Japon : le sceau, un frein traditionnel aux contraintes sanitaires ?

Source : ojapon.com

Héritage ancien, le sceau, à l’origine cylindre d’ivoire orné de caractères chinois gravés, aujourd’hui également en bois ou en plastique, indique le nom de famille, celui de l’entreprise, de l’administration… Les Japonais ont en général trois « hanko » de valeur juridique différente, qui sont enregistrés à la mairie par tout individu de plus de 15 ans (procédure contraignante qui vise à éviter les fraudes) :

  • un pour les transactions mobilières et immobilières ; les prêts, les testaments … (jitsuin)
  • un pour les transactions bancaires (ginko)
  • un pour les usages quotidiens (reçu, livraisons….) (mitome)

Il existe également le gako dont se servent les artistes (peintres, graveurs, etc.).

La culture du « hanko » d’utilisation très ancienne a vu son usage formalisé au début de l’ère Meiji (1868-1912). Le sceau est encore couramment utilisé, et même parfois exigé pour authentifier de nombreux documents officiels, ce qui implique l’utilisation impérative du papier (et donc une lourdeur bureaucratique !), et la circulation « physique » des documents. Au moment de la propagation de la pandémie, cette pratique constitue un frein réel au développement du télétravail et à l’adoption de mesures de confinement, aux décisions rapides de manière générale dans un pays où le système japonais rend déjà difficiles les décisions à l’échelon national.

En dépit de son avancement technologique et scientifique, de son développement économique et de son implication dans le monde du XXIème siècle, le Japon reste très attaché à certains symboles de sa culture traditionnelle qui imprègnent encore la vie quotidienne. Cela a pu être constaté lors de l’abdication de l’Empereur Akihito, de l’avènement de la nouvelle ère (ère Reiwa) et de l’accession au trône de Naruhito : les cérémonies qui se sont déroulées de mai à novembre 2019 étaient toutes dictées par la tradition.

Aujourd’hui, au-delà des critiques « politiques » qui peuvent être formulées sur les mesures prises pour réagir à la propagation du Covid-19, et sur la gestion de la crise sanitaire, on ne peut qu’être interrogatif sur l’ambivalence du Japon pris entre son attachement à son passé et à son originalité, voire sa différence, d’une part, et d’autre part sa grande capacité d’adaptation au modernisme.

L’économie japonaise a déjà été lourdement impactée fin 2019 par un typhon brutal en octobre et les conséquences de la guerre commerciale sino-américaine. La grave pandémie qui s’est développée à partir de janvier en Chine et sa propagation mondiale, va entraîner une diminution importante des recettes touristiques, et risquer de paralyser son industrie, notamment automobile. Le Gouvernement et les entreprises ne veulent pas accentuer un ralentissement de son économie qui serait périlleux pour son troisième rang mondial. D’où le nécessité de mesures adaptées… difficiles à prendre au-delà du plan de soutien à l’économie adopté le 10 mars. L’état d’urgence dans un premier temps ne concernait pas tout le pays, et ne revêtait pas un caractère obligatoire. Ce qui a conduit une partie de la population à accuser Shinzo Abe de laxisme dans sa gestion de l’extension de la pandémie.

La fête traditionnelle des cerisiers en fleur, « hanami », a été « déconseillée » par le Gouverneur de Tokyo, Koike Yuriko les 28 et 29 mars, mais l’état d’urgence (bien qu’à l’étude dès le 10 mars) n’a été décrété que le 16 avril au niveau national. En vigueur dans un premier temps jusqu’au 6 mai, il a été actuellement repoussé à fin mai. Se pose aussi le problème du Golden Week Holiday début mai. Quant à l’usage du sceau et aux contraintes qui en découlent, cela dépendra notamment de la position que prendra le Ministre de la Technologie qui est aussi Président du « groupe parlementaire pour la préservation du sceau ».

Hélène Mazeran avec la contribution de Michèle Biétrix et Denis Lambert

Sources :  Les Echos. Y.R. 18 février 2020, Le Figaro. Régis Arnaud, Christian Kessler. 10 mars, 18-19 et 29 avril 2020 et Le Monde. Philippe Bas et Philippe Messmer. 19-20 avril 2020