de fusiliers-marins[9].

L’équilibre des forces a toutefois été modifié depuis ces dernières années. Natuna reste à 3000 km des côtes chinoises, certes, mais désormais les forces armées chinoises disposent des « porte-avions incoulables » que constituent les pistes établies (illégalement) sur certains îlots des Spratleys, à moins de 1000 km ce qui rend un appui aérien possible[10].

En septembre denier, l’Indonésie a participé aux premiers exercices navals conjoints avec les États-Unis et les dix pays de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN en anglais) dans le golfe de Thaïlande.

Le 30 décembre 2019, Jakarta a effectué une protestation diplomatique officielle en réponse à l’entrée de trois navires de la garde côtière chinoise accompagnant  une soixantaine de bateaux de pêche dans sa zone économique exclusive de 200 milles. Les garde-côtes chinois ont été repoussés hors de la ZEE par des corvettes de la marine indonésienne, mais les trop nombreux bateaux de pêche n’ont pu être tous pourchassés hors des eaux indonésiennes[11]. Le 8 janvier, le président indonésien Joko Widodo a visité les îles Natuna en réponse à la menace sur les intérêts de l’archipel. Le déploiement de huit navires de guerre ainsi que de chasseurs F-16 a été annoncé[12]. En effet, ce ne serait pas la première fois que la Chine commence par revendiquer le droit de pêche avant de s’établir pour de bon… et d’exiger des eaux territoriales !

Cette région de la Mer de Chine méridionale redevient donc une zone à surveiller.

Denis LAMBERT


[1]    http://indonesia-tourism.com/french/archipélago-de-riau/natuna_besar.html

[2]    https://www.un.org/Depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf

[3]    https://www.un.org/Depts/los/clcs_new/clcs_home.htm

[4]    https://www.offshore-technology.com/projects/natuna/

[5]    https://www.cia.gov/library/publications/resources/the-world-factbook/geos/id.html

[6]    https://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/mer-de-chine-l-indonesie-tire-sur-plusieurs-navires-chinois_1803983.html

[7]    http://www.opex360.com/2016/06/21/pekin-lorgne-sur-archipel-indonesien-situe-en-mer-de-chine-meridionale/

[8]    Et même 10 traits depuis l’ajout, le 11 janvier 2013, d’un nouveau segment sur la carte afin d’incorporer Taiwan dans le territoire chinois. Gal (2S) Daniel SCHAEFFER, « Mer de Chine du Sud : l’hégémonie chinoise », Francophonies actualités, novembre 2016 – janvier 2017.

[9]    « Indonesia opens military base near disputed South China Sea ». ABS CBN News. December 19, 2018.

[10]  Le rayon d’action d’un Su-27 – pris comme étalon de la famille Sukhoi utilisée par les forces chinoises – est estimé à 1800 km.

[11]  Chriss STREET, « L’Indonésie mobilise ses propres « petits hommes bleus » pour riposter à la Chine dans le conflit des eaux contestées », The Epoch Times, 11 janvier 2020.

[12]  https://www.chine-magazine.com/tension-entre-beijing-et-jakarta-en-mer-de-chine-meridionale/