Les événements à Hong Kong : un volet des démonstrations de puissance de Pékin
Depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine, le 1er juillet 1997à l’expiration du bail de 99 ans au profit du Royaume-Uni, la « loi fondamentale de la Région Administrative Spéciale », appelée aussi « Basic Law », sert de constitution au territoire anciennement britannique et lui garantit un haut degré d’autonomie selon le principe « Un pays, Deux systèmes », en principe jusqu’à 2047.La déclaration sino-britannique signée à Pékin le 19 décembre 1984, avec la participation de l’ONU, est un accord international inviolable.
Depuis 2003, Pékin demande l’adoption d’une « loi anti-subversion » qui avait été prévue par l’article 23 de la Basic Law[1]. Ce texte qui interdisait « tout acte de trahison, sécession, sédition ou subversion » n’a jamais été formellement introduit du fait de la forte opposition populaire qui la jugeait liberticide.
Depuis le début des années 2010, et le durcissement du régime à Pékin, et surtout depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, les heurts se sont multipliés.
En 2014, la « révolution des parapluies » avait été motivée par le refus de Pékin d’instaurer le suffrage universel pour l’élection du chef du gouvernement. La réforme électorale n’avait finalement pas eu lieu. Il y eut ensuite notamment la question des librairies qui diffusaient des ouvrages interdits en Chine continentale…
Les années 2019-2020 : un tournant
Depuis le « retour de Hong-Kong à la mère Patrie » (terminologie officielle) Hong-Kong qui disposait de cadres nombreux formés au commerce et à la finance internationale, a joué un rôle important en contribuant à ouvrir la Chine au monde au point de constituer un point de passage quasi-obligé. Hong Kong est devenue une place commerciale et financière de premier plan sur la scène mondiale (3ème rang mondial)[2], avec des coûts de loyers et de pas-de-porte parmi les plus élevés du monde.
A partir de l’accession de la Chine à l’OMC, le 11 décembre 2001, organisée par les Etats-Unis croyant que le commerce allait démocratiser le système communiste, Hong-Kong a progressivement cessé de devenir une place essentielle pour le commerce chinois : au lieu d’en assurer la majorité, elle ne contribue plus que pour quelques pour cent. Aux yeux des dirigeants centraux, la nécessité de choyer la cité s’est donc estompée alors qu’apparaissait trop nettement le contraste entre une Chine reprise en main et la relative liberté de l’île. Celle-ci accueillait dix fois plus de visiteurs par an que sa population (65 millions en 2018 contre 7,45 millions), dont 80% venant de Chine continentale. Pour le pouvoir, ceux-ci risquaient donc de rentrer au bercail porteurs d’un « mauvais esprit ». D’autre part, sachant que désormais tout est disponible sur le continent sauf ce qui est explicitement interdit par le PCC, se posait la question de la motivation de ces touristes chinois : que venaient ils chercher sinon de la propagande hostile au PCC ou des moyens d’évasion de capitaux ? Cette accusation est fondamentale car Xi Jinping a fondé son accession et sa permanence au pouvoir sur une lutte contre la corruption lui permettant d’éliminer les rivaux…
En juin 2019, un projet de loi prévoyant l’extradition judiciaire des ressortissants de Hong Kong vers la Chine continentale est déposé par le Gouvernement local, ce qui provoque des manifestations de milliers de personnes et l’arrestation de 7 000 d’entre elles. Devant cette opposition, le chef du gouvernement de Hong Kong, Carrie Lam a suspendu le projet de loi en septembre. Toutefois l’agitation ne s’est pas calmée, et les revendications des étudiants se sont reportées sur une exigence de libéralisation. D’autre part le mouvement s’est durci : alors que les premières manifestations se déroulaient dans le calme (les émeutiers ramassant les papiers tombés par terre) des manifestations de violence sont apparues, les éléments « troubles » ayant manifestement servi d’agents provocateurs. Des déprédations ont été commises – dans un pays où elles étaient inconnues – et des violences spectaculaires ont eu lieu, permettant le matraquage médiatique d’images de policiers vicieusement blessés.
Les élections locales de novembre ont donné une large victoire au mouvement pro-démocratie. Les mesures de confinement, bien que moins strictes qu’en Chine continentale, ont ralenti les manifestations tout en permettant de juguler la propagation de l’épidémie. L’interdiction de rassemblement adoptée par le Gouvernement de Hong Kong pour imposer des mesures de distanciation sociale est aujourd’hui utilisée pour faire taire les contestations dans l’espace public.
Les mouvements de protestations de 2019, les tensions commerciales sino-américaines, s’ajoutant à la dévaluation du Yuan en 2015, puis les conséquences de la crise sanitaire au début de 2020 ont entraîné des pertes brutales, et de nombreuses faillites, notamment dans le petit commerce. Les grandes marques ont aussi indirectement pâti des troubles de 2019. A titre d’exemple, Décathlon a dû faire face à des difficultés d’approvisionnement de certains produits, car utilisés par les manifestants (vêtements de sports noirs, masques de plongée, raquettes, bâtons…) et a dû fermer une cinquantaine de fois en 2019.
Ces revers économiques ont été abondamment exploités par le pouvoir : il lui a été facile de présenter la révolte des habitants de Hong-Kong (dont le PIB par tête est plus élevé que sur le continent) comme une inadmissible colère d’enfants gâtés, qui fait perdre de l’argent à tout le monde, même sur le continent. Sur celui-ci, l’opinion publique est donc défavorable à Hong-Kong, sauf chez les étudiants, et encore… Comme Hong-Kong ne dispose d’aucun moyen de défense contre une force militaire, une opération brutale serait sûre de réussir avant que les échos n’en parviennent à l’opinion occidentale.
Mais après le 13 avril 2020, des tensions sont apparues entre députés pro-démocratie et représentants du bureau de liaison de Pékin basés à Hong Kong qui avaient déclaré « possibles » les contestations par Pékin des décisions prises à Hong Kong. C’était une remise en cause claire de l’article 22[3] de la « Basic Law » rédigé pour protéger Hong Kong des interférences de Pékin dans les affaires locales. LuoHuining, Chef du bureau de liaison souhaitait promulguer une loi sur la sécurité nationale « contre les actes terroristes et les discours de haine » afin de museler l’opposition. Autre sujet de désaccord : un projet de loi sur les insultes à l’hymne national, assimilées à un « crime ». Les positions du gouvernement local ont « hésité » entre la soumission du bureau de liaison à la loi locale et l’interférence « légitime » de Pékin dans les affaires intérieures de Hong Kong.
Le 18 avril, 14 militants pro-démocratie et personnalités politiques ont été arrêtés, puis relâchés sous caution pour leur participation en 2019 à des manifestations jugées illégales. Parmi eux, Claudia Mo, parlementaire pro démocratie, Jimmy Lai, patron de presse, Margaret Ng, avocate des droits de l’Homme et ancienne députée, qui ont déclaré : « Ils veulent museler et détruire l’opposition locale, mais nous restons unis ». Un avocat très actif auprès des victimes des répressions policières voit dans cette décision « la fin de la distinction entre le continent et Hong Kong ». Ceci signe la fin du régime « un pays, deux systèmes » qui garantissait les libertés à Hong Kong, c’est une violation directe de la déclaration sino-britannique.
Les accrochages ont été multiples au sein du parlement de Hong Kong durant tout le mois de mai. L’interdiction des manifestations n’a pas empêché des altercations et des affrontements entre manifestants et policiers anti-émeutes qui ont chargé les protestataires et procédé à de nombreuses arrestations à la veille du 28 mai, date annoncée pour le vote de la loi sur la sécurité nationale à l’Assemblée Nationale Populaire à Pékin.
Les différents volets de l’affirmation de puissance de la Chine : une offensive mondiale ?
La politique de Pékin envers Hong Kong s’inscrit dans un ensemble de « manœuvres » internationales :
- Dans les enceintes multilatérales,
- En Mer de Chine,
- Face à Taïwan,
- Dans le contexte de l’épidémie du COVID-19.
- Ces dernières années, la Chine s’est employée à pénétrer patiemment et méthodiquement les organisations techniques du système des Nations Unies[4] : FAO, ICAO, UIT, ONUDI, même si elle n’a pas réussi à l’OMPI. A l’OMS, son principal objectif est de « barrer la route à Taïwan » parce que c’est un « modèle de santé publique » (François Godement), en ayant obtenu son exclusion comme observateur. On ne peut que regretter l’isolationnisme américain se traduisant souvent par un désintérêt, voire un retrait de sa place dans les Organisations internationales, ainsi que l’absence de solidarité entre les démocraties occidentales, laissant ainsi la voie libre aux ambitions chinoises. Parallèlement, la Chine crée de nouvelles structures comme la Banque Asiatique d’Investissement pour les Infrastructures, proposant des alternatives au cadre institutionnel existant, selon elle « injustement dominé par l’Occident »[5].
- La Mer de Chine est devenue une zone de tensions récurrentes depuis 2012. Zone de pêche traditionnelle pour les Etats de la région, riche en matières premières et voie majeure du commerce mondial, elle est réclamée presque en totalité par la Chine, malgré les protestations de ses voisins et la condamnation de l’ONU. Les mesures d’intimidation, les incursions et les incidents se multiplient. En mars et avril derniers, au cours d’exercices nocturnes, des chasseurs chinois J11 ont franchi la ligne médiane du détroit de Formose (pas considérée comme une « frontière internationale » par Pékin puisque l’île « est une part intégrante du territoire chinois » …), provoquant le décollage et les injonctions radio de F16 de l’armée taïwanaise. En avril, le porte-avion chinois Liaoning a navigué par deux fois à la limite des eaux taïwanaises ; on a noté la présence d’un bâtiment chinois près des forages d’exploration malaisiens ; un bateau de pêche vietnamien a été coulé par le marine chinoise ; le 19 avril, Pékin a donné des noms à 80 îlots dans les archipels des Paracels et Spratleys (réclamés par le Vietnam et les Philippines), et établi le district administratif de Sansha, entraînant une déclaration vietnamienne de violation de sa souveraineté. La marine chinoise a même repoussé des Paracels le destroyer américain lance-missilesUSS Barry[6].
Ces incidents coïncident avec une réduction des opérations américaines suite à des contaminations par le COVID-19 sur le porte-avions USS Théodore-Roosevelt. Mais depuis fin avril, neuf missions de surveillance américaine ont eu lieu près de l’espace aérien taïwanais, trois navires de guerre américain et une frégate australienne font « des exercices de passage » à proximité de bâtiments malaisiens en Mer de Chine méridionale[7]. Les Marines ont procédé à des exercices de débarquement au niveau de compagnies, à partir du navire d’assaut amphibie (LHA-5) USS Peleliu, accompagné du bâtiment de transport et réapprovisionnement USNS Cesar Chavez[8].
- Face à Taïwan, la tension a été ravivée lorsqu’en 2019, Xi Jin Ping a agité la menace d’une invasion militaire de l’île. La réélection triomphale de TsaiIng Wen en janvier 2020 pour quatre ans a encore envenimé les relations. La dénonciation par Taipeh du retard pris par l’OMS sous l’influence supposée de Pékin pour informer sur l’épidémie, les mesures préventives et la gestion efficace de la crise sanitaire tant à Taïwan (comme en Corée du sud et à Singapour), ont montré qu’un contre-modèle démocratique pouvait endiguer la propagation du virus sans mettre à l’arrêt un pays et sa population. Taïwan a su tirer des profits diplomatiques de sa gestion de la crise avec notamment un accord de coopération sur la prévention de l’épidémie avec la république tchèque, l’acheminement de 16 millions de masques offerts aux Etats-Unis et à l’Union européenne, dont un million à la France (alors que Pékin les vendait !), l’envoi de dix tonnes de matériel médical à la Pologne. La Chine continentale a obligé les vols à contourner son espace aérien !
Depuis novembre 2016, le soutien ouvert des Etats-Unis a été clairement affirmé vis à vis de Taïwan : quatre lois ont été votées au Congrès américain pour renforcer les liens bilatéraux en l’absence de relations diplomatiques formelles ; en février 2020, le Vice-président William Lai a été reçu par la Présidente de la Chambre des Représentants, Nancy Pelosi (c’était la première visite officielle taïwanaise depuis 1979 à Washington).
- Dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, la Chine cherche à s’affirmer comme « modèle de gouvernance » pour faire oublier son retard d’information qui a entraîné une extension mondiale de l’épidémie d’autant plus difficile à juguler (certaines instances américaines prétendent même poursuivre la Chine en dommages et intérêts). Le renforcement de la « surveillance mutuelle » entre individus à tous les échelons de la société a été effectué par les « comités de quartiers » largement sollicités pour « mener la guerre populaire contre le virus ». C’est l’interprétation conjoncturelle d’une « censure et d’une propagande puissantes aux mains des cellules du parti, renforcées dans les entreprises d’Etat et encouragées dans les entreprises privées » (Alice Ekman). La Chine cherche à promouvoir « une solution chinoise pour le monde », et à se présenter en leader des villes du futur et des nouvelles technologies de télécommunications (smart cities), notamment en Asie du sud-est, au Maghreb, au Moyen-Orient ou en Afrique. Elle ambitionne de devenir la référence et de dépasser l’Occident.
Le contexte de la crise sanitaire exacerbe les tensions tant internes qu’internationales.
Sur le plan intérieur, en dépit d’un renforcement des tendances autoritaires, le régime semble fragilisé. Les séances d’autocritique ont été remises à l’ordre du jour, ainsi que les campagnes de recadrage idéologique. L’élimination des « lanceurs d’alerte » au début de la crise sanitaire, ainsi que le « bouclage » de la province de Hubei n’étaient pas le signe d’une situation maîtrisée par le pouvoir central, mais plutôt l’aveu de certaines faiblesses et le manque de confiance dans les autorités locales. Le régime a profité de la crise sanitaire pour accentuer la répression et la surveillance de sa population.
Les manifestations récurrentes à Hong Kong sont ainsi devenues intolérables pour Pékin qui craint de devoir affronter une possible contagion sur le continent. Le sentiment anti-occidental prévaut au sein de l’élite du Parti. On rappelle volontiers « l’humiliation des guerres de l’opium » et les traités inégaux. Toutes les crises du monde sont dues aux Etats-Unis et à leurs alliés occidentaux : en Mer de Chine de sud, à Taïwan, dans les « révolutions de couleurs », et bien sûr à Hong Kong où les étudiants ont été manipulés par « les agents étrangers des forces occidentales hostiles » …qui se mêlent des « affaires intérieures chinoises »…
L’ouverture de la session plénière de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP) à Pékin le 22 mai (prévue initialement le 5 mars et reportée pour cause d’épidémie) est nettement marquée par des démonstrations d’autosatisfaction et d’autoritarisme devant près de 3000 députés.
Selon le numéro 2 du régime, le Premier Ministre Li Keqiang, « Nous avons obtenu une réussite stratégique majeure dans notre réponse au COVID-19 ». Cependant la consommation intérieure n’est pas encore repartie, et les prévisions les plus optimistes annoncent une croissance de 1% pour 2020 alors qu’elle était de l‘ordre de 6% depuis les années 70, entraînant une augmentation du chômage qui sera encore aggravé par la forte dépendance de la Chine aux exportations alors que le monde est en crise[9]. Devant les risques non négligeables de problèmes sociaux, on fait appel aux réflexes nationalistes, même s’ils sont porteurs de tensions extérieures potentielles[10]. Renforcer le nationalisme permet d’occulter la crise économique et les tensions internes[11]. De peur que la colère ne déborde, on préfère une fuite en avant autoritaire et éviter toute contestation à la veille de l’anniversaire de Tien An Men. Malgré la récession, on annonce une augmentation du budget militaire de 6,6% en 2020.
La deuxième cible est Hong Kong : Une proposition de loi sur la sécurité nationale visant à interdire « la trahison, la sécession et la subversion » est votée le 28 mai par une large majorité : 2878 voix Pour, 1 Contre et 6 abstentions.
Cette loi est présentée pour « harmoniser les systèmes politique et juridique sur l’ensemble du territoire chinois », et « améliorer le fonctionnement de Hong Kong à la lumière des circonstances nouvelles et des besoins nouveaux » : elle permettra d’arrêter les « sécessionnistes » et d’accélérer l’intégration de Hong Kong au continent. Le texte comporte sept articles visant à stopper et punir les activistes mettant en péril la sécurité nationale à Hong Kong et à offrir de nouvelles armes juridiques pour mettre au pas les voix discordantes. Des organes de la sécurité nationale du pouvoir central ainsi que des tribunaux d’exception seront installés à Hong Kong. Ainsi le régime de Pékin mènerait-il ses propres enquêtes avec ses agents alors qu’auparavant le gouvernement local était responsable de sa sécurité intérieure, du maintien de l’ordre et des procès équitables étaient garantis. Les « hésitations » pendant 17 ans de Hong Kong pour promulguer sa propre loi sur la sécurité intérieure qui faisait certes débat avec Pékin, conduit aujourd’hui le gouvernement central à imposer un coup de force institutionnel pour donner des bases juridiques qui lui permettront d’endiguer la violence et d’« assurer un retour à l’ordre public ». L’entrée en vigueur prévue immédiatement oblige le gouvernement de Hong Kong à une promulgation rapide en réponse aux injonctions du pouvoir central. « La rule of law héritée de l’ère britannique fera place à la règle du parti »[12].
Il s’agit, pour Pékin, de reprendre fermement en main la situation à Hong Kong, de « restaurer son autorité bafouée » depuis plusieurs années et aussi d’éviter tout risque de contamination dangereuse pour la stabilité du pays. La jeune génération n’est pas disposée à accepter le système politique du Parti communiste à Hong Kong, mais si Pékin perd le contrôle de Hong Kong, l’impact sur le continent sera immense » (Hua Po commentateur politique indépendant à Pékin). « Un nouveau pas est franchi vers l’enterrement du principe -Un pays, Deux systèmes- » a déclaré le dernier gouverneur de Hong Kong, Chris Patten. « Xi Jin Ping marque une véritable cassure avec le passé et tourne le dos à la stratégie d’ouverture de Deng Xiao Ping, il est revenu sur les engagements pris envers Hong Kong. Aujourd’hui, la Chine est devenue dangereuse ». Alors que pouvait s’amorcer une conciliation de la Chine avec Taiwan, cette dernière a maintenant compris que le principe « un pays deux systèmes » doit s’entendre comme « deux pays sinon un seul système ». Or la « récupération » de Taiwan pour le centenaire de la proclamation de la RPC au 1er octobre 1949 est un objectif majeur pour Beijing. Les Taiwanais sont choqués mais refusent le coup de force et espèrent un soutien international. Il faut réaffirmer nos propres valeurs démocratiques, et soutenir ceux qui les défendent.
Sur le plan international les rapports de force entre Etats se sont encore durcis avec les tensions commerciales et technologiques entre Chine et Etats-Unis. Les relations sino-américaines sont aujourd’hui au plus mal depuis l’ouverture formelle de leurs relations diplomatiques en 1979. Depuis 2017, Xi Jin Ping parle ouvertement pour la Chine de « leadership, de compétition stratégique », avec l’objectif de devenir la première puissance mondiale en 2019[13]. Depuis la « Détente », les tensions entre grandes puissances (Chine, Russie, USA) n’ont jamais été aussi fortes qu’aujourd’hui.
Après les « opérations de séduction du Géant bienveillant » aidant les nations face à la crise sanitaire, on est passé aux démonstrations de force. La Chine est devenue nettement « agressive » en Europe notamment, multipliant les incidents diplomatiques par exemple en France et en Suède. Elle profite aussi de « l’inattention » des Occidentaux préoccupés par la gestion de la crise sanitaire pour « marquer des points dans sa zone d’influence » et faire de démonstrations de force en Mer de Chine méridionale, à Hong Kong et face à Taïwan, sans compter les accrochages peu documentés sur les frontières sino-indiennes dans la région du Ladakh et de l’Arunachal-Pradesh, avec en arrière-plan la question d’une éventuelle réincarnation du Dalaï Lama[14]. Le seul fief du bouddhisme tantrique tibétain libre se trouve en effet en Arunachal Pradesh, territoire indien transformé en Etat de l’Union par New-Delhi le 20 février 1987 à la fureur de Beijing qui voudrait mettre la main sur le monastère de Tawang où pourrait être reconnue une réincarnation.
Pékin a rappelé lors de l’ANP son opposition ferme à « d’éventuelles activités séparatistes visant à l’indépendance de Taïwan ». Le gouvernement n’y a pas mentionné dans son rapport annuel 2020 « la réunion pacifique de la patrie » pour la première fois depuis le consensus de 1992, et qualifié la réunification de « fatalité historique inévitable »… En juillet dernier, Taïwan a bénéficié de la vente de 108 chars de combat M1A2 Abrams et de 250 lance-missiles sol-air Stinger pour un montant de 2,8 milliards de US$ et la France a accepté de moderniser le système de lanceurs de leurres Dagae MK2 équipant les 6 frégates vendues en 1990 (cette modernisation, purement défensive, n’étant que la réalisation du contrat signé alors). Les félicitations de Mike Pompeo pour l’inauguration du second mandat présidentiel de TsaiIng Wen le 20 mai ont encore attisé le ressentiment de Pékin[15].
Quelles réactions face à ces menaces ?
Au conseil de sécurité de l’ONU, le 28 mai, l’ambassadeur Chinois Zhang Yun a refusé catégoriquement une réunion sur la question de Hong Kong : « La législation sur la sécurité nationale à Hong Kong est une question d’affaire intérieure, et à ce titre hors du mandat du Conseil de sécurité ».
L’annonce américaine le 29 mai de la révocation des exemptions fiscales accordées à Hong Kong aura-t-elle un effet dissuasif dans le contexte actuel d’imbrications des économies ? Les liens entre les économies chinoise et américaine sont réciproques et étroits. « C’est une arme à double tranchant car si Hong Kong devait perdre son statut de place financière internationale, beaucoup d’entreprises américaines, et non des moindres seraient les premières à en pâtir »[16]. Hong Kong n’est pas seulement une ville chinoise avec des privilèges commerciaux particuliers, elle est une métropole internationale intégrée dans le système mondial. Dès le 29 mai, les Etats-Unis ont aussi annoncé la suppression de la convertibilité du dollar américain et du dollar de Hong Kong. Enfin, les Hongkongais ne seront plus exemptés de visa pour aller aux Etats-Unis qui se réservent, en outre, la possibilité de refuser l’entrée sur le territoire américain de citoyens chinois jugés comme « potentiellement à risque pour la sécurité nationale ». Ils ont aussi confirmé la fin de la relation américaine avec l’OMS et donc la fin de son financement. D’après le New York Times, les visas d’étudiants ou chercheurs liés à l’armée chinoise pourraient également être annulés (avec des risques de riposte bien sûr !). Le Canada reste ferme sur l’Affaire Huawei. Le rapprochement avec Israël, initié en 2016 semble être ralenti sous pression américaine. Israël, pour qui la Chine était devenue le 3ème partenaire commercial, vient de renoncer à lui attribuer un contrat de 2 milliards US$ pour la construction d’une usine de dessalement dans un lieu jugé « stratégique » (près d’un centre de recherche nucléaire et d’une base militaire aérienne).
Au-delà de la question de Hong Kong, l’affrontement sino-américain se passe dans le contexte d’une escalade de tensions à l’échelle du monde. « Il est temps pour les Etats-Unis d’abandonner leur souhait de vouloir changer la Chine et d’arrêter 1,4 milliards de personnes dans leur marche historique vers la modernisation » selon Wang Yi, Ministre chinois des Affaires étrangères.
De nombreuses entreprises internationales qui avaient installé leur siège régional à Hong Kong vont-elles y rester, les dispositions juridiques nouvelles risquant d’affecter la crédibilité et la fiabilité du territoire ? Est-ce le début du déclassement de Hong Kong ?
L’avertissement de « ne pas exploiter la vulnérabilité des autres Etats pour poursuivre des revendications illégales en Mer de Chine » et l’affirmation de « la présence opérationnelle américaine en Mer de Chine méridionale, pour promouvoir avec nos alliés la liberté de navigation et les principes internationaux qui soutiennent la sécurité et la prospérité »[17] pourront-ils dissuader la Chine de poursuivre une politique dangereuse ? Par l’évolution de sa courbe démographique, la Chine sait qu’elle ne dispose que d’une « fenêtre de tir » étroite pour obtenir ce qu’elle veut avant son vieillissement. Prétendre restaurer la grandeur millénaire de la Nation est aussi un puissant levier de politique intérieure : les manœuvres de Xi Jinping et sa persistance sur le trône ne sont certainement pas du goût de ses rivaux. Inversement agiter la menace chinoise permet au pouvoir américain de faire oublier sa gestion chaotique de la crise sanitaire.
Les appels au respect du débat démocratique et des droits de l’Homme, notamment de la part du Haut Représentant de l’Union européenne pour les relations extérieures, Josep Borell, seront-ils entendus à Pékin ? Les Européens sauront-ils adopter une position concertée ? Pour l’instant, seule la Suède a annoncé adopter des sanctions.
Depuis un an, Pékin semble avoir multiplié sinon des faux-pas du moins des gambits risqués avec des arrestations, des incarcérations, un refus du dialogue assimilé à de la faiblesse ; les protestations sont devenues révoltes, les jeunes de Hong Kong, et notamment le Secrétaire général du parti pro-démocratie Joshua Wong, estiment qu’ils n’ont plus rien à perdre : « Pour nous, c’est le début de la fin ».S’ils n’acceptent pas de se soumettre, les opposants n’auront d’autre option que de partir (s’ils le peuvent), et s’appuyer sur la communauté chinoise d’outre-mer (Hua Qiao) au Canada notamment, ou d’aller à Taïwan où certains se sont déjà réfugiés. Le Royaume-Uni a proposé de faciliter la naturalisation de 350 000 habitants de son ex-colonie détenteurs d’un passeport « BNO[18] », mais il est probable que de nombreux manifestants seront trop jeunes pour en bénéficier.
Le « salut » de Hong Kong dépendra de la réaction de la communauté internationale. Quatre Ministres des affaires étrangères (Etats-Unis, Australie, Canada et Royaume-Uni) ont fait une dénonciation conjointe de cette décision remettant en cause un traité international posant le principe « Un pays, Deux systèmes ». Chris Patten a déclaré « la Chine a trahi Hong Kong, l’Occident doit cesser de se prosterner devant Pékin ». Son appel en faveur du respect du traité sino-britannique de 1984 a été signé par 200 personnalités de 23 pays (aucun Français).
Une absence de réaction occidentale peut-elle être interprétée par Pékin comme un « feu vert » pour d’autres actions ???? Les Etats-Unis et la Chine sont aujourd’hui plus concurrents qu’adversaires, notamment sur le plan économique, d’où la difficulté de réactions immédiates bien dosées. Des politiques à court terme pourraient être porteuses de forts risques sur le long terme et « d’entraîner une radicalisation de leur rivalité »[19]. Au contraire, une opposition ferme des régimes démocratiques ne serait-elle pas le moyen de « gagner le respect du régime chinois »[20] ?
1er juin 2020
Hélène Mazeran avec la contribution de Denis Lambert et Michèle Biétrix
Sources
United Nations (AFP) : 28 mai
La Croix : 28 mai. Gilles Bassette et Olivier Talles
Le Figaro : 18 mars, 20, 24 avril, 5, 23, 24, 25, 28, 29 mai. Anne Cheyvialle, Emmanuel Derville, Sébastien Faletti, Vincent Jolly, Virginie Mangin, Thierry Oberlé, Patrick Saint-Paul
Le Journal du dimanche : 31mai. Antoine Malo, François Clémenceau
Le Monde : 4 mars, 3-4, 31 mai-1er juin. Florence de Chanzy, Cécile Ducourtieux, Gilles Paris, Brice Pedroletti
Le Parisien : 23 mai. Charles de Saint Sauveur
Le Point : 30 avril. Marc Roche
https://www.malaymail.com avec AFP & Reuters : 25, 26, 27 mai
https://www.koeatimes: 25 mai
[1]Article 23: “The Hong Kong Special Administrative Region shall enact laws on its own to prohibit any act of treason, secession, sedition, subversion against the Central People’s Government, or theft or state secrets, to prohibit foreign political organizations or bodies from conducting political activities in the Region, and to prohibit political organizations or bodies of the Region from establishing ties with foreign political organizations or bodies”.
[2]C’est aussi le 1er aéroport de fret, et le 5ème port de porte-conteneurs.
[3]Article 22 : « No department of the Central People’s Government and no province, autonomous region, or municipality directly under the Central Government may interfere in the affairs which the Hong Kong Special Administrative Region administers on its own in accordance with this law “.
[4] Cf l’article de Denis Lambert : « Présence de la Chine dans les instances internationales : justice ou entrisme ? ». 20 novembre 2019
[5]Cf Alice Ekman : Rouge vif: l’idéal communiste chinois. Ed L’observatoire. 2020
[6] Christen McCurdy, 06/05/2020, https://www.spacewar.com/reports/Air_Force_Marines_train_near_China_amid_heightened_tensions_999.html
[7] Cf l’article de Denis Lambert : « Reprise des antagonismes en Mer de Chine méridionale ». 30 avril 2020.
[8]Christen McCurdy, 08/05/2020, https://www.spacewar.com/reports/USS_Montgomery_USNS_Cesar_Chavez_enter_South_China_Sea_to_support_drill_ship_999.html
[9] François Heisbourg : Le temps des prédateurs. Ed. Odile Jacob. 2020
[10] On pourrait faire les mêmes remarques au sujet de la politique américaine à propos des troubles et manifestations aux Etats-Unis depuis le 29 mai.
[11] Cf les travaux d’Antoine Bondaz. Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS)
[12] Cf Maurice Yves Oberreiner et Gérard Chesnel : « La Chine est toujours debout ». Geopragma, 29 mai 2020.
[13] Mathieu Duchatel : Géopolitique de la Chine. PUF. Que sais-je.2019.
[14]Qui a évoqué l’idée qu’il pourrait être le dernier, de peur que les Chinois ne prétendent reconnaître un fantoche. Quant au Panchen Lama, disparu à 6 ans le 17 mai 1995 et emmené en Chine, on s’interroge sur son sort. Stéphanie Girard, Libération,21/05/2020 : https://www.liberation.fr/planete/2020/05/21/disparu-depuis-vingt-cinq-ans-le-panchen-lama-mene-une-vie-normale-assure-pekin_1789033
[15] Cf note 13.
[16] Cf note13
[17] Nicole Schwegeman, porte-parole du Commandement indo-pacifique américain.
[18] Le passeport “ British National Overseas » donne un droit de séjour de 6mois sans visa. Sont éligibles tous les Hongkongais nés avant 1997, soit environ 2,9 millions de personnes. Resteront à préciser les conditions réelles d’application.
[19] Cf Graham Allison : Vers la guerre : l’Amériqueet la Chine dans le piège de Thucydide. Ed. Odile Jacob. 2019.
[20] Cédric Alviani, Responsable Asie à Reporters sans Frontières.